Pierre GEYRES1925 - 1964
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3826
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Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Inde
- Région missionnaire :
- 1949 - 1964 (Pondichéry)
Biographie
[3826] GEYRÈS Pierre, Ernest naît le 8 février 1925 à Sauguis dans le diocèse de Bayonne dans les Basses Pyrénées (1). Il fait ses études primaires chez les Frères des Écoles chrétiennes à Sauguis. A 10 ans, il est élève au Collège Saint-François Xavier de Mauléon. En raison de la guerre, il doit aller faire sa première et sa philosophie à Ustaritz. Sa vocation pour les Missions Étrangères se précise d'abord grâce à l'action du P. Bassaisteguy, MEP et basque, qui fait une tournée de recrutement dans la région, puis grâce à l'exemple de son oncle, le P. Antoine Miranda, missionnaire à Pondichéry. Il entre aux Missions étrangères le 25 octobre 1942. Il est ordonné prêtre à 23 ans en décembre 1947 et est affecté à la Mission de Pondichéry. Son oncle, le P. Antoine, se trouvant en congé en France à cette époque, il est décidé qu’ils partiront ensemble pour l'Inde. En fait, le départ est retardé par des grèves et des manifestations sociales et politiques. Ce n'est que le 21 janvier 1949 qu'ils quittent Marseille. Après un long voyage, le ‘‘Chantilly’’ jette l'ancre devant la ville de Pondichéry le 14 février 1949 à midi.
Missionnaire enthousiaste aux dévouements multiples
Mgr Colas envoie le jeune missionnaire à Karikal (1) pour qu’il y apprenne le tamoul sous la direction du P. Peyroutet. Il ne tarde pas à écrire de petits sermons et à converser en tamoul avec les enfants de la paroisse. En janvier 1950, il est nommé à Erayur (2), une grosse paroisse de sept mille âmes, sous la tutelle du P. Noël, grand missionnaire et expert en tamoul. Tout en étudiant la langue, le P. Geyrès, toujours disponible pour les confessions et les baptêmes, est aussi à la demande de son curé sur tous les chemins de la paroisse.
Après un an à Erayur, le Père ressent le besoin de se mettre à l'anglais. Il va alors passer l'année 1951 au Collège St Joseph de Cuddalore (3). Début 1952, il maîtrise cette langue et on le juge capable de voler de ses propres ailes. Il est alors nommé curé de Cheyyur (4). C'est une paroisse de Parias convertis, des Hariyans ou fils de Dieu comme les appelle Gandhi. Comme ils sont nouvellement convertis, le Père s'applique à leur formation chrétienne. Il a le don de leur parler simplement, employant beaucoup d'images et de comparaisons tout à fait à leur portée. À Cheyyur même, il aide les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny à réaliser leurs projets de constructions.
Il doit visiter ses nombreux villages régulièrement, ce qui n'est pas facile pendant la saison de la mousson. Comme la moto ne peut passer partout, il imagine une nouvelle marque de vélo, la marque "Geyrès" : un cadre, un pédalier, un guidon, deux roues et une selle, bref un vrai squelette sans freins et sans garde-boue. La mousson rend les routes impraticables, mais lui ne cale jamais.
En mars 1958, il est nommé à Gingee (5), paroisse confrontée à des problèmes de caste, ; les relations sont difficiles entre Chrétiens de caste et Parias. Le P. Geyrès, qui a de vrais talents de diplomate, réussit à concilier tout le monde et à faire la paix. Il se consacre entièrement à ses ouailles. Villages après villages, maisons après maisons, il refait le recensement de ses Chrétiens. Aussi, en février 1959, avant de prendre son congé en France, peut-il dans son rapport à l'archevêque proposer la formation d'une paroisse nouvelle à l'est de la rivière de Gingee, avec pour centre le petit village de Thurinjipoondy.
Il prend quelques mois de congé en France dans sa famille au Béarn. Il fait la tournée de toute la famille au Béarn et au Pays basque. Tous les matins, il se réveille devant des paysages grandioses, ce qui ne l’empêche pas d’avoir la nostalgie de l'Inde. Il revient à Pondichéry en novembre 1959. Son évêque le charge de fonder la nouvelle paroisse de Thurinjipoondy née de la scission de celle de Gingee. Il se rend compte du travail énorme qu'est celui de pionnier et de bâtisseur d'une nouvelle paroisse dans un vrai bled à l'accès presque impraticable. Il réussit malgré tout à se débrouiller à l'aide de son vélo spécial, non sans plusieurs chutes malheureuses. On imagine ses peines et ses sueurs. Il commence par creuser un puits et construit ensuite le presbytère, un bâtiment très simple mais solide et propre. Souvent le matériel est introuvable ou bien ne peut être acheminé jusqu'au village. Le curé bâtisseur doit fréquemment pousser la roue des charrettes. Au dernier stade des constructions, bien souvent une partie des transports sont faits à tête d'hommes et de femmes selon la coutume du pays. Il se trouve bien isolé au milieu de ses cent-trente pauvres Chrétiens, mais la paroisse s’étend bien au-delà du village. Le Père a aussi la charge de cinq autres villages aussi misérables, tandis que le reste de ses onze cents fidèles sont disséminés parmi une vingtaine d'autres hameaux, au milieu d'hindous réfractaires à toute approche d'évangélisation. Un des cinq villages n'a pas de chapelle : il en bâtit une. Il répare les toits de tuiles ou de chaumes des autres lieux de prière. Il lui faut courir à la recherche des Chrétiens isolés, car il se rend vite compte que la visite du prêtre est pour beaucoup la seule chance de rester fidèles. Un bon vieil hindou, qui pendant quatre ans le voit ainsi passer et repasser dans son village, ne manque pas de faire remarquer le zèle dévorant du bon pasteur, lorsqu'il apprend sa mort.
Fauché jeune par la maladie
Un jour arrive où le Père souffre d'enflures inquiétantes. Il va se reposer au Sanatorium St Théodore, à Wellington dans les Nilgiri. Il va un peu mieux et l’évêque le nomme à Nellitope, une importante paroisse, près de Pondichéry. Il y arrive en juin 1964. Mais, le corps tout enflé, il doit entrer à la clinique des Sœurs de St Joseph de Cluny. On lui fait prendre l'avion pour la France dès le 14 juillet. On le conduit à l'hôpital Pasteur à Paris. Là, les docteurs se montrent très pessimistes en voyant l'état de son foie. Le 1er septembre, il rejoint sa famille à Bayonne où il ne cesse de dépérir.
Le 27 septembre, après sa Messe et au sortir d'une syncope plus forte, il demande et reçoit les derniers sacrements. Il meurt à l'hôpital de Bayonne le 6 octobre 1964, à l'âge de 39 ans. La messe des funérailles est célébrée dans l'église St Léon de Marracq par le P. Itçaïna entouré d'une trentaine de prêtres. Le P. Michel Augustine, prêtre indien de Pondichéry, a des mots très émouvants après l'absoute et, au nom du clergé de Pondichéry, offre à la mère du P. Geyrès des paroles de consolation.
Dans l’une de ses dernières lettres, le Père écrit : "Je suis entre les mains du Bon Dieu". Il l'a toujours été et faisant toujours son devoir quel que soit l’endroit où il se trouve. Merveilleux missionnaire, bien intégré et adapté au pays, charmant confrère, il laisse l'exemple d'une vie bien remplie "in brevi tempore" (6), courte mais fructueuse.
1 – L’un des cinq comptoirs français en Inde sur la côte de Coromandel au sud de Pondichéry.
2 - A l’ouest de Pondichéry.
3 – A proximité et au sud de Pondichéry, sur la côte.
4 – Au nord de Pondichéry.
5 – Au nord-ouest de Pondichéry.
6 – ‘‘De brève durée’’.
Nécrologie
Il y a quarante ans, un jeune partant, le P. MIRANDE versait l’eau baptismale sur le front du petit Pierre GEYRES, son neveu. Rentré à Paris pour la cérémonie du départ, il confiait à des confrères de « bateau » : « Je crois bien que je viens de baptiser un futur missionnaire. »... Il ne se trompait pas. Dix ans plus tard « l’oncle Antoine » revenait pour la première communion de Pierre, et, en 1949, après un second congé en France, l’emmenait avec lui à Pondichéry. Il n’a pu le garder que 15 ans. La mort de Pierre l’a privé, nous a tous privés, du « meilleur d’entre nous » et si elle nous a tous profondément bouleversés, c’est qu’elle est celle d’un vrai mission¬naire tombé en plein effort.
Jeunesse et adolescence
Pierre GEYRES naquit le 8 février 1925 à Sauguis (Basses-Pyrénées) dans une famille de huit enfants, où quatre sœurs l’avaient précédé. Le père, receveur des douanes, bientôt transféré à Bayonne, avait la haute main sur l’éducation des enfants ; sa forte autorité savait aussi se faire juste et douce. Chaque enfant avait son emploi dans la maison, à tour de rôle : balayage, propreté, commissions. L’esprit de famille était intense et excluait tout favoritisme : une pomme, si elle était unique, était partagée entre tous ; tous les anniversaires étaient célébrés régulièrement et sans différence. Cela explique l’esprit de détachement et de simplicité, la charité et la loyauté, qui caractériseront plus tard le missionnaire de la famille.
Pierre fut d’abord confié aux Frères des Ecoles Chrétiennes ; il fut pour eux un bon élève, enjoué, rieur et taquin. A 10 ans, il entra comme séminariste au collège Saint-François-XAVIER de Mauléon. C’est alors que son père mourut ; Pierre avait 13 ans et était en quatrième. La « ligne » établie par les Allemands en 1940 tout le long du « Mur de l’Atlantique » obligea le petit séminariste à faire sa première et sa philosophie au collège d’Ustaritz, pépinière de vocations missionnaires ; avec sa belle intelligence, il s’assura ses deux baccalauréats sans difficulté.
Entre temps, sa vocation se précisait vers les Missions Etrangères, grâce au P. BASSAISTEGUY qui, en 1938, fit du bon travail de recrutement au pays basque. Au fond, rien d’étonnant dans cette décision ; tout l’y préparait : le climat familial (ses parents eux-mêmes venaient de solides familles chrétiennes de 6 enfants) et bien sûr l’exemple de l’oncle Antoine, son père dans la foi. « Je connais déjà votre oncle : je sais que vous êtes de bonne race », lui écrira plus tard Mgr COLAS, archevêque de Pondichéry. Oui, une bonne race ; du côté de la mère, il y a déjà deux autres prêtres, dont un grand-oncle. Mgr MIRANDE, est une célébrité du clergé bayonnais, et un cousin germain, Frère des Ecoles Chrétiennes ; du côté pater¬nel, un cousin Jésuite.
Pierre a raconté plusieurs fois sa première arrivée à Paris, avec deux énormes valises bourrées d’effets et de ravitaillement. On était en 1942. A la gare, personne ne l’attendait ; nouveau venu, il se méfiait du métro et des taxis. Il connaissait tout juste l’adresse de ses sœurs ; il y arriva complètement exténué et, par chance, réussit à convaincre la concierge méfiante de lui passer les clefs ; alors il put tomber comme une bûche sur un lit et s’endormir du sommeil du juste jusqu’à l’arrivée de la locataire... Incident bien typique : tout au long de sa carrière, notre ami, de caractère optimiste, a toujours su oublier ses misères avec une âme d’enfant, du moment qu’il avait fait tout son possible et qu’il n’y pouvait plus rien. Devant mauvaise fortune il a montré bon cœur.
Au séminaire de la rue du Bac, on trouva vite le jeune abbé digne de suivre les cours de l’Institut Catholique : mais une pleurite, dont les suites rendirent sa santé délicate jusqu’à son départ en mission, vint mettre obstacle au projet. Il continua donc ses études rue du Bac. Pendant un an, il fit fonction de réglementaire ; il fut aussi « diacre » de Mgr le Supérieur Général, il était de toutes les cérémonies importantes, tout en se défendant d’être un liturgiste.
Mais l’aplomb, l’aisance, le naturel, et... l’audace avec lesquels il évoluait dans le sanctuaire étaient un émerveillement pour ses condisciples ; déjà il ne se démontait jamais.
Il fut ordonné prêtre en décembre 1947, âgé de 23 ans à peine. Avant les destinations, l’oncle des Indes, mine de rien, demanda au P. DESTOMBES si la famille serait contente de l’affectation du neveu ; C’était une habile supplique, à laquelle le Conseil Central répondit par un magnifique cadeau : l’oncle et le neveu partiraient ensemble pour Pondichéry.
Le départ traîna. Il était fixé au mois de novembre 1948, mais des grèves de marins le retardèrent jusqu’en janvier 1949. Le jeune P. GEYRES, venu à Paris pour la cérémonie du départ, n’hésita pas un instant à retourner chez les siens, à Bayonne ; son affection pour eux, qu’il gardera toujours très forte, lui fit risquer la douleur d’un deuxième arrachement. A Marseille, il fallut encore attendre, mais cette fois en compagnie de l’oncle qui l’entraînait dans de longues marches en ville ou sur la côte ; en cours de promenade, on achetait du pain et du saucisson, et l’on s’attablait heureux devant un verre de vin blanc. Le P. GEYRES devait comprendre plus tard les raisons de l’ancien qui savait qu’au pays de la prohibi¬tion et du végétarisme ils soupireraient bien assez tôt après les oignons d’Egypte.
La vie missionnaire
Les débuts
Le « Chantilly » jeta l’ancre devant la ville de Pondichéry le 14 février 1949, à midi. Du pont du navire, la première apparition de l’Inde était féerique ; mais là aussi l’avenir se chargerait de montrer le revers des choses.
Le jour même, Mgr COLAS confia le jeune missionnaire au P. PEYROUTET, curé de Karikal. Le départ du P. MIRANDE pour le grand séminaire de Bangalore coupa le dernier lien de famille. Le neveu, lui aussi, s’éloignait de la mission, car Karikal, un « reste de colonialisme » toujours sous la juridiction de l’archevêque de Pondichéry, est une enclave située au cœur d’un autre diocèse du sud. En compensation, il allait se trouver à l’école d’un curé merveilleux, bon ami de son oncle. Voici ce qu’écrit le P. PEYROUTET, maintenant supérieur local : « Je choisis un instituteur retraité connaissant le français et le tamoul, pour lui enseigner la langue du pays. Pierre y mit tellement d’ardeur qu’après trois mois, il préparait déjà de petits sermons qu’il m’apportait pour que je les corrige. Après avoir apris par cœur, il y allait bravement de son petit mot aux enfants, et s’en tirait joliment. Toutefois il lui arrivait parfois de perdre le fil ; voyant que cela ne venait pas, il s’asseyait et attendait tout simplement la suite... La suite, c’était son jeune auditoire qui éclatait de rire, et lui avec eux. Et il recommençait la semaine suivante, sans jamais être désemparé ».
Le P. GEYRES, qui dès le séminaire redoutait d’être envoyé dans une colonie, avait trop d’occasions de parler français à Karikal. Au début de 1950, il fut donc dirigé sur Eraiyur, grosse paroisse de 7000 âmes, sous la tutelle du P. NOEL, un « monument » de la Mission. Tout en lui enseignant le tamoul, celui-ci lança son vicaire sur les chemins du district, dont il visita tous les villages. Une nuit, notre ami entendit un bruit suspect, alluma et se trouva en présence d’un cobra venu lui tenir compagnie. Il appela à l’aide pour l’exécution, puis se rendormit profondément comme si rien ne s’était passé ; et le lendemain, il emportait la peau du serpent comme trophée.
Ces visites de villages, pour dures qu’elles fussent, avaient l’avantage de lui valoir un supplément de sommeil. En effet à Eraiyur tous les prêtres devaient dire la messe à 4 heures et demie dans une église pleine. Le vicaire supposa que le « manoul » (coutume) avait sa raison d’être et ne le discuta pas, mais il se recouchait tranquillement après le petit déjeuner, avant de se mettre à l’étude de la langue. Toute sa vie il connut à la perfection l’art de vivre en se laissant vivre, ce qui le fit aimer de tous. Le P. NOEL en a gardé un excellent souvenir ; il le trouvait toujours prêt pour les confessions et les baptêmes ; il savait pouvoir compter sur lui, à toute heure du jour et de la nuit, pour les extrêmes-onctions.
Le vicaire avait une autre prérogative : souvent il fallait aller bénir les mamans en couches difficiles, avant leur départ pour l’hôpital voisin dans la voiture paroissiale. Cette voiture était devenue un véritable talisman ambulant, car une fois sur deux elle revenait avec le bébé né en route ; et bien souvent on lui faisait faire quelques tours d’honneur dans le village avant de partir pour l’hôpital pour le cas où... Bien sûr on attendait encore davantage de la bénédiction du prêtre ; au moins une fois, le P. GEYRES sortit d’une maison en criant : « Ce n’est pas le prêtre qu’il faut, mais la sage-femme ».
Après un an à Eraiyur, le Père sentit lui-même le besoin de se mettre à l’anglais. Dans ce but, il passa l’année 1951 au collège Saint-Joseph de Cuddalore. En même temps, il assurait des catéchismes et de la surveillance, travail peu compliqué car nos élèves tamouls sont en général très peu frondeurs. Pourtant la vérité oblige à dire qu’ils s’aperçurent vite que, lorsque dans leur immense dortoir leur surveillant dormait, il dormait bien, des deux yeux et des deux oreilles, et qu’alors ils devenaient maîtres du terrain jusqu’à ce que fatigue s’ensuive.
Cheyur
Au début de 1952, le P. GEYRES avait fini ses classes. On le jugea capable de voler de ses propres ailes et il fut nommé curé de Cheyur. La paroisse possède encore quelques terres données par Mme Dupleix, il y a 200 ans. Il n’empêche que presque tous les chrétiens sont des parias intouchables (des Harijans ou fils de Dieu, comme les a fait appeler Gandhi) venus nouvellement à la foi. Pour eux le Père qui les convertit sacrifia, avec ses forces, une grosse fortune personnelle. La paroisse lui doit une belle résidence et une magnifique église ; les chrétiens lui doivent les terrains sur lesquels leurs maisons sont construites. Le P. GEYRES n’était pas si riche. L’eût-il été qu’il eût trouvé que la période d’allaitement était passée et qu’il lui fallait enfin sevrer ses ouailles avec une nourriture plus substantielle. Un jour, les notables d’un village lui demandèrent le riz et quatre annas par enfant et par jour comme conditions préalables à la préparation à la première communion dans le village. Inutile de dire que ce chantage n’eut pas de prise sur le P. GEYRES.
Par contre il se donna corps et âme à ses gens. Le P. PENNEL, que l’on envoya se roder en sa compagnie, se rappelle l’art avec lequel le P. GEYRES prêchait à ses pauvres paroissiens illettrés. Il ne visait jamais à l’éloquence, mais employait un langage très familier ; il se servait toujours d’images pour rendre ses instructions plus vivantes. Partout où il ira dans la suite, il emploiera la même méthode et ne prêchera jamais que le catéchisme.
Pendant 6 ans de séjour à Cheyur, le travail ne manqua jamais. Il lui fallut réparer écoles et chapelles ; il aida avec dévouement les Sœurs du couvent dans leurs constructions. Avec sa moto il visitait ses nombreux villages régulièrement ; mais la moto ne passait pas partout, surtout pendant la mousson. Il imagina alors une nouvelle marque de vélo, la marque « Geyres » : un cadre, un pédalier, un guidon et une selle, bref un vrai squelette sans freins, sans garde-boue et sans carter. Avec cette machine il se faisait crotter des pieds à la tête, mais il ne calait jamais. Des jeunes filles, auxiliaires des Missions, qui faisaient un travail admirable dans un centre d’éradication de la lèpre, se vantèrent au début de faire passer leurs voitures partout. Le P. PENNEL essaya de leur expliquer que rien n’était moins sûr, et que la mousson rendrait beaucoup de chemins impraticables ; son curé l’arrêta avec gouaille : « Laisse-les donc ; tu perds ton temps ; elles s’en apercevront bien assez vite elles-mêmes ».
Il ne défendait jamais son point de vue pour le seul plaisir du panache ; il n’admettait la discussion que lorsqu’elle était un devoir, ou bien pour faire marcher ceux qui ne s’en offenseraient pas. Il fuyait les querelles et les procès et ne manquait jamais de dissuader ses confrères d’aller devant les tribunaux. Une vilaine expérience, qu’il fut bien obligé de subir, augmenta encore cette phobie. Un soir qu’il rentrait à Cheyur, un vieux sourd se jeta sous sa moto, et mourut de ses blessures peu après. L’inspecteur de police incita les gens à porter faux témoignage ; il en voulait en effet à tous les prêtres depuis qu’une de ses sœurs s’était convertie au catholicisme contre la volonté de sa famille. Il faut ajouter que le curé de Cheyur, tout pacifique qu’il fût, ne se laissait pas cependant monter sur les pieds et exigeait toujours un minimum de respect, ce qui n’était pas du goût du petit tyran. Le Père s’en tira grâce à un avocat protestant qui le défendit très habilement et ne voulut pas accepter d’honoraires. Finalement ce fut l’inspecteur qui demanda pardon.
Le frère du P. GEYRES, officier, et une de ses sœurs ne le trouvèrent pas trop déprimé, quand à leur retour d’Indochine, ils passèrent le voir à Cheyur.
Gingee
En mars 1958, le P. GEYRES fut nommé à Gingee ; le choix de Monseigneur était heureux. Le prédécesseur du Père n’avait pas perdu son temps à Gingee ; et il y a laissé des souvenirs durables. Mais il eut maille à partir avec la caste. Nouveau venu dans la paroisse le P. GEYRES crut plus prudent de laisser tomber certains détails dans l’oubli et réussit à rétablir la paix, si boiteuse fût-elle. Il sauva les principes, sans changer, hélas ! le cœur de l’énergumène qui avait fait tant de mal au curé précédent. Son manque total d’amour-propre et son tempérament facile le prédisposèrent à cette tâche délicate.
Gingee, place historique, illustrée autrefois par un beau fait d’armes des Français, valait au Père beaucoup de visiteurs. L’ambassadeur de France lui-même lui demanda un jour de l’accompagner dans la visite des ruines de la citadelle et de ses temples. Le P. GEYRES, qui avait les deux pieds sur terre, refroidit sensiblement l’enthousiasme du diplomate devant les vieilles constructions, en lui faisant remarquer que les gens d’aujourd’hui construisaient leurs puits de la même façon et que cela n’avait pas l’air si compliqué...
Toutes ces visites n’empêchaient pas le curé de Gingee d’être avant tout un pasteur d’âmes. Il se libéra de la direction de l’orphelinat en la confiant aux religieuses indiennes, pour se consacrer entièrement à ses ouailles. Village par village et maison par maison il refit le recensement de ses chrétiens ; les maîtres d’école sont témoins de la minutie avec laquelle il accomplit ce travail. Aussi, en février 1959, avant de partir pour son congé en France, laissant le district entre les mains de son vicaire tamoul, pouvait-il présenter à son archevêque un rapport, proposant la formation d’une paroisse nouvelle, à l’est de la rivière de Gingee, avec pour centre le petit village de Thurinjipoondy.
Congé en France
Durant son congé, seule sa famille compta ; il fut d’ailleurs happé par elle dès son arrivée à Marseille, où sa maman l’attendait. C’est tout juste si on le vit à Paris. Il fit cependant une cure de trois semaines a Vichy, car son foie lui causait déjà bien des ennuis ; de fait l’organe était passablement gonflé, mais, après la cure, le docteur le trouva beaucoup mieux. Si on avait su alors !... De Vichy il revint à Bayonne dans la maison familiale, fit la tournée de toute la famille au Béarn et au pays basque. Tous les matins il se réveillait devant des paysages grandioses.
Mais on l’imagine mal s’adaptant à la vie moderne française. Il avait toujours été d’une simplicité de manières incomparable et si naturelle qu’elle décourageait tous les censeurs. Dix ans dans l’Inde n’avaient fait qu’accentuer cette tendance. Sa mère avait même été parfois choquée de sa tenue : un jour, à la maison, il fit une démonstration de la méthode du repas à l’indienne et entraîna un de ses beaux-frères dans l’expérience. Au fond, il était devenu Indien et se trouvait un peu dépaysé en France. D’ailleurs le moment revint vite de rentrer creuser un nouveau sillon en Inde.
Resté Indien en France, il le resta sur le bateau du retour. A Aden, en compagnie du P. MAHE, son « bateau », il décida de se refaire la main ; tous deux furent « la croix » d’un jeune Sulpicien qui les accompagnait. Dans l’Inde, que voulez-vous, on sait perdre son temps, on baille aux portes, on discute. Le P. GEYRES se rappelait les nombreuses fois où lui, si libéral pourtant et si peu tatillon, avait, juste pour le plaisir, discuté les prix dans les boutiques et marchés tamouls. Non, il n’avait rien oublié. Et à l’arrivée à Bombay, alors que les autres passagers se fatiguaient les jambes et les nerfs en courant ici et là, anxieux d’être les premiers à voir et à savoir, lui seul restait calmement assis au milieu de la cohue. A son compagnon qui lui demandait ce qu’il y avait de cassé, il répondait : « Fais comme moi, tu comprendras tout à l’heure. Dès que les formalités de douane auront commencé, nous n’aurons pas trop de toutes nos forces et de toute notre patience ».
Thurinjipoondy
Dès son retour à Pondichéry, en novembre 1959, il reçut sa feuille de route pour Thurinjipoondy ; son archevêque le chargeait de fonder la nouvelle paroisse. C’était un peu ce qu’il avait espéré.
Auparavant, voulant visiter le nouveau poste du P. MAHE, il prit le temps de faire une chute de moto, qui l’immobilisa pendant huit jours. Puis, après deux mois passés à Gingee avec son ancien assistant devenu curé, il gagna Thurinjipoondy avec sa charrette de déménagement. Il logea d’abord dans la vieille école et, durant un an et demi, il allait vivre dans une petite salle basse et étouffante, en attendant que surgisse le nouveau presbytère. Du moins avait-il l’avantage d’être bien chez lui, loin du bruit et des hommes. Un petit gars du village, à qui on demandait combien il y avait de chemins pour se rendre à Thurinjipoondy, répondait : « Kannakillai, Swami » (On ne peut pas les compter, Père). Réponse bien prétentieuse, mais exacte en ce sens qu’on ne compte pas ce qui n’existe pas. De fait aucun chemin n’est praticable toute l’année. A la belle saison, il paraît que les camions arrivent tout près du village, et transportent du matériel à travers les champs en friche, mais un tout petit peu de pluie leur interdit la route. Le nouveau curé dut lui-même renoncer, après quelques semaines, au scooter d’un confrère qu’il avait voulu essayer ; son plus fidèle compagnon fut donc encore son vieux vélo sur lequel il fit quelques chutes mémorables.
Pour les profanes, le mieux est de terminer à pied la route de Thurinjipoondy ; après avoir quitté la route, on marche d’abord pendant un mille au fond d’un chemin creux et sablonneux, bordé d’aloès rabougris ; puis on serpente en file indienne dans un sentier qui court entre les rocs. Avant d’arriver, il faut emprunter une digue d’étang pour finalement apercevoir la « cherry » ou quartier des Harijans, presque tous chrétiens, tapie au milieu des rizières entre deux étangs. Pendant les trois mois de pluie c’est une féérie de verdure, mais le reste de l’année, le ciel, la terre et les montagnes environnantes crachent le feu sur la jolie petite église et le presbytère qui flanquent les quelque trente huttes des habitants, alors que les palmiers, arbres à vie dure, et quelques rizières péniblement irriguées donnent un peu de vert au paysage. A l’ouest du village, les gens de caste, tous hindous, sont retranchés derrière leur étang où ils puisent une eau malpropre, mais une eau bien à eux, interdite aux parias.
En 1960, le P. GEYRES creusa d’abord un grand puits dans le roc, puis bâtit une cuisine et un grenier. L’année suivante, il construisit le presbytère, très simple, mais remarquablement solide et bien réussi. On imagine ses peines et ses sueurs avant d’y pouvoir habiter. Souvent le matériel était introuvable, ou bien on ne pouvait l’acheminer à pied d’œuvre ; avec les ouvriers, le curé bâtisseur dut bien souvent pousser la roue des charrettes. Pratiquement, au dernier stage des constructions une grande partie des transports furent faits à dos d’hommes, ou plutôt à tête d’hommes.
Dans ce petit trou où, disent les gens pour exprimer leur pénurie, on ne trouve même pas une feuille de bétel, il n’y a pas de travailleurs qualifiés. Il arrivait aussi que certains ouvriers, le premier salaire empoché, ne revinssent jamais. Le Père a avoué que s’il avait prévu toutes ces difficultés, il n’aurait pas parrainé la division du grand Gingee avec autant de gaieté de cœur. Il fut continuellement sur la brèche, allant jusqu’à dormir en plein air sur le chantier pour surveiller le matériel. Très bien outillé, il fit lui-même beaucoup de travail de menuiserie et de charpenterie. Sans les grosses chaleurs, il aurait lui-même fait les coffrages du ciment armé. Dans la suite, il dut aussi s’occuper personnellement d’une partie du mobilier de ses écoles. Ces divers travaux terminés, il disait : « Mes gens et moi, on en a bavé, mais ce qu’on a bien ri ! » En effet comme toujours une bonne blague lui faisait oublier ses peines. Un rire homérique secoua le village le jour où il coiffa un travailleur négligent d’un seau, de lait de chaux.
Oui, il lui fallut une bonne dose d’humour, de patience et d’esprit de détachement pour accepter de s’isoler ainsi au milieu de 130 pauvres chrétiens. Il avait aussi la charge de cinq autres villages aussi misérables, tandis que le reste de ses 1 100 fidèles était disséminé parmi une vingtaine d’autres hameaux, au milieu d’Hindous, réfractaires à toute approche d’évangélisation.
Un des cinq villages n’avait pas de chapelle ; il en bâtit une. Il répara les toits de tuiles ou de chaume des autres lieux de prières. Chaque mois, il réunissait au centre les enfants pour un examen de catéchisme, suivi de récompenses pour les plus méritants et d’un bon repas pour tous. Il visitait régulièrement les principaux centres, au moins une fois par trimestre, y confessant, faisant le catéchisme et réglant toutes les affaires pendantes. Il lui fallait courir à la recherche des chrétiens isolés, car il s’était vite rendu compte que la visite du prêtre était pour beaucoup la seule chance de rester fidèles. Que de mystères et de secrets découverts ainsi ! Que d’histoires arrangées et d’âmes pacifiées ! Comme bien d’autres missionnaires, il a dû être consolé de toutes ses peines et encouragé dans sa dure vocation par ces moments où l’on sent le passage presque physique de la grâce... Un bon vieil hindou, qui, pendant quatre ans, l’avait ainsi vu passer et repasser dans son village, ne manqua pas de faire remarquer le zèle dévorant du bon pasteur, lorsqu’il apprit sa mort.
Pour l’aider dans son travail apostolique, le Père avait deux catéchistes. Ses quatre écoles, dont celle du centre fut élevé au rang d’école complémentaire, étaient entre les mains de dix instituteurs, eux aussi un peu catéchistes. Malheureusement certains parmi eux le firent beaucoup souffrir. La conduite immorale de l’un d’entre eux devint un tel scandale qu’il dut s’en débarrasser. Mais l’instituteur fit un tel chantage que l’inspecteur gouvernemental des écoles ordonna qu’il fût repris. Le Père, pourtant connu pour sa largeur de vue, refusait de céder, par devoir. Finalement le Père inspecteur des écoles lui conseilla d’avaler la pilule… Il devait en avaler bien d’autres avant de quitter Thurinjipoondy, surtout dans les derniers temps ; la jalousie est un chancre qui ronge les meilleurs villages tamouls.
N’exagérons rien cependant. Les braves gens de Thurinjipoondy n’ont jamais dit à leur curé : « Qu’as-tu fait pour nous ? », comme ceux d’un district voisin le dirent à leur vieux missionnaire qui, après avoir passé parmi eux trente années, leur donnant tout son temps, toute sa fortune personnelle et aussi sa santé, partait pour l’hôpital, miné par les privations et les fatigues. S’ils ne devinèrent pas (pas plus que ses confrères) que la mort le guettait, ils se rendirent compte qu’il usait ses forces pour eux. Son foie, toujours délicat, le contraignit à se priver de bien des délicatesses. Souffrant aussi d’enflures inquiétantes, il avait plusieurs fois consulté un docteur à Pondichéry ; mais celui-ci n’avait rien trouvé de sérieux.
La mort
Pendant trois ans, il n’a cessé de baisser ; les congés qu’il prenait chaque année au sanatorium Saint-Théodore ne lui étaient plus salutaires comme auparavant. Pourquoi, en dépit de ce qu’il ressentait certainement, n’a-t-il jamais donné l’alarme ? Plusieurs fois, ses supérieurs lui proposèrent de le sortir de son trou, surtout pour l’empêcher de s’y rouiller ; il s’y opposa toujours. Son oncle, qui ne manquait pas de venir chaque année l’encourager et en même temps goûter chez lui « le calme parfait et la bonne vie de famille », et qui donc devait connaître bien des secrets, pense qu’il voulut s’accrocher coûte que coûte dans ce nouveau poste dont il avait voulu la fondation en dépit de toutes les difficultés et dont il ne voulait pas laisser la succession trop difficile à un autre.
Pourtant en avril 1964, Monseigneur le nomma en charge de l’importante paroisse de Nellitope, près de Pondichéry. Avant de quitter Thurinjipoondy, il voulut continuer la préparation de la visite épiscopale toute proche et de la confirmation. Pendant ces dernières semaines, il n’eut ni vrai sommeil ni vrais repas. Il fit la navette continuelle entre ses villages et ses hameaux, rassembla les enfants, relançant les fuyards, ramenant les retardataires, et enseignant ou surveillant l’enseignement du catéchisme à longueur de journées. Lors de la visite épiscopale, il révéla à son archevêque être parfois si fatigué qu’il était obligé de s’étendre de longs moments pour tenir le coup. Mais il pensait que ce n’était qu’une mauvaise période à passer et qu’à Nellitope une vie plus réglée le remettrait sur pied. Après avoir une dernière fois béni ses chrétiens en larmes, c’est le cœur bien gros qu’il quitta Thurinjipoondy... pour toujours.
Arrivé à Nellitope en juin 1964, il ne fit qu’y passer. Aussitôt il dut préparer la confirmation, avec le vicaire indien laissé par le P. PEYROUTET, son prédécesseur. Comme il accueillait Monseigneur à la porte de son église, celui-ci lui demanda des nouvelles de sa santé ; pour toute réponse, le Père lui montra ses jambes, démesurément enflées. L’archevêque lui ordonna d’aller immédiatement s’étendre, lui disant qu’il se passerait de lui pour la cérémonie de la confirmation.
A dater de ce jour, tout se précipita. Le corps tout enflé, il entra à la clinique des Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. Le docteur lui promit qu’en France on le guérirait en six mois. Il quitta Madras par avion le 14 juillet ; ni lui ni nous n’avons jamais cru qu’il partait pour mourir... A des confrères qui le taquinaient en parlant de maladie diplomatique, il répondait du tac au tac : « Soit ; je vous passe la maladie et je garde la diplomatie ». Jusqu’au bout il garda sa belle humeur ; la veille de son départ de Pondichéry, il surgissait tout joyeux parmi des confrères, tenant sous son bras, disait-il, son « Kattou sorou » (riz cuit que les paysans indiens emportent avec eux pour manger sur le lieu de leur travail) ; en l’occurrence, le paquet contenait des poires cuites que le docteur lui avait prescrites ; tout en les mangeant, il était étincelant de gaieté.
Hélas ! à l’hôpital Pasteur où il fut aussitôt admis à son arrivée à Paris, les docteurs, tout en assurant au Père qu’il aurait bientôt un foie tout neuf, confièrent à l’une de ses sœurs qu’il était irrémédiablement condamné.
Le 1er septembre, il rejoignait sa famille à Bayonne, où il ne fit que dépérir. Lui pourtant gardait toujours l’espoir de guérir et de repartir en Inde. Le 18 septembre, il écrivait à son supérieur régional : « Priez bien pour moi ; je vais aller à Lourdes et je demanderai à notre Bonne Mère de me guérir. » L’écriture de ses dernières lettres était fort altéré ; et certaines durent être terminées par sa mère.
Il lui devint de plus en plus difficile de se concentrer ; il restait des heures à regarder un rien. De fréquentes syncopes et des poussées de fièvre finirent pourtant par lui indiquer que le dé¬nouement était proche. « Comment est-ce donc quand on va mourir ? » demandait-il. Le 27 septembre, après sa Messe, et au réveil d’une syncope plus forte, il demanda et reçut les derniers sacrements.
Le même jour, il fut transporté à l’hôpital de Bayonne, où sa mère fut presque continuellement à son chevet. Sa couronne était achevée : le 4 octobre, il entrait dans le coma, et le surlendemain il mourait, âgé de 39 ans. Un bon serviteur entrait dans la joie de son Maître.
Une dernière fois, on le revêtit de sa soutane blanche de missionnaire, et le 8 octobre, en même temps qu’à Pondichéry une messe solennelle était célébrée pour lui à la cathédrale par son supérieur régional, en présence de huit confrères MEP, son corps était confiée à sa terre natale en présence de tous les siens et d’une assistance nombreuse. La messe des funérailles avait été célébrée par le R. P. ITCAINA dans l’église Saint-Léon de Marracq. Une trentaine de prêtres avaient assisté à la cérémonie funèbre. Avant l’absoute le Père MICHEL-AUGUSTIN, prêtre indien de Pondichéry et étudiant à Paris, en quelques mots très touchants, au nom du clergé de la Mission, avait offert à la maman des paroles de consolation.
Lors de la célébration du tricentenaire de la Société dans nos villages, Mgr AMBROSE avait ordonné des prières sur les tombes des Pères des Missions Etrangères. A Thurinjipoondy, le P. GEYRES avait alors dit à ses chrétiens : « Ici, pour le moment, il n’y a pas encore de tombe de prêtre, mais au train où nous allons, avec toutes les misères que vous me faites, cela ne devrait plus tarder », et tous de sourire avec lui. Quelques mois plus tard, à l’annonce de sa mort, tous les habitants du village, chrétiens et hindous, pleurèrent à haute voix. Le successeur du Père aurait voulu les consoler ; mais il n’arrivait qu’à pleurer avec eux. Le fondateur de leur paroisse, le « Thurinjipoondy Swamiar ». le « Pera Swamiar » (le grand prêtre), comme ils continueront sans doute à l’appeler, n’a pas pu leur léguer son corps, mais tous savent que son âme, c’est ici qu’il l’a donnée.
Et nous, ses confrères de Pondichéry et de l’Inde, quel ami très cher nous avons perdu ! Il était devenu une « célébrité » de la Mission. Aimé de tous, il ne laisse que des regrets. « Geyres, une âme de cristal », disait un confrère ; c’est vrai : il était l’être le plus simple et le plus naturel du monde. Son caractère était d’or pur ; il n’avait aucun souci du qu’en dira-t-on. Il se trouvait à l’aise partout, avec les puissants comme avec les simples et n’acceptait jamais de prendre en face des autres une mentalité de rechange.
C’était un « type » à lui tout seul ; chaque semaine on pouvait raconter un trait qui cadrait avec ce « type ». Il faudrait un livre pour raconter les aventures du P. GEYRES. Aucun d’entre nous n’était devenu plus Indien que lui ; aucun mieux que lui n’a su échapper à un complexe soit de supériorité soit d’infériorité. Il en était arrivé à ne pas comprendre que certaines attitudes acceptées chez les Indiens pourraient choquer chez un Européen. Dans le train, s’il ne trouvait rien de mieux, il étendait « comme tout le monde » une couverture entre deux banquettes, ou même sous la banquette, et s’endormait. Il n’hésitait pas à faire de même sur le quai de la gare. Si on lui reprochait sa tenue vestimentaire, il répondait que dans le pays ce n’était pas un problème, et montrait autour de lui les cent-et-une manières de s’habiller. Il prétendait que dans l’Inde on ne peut jamais être ridicule.
Sa patience (une vertu bien indienne et si nécessaire) était proverbiale ; elle aurait dû l’aider à vivre cent ans ! Il savait d’ailleurs la cultiver : tout au long des routes indiennes, quand à chaque arrêt de l’autocar les mendiants l’assaillaient, il ne se fâchait jamais ; il restait de marbre, attendant toujours que les autres se lassent avant lui. Au moins une fois, alors qu’il sentait qu’il allait s’emporter contre ses gens, il s’enferma chez lui une demi-heure et revint détendu continuer la discussion.
On aurait pu croire qu’il était passif ; rien de plus faux. Sans doute la maladie qui l’a
Références
[3826] GEYRÈS Pierre (1925-1964)
Références bibliographiques
CR 1948 p. 149. 1958 p. 79. 1960 p. 80. 1961 p. 87. 1962 p. 99. 1963 p. 110. 1964 p. 68. BME 1948 p. 186. 1949 p. 187. 1951 p. 150. 1952 p. 640. 762. 1953 p. 212. 407. 1954 p. 841. 843. 1955 p. 113. 795. 1957 p. 648. 1958 p. 85. 879. 1959 p. 552. 1961 p. 691. EPI 1965 n° 23 p. 266. 267 (notice) + notice p. 297. EC1 N° 432. 463. 467. 659. 668. 745. 747.