Jacques PEYRAMALE1844 - 1903
- Statut : Évêque résidentiel
- Identifiant : 1054
Identité
Naissance
Décès
Consécration épiscopale
Missions
- Pays :
- Inde
- Région missionnaire :
- 1870 - 1903 (Coimbatore)
Biographie
[1054]. PEYRAMALE, Jacques-Denis, né à Ibos (Hautes-Pyrénées) le 6 janvier 1844, fit ses études au collège de Bétharram, au petit séminaire de Saint-Pé, et au grand séminaire de Tarbes. Il entra tonsuré au Séminaire des M.-E. le 5 décembre 1867, reçut le sacerdoce le 28 octobre 1869, et partit le 15 mars 1870 pour le Coïmbatour. Son nom Peyramale se rapprochant beaucoup de celui de Peroumal, nom d'une divinité indienne, on prit l'habitude de l'appeler par un de ses prénoms, Denis. Il travailla d'abord à Chittur et à Palghat ; en 1872, il devint aumônier des troupes anglaises de Wellington.
Appelé ensuite à Coimbatore pour diriger la paroisse de la cathédrale, il ne put rester dans ce poste, à cause de l'état de sa santé ; Mgr Bardou lui confia le district de Karoumatampatty, et deux ans plus tard, celui de Pallapaleam, où il contribua beaucoup à la conversion d'un haut fonctionnaire protestant. A l'époque de la famine, 1877-1879, il fut chargé par le gouvernement, comme beaucoup d'autres missionnaires catholiques et protestants, de distribuer autour de lui de fortes aumônes. On raconte, que seul, dans le sud de l'Inde, il mérita et reçut des félicitations spéciales pour l'exactitude et la clarté de ses comptes.
En 1884, mis à la tête du district de Coonoor, il y resta dix-huit ans. Il acheva l'église, fonda une institution pour les jeunes filles, et augmenta notablement les écoles de garçons (Eglise, Ecole, grav., Hist. miss. Inde, v, p. xcv).
Le 23 mai 1903, il fut nommé évêque de Coimbatore, se rendit le 5 juillet dans cette ville, mais y tomba malade, et dut retourner à Coonoor ; il s'y éteignit le 17 août suivant, avant d'avoir reçu la consécration épiscopale. Son corps repose dans l'église de la paroisse de Coonoor, devant l'autel de Notre-Dame de Lourdes.
Nécrologie
MGR PEYRAMALE
ÉVÊQUE-ÉLU DE Coimbatore
Né le 6 janvier 1844
Parti le 15 mars 1870
Mort le 17 août 1903
Jacques-Denis Peyramale naquit à Ibos (Tarbes, Hautes-Pyrénées) le 6 janvier 1844. Ses parents jouissaient d’une certaine aisance, et s’efforçaient surtout de conserver intact, dans le cœur de leurs enfants, le précieux patrimoine des vertus chrétiennes. Jacques avait à peine quatre ans, quand un deuil cruel vint frapper cette famille bénie, en lui ravissant son chef. Les sentiments de résignation chrétienne qui marquèrent la mort de M. Peyramale furent une grande consolation pour sa femme. Vaillante et forte, elle mit sa confiance dans le Père des orphelins et ne vécut plus que pour ses enfants, qui eurent le bonheur de la voir conservée à leur affection jusqu’en 1892.
Jacques fut envoyé au collège de Bétharram pour s’y préparer à sa première communion, et accomplir ce grand acte sous la protection de la sainte Vierge. Atteint de la fièvre typhoïde qui mit ses jours en danger, il retourna à Ibos, où on le crut perdu. Le curé prit même la précaution de demander au jeune malade quelles obsèques il désirait avoir : celles des enfants ou celles des grandes personnes. Heureusement, le bon Dieu trancha lui-même cette question de rubrique, en rendant la santé à l’enfant. Bientôt après, Jacques entrait au petit séminaire de Saint-Pé. Il y fit de sérieuses études.
A la fin de ses humanités, il fut admis au grand séminaire de Tar¬bes. Déjà il songeait sérieusement aux missions. Un Père Jésuite, qui était venu prêcher une retraite aux séminaristes, reçut les confidences du jeune lévite et lui offrit d’entrer dans la Compagnie de Jésus. Mais Jacques voulait, avant tout, être missionnaire : ce n’était donc pas chez les Jésuites que Dieu l’appelait. Il tourna alors ses regards vers le séminaire de la rue du Bac et s’y rendit au mois de décem¬bre 1867.
Ordonné prêtre le 28 octobre 1869, il fut destiné au Coïmbatour. Avant son départ, il eut la joie de recevoir la bénédiction de son vicaire apostolique, Mgr Dépommier, que le concile du Vatican avait appelé en Europe. Le 15 mars 1870, M. Peyramale quittait Paris, et arrivait à Coimbatore un mois après. D’aucuns crurent trouver entre son nom et celui d’une divinité indienne, quelque similitude, c’est pourquoi on ne le désigna plus que par son second nom de baptême : il devint dès lors et resta toute sa vie « le P. Denis ».
M. Peyramale fit ses premières armes dans l’ouest de la mission à Chittur et à Palghat ; mais il n’y resta que peu de temps. Mgr Dépommier avait déjà reconnu et apprécié sa prudence, son tact et la distinction de ses manières. Quoique simple et affable envers tout le monde, le jeune missionnaire était ce que les Anglais appellent « un parfait gentleman ». En 1872, il fut désigné pour remplir les délicates fonctions d’aumônier des troupes anglaises de Wellington. Il sut bientôt se concilier l’estime et la confiance des soldats, dont un bon nombre, enfants de la catholique Irlande, sont tout naturellement portés à aimer et à respecter le prêtre. Mais il entendait les gagner à Dieu et les habituer aux pratiques d’une vie vraiment chrétienne, et c’est vers ce but qu’il fit converger toutes les industries que lui suggé¬rait son zèle. Les officiers ne tardèrent pas à l’apprécier à sa juste valeur, et l’aumônier protestant lui-même voulut à tout prix faire sa connaissance. Ils se rencontrèrent un jour dans le salon d’un officier et s’entretinrent longuement du plain-chant romain, dont le clergyman admirait la beauté. Toutefois M. Peyramale ne jugea point utile de nouer des relations suivies avec le révérend.
Lorsque Mgr Bardou prit en main le gouvernement de la mission, il appela M. Peyramale à Coimbatore, et au bout d’un certain temps, lui confia la paroisse de la cathédrale. Mais la fièvre minait déjà la santé du nouveau curé, et son évêque se vit obligé de lui enlever un fardeau trop lourd pour ses épaules. Il le mit à la tête du district de Karuma¬tam-patty, où il exerça le saint ministère avec fruit pendant deux ans. De Karumatam-patty, M. Peyramale fut transféré à Pallapaléam. C’est là qu’il devait donner libre cours à son zèle, et passer les terribles années de la grande famine. Un prêtre indigène, très zélé, y avait bâti une grande église, mais le presbytère n’était qu’une masure malsaine et ouverte à tous les vents. Une nuit, M. Peyramale sent quelque chose lui tomber sur les pieds ; il croit d’abord que c’est un rat et remue les jambes pour l’effrayer. Heureusement, son bon ange lui inspire un doute : le missionnaire frotte une allumette et découvre avec épouvante que son nocturne visiteur n’est autre qu’un cobra. Il songea dès lors à se prémunir contre de pareilles aventures. Avec ses ressources personnelles et les aumônes qu’il put se procurer, il se bâtit un presbytère sain et commode, sans que la mission eût à débourser un centime.
M. Peyramale était un homme d’ordre et savait tenir des comptes. A l’époque de la famine, il fut chargé, comme beaucoup d’autres missionnaires, catholiques et protestants, de distribuer autour de lui de fortes aumônes. Or, on raconte qu’il fut le seul dans le sud de l’Inde à recevoir des félicitations spéciales pour la scrupuleuse exactitude avec laquelle il avait rendu ses comptes au gouvernement. Pendant qu’il était à Pallapaléam, il eut la joie de seconder le travail de la grâce divine dans l’âme d’un haut fonctionnaire protestant, qui était venu lui exposer ses doutes, et de convertir au catholicisme cet hérétique de bonne foi, qui lui est resté toujours profondément reconnaissant de l’avoir ramené dans la voie de la vérité.
Il se donnait tout entier à ses chrétiens, ne négligeant rien pour les instruire et les former de plus en plus aux habitudes de la vie chré¬tienne. Dieu bénit ses efforts, et, malgré les misères inhérentes aux choses d’ici-bas, il trouva à Pallapaléam bien des consolations, que ses successeurs devaient goûter après lui.
Mais le surcroît de travail amena bientôt un surcroît de fatigue : la pauvre santé du missionnaire fut secouée plus d’une fois par la fièvre, et, en 1884, un accident dont les suites devaient se faire longtemps sentir, nécessita un changement d’air et quelques semaines de repos. M. Peyramale était épuisé, et il eut de la peine à supporter les légères secousses du « dhooly » ou hamac, dans lequel on le transporta aux Nilgiris. C’était la Providence qui le conduisait, sans qu’il s’en doutât, vers son véritable champ d’action. Le séjour dans la plaine lui étant désormais impossible, et le poste de Coonoor récla¬mant un titulaire, il fut chargé de ce district. Située à une altitude de six mille pieds, au sommet de la vallée qui conduit du Coïmbatour au plateau des Nilgiris, la petite ville de Coonoor jouit d’un climat doux et tempéré, qui y attire beaucoup d’Européens. Sur les flancs des collines qui l’entourent et dans les replis des vallées voisines, on aperçoit de nombreuses plantations de café et de thé. La population du dis¬trict est très variée et un peu cosmopolite. Européens et métis, appartenant à tous les rangs de la société ; coolies travaillant dans les plantations ; domestiques au service des Anglais ; artisans venus des quatre points cardinaux, pour gagner plus facilement leur vie : tels sont les éléments hétérogènes qui forment la population de Coonoor et des environs. Le missionnaire doit nécessairement rencontrer là plus de difficultés qu’ailleurs. Or, M. Peyramale a administré pendant dix-huit ans le district de Coonoor, et c’est à Coonoor que Dieu l’a ramené, au soir de sa vie, pour tomber sur la brèche où il avait si bien combattu.
A son arrivée, notre confrère trouva l’église du poste à moitié construite. Il se mit à l’œuvre, acheva les travaux commencés, et Mgr Bardou bénit bientôt le nouvel édifice. Il fallait ensuite orner l’église ; M. Peyramale le fit lentement, mais avec beaucoup de goût. Il voulut que Notre-Dame de Lourdes y fût représentée par une petite chapelle avec un fac-similé de la grotte de Massabielle, si chère à l’enfant des Pyrénées. Un peu plus tard, il se procura un magnifique tabernacle en marbre blanc. Dans ces dernières années, l’église était devenue insuffisante pour les besoins de la population, surtout aux jours de grande fête ; le missionnaire songeait à l’agrandir et avait déjà recueilli une partie des fonds nécessaires. Le temps ne lui a pas permis de mettre ce projet à exécution.
M. Peyramale s’occupa aussi très activement des écoles du district : i1 voulait qu’elles fussent sur un bon pied et il fit l’impossible pour attein¬dre ce but. Le succès couronna ses efforts. En effet, tandis que les regis¬tres du district n’accusaient que 80 enfants dans les écoles en 1885, ils en accusent 302 en 1903. Le nombre des maîtres a augmenté en pro-portion de celui des élèves, et les bâtiments scolaires ont été considé¬rablement agrandis. Le missionnaire trouva toujours moyen d’aller de l’avant sans s’endetter lui-même et sans grever le budget de la mission. Familiarisé avec la procédure administrative, il tâchait d’ob-tenir de la municipalité ou du gouvernement le maximum de subven¬lion pour ses écoles. Mais que d’heures il dut passer à son bureau, que de chiffres il dut aligner pour arriver à ses fins ! Tout autre que lui, ennuyé de ces chinoiseries administratives, eût préféré ne rece¬voir aucune subvention que de s’assujettir à tant de forma¬lités : lui, ne se lassait jamais. C’est ainsi qu’on le vit lutter toute une année, en vue d’assurer le maintien intégral d’une subvention que l’administration voulait diminuer ; et il eut gain de cause. Disons-le de suite : il avait un vrai talent d’écrivain. Le fond et la forme de sa correspondance étaient irréprochables : le style, la calligraphie et la clarté du raisonnement ne laissaient rien à désirer et disposaient favorablement les esprits à son égard. D’un autre côté, l’inspecteur et l’inspectrice des écoles avouaient sans ambages que le missionnaire catholique connaissait mieux qu’eux le code de l’éducation. Ajoutons aussi, pour être justes, que pendant douze ans, M. Peyramale eut, dans son premier maître (head master), un coopérateur de premier ordre. Stanislas Michelsami Pillay, qui précéda le missionnaire de quelques mois dans la tombe, était réellement né maître d’école. Mais si ce maître modèle avait de belles qualités, il avait aussi ses défauts. Il ne fallait rien moins que l’habileté et la douce patience de M. Peyramale pour corriger et supporter les aspérités de ce caractère trop bouillant, et tirer de lui tout le possible, au grand avantage de l’œuvre des écoles.
Lorsque notre confrère quitta Coonoor, l’école Saint-Antoine était incontestablement la première de la ville, et, au point de vue finan¬cier, la plus florissante du diocèse. L’école des filles indigènes était, il est vrai, moins en vue, mais elle s’est toujours maintenue dans une situation satisfaisante
Le chef du district de Coonoor n’oubliait pas que la population européenne avait besoin d’écoles spéciales pour ses enfants. L’institution Saint-Joseph, fondée en 1888 et confiée en 1892 aux Frères de Saint-Patrik par l’administration diocésaine, offrait aux jeunes garçons les moyens de s’instruire ; mais les jeunes filles n’avaient pas d’école et étaient tentées trop souvent de suivre les cours d’une école mixte, où la neutralité religieuse n’était point respectée. Leurs parents se trou¬vaient par le fait même, indignes de recevoir les sacrements, et le missionnaire souffrait le premier d’un pareil état de choses. Il essaya d’abord d’y porter remède au moyen d’institutrices laïques, et obtint un succès relatif, qui ne satisfit ni lui ni personne. En 1899, Mgr Bardou s’adressa à la congrégation de Saint-Joseph de Tarbes, qui avait déjà au Maïssour des établissements prospères, et en obtint des reli¬gieuses pour Coonoor, à la condition que la presque totalité des frais d’installation seraient à la charge du missionnaire. Le fardeau était lourd, mais ne fallait-il pas compter sur la Providence ? Bientôt, en effet, la nouvelle école prospéra et les classes se trouvèrent trop étroites ; on devait bâtir à tout prix . M. Peyramale fait donc tracer plans et devis et se met en campagne pour obtenir que le gouvernement veuille bien, suivant l’usage, payer le tiers des dépenses. Sa demande fut écartée par un refus, au moins provisoire. Sans se décou¬rager, le missionnaire reprend sa plume, rédige une instance et obtient la subvention dont il ne peut se passer. On le voit alors, pendant dix-huit mois, surveiller les ouvriers, les guider, les encourager, et s’ingénier lui-même à trouver le moyen de construire à bon marché, sans que la solidité de la maçonnerie en souffre aucunement. L’œuvre fut menée à bonne fin, et, quand M. Peyramale, le 4 février 1903, fit ses derniers adieux à son évêque mourant, il put lui dire que son école était achevée et n’avait rien coûté à la mission.
Si notre zélé confrère ne négligeait rien pour assurer l’éducation chrétienne de la jeunesse dans son district, c’est qu’il en comprenait l’importance capitale. Le cardinal Manning n’a-t-il pas déclaré, un jour, qu’une bonne école est souvent plus nécessaire qu’une église ?
D’ailleurs, M. Peyramale s’acquittait avec le même zèle de ses autres devoirs de pasteur. Toujours bon envers ses chrétiens, il savait supporter leurs défauts, faisait preuve à leur égard d’une mansué¬tude dont lui seul semblait avoir le secret. Cette douceur extraordi¬naire n’était point chez lui de la faiblesse : s’il était naturellement porté à la miséricorde, il se montrait ferme quand il devait l’être. Toujours prêt à faire l’aumône, il donnait volontiers aux pauvres et aimait mieux parfois se laisser tromper que de repousser ceux qui lui tendaient la main. Ses chrétiens l’aimaient autant qu’ils le res¬pectaient, et, après sa mort, beaucoup lui prouvèrent leur affection en faisant célébrer la messe pour le repos de son âme. La seule ambi¬tion du missionnaire fut toujours de les rendre de plus en plus fervents. Nous avons parcouru son carnet d’administration, depuis 1885 jusqu’à son départ de Coonoor, et voici les chiffres que nous y avons trouvés : En 1886 : 1.055 confessions et 1.423 communions ; en 1899 : 2.372 confessions et 3.094 communions ; en 1902 : 3.733 confessions et 5.485 communions. Ces chiffres seront encore plus éloquents si l’on se rappelle que, dans l’intervalle, le district de Kotagiri fut détaché de celui de Coonoor pour former un district séparé. On peut donc affirmer que M. Peyramale, pendant son long séjour à Coonoor, a fait tout ce qui dépendait de lui pour la sanctification de ses chrétiens.
Comme nous l’avons déjà dit, le climat des Nilgiris attire à Coonoor et dans les stations environnantes un grand nombre d’Européens. Les confrères de nos missions de l’Inde viennent eux-mêmes, de temps à autre, réparer sur les montagnes leurs forces perdues sous le climat énervant de la plaine. Avant la fondation du sanatorium Saint-¬Théodore, M. Peyramale avait souvent chez lui des missionnaires, qui y passaient quelques jours ou même des semaines. Nul d’entre eux n’a oublié la bonté et les délicates attentions du curé de Coonoor. Ceux surtout dont la santé était plus sérieusement atteinte, recevaient de lui des soins qu’on pourrait appeler maternels. Il était inimitable sous ce rapport : le tact, la délicatesse et la politesse étaient pour ainsi dire innés en lui, et ces qualités naturelles étaient surnaturalisées par un grand esprit de foi et de charité apostolique. Cependant, M. Peyramale aimait le calme d’une vie paisible et régulière, et une petite infirmité lui rendait souvent la conversation assez pénible ; néanmoins, il savait s’oublier pour les autres et, lorsqu’un confrère prenait congé de lui, il l’invitait toujours à revenir lui demander l’hospitalité. Il menait une vie pauvre et modeste. Quoiqu’il fût d’une propreté exquise, il n’avait le plus souvent qu’une seule soutane à son usage, et son linge de corps se réduisait au strict nécessaire. C’est grâce à cette sévère économie qu’il a pu soutenir les œuvres de son district. Toutefois cet esprit de pauvreté ne dégénéra jamais en mes¬quinerie. Dès qu’il s’agissait de la gloire de Dieu, le missionnaire tenait à faire grand et beau ; dès qu’il fallait venir en aide à quelqu’un, il donnait à pleines mains. Il avait le talent de plaire, non seulement à ses confrères, mais encore à tout le monde. Les Européens, même les protestants, admiraient sa distinction et aimaient à s’entretenir avec lui, car, il savait, au besoin, rendre la conversation enjouée, sans jamais rien sacrifier de sa dignité. Il avait peu de relations, parce qu’il voulait, dans l’intérêt de son ministère, rester absolument indépen-dant. Quoi qu’il en soit, cet humble prêtre jouissait, à son insu, d’une grande influence à Coonoor. A sa mort, la haute société pro¬testante elle-même exprima les regrets les plus sincères et déplora hautement la perte de celui qu’elle considérait comme un homme de Dieu.
Quant à sa piété, elle était sincère, mais simple et sans ostentation. Il avait pour la sainte Vierge l’affection d’un enfant pour sa mère. Il s’inspirait beaucoup de saint François de Sales et de sainte Thérèse, dont il goûtait et aimait à lire les œuvres. Théologien sûr, lisant beau¬coup et avec grande attention, il fut un excellent directeur des âmes et plusieurs confrères demandèrent la faveur d’être assistés par lui à leurs derniers moments.
Tel était le prêtre éminent que le Saint-Siège nommait évêque de Coimbatore le 23 mai 1903, au lendemain de la mort de Mgr Bardou. La nouvelle de son élection fut pour lui un véritable coup de foudre. Son humilité lui fit espérer un instant que sa santé, plus ou moins pré¬caire, pourrait être considérée comme un motif suffisant pour lui permettre de refuser une charge dont il se reconnaissait indigne. Mais, par dévouement et aussi par déférence envers des hommes qu’il vénérait et aimait, il se résigna à accepter le fardeau qui lui était imposé. Que dit-il à Notre-Seigneur, durant l’heure qu’il passa à genoux devant le Saint-Sacrement exposé, le jeudi de la Fête-Dieu, avant de se résoudre à être évêque ? On ne le saura qu’au ciel.
Le 5 juillet 1903, l’évêque-élu arrivait à Coimbatore pour prendre possession de son siège. A la gare de Coonoor, les larmes de ses chrétiens lui avaient dit leurs regrets ; à Coimbatore, il fut reçu en triomphe.
Le sacre était fixé au 23 août, jour anniversaire de la consécration de Mgr Bardou, qui avait eu lieu vingt-neuf ans auparavant. Hélas ! la divine Providence avait décidé que nous ne verrions pas cette fête. Le nouveau prélat s’affaiblit peu à peu ; un fort rhume qu’il avait apporté de la montagne ne le quittait point. Au commencement du mois d’août, il sembla reprendre des forces. L’amélioration ne dura pas. Bientôt, sur l’ordre du docteur, on dut ajourner la cérémonie du sacre et Mgr Peyramale reprit le chemin de Coonoor, non pour y rétablir sa santé, comme nous l’espérions, mais pour mourir là où il avait travaillé et peiné pendant dix-huit ans.
M. Morin, missionnaire de Coonoor, raconte comme il suit les der¬niers moments de Mgr Peyramale :
« C’est le mercredi 13 août que Monseigneur est arrivé à Coonoor. Le matin de son départ « de Coimbatore, il avait été pris d’une faiblesse pendant la messe et avait dû s’asseoir. Quand « on lui parlait de sa maladie, Sa Grandeur répondait : « Ce n’est rien ! » Accompagné du « procureur de la mission, Monseigneur est arrivé vers une heure et demie après midi. Avait-il « un pressentiment de sa mort prochaine, ou la sainte Vierge, la Vierge de Lourdes qu’il « aimait tant, l’avait-elle prévenu de sa fin ? Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en entrant dans « son ancienne chambre, qu’il avait occupée si longtemps, il dit : « Je ne la quitterai que pour « aller au ciel. »
« Monseigneur a fait la sainte communion d’assez bon matin le vendredi, fête de « l’Assomption, et le médecin l’a trouvé beaucoup mieux, malgré la fatigue provenant de « deux nuits passées sans sommeil. Peu rassurés cependant, nous avons prié le médecin de « vouloir bien revenir dans la matinée avec le docteur anglais du poste de Coonoor, ce qu’il a « fait. Déjà, à différentes reprises, Mon¬seigneur avait dit : « La sainte Vierge m’appelle, je ne « me relèverai pas. » Comme plusieurs fois il avait ainsi parlé les années précédentes, on ne « faisait pas trop attention à ces paroles. Le docteur anglais a trouvé le malade très faible ; il a « déclaré que la bronchite, eu égard à l’âge de Monseigneur, était dangereuse, mais qu’il y « avait tout espoir de guérison. Il a commandé un régime substantiel, et a voulu que le malade « fût gardé nuit et jour par des personnes qui n’auraient que ce travail à faire. Les religieuses « de Saint-Joseph de Tarbes ont été choisies pour veiller et soigner le cher évêque, et elles ne « l’ont pas quitté jusqu’à son dernier soupir. Oh ! avec quelle attention maternelle, quelle « dévotion respectueuse elles ont soigné celui à qui elles devaient tout à Coonoor ! La bonne « supérieure, la Mère Anna-Marie, a été d’un dévouement sans bornes et a fait l’impossible « pour sauver le malade. Mais remèdes et bons soins, tout a été inutile. Le matin de « l’Assomption, Sa Grandeur ayant reçu la sainte Eucharistie et fait son action de grâces, nous « avait dit : « C’est l’anniversaire de la mort de ma sœur. Elle était une sainte, et c’est « pourquoi elle s’est envolée au ciel en ce beau jour. Pour moi, je ne partirai pas encore « aujourd’hui, ce serait trop beau. »
« Le dimanche 17, quand on lui a demandé s’il voulait recevoir la sainte Eucharistie : « Non, a-t-il répondu, j’ai pris quelque chose cette nuit, mais on m’apportera le saint viatique « dans la soirée. » Rien ne faisait prévoir que Sa Grandeur disait la vérité. Même le docteur, « après un long examen, avait dit : « Les poumons se dégagent peu à peu, mais Monseigneur « est faible, il faut le bien nourrir. » Le médecin se rendait-il compte du danger où se trouvait « le malade ? Nous ne le pensons pas. Mais notre bon évêque, se sentant faiblir, a dit : « Il est « temps de me préparer à la mort qui approche à grands pas ; apportez-moi un crucifix. » « Toute la journée, il s’est préparé sérieusement au grand passage, bien que le danger ne parût « pas imminent. Vers huit heures et demie du soir, il demanda le saint viatique. Comme « personne ne croyait au danger, on a fait venir le médecin qui, cette fois, s’est prononcé « clairement. Alors, on est allé chercher le Saint-Sacrement. Le malade dit au missionnaire « qui faisait la cérémonie : « Vous me donnerez tout : viatique, extrême-onction et indulgence « apostolique. On ne sait pas ce qui peut arriver. » Puis, comme il n’entendait pas très bien, il « ajouta : « Pronon¬cez plus fort. » Oh ! avec quelle ferveur, quelle affection, il a reçu le « sacrement des mourants, et avec quelle attention il a suivi jusqu’aux moindres cérémonies, « répondant lui-même aux prières ! Tout étant achevé, on lui a demandé de bénir la mission, « les confrères, son district de Coonoor et toutes les personnes qui lui étaient chères. D’une « voix claire et distincte il a donné sa bénédiction, puis s’est fait réciter le Te Deum pendant « qu’on reportait le Saint-Sacrement à l’église. Son action de grâces terminée, il s’est tourné « vers ceux qui étaient présents et leur a dit :
« Allez vous reposer, je vous appellerai quand le moment sera venu de réciter les prières « des agonisants. »
« Cédant à ses instances, nous nous retirons et nous nous hâtons d’avertir les missionnaires « du voisinage de l’état grave où se trouvait notre évêque. Vers onze heures, un confrère « arrive et va le voir : « C’est la fin, lui dit Monseigneur. »
« Quelques instants après, il dit aux religieuses qui le gardaient : « Allez chercher les « confrères, il est temps de commencer les prières des agonisants. »
« Bien qu’aucun de nous ne crût la fin si prochaine, et plutôt pour faire plaisir au cher « malade, on a commencé les prières.
« Oui, a-t-il répété, il est temps de dire les prières, car je sens que j’ai beaucoup de peine à « tousser. Au moment où je vais cesser de tousser, la fin sera très proche ; cinq minutes au « plus. »
« Monseigneur a suivi et récité lui-même les prières et quand nous nous arrêtions, il disait :
« Continuez. »
« De temps en temps, on lui suggérait de pieuses invocations qu’il répétait avec beaucoup « de ferveur. Tout à coup, il se tourne vers nous et nous dit de réciter la prière : « Partez, âme « chrétienne », pendant qu’avec ses mains, il essaie de se fermer les yeux.
« Quand enfin on prononce de nouveau les saints noms de Jésus, Marie, Joseph, il répond : « Merci », mais déjà ne peut plus articuler. Il était alors minuit deux minutes. Depuis minuit « moins une minute, Monseigneur avait cessé de tousser. Nous récitons la prière : In manus « tuas, et à minuit quatre minutes, il rend le dernier soupir sans effort, sans trouble, comme « une lampe qui s’éteint faute d’huile. Ainsi c’est lui-même qui a tout commandé, tout dirigé, « et tout est arrivé comme il l’avait dit. N’y a-t-il pas quelque chose d’admirable dans cette « belle fin ?
« Le corps a été exposé dans le salon du presbytère, où une foule innombrable n’a cessé de « venir le visiter toute la journée du lundi et le mardi matin. L’enterrement a eu lieu le mardi « 19 ; ce qui a permis aux confrères de la plaine et à ceux de la montagne de venir rendre un « dernier hommage à leur cher et vénéré évêque-élu.
« Par une attention délicate, M. Rondy, vicaire général et supérieur de la mission, a fait « creuser la tombe dans l’église, devant l’autel de Notre-Dame de Lourdes, que le cher défunt « avait élevé lui-même. Les obsèques ont été un véritable triomphe. N’était-il pas juste que « l’humilité du serviteur de Dieu fût exaltée dès ici-bas ? Pendant dix¬-huit ans, Mgr « Peyramale avait vécu à Coonoor d’une vie toute cachée, faisant le bien très modestement. « L’église ornée de tentures noires parsemées de larmes d’argent, préparées et posées avec art « par les dévouées religieuses de Saint-Joseph, le catafalque orné avec simplicité mais avec « goût par les Indiens, tout était bien fait pour rehausser le triomphe de celui qui, tant de fois, « avait répété : « et exaltavit humiles. M. Baslé, vicaire général de Bangalore, malgré une « grande fatigue, n’a pas craint d’entreprendre un pénible voyage, pour venir apporter ses « sympathies aux confrères de la mission du Coïmbatour réunis en cette douloureuse « circonstance. Les funérailles ont été présidées par M. Rondy, supérieur de la mission.
« Mgr Peyramale repose dans l’église qu’il a embellie, aux pieds de la Vierge de « Massabielle, lui l’enfant privilégié de Marie. Plaise à Dieu que la présence de sa dépouille « mortelle à Coonoor soit pour le district une source féconde de grâces, de bénédictions et de « conversions ! »
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Références
[1054] PEYRAMALE Jacques (1844-1903)
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1884, p. 151 ; 1886, p. 131 ; 1887, p. 139 ; 1888, p. 196 ; 1889, p. 235 ; 1890, p. 202 ; 1896, p. 316 ; 1899, p. 283 ; 1901, p. 260.
A. P. F., lxxv, 1903, p. 473. - M. C., xxxv, 1903, pp. 255, 420 ; xxxvi, 1904, pp. 279, 567. - A. M.-E., 1908, p. 255. - Annuair. petit sém. Saint-Pé, 1904, p. 482. - Echo relig. des Pyr. et des Land., 1870, p. 203.
Le culte de N.-D. de Lourd., pp. 260 et suiv.
Notice nécrologique. - C.-R., 1903, p. 323.