Pierre-Xavier MUGABURE-SAUBABER1850 - 1910
- Statut : Archevêque
- Identifiant : 1236
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Identité
Naissance
Décès
Consécration épiscopale
Missions
- Pays :
- Japon
- Région missionnaire :
- 1875 - 1879 (Tokyo)
- 1881 - 1909 (Tokyo)
- 1879 - 1881 (Hakodate)
Biographie
[1236] Pierre (Xavier) MUGABURE voit le jour à Guéthary (Basses-Pyrénées) le 1er septembre 1850. Il commence ses études au petit séminaire de Larressore, et, après un séjour d'un an au grand séminaire de Bayonne, il entre laïque au Séminaire des MEP le 2 septembre 1871. Ordonné prêtre le 19 septembre 1874, il part pour le Japon le 16 décembre suivant.
Japon (1874- 1909)
Il apprend la langue au séminaire de Tôkiô, tout en y enseignant le latin.
En 1876, lors de la division du Japon en deux vicariats apostoliques, il fait partie du Japon septentrional. En 1879, Mgr Osouf l'envoie dans le district de Niigata, où il combat avec efficacité l'action des protestants, et conquiert des sympathies parmi la population bouddhiste.
Il devient, en 1881, curé de la paroisse européenne de Yokohama, où il prêche en français, en anglais, en japonais, et parfois, confesse en espagnol et en portugais. Il parle fort bien toutes ces langues. Trois ans plus tard, il accompagne Mgr Osouf durant le voyage que celui-ci a entrepris aux Etats-Unis, pour recueillir des fonds. En 1886, il est chargé de la paroisse de la cathédrale à Tôkiô, et d'un cours de français à l'Université.
Les œuvres de la mission s'étant multipliées, les ressources manquent ; alors, il se remet en route pour quêter, et cette fois, non seulement aux Etats-Unis et en France, mais aussi en Angleterre, en Autriche, au Canada et au Mexique. Ce voyage qui dure trois ans n'obtient pas tout le résultat espéré.
Quand il revient, il prend la direction de la paroisse japonaise de Yokohama, et construit dans la rue Wakabacho une chapelle, qui est ouverte au culte au mois de janvier 1894.
Deux ans plus tard, il passe au poste de Shizuoka qui comprend plusieurs succursales.
Le 21 mars 1902, il est nommé évêque de Sagalasso et coadjuteur de l'archevêque, Mgr. Osouf. Sa préconisation a lieu le 9 juin, et sa consécration épiscopale à Tôkiô le 22.
Peu après, il vient passer quelque temps en France.
Il succède à l'archevêque de Tôkiô le 27 juin 1906. A peine a-t-il commencé à gouverner son diocèse qu'il tombe malade.
Il revient en France au mois de novembre 1909, et meurt à Guéthary, son pays natal, le 27 mai 1910.
Nécrologie
NÉCROLOGE
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MONSEIGNEUR MUGABURE
ARCHEVÊQUE DE TÔKIÔ
Né le 1er septembre 1850
Parti le 16 décembre 1874
Mort le 27 mai 1910
Le samedi 28 mai 1910, à 11 heures du soir, parvenait à l’arche¬vêché de Tôkiô la triste nouvelle de la mort de Mgr Mugabure. Le Prélat était mort, la veille, à Guéthary. Rentré en France, sur l’ordre des médecins, il avait d’abord passé quelque temps au Sanatorium de Montbeton, près Montauban ; puis, s’étant senti mieux, il avait voulu se rendre à son village natal, espérant que l’air de la mer achèverait de lui rendre la santé. Nous savions notre Archevêque très gravement atteint ; mais nous ne pensions pas que Dieu dût le rappeler à lui si subitement.
Le lendemain, dimanche, grâce au télégraphe, tous les postes du diocèse purent être avertis à temps pour que la nouvelle fut commu¬niquée aux fidèles, avant la messe paroissiale, et ils eurent ainsi la consolation de pouvoir, sans retard, offrir à Dieu de ferventes prières pour le repos de l’âme de leur vénéré premier Pasteur.
Dans le court aperçu qui va suivre, il n’est pas question de retracer la vie de Mgr Mugabure ; notre unique intention est de rendre un dernier hommage d’affection et de respectueux souvenir à notre vénéré Père.
Pierre-Xavier Mugabure naquit, le 1er septembre 1850, à Guéthary, village du bord de la mer, dans le département des Basses-Pyrénées. Sa famille était une famille de pêcheurs, famille de foi profonde et de probité antique. Son père et deux de ses oncles périrent, le même jour, dans une tempête, en revenant du large. Leur barque fut brisée contre les rochers du village même de Guéthary. Des dix hommes qui la montaient, aucun n’échappa ; on ne retrouva même pas leurs corps. Celui qui devait être plus tard archevêque de Tôkiô n’avait alors que trois mois. Privé, si jeune, de son père, il se vit bientôt séparé de sa mère, obligée par les exigences d’une pauvre situation à quitter le pays. L’enfant restait à la charge des grands-parents qui, malgré tout, ne pouvaient suppléer aux tendresses d’une mère et à la forte direction d’un père. C’est ici que nous voyons se réaliser cette parole de saint Paul : Virtus in infirmitate perficitur. De fait, l’infirmité pitoyable, à laquelle est réduit ce pauvre enfant, fait mieux ressortir la protection divine, préparant déjà l’avenir d’une main mystérieuse.
Cette protection providentielle se manifesta dans la personne de M. l’abbé Saubaber, oncle maternel de l’enfant, alors curé de Saint-¬Martin d’Arberoue. Ce prêtre zélé se sentit pénétré, pour le petit orphelin, d’une affection vraiment maternelle. Considérant comme un devoir de s’intéresser à son éducation, il venait le voir, se préoccu¬pait de sa santé. A mesure que le jeune Pierre grandissait, et mani¬festait déjà les premières lueurs d’une vive intelligence, il le prenait par la main, descendait avec lui sur la grève, le conduisait tout près de la croix, élevée, par lui, sur le roc, en souvenir de la catastrophe du naufrage. Là, en face de l’immense océan, au bruit des vagues qui venaient mourir à leurs pieds, dans leur flux et reflux, il commençait à élever ce petit cœur vers d’immenses horizons, lui montrant à la fois la grandeur du ciel, où il plaçait l’âme du père disparu, et la croix, signe de notre rédemption, et lui parlant des peuplades païennes qui, par milliers, au delà des mers, attendaient la lumière, qui viendrait leur en appliquer les fruits et les grâces. Peu à peu, étaient ainsi excités dans cette jeune âme les premiers élans du zèle apostolique dont elle devait brûler plus tard. Ce pieux pèlerinage avait fait une telle impression chez ce tendre enfant, qu’il le renouvela fréquemment, durant sa jeunesse, en la compagnie de son oncle. Ce souvenir émou¬vant le poursuivit, d’ailleurs, toute sa vie. Quoiqu’il n’eût jamais connu son père, telle était sa piété filiale que, une fois devenu prêtre, il ne manqua jamais de célébrer tous les mois une messe pour le repos de son âme.
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M. l’abbé Saubaber, après lui avoir donné quelques leçons élémen¬taires, le fit entrer, vers l’âge de onze ans, à l’Institution de Has¬parren, où il passa deux ans. Il continua, ensuite, son éducation au petit séminaire de Larressore, où il demeura six années consécutives. Mais, vers l’âge de 18 ans, cette nature ardente, enthousiaste, géné¬reuse, au cœur sensible, à l’imagination impressionable, fut soumise à un combat, d’où devaient sortir d’énergiques résolutions. La voix du monde se fit entendre à lui, avec sa musique enchanteresse ; son jeune cœur lui tendit une oreille complaisante, en même temps que l’appel de Dieu devenait plus pressant.
Combien elle est vraie cette parole de nos Livres Saints : Nec quis¬quam sumit sibi honorem, sed qui vocatur a Deo tanquam Aaron. A Pierre Mugabure, comme autrefois aux Apôtres, se faisait entendre cet appel : Veni, sequere me ! Il y eut lutte. Mais la grâce l’emporta. Après une douloureuse hésitation, il résolut d’entrer au Grand Sémi¬naire de Bayonne, avec l’idée fixe de tout sacrifier, de quitter sa famille, son pays, sa patrie, pour se dévouer tout entier à l’œuvre des missions. De fait, il ne passa qu’une année au Séminaire de Bayonne, et il fut admis au Séminaire des Missions-Étrangères de la rue du Bac, à Paris. C’était la victoire contre de rudes épreuves. Son oncle ne pouvait croire à la sincérité de sa vocation. Il avait peur de sa nature primesautière, et il opposa les plus grandes résistances à la réalisation de ses désirs, à tel point qu’il exigea l’examen de sa santé. Le docteur trouva en lui une poitrine, sinon malade, du moins très faible. Mais l’énergique volonté du futur apôtre surmonta toutes ces difficultés, et il partit avec un courage capable de conquérir des royaumes.
Tout d’abord, il conquit, sans difficulté, les sympathies de ses nou¬veaux condisciples. Son caractère aimable, jovial, entreprenant, plein de franchise, lui attirait les cœurs. L’entrain qu’il mettait à son jeu national de pelote basque le fit remarquer par M. Delpech, qui l’appela, un jour, dans sa chambre, et lui dit, en lui offrant un livre de piété : « Mon ami, je vous fais ce cadeau, pour vous témoigner tout le contentement que j’éprouve de vous voir mettre tant d’entrain et de gaieté parmi vos collègues. » Le séminariste apprécia grandement ce présent, fait par le vénéré Supérieur du Séminaire, et plus tard, devenu archevêque, il devait le citer comme un exemple de l’adage : Age quod agis.
Sans entrer dans le détail de sa vie de séminariste aspirant, qu’il nous suffise de signaler ce que ses condisciples ont remarqué en lui : une grande facilité pour l’étude, une dévotion très particulière à Marie, la Reine des apôtres, et des visites fréquentes auprès des reliques de la Salle des Martyrs, où il donnait, chaque jour, un libre cours aux ardentes aspirations de sa piété.
Vint enfin le jour où il eut la grande joie de se voir appelé au sacer¬doce. Malgré le mystère qui entoure communément les dispositions intimes d’un jeune ordinand, il nous est permis, aujourd’hui, d’arrêter notre regard sur l’idéal sacerdotal que se fit alors Pierre Mugabure. Il l’a fait connaître lui-même, durant une retraite ecclésiastique qu’il présida, quelque temps avant sa mort, au Sanatorium de Montbeton. « Omnis Pontifex ex hominibus assumptus, pro hominibus constituitur in iis quæ sunt ad Deum, ut offerat dona et sacrificia pro peccatis. Le prêtre, choisi parmi les hommes, possède la même nature qu’eux, afin qu’il puisse mieux connaître leurs misères et leurs douleurs, et qu’il trouve les moyens utiles à leur soulagement ; constitué ad Deum, pour Dieu, il doit remplir, d’abord, son rôle de médiateur entre le ciel et la terre, maintenir ce lien qui fait de lui le religieux par excellence, rendant à Dieu ses devoirs d’adorateur, de réparateur, de mendiant de la grâce, qu’il va puiser dans la bonté divine pour la répandre, à pleines mains, par son sacerdoce ministériel, l’administration des sacrements. Qu’il est grand ce sacerdoce, qui fait du prêtre le docteur de l’Église, le guide des âmes, le juge des consciences, le modèle des chrétiens ! Qu’il est grandiose ce rôle du prêtre, devenu l’ambassadeur et le collabora¬teut du Christ, le laboureur, semeur et moissonneur du champ du Père de famille ! »
C’est avec cet idéal que Pierre Mugabure monta à l’autel pour la première fois, en 1874 ; ses larmes coulèrent abondantes, son cœur débordait d’une profonde émotion, et lui, si optimiste pour considérer le bien dans les autres, il jetait un regard contristé sur lui-même, se posant, comme Marie au jour de l’Annonciation, cette question : Quomodo fiet istud ? Comment cela se fera-t-il ?... Comment moi, si pauvre, si misérable, pourrai-je remplir un rôle aussi sublime ?… Mais la réponse venait aussitôt ranimer sa confiance : c’est par le secours du Saint-Esprit qu’il accomplirait ces merveilles, ce divin Esprit qu’il venait de recevoir, par l’imposition des mains du Pontife consécra¬teur, et qui lui donnait le pouvoir de consacrer le corps et le sang du Rédempteur, et celui de remettre les péchés. Ces pouvoirs sublimes, il les exerça. Et quand, tout dernièrement, dans la circonstance à laquelle il vient d’être fait allusion, il repassait ces saintes impressions de son jeune sacerdoce, Mgr Mugabure laissait échapper de son âme de longues actions de grâces pour ses 36 années de messes célébrées.
Aussitôt après son ordination, le jeune prêtre reçut sa destination pour le Japon. L’année précédente, les édits de proscription du chris¬tianisme dans ce pays avaient été enlevés et, pour répondre à l’appel de Mgr Petitjean, un premier groupe de sept nouveaux missionnaires avait été expédié à Yokohama. M. Mugabure faisait partie d’un second contingent. Nous allons essayer de le suivre, dans les divers postes qu’il a occupés.
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A son arrivée, il fut placé au Séminaire, à Tôkiô, pour y apprendre la langue japonaise et enseigner le latin aux séminaristes. Là, comme au Séminaire de la rue du Bac, ses qualités naturelles le rendirent promptement populaire. Par l’entrain qu’il mettait à tout, il acquit très vite la connaissance du japonais ; comme il avait la parole facile, le nom de pater concionator ne tarda pas à lui être décerné.
A cette époque, il y avait un mouvement assez accentué vers la Religion. A Tôkiô, les Missionnaires avaient toutes leurs soirées employées à enseigner la doctrine catholique, à jours réglés, dans des familles chrétiennes, à tour de rôle. Les séances duraient deux ou trois heures. A cause de ses aptitudes, M. Mugabure était tout désigné pour ce ministère ; au mois d’août 1877, il fut adjoint au missionnaire chargé du poste de Tsukiji. Il excella dans ces réunions intimes.
Vers la fin de l’année 1879, le district de Nügata, dans la province d’Etchigo, si isolé et aux communications si difficiles, alors, sembla vouloir participer au mouvement religieux constaté ailleurs ; dans plus de vingt villages, il y avait des gens qui demandaient à entendre parler de la Religion. Mgr Osouf, désireux de profiter de ces bonnes dispo¬sitions, chargea M. Mugabure d’aller prendre la direction de ce mouvement. A ce moment, les protestants y faisaient rage contre le catholicisme. Le bon Père, à la doctrine si sûre et si éclairée, à la parole si facile, et si brillante, eut vite fait de les mettre à la raison ; puis se tournant vers les païens, il s’en fit bientôt des amis et des admirateurs.
Être admiré, c’était bien le moindre de ses soucis ; ce qu’il cherchait, c’était de gagner des âmes à Jésus-Christ. Pour arriver à ce but, il se mit à parcourir les villages de cette province, semant, çà et là., la semence de l’Évangile. Malgré la dureté et l’inclémence du climat, malgré les difficultés des chemins, malgré l’insuffisance de la nourri¬ture, il allait, comme s’il eût été insensible à la fatigue et aux priva¬tions, et il était heureux. Son caractère, toujours égal, joyeux et très communicatif, répandait partout la paix et la joie.
Mais l’homme s’agite, et c’est Dieu qui donne le succès. Cette fois, il n’entrait pas dans les desseins de la Providence d’accorder le succès. Quoique son ministère fût privé de consolations, notre zélé apôtre ne se découragea pas ; en bon soldat du Christ qu’il était, il continua de travailler de son mieux, sous le regard de Dieu, et avec la protection de la Bonne Mère, qu’il aima toujours de toute la tendresse de son âme.
Une épidémie de choléra se déclara dans la ville de Nügata, faisant des victimes nombreuses. M. Mugabure se porta au secours des pesti¬férés. Lui-même fut terrassé par la terrible maladie ; il accepta, bonnement et simplement, ce contretemps, joyeusement résigné au bon plaisir de Dieu. Il guérit, cependant, et il se remit au travail, comme si de rien n’avait été. « J’ai toujours admiré, écrit un Confrère, qui avait été associé à ses travaux, la sereine tranquillité avec laquelle il acceptait la bonne et la mauvaise fortune. « Que la volonté de Dieu « soit faite, en tout et toujours ! » disait-il. C’était là sa devise, devise qui avait sa source dans un profond esprit de foi, et une confiance en Dieu inaltérable. »
Après deux ans d’un ministère bien rempli, dans ce district éloigné, nous trouvons notre missionnaire à Yokohama. Il y avait été appelé pour prendre la direction de la paroisse européenne de cette ville. Le ministère de cette paroisse présentait cette difficulté particulière, qu’il fallait y prêcher en français, en anglais, en japonais, avec bon nombre de confessions en portugais. Mais M. Mugabure était tout à fait l’homme pour le poste. Aussi y fut-il vite apprécié de ses ouailles et très aimé d’elles. Sa franchise, un peu rude parfois, les charmait ; sa grande prudence, ses façons délicates et polies, sa bonté, son entrain, sa gaieté gagnaient tous les cœurs. Yokohama, disait-il dans la suite, c’était le bon temps ; et il a toujours en un faible pour cette paroisse. Il y avait, d’ailleurs, exercé son zèle, en établissant diverses œuvres, destinées à accroître la foi et la dévotion des fidèles.
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Pendant que Mgr Osouf, en 1884, était aux États-Unis, occupé à recueillir des aumônes pour équilibrer son budget et maintenir ses œuvres, le Confrère qui l’accompagnait tomba malade. Pour le remplacer, Sa Grandeur n’hésita pas à appeler M. Mugabure. A cette nouvelle, si peu attendue, le cher Père fut atterré. Mais il se ressaisit promptement, et, sans tarder, il s’embarquait pour l’Amérique. « Avec le français, le japonais, le basque, l’espagnol, le portugais, le latin et mon anglais de fraîche date, disait-il plaisamment, je ne serai pas embarrassé. » Et, de fait, il possédait très bien toutes ces langues.
Aux États-Unis, il ne s’épargna guère ; il multiplia les sermons dans les églises, les visites à domicile, les réunions dans les maisons religieuses. Partout il sut plaire et se faire des amis.
De retour d’Amérique, après avoir visité la France, nous le trou¬vons, en 1886, chargé simultanément de la paroisse de la cathédrale et d’un cours de français, à l’Université impériale de Tôkiô. Malgré ses multiples occupations, telle était son activité qu’il trouvait du temps pour tout, même pour desservir une succursale qui se trouvait à trois kilomètres de là. A l’Université, il ne tarda pas à se concilier l’estime et l’affection des autres professeurs et de ses élèves. En toutes circonstances, là où ils le rencontraient, ils le saluaient avec respect. Dans sa paroisse, à part quelques sérieuses et solides conversions, Dieu ne lui a point fait la grâce d’être ce que l’on peut appeler un convertisseur d’âmes. Mais son zèle n’en était pas ralenti pour cela.
Entre temps, les finances de la Mission se trouvaient de nouveau embarrassées. Les œuvres s’étaient multipliées au delà des ressources des missionnaires. Partout, on réclamait des églises, des écoles, des secours pour les nécessiteux. Ce n’étaient pas les précieuses, mais hélas ! trop modiques ressources de la Propagation de la Foi qui pou¬vaient permettre de faire face à tout. Lorsqu’une chrétienté a été établie, il faut en assurer le maintien et le fonctionnement par l’instal¬lation des bâtiments nécessaires ; il faut, en plus, entretenir les prêtres japonais et les catéchistes, qui sont chargés de continuer, de développer l’œuvre commencée. Or, ces œuvres exigent des dépenses. Ce que Mgr Osouf et M. Mugabure avaient rapporté d’Amérique était épuisé ; les besoins étaient de nouveau urgents. L’Archevêque fit un nouvel appel au dévouement de son ancien compagnon de quête. Celui-ci, à qui l’expérience avait appris les difficultés du métier, se mit en route, le cœur gros. Sur le bateau qui allait l’emporter, il dit à ceux qui l’y avaient accompagné : « Je laisse mon cœur ici, priez beau¬coup pour moi ! » Cette fois, il visita la France, l’Autriche, l’Angleterre, les États-Unis, le Canada, le Mexique, où il prêcha un carême, dont le souvenir dure encore. Partout il semait la bonne parole, partout il s’efforçait de créer des sympathies à sa chère Mission de Tôkiô. Ce voyage dura trois ans, et il y contracta la maladie qui devait l’emporter, quoique plus tard.
A son retour, il fut placé à Yokohama. La chrétienté japonaise s’était tellement développée, qu’il devenait nécessaire de créer une paroisse spéciale pour elle. M. Mugabure s’y employa de toute son âme, et, le 1er janvier 1894, il put annoncer à ses chrétiens, qui en furent ravis de joie, qu’une paroisse était établie, au milieu d’eux, à Wakabachô, et qu’il était leur pasteur. Au bout de deux ans, il fut transféré dans un poste de l’intérieur, à Shizuoka, où son activité avait un plus large espace pour se mouvoir. Outre la paroisse de la ville, il avait des succursales à Hamamatsu, à Fujieda, à Numazu, avec de fréquentes visites aux chrétiens épars dans la presqu’île d’Izu.
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Depuis quelques années, Mgr Osouf, qui sentait ses forces l’aban¬donner, faisait des instances pour obtenir un coadjuteur. Sa demande fut enfin octroyée. Ce fut le 7 avril 1902, jour où on célébrait la fête de l’Annonciation de la sainte Vierge, que parvint l’heureuse nouvelle : « Mugabure évêque. » Tous se réjouirent, mais nul ne le fit d’aussi bon cœur, surtout aussi religieusement, que le bon Archevêque. De son côté, le nouvel élu professait pour le vénérable Prélat un véritable culte, qui se remarquait par le grand respect et la grande vénération dont il l’entourait et par la manière élogieuse dont il en parlait. Leurs deux âmes se comprenaient à fond, et leurs cœurs restèrent intimement unis, dans l’action aussi bien que dans la prière.
Une circonstance concourut à rehausser l’éclat des fêtes du sacre. Cette même année 1902, Mgr Osouf avait 50 ans de sacerdoce. La fête du sacre et celle du jubilé furent combinées de manière à pouvoir être célébrées en même temps. Le sacre eut lieu le 22 juin ; le jubilé, le 24, au milieu d’une affluence considérable de clergé et de fidèles.
Du jour qu’il partagea l’administration du diocèse, Mgr le Coad¬juteur en comprit encore mieux les besoins. Il était nécessaire d’aller, encore une fois, tendre la main. Cette fois, le Prélat quêteur partait avec une certaine confiance ; il comptait sur le crédit que lui donnerait son caractère épiscopal et les sympathies qu’il s’était acquises, dans les voyages précédents. Malheureusement, il était à peine arrivé en Europe, qu’éclata la guerre Russo-japonaise. Les esprits, distraits par les événements militaires, ne prêtèrent qu’une médiocre attention à l’appel fait en faveur des besoins de l’Église de Tôkiô. Ses apprécia¬tions sur le peuple japonais furent cependant remarquées, et repro¬duites par les journaux, non sans quelque étonnement ; car elles lais¬saient percer des idées nouvelles sur l’intelligence et la puissance du Japon, qui n’hésitait pas à se mesurer avec une puissance européenne. On sait comment les événements lui ont donné raison. Sa conclusion pratique était celle-ci : « Pour nos missions, la Corée est en meilleures mains, gouvernée par les Japonais que par les Russes. »
Mgr Mugabure venait de rentrer à Tôkiô, au commencement de 1906. Son Archevêque, ayant retrouvé son appui, son bras droit, pensait respirer plus à l’aise ; tous le lui souhaitaient, mais Dieu réservait à ce bon et fidèle serviteur le grand repos. Au mois de juin, il s’éteignit. Mgr Mugabure en éprouva une grande douleur ; il le pleura comme on pleure la mort d’un père ; mais il résolut, en même temps, d’imiter son exemple, en se souvenant de la suavité de ses vertus et des saintes ardeurs de son zèle.
Maintenir et fortifier les œuvres existantes, tel fut, dès le début de son épiscopat, le rôle qu’il se traça. Quelques églises furent bâties, durant son administration ; les œuvres de presse prirent un nouvel essor, afin de lutter contre les erreurs de l’hérésie et les préjugés du paganisme ; les Dames de Saint-Maur, les Sœurs de Saint-Paul de Chartres et les Dames du Sacré-Cœur rivalisèrent de zèle, pour donner, à Tôkiô et dans d’autres villes du diocèse, l’éducation, à tous les degrés, aux jeunes filles de toutes les classes de la société. Les chers Frères Marianistes marchaient de succès en succès, sous l’habile direction de leur digne Provincial.
Dans la direction d’un domaine aussi intéressant, comme d’ailleurs durant toute sa vie, Mgr Mugabure eut un défaut dont il s’accusait sans détour : « On peut me reprocher, disait-il, d’avoir été trop bon. » Mais il s’en défendait aussitôt, de façon charmante : « Voyez-vous le bon Dieu, ajoutait-il, me faire ce reproche ? S’Il le faisait, je Lui di¬rais : « Mais, mon Dieu, je n’ai fait que vous imiter ; n’avez-vous pas été trop bon, en toutes choses, à l’égard de l’humanité, depuis la création jusque au Calvaire, et dans la sainte Eucharistie ? »
De fait, si, comme séminariste, si, comme missionnaire, si, comme évêque, il fut très aimé et très estimé, tant par ses condisciples que par ses Confrères et les chrétiens, c’est qu’il était la bonté même, la charité même.. Il ne savait pas refuser. Quand il n’avait plus rien à donner, il recourait à ses amis ; et, sans gêne, tout naturellement, tout naïvement aussi, il leur demandait de donner à sa place. « Je n’ai pas la force de refuser, » avouait-il lui-même, et on le vit, un jour qu’il n’avait plus rien à distribuer, donner sa montre à un « drôle » qui ne la méritait guère.
Malgré un caractère constamment jovial, il avait un très grand fond de piété. Fidèle à ses exercices spirituels, il ne les omettait jamais et les faisait toujours avec tant de soin et d’attention, avec un si profond recueillement qu’il était pour tous un véritable sujet d’édification. D’une grande délicatesse de conscience, il s’approchait souvent du tribunal de la pénitence.
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Entre temps, la maladie qu’il avait rapportée de son deuxième voyage de quête faisait des progrès, qu’il ralentissait par des soins. Trop confiant dans ses forces, il prit sur lui de suppléer, à Yokohama, le curé de la paroisse européenne, qui avait besoin de repos. Les fréquentes allées et venues que ce ministère lui imposa, par touts les temps, finirent par miner sa santé, et, durant la retraite ecclésiastique, au mois de septembre 1909, il fut pris de crachements de sang, qui firent craindre pour ses jours. Une partie du poumon lui-même était fortement endommagée. Après quelques semaines de traitement, les médecins déclarèrent que le seul espoir de guérison probable était un retour en France. Ce fut bien à contre-cœur que Mgr Mugabure consentit à partir. Il quitta Yokohama le 29 novembre, accompagné d’un de ses Missionnaires, comme infirmier. Le voyage fut plutôt favorable. Au Sanatorium de Montbeton, le malade se remit assez pour céder aux instances de ses cousins qui l’emmenèrent dans son pays natal. Le pays basque lui était toujours resté cher ; son plus grand plaisir était d’en parler. Tout l’intéressait quand il s’agissait de ce petit pays qu’il connaissait mieux que les jeunes Missionnaires qui en venaient. Tous les Confrères savent que le « Makila », canne basque, était toujours au pied de son lit et que, dans ses promenades, il était son compagnon inséparable. Mgr Mugabure espérait que l’air de la mer achèverait sa guérison.
En chemin, il s’arrêta à Lourdes pour célébrer, à la grotte, le 29 avril, la messe qui devait être sa dernière. Près de Marie, il déversa toute son âme, toutes ses douleurs, toutes ses souffrances et ses préoccupations. En quittant la grotte, il se tourna vers la statue et, les larmes aux yeux, il ne put que prononcer ces paroles : « O Marie, ô ma Mère. » Pour lui 1’Immaculée-Conception était tout. Il s’endormait toujours avec une petite statue de Notre-Dame de Lourdes dans la main et, à son réveil, son premier soin était de la retrouver. Pendant sa maladie, à Tôkiô, l’infirmier était obligé, pour rechercher la statue, de remuer le malade, à son grand détriment. Pour éviter ce dérangement, il imagina de la retirer discrètement dès que le malade commençait à s’endormir. Le matin, après un semblant de recherche, la statuette était retrouvée. Mais la pieuse supercherie fut vite découverte, et, désormais, il suffisait de toucher à la statuette pour réveiller le malade.
Mgr Mugabure quitta Lourdes, consolé, fortifié, résolu à mener avec plus de confiance les luttes de la vie, à supporter patiemment la maladie et à s’abandonner tout entier entre les mains de la Providence.
A Guéthary, il trouva tous les soins qui lui étaient nécessaires, au point de vue spirituel comme au point de vue matériel. Le 24 mai, survenait une complication qui devait entraîner la mort. Une para¬lysie du larynx ne permettait plus les expectorations, de sorte que, au bout de trois jours, le malade mourut pour ainsi dire asphyxié. Il reçut les derniers sacrements en pleine connaissance, et en s’associant aux prières de l’Église. Que d’édifiantes paroles ont été recueillies sur ses lèvres pendant ces quelques jours ! « Je suis heureux de souffrir ! Notre-Seigneur a souffert bien plus sur la croix ! Il faut aimer la souffrance et l’accepter avec joie !... Ne craignez pas de me parler de la mort ; la mort est le commencement de la vie... Confiance en Marie ! Espérons toujours. Vive Dieu ! quand on a l’amour de Dieu, on a tout ! »
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« Ses obsèques eurent lieu à Guéthary, le mardi 31 mai. Mgr l’Évêque, empêché par une légère indisposition, ne put les pré¬sider. MM. les Vicaires généraux Diharce et Casseigneau l’y repré¬sentaient. MM. les Chanoines Lasserre, Dolharay et Hiriart-Urruty y représentaient le Chapitre. Le clergé basque, en grand nombre, y était venu offrir un solennel et dernier hommage à son éminent compatriote. La Société des Missions-Étrangères y avait envoyé quatre de ses membres, MM. Sibers, Compagnon, Narp et Beigbeder. En termes émus, M. Sibers a retracé la vie et les vertus du vénéré défunt. Mgr Diharce a chanté la messe et donné l’absoute.
« Un grand nombre de laïques de toute condition étaient accourus des paroisses voisines. Dans la simplicité forcée de ces obsèques d’un haut dignitaire de l’Église, dans un petit village de pêcheurs, il y avait cependant une haute et forte impression, qui saisissait tous les assis¬tants. Tous sentaient la sublimité d’une telle vie, dépensée sans compter pour obéir à la parole du Divin Maître : Allez, enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit. C’était aux funérailles d’un apôtre qu’on assistait, et cette pensée dominait toutes les âmes agenouillées autour de ce tombeau. » (Bulletin religieux du diocèse de Bayonne.)
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Références
[1236] MUGABURE Pierre (1850-1910)
Armes. - D'azur à la montagne d'argent baignant dans une mer au naturel mouvant de la pointe de l'écu ; à la nef d'argent contournée sénestrée en chef d'une étoile du même.
Devise. - Iter para tutum.
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1884, p. 15 ; 1894, p. 48 ; 1895, p. 50 ; 1896, p. 47 ; 1897, p. 46 ; 1898, p. 40 ; 1899, p. 13 ; 1900, p. 8 ; 1901, p. 8 ; 1902, pp. 3, 5 ; 1903, p. 5 ; 1904, p. 43 ; 1906, p. 5 ; 1907, p. 5 ; 1908, p. 272 ; 1909, p. 5 ; 1910, p. 11 ; 1911, p. 358. - A. P. F., lxxxii, 1910, Sa mort, p. 357. - M. C., xxxiv, 1902, Sa nomination de coadjuteur à Tôkiô, p. 158 ; xlii, 1910, pp. 263, 275. - A. M.-E., 1902, Sa consécration épiscopale, p. 279 ; 1906, p. 49. - Bull. rel. Bayonne, 1910, A l'occasion de sa mort, pp. 23, 525, 541. - Sem. rel. Cambrai, 1905, pp. 521, 613. - Sem. rel. Séez, 1904, p. 664. - Rev. rel. Rodez et Mende, 1905, p. 5. - Voix de N.-D. Chartres, xlviii, 1904 (supplém.), pp. 316, 486.
Le culte de N.-D. de Lourd., p. 68. - La Rel. de Jésus, ii, p. 376.
Notice nécrologique. - C.-R., 1910, p. 296.
Portrait. - A. P. F., lxxix, 1907, p. 17. - Les miss. cath. franç., iii, p. 467.