Jean-Marie DÉPIERRE1855 - 1898
- Statut : Vicaire apostolique
- Identifiant : 1442
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Identité
Naissance
Décès
Consécration épiscopale
Missions
- Pays :
- Vietnam
- Région missionnaire :
- 1880 - 1898 (Saigon)
Biographie
[1442] Jean-Marie Dépierre naît à Thoiry (Savoie), le 18 janvier 1855. Il fait ses études au petit séminaire de Saint-Pierre d'Albigny, passe quelques mois au grand séminaire de Chambéry, et entre laïque au Séminaire des MEP le 8 septembre 1876. Il est ordonné prêtre le 20 septembre 1879.
Vietnam (1879-1898)
Il part le 26 novembre suivant pour la Cochinchine occidentale. Nommé professeur au séminaire de Saïgon après un court séjour à Bien-hoa, il enseigne successivement la rhétorique, la philosophie, la théologie dogmatique. Pendant cette période, il compose et publie un manuel de philosophie et un autre de théologie.
Le 12 avril 1895, il est élu évêque de Benda et vicaire apostolique de la Cochinchine occidentale ; il reçoit la consécration épiscopale à Saïgon, le 25 juillet 1895. Il procède à la division du petit et du grand séminaire, division qui ne devait pas subsister longtemps.
Il décide et fait commencer par les PP. Moulins et Hay la fondation d'une école de catéchistes à An-duc.
Il meurt à Saïgon le 17 octobre 1898. Il est enterré dans la cathédrale. A ses derniers moments, comme son confesseur l'exhorte au détachement, il s’exprime ainsi :
« Ah ! si vous saviez, combien je suis heureux de laisser ma mitre, ma crosse, cette charge pastorale dont je suis incapable ! Je ne regrette qu'une chose : mes missionnaires, mes prêtres indigènes, que j'aime tous du fond de mon cœur. Quand le moment sera venu, insistez beaucoup sur ce point, je vous prie ; de tous les sacrifices, c'est celui qui me coûte le plus. "
Nécrologie
MGR DÉPIERRE
ÉVÊQUE DE BENDA, VICAIRE APOSTOLIQUE DE LA
COCHINCHINE OCCIDENTALE
Né le 18 janvier 1855.
Parti le 26 novembre 1879.
Mort le 17 octobre 1898.
Jean-Marie Dépierre naquit à Thoiry, petite paroisse du diocèse de Chambéry, le 18 janvier 1855. Il appartenait à une de ces familles patriarcales, si rares de nos jours, où le grand nombre des enfants, loin d’être une épouvante, est regardé comme un insigne bienfait de la bonté de Dieu. Jean-Marie ne comptait pas moins de quatorze frères ou sœurs, et venait le second par rang de naissance.
Les premières années s’écoulèrent heureuses et tranquilles sous l’œil vigilant de parents chrétiens, qui lui apprirent de bonne heure à prier, et surtout à aimer Celui, dont il devait être l’apôtre un jour dans les pays fidèles. D’une complexion délicate, il était l’objet spécial des attentions maternelles. Sa place d’ordinaire était au foyer domesti¬que, où du reste il savait se rendre utile, aidant sa mère dans les soins du ménage, ou dirigeant les premiers pas des petits frères que le bon Dieu lui envoyait. S’il lui était permis de courir la campagne, c’était toujours à la suite des troupeaux qu’il conduisait aux pâtura¬ges. Mais alors quelle fête ! « Je partais, racontait-il lui-même, joyeux comme l’oiseau qui pour la première fois s’envole du nid, armé d’un petit bâton pour rappeler à l’ordre les bêtes indociles, un morceau de pain dans une poche, dans l’autre un petit livre dont je pouvais à peine déchiffrer les caractères. » C’est ainsi, que dès l’âge le plus tendre, il montrait cet ardent amour de l’étude, qui le suivra jusqu’à la tombe. Que de fois, rapporte l’un de ses frères, il s’échappait à la sourdine, laissant à la maison mère, frères et sœurs ; mais dans ces circonstances, les parents en quête de l’enfant n’étaient point dans l’embarras, sachant très bien de quel côté diriger leurs pas. Le lieu de refuge du petit vagabond était invariablement la maison d’école du village.
Pour lui, contrairement à tant d’autres, le chemin des écoliers était toujours le chemin le plus court. Les maîtres appelés à lui donner leurs soins, se sont plu à attester que Jean-Marie avait une belle intelligence, un désir passionné de s’instruire, tout un ensemble de qualités rares, qui contrastaient singulièrement avec la turbulence des enfants de son âge ; aussi pouvait-on se dire, comme autrefois du saint Précurseur : Quis, putas, puer iste erit ?
Cependant la famille s’est accrue de plusieurs nouveaux membres, et la petite maison paternelle sera bientôt trop étroite. Jean-Marie a douze ans maintenant ; sa santé, d’abord chancelante, s’est améliorée peu à peu, grâce aux soins maternels. Le moment est venu où il faut quitter cette vie de famille si chère à son cœur, et lui dire adieu sans retour. Les parents, le jugeant assez fort pour vaquer à des occupa¬tions plus sérieuses, le confièrent à un oncle, excellent cultivateur, avec lequel il partagea, quatre années environ, les pénibles travaux des champs. Mais, pour changer de demeure, Jean-Marie resta tou¬jours lui-même, pieux, reconnaissant, infatigable au travail, et surtout ami des livres. Ce fut alors, vers l’âge de seize ans, que l’appel du bon Dieu se fit entendre pour la première fois, et fidèle à la voix du Seigneur, comme jadis le jeune Samuel, l’enfant se hâta de répondre : Loquere, Domine, quia audit servus tuus. La grâce divine pénétrant cette belle âme, ne tarda pas à la mûrir, et à lui faire entrevoir les grandeurs et aussi les difficultés de la vie sacerdotale. Mais Jean-Ma¬rie n’était pas de nature à revenir sur ses pas. « Dès lors, dit-il, pour être prêtre, j’étais disposé à faire tous les sacrifices. Le sacerdoce m’apparaissait entouré de je ne sais quelle auréole, qui fascinait mon imagination, et me prenait le cœur. Coûte que coûte, me disais-je, je serai prêtre ! »
L’instrument dont Dieu se servit, pour cultiver cette jeune plante, fut un digne ecclésiastique, M. l’abbé Michaux, curé de la paroisse de Puisgros. Sur sa demande, les parents firent généreusement le sacrifice de leur enfant, qui devint, dès ce jour, l’heureux hôte du presby¬tère. Jean-Marie était au comble de ses vœux. Enfin il serait prêtre, et bon prêtre, puisque son bienfaiteur et son guide était un de ces hommes aussi habiles à former les autres à la science et à la vertu, qu’ils ont été fidèles et ardents à s’y former eux-mêmes. Avec un tel maître, l’élève fit des progrès si rapides, que pour l’un comme pour l’autre, il était facile de prévoir déjà le jour de la séparation. Le cœur affectueux et reconnaissant de Jean-Marie dut accomplir un véritab1e sacrifice, quand au bout de quelques mois, il fallut dire adieu au cher presbytère de Puisgros, pour entrer au petit séminaire de Saint-Pierre-¬d’Albigny, où il açheva ses humanités.
Le séjour au grand séminaire de Chambéry ne fut qu’un passage ; Dieu, qui ne se laisse jamais vaincre en générosité, se plut à com¬pléter son œuvre, car bientôt sur la vocation au sacerdoce vint se greffer une vocation plus sublime encore, la vocation à l’apostolat dans les pays lointains. Jean-Marie se hâta de répondre à ce second appel du divin Maître, et l’année n’était pas encore écoulée, qu’il quittait ce pieux asile, pour aller frapper à la porte du Séminaire des Missions-Étrangères.
Dans cette maison, le nouvel aspirant n’eut qu’à laisser agir la main paternelle de Celui qui l’avait conduit pas à pas depuis son enfance. Il passa à peu près inaperçu, se contentant d’ouvrir son âme aux inspirations de la grâce, heureux aussi de respirer le parfum de vertu qui s’exhalait à ses côtés. Toute sa vie d’aspirant à l’apostolat se trouve résumée dans ces quelques paroles adressées à un ami, l’avant-veille de sa mort : « Le Séminaire des Mis¬sions-Étrangères ! Oh, la sainte maison ! C’est là que se sont écoulés les plus beaux jours de ma vie. L’air qu’on y respire, semblait fait pour moi. Là du moins, j’ai travaillé comme l’on doit travailler, un peu moins pour moi, un peu plus pour Dieu. Là, j’ai appris à aimer réellement le bon Dieu et les âmes ; j’ai compris ces belles paroles : Ubi caritas et amor, Deus ibi est. J’eusse été heureux d’y passer ma vie entière comme simple aspirant... » Mais comme dit un refrain bien connu des aspirants aux missions :
Nous sommes tous des oiseaux de passage
Pour divers cieux.
Bientôt arriva le jour, où comme ses aînés, il dut faire ses adieux au cher séminaire, pour voler à la conquête des âmes. Destiné à la mission de Cochinchine occidentale, il s’embarquait à Marseille au commencement de décembre 1879, et dans les premiers jours de jan¬vier 1880, abordait à Saïgon, sa nouvelle patrie.
La Mission avait alors à sa tête un prélat distingué, le regretté Mgr Colombert, évêque de Samosate. Le judicieux observateur qui connaissait si bien les choses et les hommes, ne tarda pas à discerner les qualités et les aptitudes du nouveau missionnaire. Une place étant vacante au séminaire, M. Dépierre fut désigné pour l’occuper. Il passa là les quinze premières années de sa vie apostolique, successivement professeur de rhétorique, de philosophie et enfin de théologie dogmatique. Doué d’excellents moyens, et tou¬jours partisan du labor improbus du poète, il sut acquérir en peu de temps une science peu commune. Les leçons du jeune professeur éditées par l’imprimerie de Nazareth, à Hong-kong, sont aujourd’hui connues dans plusieurs de nos missions, et contribuent, pour une large part à l’instruction du clergé indigène.
Toutes les branches de la science avaient pour M. Dépierre des attraits ; ses prédilections toutefois étaient pour la philosophie ; mais ayant les qualités du philosophe, il devait naturellement en partager les défauts : abstrait assez souvent, parfois aussi il planait, dans son vol, un peu trop au-dessus du niveau du vulgaire. On se souvient encore au séminaire de ces soirées amusantes, où le professeur de philosophie mettait toute son âme à exposer une thèse, dont la briè¬veté n’était jamais le défaut. Écoutait qui voulait ; mais malheur à celui qui, de gré ou de force, prenait part à la discussion ! Trouvait-il les preuves trop longues, quelque peu relevées, et alors, pour en finir au plus tôt, avançait-il, feignant de comprendre, une conclusion sou¬vent prise au hasard, il était ramené bien vite au point de départ, et pour pénitence, devait écouter une nouvelle explication considérable¬ment augmentée. L’hilarité alors devenait générale, et le vainqueur riait de bon cœur aussi bien que le vaincu. C’était le bon temps, récréation très légitime après une journée monotone. Dans cette vie de l’enseignement, où le ciel n’est pas toujours d’azur, un petit rayon de soleil n’est jamais de trop, pour dissiper les nuages et rendre au cœur le courage et la gaieté.
M. Dépierre aimait l’enseignement ; le séminaire en particulier avait toutes ses affections, et cependant pour un œil attentif, il était facile de voir que les jours du professeur dans cette maison étaient déjà comptés. La vie sédentaire et le travail intellectuel, qui de leur nature éprouvent les constitutions les plus robustes, ne le trouvèrent pas invulnérable. Le jeune missionnaire comprit alors, mais trop tard, que dans ces pays d’Extrême-Orient, tout travail doit avoir des bornes. Consumé par l’anémie, il dut se résigner et obéir à ses supérieurs. Le climat de Hong-kong ne produisant pas tous les heureux effets qu’on pouvait espérer, un voyage en France fut jugé nécessaire. De retour dans la colonie après quelques mois de séjour dans la mère patrie, le mal impitoyable revenait à la charge ; ce qui avait été gagné au pays natal ne tardait pas à se fondre au brûlant soleil de Cochinchine, et le malade, obligé de fuir encore, va cette fois demander au Japon le rétablissement de sa santé délabrée.
C’est là que le 31 décembre 1894, il apprit le coup de foudre dont venait d’être frappée sa chère Mission : la mort de Mgr Colombert... Et lui devait le remplacer. Bientôt, en effet, un double bref du Sou¬verain Pontife le nommait évêque de Benda et vicaire apostolique de la Cochinchine occidentale. Le nouvel élu, dont la modestie était bien connue de tous, ne désirait nullement l’épiscopat, et ne fut pas le moins surpris du choix. de ses confrères. A cette heure, du reste, les responsabilités de la charge pastorale étaient de nature à lui paraître formidables.
Il y a des hommes, dit-on, que l’on remplace très difficilement ; Mgr Colombert était de ce nombre. Habile administrateur, homme éminemment pratique, le prélat avait su, pendant les vingt-trois ans qu’il fut à la tête de la Mission, diriger sa barque en pilote expéri¬menté, évitant les écueils, toujours au-dessus des flots, à la fois ferme et large dans sa conduite. Il fit l’admiration de plusieurs, eut l’estime de tous, et descendit au tombeau, emportant l’affection de ses missionnaires, les regrets sincères de tous nos compatriotes. A la mort de l’illustre évêque, l’état de la Mission était des plus prospères ; l’on peut dire sans exagération que l’édifice construit par le sage architecte était bien avancé. Tout n’était point fini cependant, et le zèle du jeune successeur pourra se donner libre carrière. Quel champ, d’ail¬leurs, fût-il le mieux cultivé, où l’on ne puisse trouver encore quelques mauvaises herbes à arracher, quelques épis à glaner ? La perfection n’étant point de ce monde, il en est des œuvres comme des hommes : Qui perfectus est perficiatur adhuc !
Le 25 juillet 1895, la ville de Saïgon était en fête : Mgr Dépierre recevait la consécration épiscopale des mains de Mgr Caspar, vicaire apostolique de la Cochinchine septentrionale. Mgr Van Camelbecke, vicaire apostolique de la Cochinchine orientale et Mgr Bourdon, ancien vicaire apostolique de la Birmanie du Nord remplissaient les fonctions d’évêques assistants. L’imposante cérémonie, dont les autorités civiles et militaires eurent à cœur de rehausser l’éclat, s’accomplit en pré¬sence d’une foule immense de fidèles et de païens, accourus de tous les points de la Mission. En ce jour, de nombreuses et ferventes prières durent monter vers le ciel, suppliant le divin Esprit d’accorder au nouveau pasteur, sagesse pour entreprendre, force pour combattre et aussi multos annos pour achever et perfectionner l’œuvre de Dieu.
Les fêtes du sacre terminées, Mgr Dépierre put enfin se mettre à l’œuvre, et, suivant son habitude, se mit de tout cœur. Il fallait son¬ger tout d’abord à conserver les positions acquises par son vénérable prédécesseur. Tous les moyens furent employés pour atteindre ce but : visites fréquentes des chrétientés, création de nouveaux districts et de nouveaux postes, surveillance attentive des écoles, exhortations pressantes aux missionnaires et au clergé indigène.
Deux œuvres toutefois, d’une grande importance, devaient fixer son attention d’une manière spéciale, car elles lui paraissaient indispensa¬bles pour couronner dignement l’œuvre de l’évêque de Samosate : l’établissement d’un petit séminaire et celui d’une école de catéchis¬tes. Depuis sa fondation, le séminaire de Saïgon réunissait tous les élèves, renfermant ainsi, dans une même maison, grand et petit sémi¬naires. Cet état de choses nécessaire au début présentait de nom¬breuses difficultés, surtout pour la direction des élèves. Le prélat, qui pendant de longues années avait pu de visu se rendre compte de cette organisation défectueuse, voulut y porter remède ; aussi bien ne fai¬sait-il en cela que suivre les instructions de la Sacrée Congrégation de la Propagande. Quant aux catéchistes, ils faisaient absolument défaut. Cet office était rempli par les élèves du grand séminaire, qui, avant la réception des ordres, allaient travailler à l’instruction des catéchumènes ; mais comme ils devaient au bout de quelques mois, rentrer au séminaire pour continuer leurs études théologiques, il s’ensuivait une interruption très préjudiciable à l’enseignement déjà commencé...
Malgré les difficultés, surtout pécuniaires, le zélé pasteur sut conduire à bonne fin ces deux œuvres importantes. Aujourd’hui. sémi¬naire et maison de catéchistes sont debout, riches d’espérances, et le fondateur, avant de mourir, a eu la consolation de voir en partie le fruit de ses travaux. Ces occupations toutefois, quelque graves qu’elles fussent, n’étaient pas de nature à lui faire perdre de vue l’œuvre par excellence : la conversion des infidèles. La dernière lettre pastorale, adressée à ses prêtres peu de jours avant sa mort et où l’on sent vibrer si fortement le cœur de l’apôtre, est là pour témoigner de son grand amour des âmes, de cette soif ardente qui le dévorait comme le Christ mourant sur la croix.
Charitas benigna est, dit l’Apôtre. Ce fut là le signe distinctif de la charité de Mgr Dépierre : il était bon. Dans toute sa vie d’évêque, il n’eut qu’un mobile : faire du bien, pour gagner les âmes à Jésus-Christ. Vouloir juger ses actes en partant d’un autre principe, ce serait juger sans le connaître, et par suite mal le juger. Que d’âmes n’a-t-il pas consolées ! Que de misères n’a-t-il pas soulagées, se faisant volontiers solliciteur importun, pour obtenir une place ou quelque secours à qui implorait son appui ! Aussi tous les cœurs allèrent à lui. Les indigènes, les Européens, les chefs de la colonie eux-mêmes furent toujours pour le regretté prélat la plus affectueuse vénération. Que dire, après cela, de certains petits défauts qu’on lui a reprochés, surtout dans les commencements : zèle et travail excessifs, parfois manque de décision, hésitation là où un vétéran de l’épiscopat serait allé droit son chemin ? sinon que Mgr Dépierre, comme tout homme au-dessus de l’ordinaire, avait les défauts de ses qualités et que le fabricando fit faber peut s’appliquer indistinctement à tous les états.
Un journal de la localité, le Courrier de Saïgon, dans un article écrit deux jours après la mort de Mgr de Benda, l’appréciait en ces termes : « D’une modestie très grande, d’une naïveté souvent déli¬cieuse qui est le propre des saints, Mgr Dépierre attirait l’amitié comme le fer est attiré par le champ magnétique. C’était une de ces natures bonnes, d’une douceur angélique, qui ne connurent jamais la rancœur. Ces hommes arrivent, suivant l’Évangile, à posséder la terre, et certes la terre de Cochinchine alla vers lui d’un irrésistible élan. Personne de sa situation ne fut d’un esprit plus large dans les affaires délicates. Ses rapports avec l’administration civile lui valu¬rent toujours l’estime des chefs de la colonie. »
Un épiscopat qui commençait sous de si heureux auspices, promet¬tait, ce semble, de beaux jours pour l’avenir… Hélas ! le soleil radieux à son lever n’est pas toujours l’indice d’une soirée sans nuages. Et Dieu, pour rappeler à sa créature que tout ici-bas dépend de Lui seul, se permet bien souvent d’aller à l’encontre des jugements des hommes.
Le 27 septembre, Monseigneur partait pour Cai-mong, où il avait été invité par M. Gernot à prêcher la retraite aux religieuses indi¬gènes. Dans le cours du voyage, il fut pris subitement de violentes douleurs intestinales ; il continua néanmoins sa route, et put à grand’peine parvenir à la résidence du vénéré provicaire. Malgré les soins les plus intelligents et les plus dévoués, l’état du malade ne changeait point ; les douleurs étaient intolérables, à ce point que les mission¬naires présents se demandaient avec anxiété s’il ne serait pas oppor¬tun de lui administrer à la hâte les derniers sacrements. Enfin, grâce sans doute aux prières des bonnes religieuses, le mal diminua d’inten¬sité, le calme revint peu à peu ; mais les médecins, inquiets pour l’avenir, conseillèrent à sa Grandeur de regagner Saïgon au plus vite.
De retour à l’évêché, le malade, quoique brisé par la fatigue, jouit pendant deux ou trois jours d’un bien-être relatif ; n’eût été la persis¬tance de la fièvre, l’on aurait pu croire à la disparition complète du maI. Cependant les hommes de l’art n’étaient pas complètement rassurés ; ils attendaient et observaient avec soin. Bientôt se manifes-tèrent de graves symptômes, et tous alors reconnurent qu’ils avaient affaire à une double pleurésie, que venait aggraver encore une ma¬ladie de cœur.
Deux semaines durant, l’état fut à peu près le même avec différentes alternatives, tantôt mieux, tantôt plus mal. Le traitement prescrit, quoique très douloureux, ne put jamais arracher une plainte au pauvre malade, et les confrères accourus pour voir une dernière fois leur père mourant, peuvent attester qu’ils étaient reçus le sourire sur les lèvres, avec la bonne figure d’autrefois.
Vint, hélas ! le jour si redouté, où les médecins dont le dévouement fut toujours admirable, durent se déclarer vaincus, et avouer l’im¬puissance des remèdes humains. Quand on apprit à Monseigneur la triste nouvelle, « Deo gratias, répondit-il ; si au moins cet accident s’était produit trois ans plus tôt ! » laissant entendre par là que trois ans plus tôt il n’eût pas été évêque. Et comme son confesseur l’exhor¬tait au détachement. « Ah ! si vous saviez, dit-il, combien je suis heu¬reux de laisser ma mitre, ma crosse, cette charge pastorale, dont je suis incapable ! Je ne regrette qu’une chose : mes missionnaires, mes prêtres indigènes que j’aime tous du fond de mon cœur. Quand le moment sera venu, insistez beaucoup sur ce point, je vous prie ; de tous les sacrifices, c’est celui qui me coûte le plus. » La patience, dont le prélat donnait un si bel exemple depuis le commencement de la maladie, ne se démentit jamais jusqu’à la fin. Un hoquet, presque continu et très fatigant, occasionnait-il un soubresaut tout à fait involontaire, se tournant alors vers les personnes présentes : « Voyez donc, disait-il, combien je suis peu vertueux ! » Sur sa demande, on lui lisait fréquemment, tantôt un passage de la Passion du Sauveur, tantôt quelques versets du psaume Beati immaculati in via. Son âme alors reprenait force et courage ; appuyé sur la croix du divin Maître, le fardeau de ses propres souffrances lui paraissait doux à porter. Avec quel empressement il répétait les pieuses invocations qu’on lui suggérait ! Celle-ci, entre toutes, revenait constamment sur ses lèvres : In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum.
Le 14 octobre, Monseigneur recevait le saint viatique et l’extrême-onction avec de grands sentiments de foi, de confiance et de résigna¬tion à l’adorable volonté de Dieu. A cette heure solennelle, il voulut manifester une fois encore, en présence des missionnaires et des prêtres indigènes réunis autour de son lit de mort, le grand regret qu’il éprouvait en quittant sa chère famille ecclésiastique. Trois jours s’écoulèrent avant le suprêmne et dernier appel ; la mort faisait son œuvre, et les forces disparaissaient à vue d’œil ; mais le vénéré malade, toujours en possession de ses facultés intellectuelles, n’en res¬tait pas moins uni à Dieu, répétant sans cesse son invocation favorite: In manus tuas, Domine, commendo spiritum meum .
Le 17, au matin, la catastrophe paraissant imminente, le confesseur de Sa Grandeur lui proposa de recevoir l’indulgence plénière in arti¬culo mortis. « Oh, oui, avec plaisir, » répondit-il. Ce furent les der¬nières paroles. La cérémonie était à peine terminée que l’agonie commençait. Enfin, ce même jour, 17 octobre 1898, à l’heure où le grand Consummatum est fut exhalé sur le Calvaire, l’âme de Mgr Dé¬pierre quittait ce lieu d’exil et s’envolait vers un monde meilleur.
Les obsèques, célébrées le 20 octobre, furent ce qu’avaient été les obsèques de Mgr Colombert, de regrettée mémoire, non un jour de deuil, mais un jour de triomphe. Les autorités de la colonie, les Fran¬çais de Saïgon eurent tous à cœur d’y assister, heureux de donner ce suprême témoignage d’estime à celui qui était passé au milieu d’eux en faisant le bien. Quant aux fidèles indigènes accourus de tous côtés pour saluer une dernière fois leur pasteur et leur père, ils étaient innombrables.
La dépouille mortelle de Mgr Dépierre a été déposée en la cathé¬drale de Saïgon, dans la pieuse chapelle de la Vierge, où depuis quatre ans déjà, reposent les restes de Mgr Colombert. Les deux évêques qui furent de vrais pasteurs de leur peuple, dorment leur dernier sommeil, l’un à droite, l’autre à gauche de l’autel du très saint Sacrement, faisant ainsi nuit et jour une garde d’honneur au divin prisonnier du tabernacle. lls intercèdent pour les âmes chrétiennes dont ils eurent la charge, pour tant de milliers d’infidèles plongés encore dans les ténèbres de l’idolâtrie. Ils prient aussi pour nous, qui avons été leurs prêtres et leurs coopérateurs dans l’œuvre de l’évan¬gélisation. Du fond de la tombe, leur voix aimée se fera longtemps entendre répétant sans cesse pour nous encourager les paroles de l’Apôtre : Bonum certamen certavi, cursum consummavi, fidem ser¬vavi ; in reliquo reposita est mihi corona justitiœ, quam reddet mihi Dominus in illa die justus judex : non solum autem mihi, sed et iis qui diligunt adventum ejus.
J. DUMAS,
Missionnaire apostolique.
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Références
[1442] DÉPIERRE Jean-Marie (1855-1898)
Armes. - De gueules à la croix pattée d'argent, au chef cousu d'azur chargé du monogramme des M.-E. d'or dans un rinceau du même.
Devise. - In cruce salus, in cruce vita.
Bibliographie. - Brevis disquisitio ethnicæ superstitionis Sinensium. - Imprimerie de la mission, 1888, Saïgon-Tandinh, in-8, pp. 59.
Elementa Philosophiæ scholasticæ, 2e édit. - Imprimerie de Nazareth, Hong-kong, 1891, in-12, pp. 258.
Le sentiment religieux chez les peuples de l'Indo-Chine (Extrait de la Revue des Religions, 4e an., n° 21, sept.-oct. 1892). - Bureaux de la Revue, 37, rue du Bac, Paris, in-8, pp. 96.
Situation du Christianisme en Cochinchine à la fin du XIXe siècle. - Imprimerie nouvelle, Claude et Cie, Saïgon, 1898, in-8, pp. 40.
Cinq Mandements en annamite. La traduction annamite est, pour les deux premiers, du prêtre indigène Duc ; pour les trois autres, du prêtre indigène Tong.
Ouvrage en collaboration avec M. Turgis :
Compendium Theologiæ dogmaticæ. 2e édit. - Imprimerie de Nazareth, Hong-kong, 1901, 3 vol. in-12, pp. 320, 332, 312.
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1885, p. 223 ; 1895, pp. 202, 218 ; 1896, pp. 210, 257 ; 1897, p. 172 ; 1899, p. 209. - A. P. F., lxxi, 1899, p. 77. - M. C., xxvii, 1895, Sa nomination de vicaire apostolique de Cochinchine occidentale, p. 232 ; Ib., Son sacre, pp. 439, 520 ; xxx, 1898, Sa mort, p. 503. - B. O. P., 1897, p. 670. - Sem. rel. Chambéry, 1895, pp. 233, 429 ; 1898, Sa mort, p. 496.
Les miss. cath. franç., ii, p. 496. - Arm. des Prél. franç., p. 253.
Collect., 12 avril 1895 : n° 13.
Notice nécrologique. - C.-R., 1898, p. 275.