Pierre LEVREY1907 - 1984
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3608
Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Biographie
[3608] Pierre, Victor, Joseph LEVREY naquit le 14 octobre 1907, dans une famille rurale, à Ailloncourt, diocèse de Besançon, département de la Haute-Saône. Après ses études primaires dans son village natal, il resta chez ses parents, pour les aider aux rudes travaux des champs. jusqu'à son service militaire. A 23 ans, libéré de ses obligations militaires, ayant manifesté le désir d'être prêtre, il entra au séminaire de Favernay, où pendant deux ans, il suivit un cycle court d'études secondaires, puis dans ce même séminaire, de 1932 à 1934, il fit deux ans de philosophie.
Le 10 août 1934, il fit sa demande d'admission au séminaire des Missions Etrangères; Le 15 septembre 1934, il arriva à Bièvres, pour continuer, à 27 ans, sa préparation au sacerdoce. Sous-diacre le 4 juillet 1937, diacre le 18 décembre 1937, il fut ordonné prêtre le 29 juin 1938, et reçut sa destination pour le vicariat apostolique de Thanh-Hoa, qu'il partit rejoindre le 13 septembre 1937. Il embarqua à Marseille le 15 septembre 1937, à bord de l'Athos II".
Dès son arrivée, il se mit à l'étude du viêtnamien, sous la direction d'un catéchiste-professeur. En mai 1939, il quitta l'évêché et alla faire sa formation pastorale chez M. Delavet, à Phuc-Dia. En 1939, la mobilisation partielle lui fit revêtir la tenue militaire, et le conduisit à Hanoï pour quelques temps. Le 7 Juillet 1941, succédant à M. Barnabé entré à la Trappe de Phuoc-Son, près de Hué, M. Levrey fut chargé de la chrétienté de Mâu-Thôn, à 28 kms au Sud-Ouest de Thanh-Hoa, englobant une douzaine de dessertes; ses chrétiens, dans une très forte majorité, étaient des néophytes ou des catéchumènes. Il se donna tout entier à eux, et les aida de son mieux au plan matériel comme au spirituel.
En mars 1945, M. Levrey ne fut pas particulièrement inquiété; Il resta dans son poste jusqu'au 7 juillet 1945; à cette date, les troubles politiques, puis la prise du pouvoir par les "Viêtminh" au mois d'août 1945, l'obligèrent alors, comme les autres missionnaires, à rejoindre l'évêché de Thanh-Hoa, en résidence surveillée. Le 26 décembre 1946, avec douze autres confrères, il fut interné à la cure de Vinh. Libéré le 12 août 1952, avec neuf de ses confrères de Thanh-Hoa, dirigé sur Hué et Saigon, il rentra en France par avion et arriva à Paris le 21 septembre 1952.
En avril 1953, il fut affecté à la mission de Hanoï qu'il partit rejoindre le 8 septembre 1953. Pour se remettre dans le bain, il fut envoyé à la paroisse de Thuong-Lâm où il resta d'octobre 1953 à avril 1954. Ensuite, l'évêque lui confia la paroisse de Yên-Kiên, située à une trentaine de kms de Hanoï, sur la route de Hoà-Binh. Il pût circuler et travailler sans trop de difficultés jusqu'au mois d'octobre 1954. Mais bientôt les autorités "Viêtminh" ne supportèrent pas qu'un étranger circulât librement, et reçût de nombreuses visites. M.Levrey fut alors enfermé dans sa chambre avec un gardien armé devant sa porte, jour et nuit. On "lava le cerveau" de la population; M. Levrey subit six fois un jugement populaire et trois fois fut condamné à mort. Le Supérieur Régional, informé de la situation, fit intervenir M.le Délégué de France à Hanoï qui réussit, le 15 mai 1956, à le tirer de cette situation Soigné à la clinique St. Paul, à Hanoï, mais sans grands résultats, par ordre de son Supérieur Régional, M. Levrey fut rapatrié en France, où il arriva le 2 août 1956
En octobre 1956, M.Levrey ayant reçu une nouvelle destination pour la mission de Phnom-Penh. s'embarqua à Marseille à bord du "Viêtnam", le 3 avril 1957. Mgr. Raballand lui confia la communauté viêtnamienne de la paroisse du Sacré-Coeur à Phnom-Penh. Il y travailla, ayant pris un congé en France du 15 mars au 30 août 1965,.jusqu'au mois d'octobre 1965. Il demanda alors à être envoyé à Battambang pour apprendre le cambodgien. Son stage dura jusqu'en mars 1966. Entre-temps, avait été fondée à Phnom-Penh dans le quartier de Tuk-Laak, par la division de la paroisse du Sacré-Coeur, la nouvelle paroisse St.Antoine ouverte aux kmers et aux viêtnamiens; elle fut confiée à M. Levrey, en avril 1966.
Survinrent au Cambodge, les troubles politiques sérieux de 1970. Des sévices graves furent exercés à l'égard des viêtnamiens dont un nombre important quitta ce pays pour se réfugier au Viêtnam. Dans les quartiers où travaillait M.Levrey, il ne restait pratiquement plus de chrétiens; ne maitrisant pas suffisamment la langue Kmère, et avec l'accord de son évêque, le 1 novembre 1970, il gagna le Viêtnam. A la fin du mois de décembre 1970, il fut nommé aumônier de l'hospice de Phu-My dirigé par les soeurs de St. Paul de Chartres. Il prit un congé du 8 juin 1971 au 4 décembre 1971. Il résida chez les soeurs à Phu-My jusqu'au 13 janvier 1976, puis il s'installa à la maison des Missions Etrangères, rue Nguyên-Du à Saigon. Mais chaque jour, il se rendait à Phu-My, pour exerçer son ministère à l'hospice. Cela dura jusqu'au 23 juillet 1976, date à laquelle il fut expulsé du Viêtnam avec tous les autres missionnaires.
Arrivé en France le 26 juillet 1976, après avoir pris un peu de repos, il fut heureux quand on lui proposa de partir pour l'île Maurice qu'il rejoignit le 28 janvier 1977. Placé à la cathédrale de Port Louis, chaque matin, il assurait le ministère de la réconcilaition, nommé aumônier de l'hôpital civil de cette ville, il consacrait l'après-midi à visiter les malades de ce centre qui comptait 360 lits. Par trois fois, Mgr. Margéot lui demanda d'aller visiter les 300 chrétiens travaillant à la cueillette des noix de coco, dans la petite île de Agaléga, à 1.100 kms au nord de Maurice. Il s'y rendit pour la semaine sainte de 1982. En 1983, entre deux voyages de bâteau, il séjourna dans cette île pendant quatre mois. Il y fit une dernière visite en juin 1984.
Lors de son dernier retour d'Agaléga, il se sentit particulièrement fatigué, toussant beaucoup. Le 8 août 1984, le médecin diagnostiqua une tumeur au poumon en évolution rapide, et prescrivit son retour immédiat en France où il arriva le 10 août 1984. Hospitalisé à l'Hôtel-Dieu pour examens, il revint au séminaire de la rue du Bac. Très éprouvé par une série de rayons, il fut admis à l'hôpital Tenon, et c'est là qu'il décéda le dimanche matin 23 septembre 1984. Il fut inhumé à Paris, au cimetière Montparnasse.
Nécrologie
Le Père Pierre LEVREY
Missionnaire du VIETNAM, du CAMBODGE
et de L’ÎLE MAURICE
1907 - 1984
LEVREY Pierre
Né le 14 octobre 1907 à Ailloncourt, diocèse de Besançon, Haute-Saône
Entré aux Missions Etrangères le 15 septembre 1934
Prêtre le 29 juin 1938
Destination pour Thanh Hoa (Vietnam)
Parti pour Thanh Hoa le 13 septembre 1938
En Mission : Thanh Hoa, 1938-1946 — Interné à Vinh, 1946-1952
Hanoï, 1953-1956 — Cambodge, 1957-1970
Saïgon, 1970-1976 — Île Maurice, 1977-1984
Décédé à Paris le 23 septembre 1984
Voir cartes nos 3, 4 et 9
Enfance et jeunesse
Pierre Levrey naquit à Ailloncourt, dans la Haute-Saône, diocèse de Besançon, le 14 octobre 1907. Ses parents étaient cultivateurs. Après ses études primaires à Ailloncourt, il resta avec ses parents pour les aider aux rudes travaux des champs et cela jusqu’à son service militaire. C’est après son service militaire qu’il manifesta son désir d’être prêtre. Il avait 23 ans. Il lui fallut donc reprendre ses études. Il a souvent dit la difficulté qu’il avait éprouvée à se replonger dans les livres après dix ans d’interruption. Il entra au séminaire de Faverney où, pendant deux ans, il accomplit un cycle court d’études secondaires. Au bout de deux ans, ses supérieurs le jugèrent capable d’entrer en philosophie. Il fit donc encore deux années de philosophie à Faverney.
C’est pendant ces deux années qu’il s’ouvrit à son directeur et au supérieur du séminaire de son désir d’être missionnaire. Après avoir obtenu toutes les permissions voulues, il fit sa demande d’entrer aux Missions Étrangères, le 10 août 1934. Admis le 20 août, il entra à Bièvres, le 15 septembre, pour continuer sa préparation au sacerdoce. Il avait déjà 27 ans. Malgré les difficultés que lui causaient des études parfois abstraites, il sut acquérir, à la fois par la prière et un travail assidu, une connaissance profonde et sûre de la foi, comme de la vie morale et spirituelle. Et cette connaissance, il aura soin de l’entretenir et de la développer jusqu’à la fin de sa vie. C’est le 29 juin 1938 qu’il reçut le sacerdoce, à 31 ans, et aussi sa destination pour la Mission de Thanh Hoa, au Nord Vietnam. Parti le 13 septembre 1938, il arriva à Thanh Hoa, vers le 15 octobre.
En mission
A Thanh Hoa (1938-1946)
Dès son arrivée, il se mit à l’étude de la langue, sous la direction d’un catéchiste professeur. Inutile de dire qu’il y mit toute son ardeur, ardeur qui fut d’ailleurs couronnée de succès. Au bout de six mois, il quitta l’évêché pour aller à Phuc Dia continuer l’étude de la langue et s’initier au ministère. Au mois de juillet 1941, il était tout à fait capable de voler de ses propres ailes. Comme le poste de Mâu Thôn était libre, c’est là qu’il fut envoyé. Un mot d’explication ne sera pas inutile. La paroisse de Thanh Hoa était très étendue et comptait plus de cinquante chrétientés à la campagne. Pour faciliter le ministère et alléger la fatigue des prêtres, on avait divisé la paroisse en quatre secteurs : le centre d’abord, avec un certain nombre de chrétientés à proximité, puis trois autres secteurs avec, dans chacun, un prêtre en résidence. Mâu Thôn, situé à environ 25 km de la ville, était l’un des secteurs et c’est là que fut envoyé le P. Levrey pour succéder au P. Barnabé. En plus de la chrétienté centrale où il résidait habituellement, le P. Levrey avait à sa charge une douzaine de villages ; tous étaient accessibles à bicyclette. Il en a fait des centaines de kilomètres, soit pour venir à la ville, soit pour desservir ses chrétientés. Presque tous les chrétiens à sa charge étaient des néophytes ou des catéchumènes. C’est dire combien ils avaient besoin de soins pour leur vie chrétienne. Le P. Levrey se donna de tout cœur, tant pour leurs besoins spirituels que pour leurs besoins matériels, en leur donnant notamment des médicaments.
Tout allait bien, ou à peu près, avec pas mal de privations, car toutes les relations avec la France étaient interrompues, à cause de la guerre et de l’occupation du pays par l’armée japonaise. On manquait de beaucoup de choses utiles, mais on avait le nécessaire. C’est dans de telles circonstances que l’on s’aperçoit que l’on s’encombre de quantité de choses peu utiles et que l’on se crée des besoins factices.
Mais, au mois de mars 1945, la situation changea. Les Japonais mirent la main sur le pays. La situation devint plus difficile pour les missionnaires étrangers ainsi d’ailleurs que pour les prêtres vietnamiens. Quelques-uns furent arrêtés et mis en prison, accusés d’avoir empoisonné les puits. Le P. Levrey ne fut pas spécialement inquiété. Mais au mois d’août, après la défaite japonaise, les Viêt-Minh communistes prirent la direction du pays. En quelques jours, du Nord au Sud, une nouvelle administration fut mise en place. C’est alors que le P. Levrey et les autres missionnaires furent emmenés à Thanh Hoa et concentrés à l’évêché : situation particulièrement pénible, car on ne pouvait guère sortir en ville ni faire aucun ministère. Il s’agissait donc pour chacun de s’occuper comme il pouvait en attendant.
Malgré leur inactivité, la présence des missionnaires étrangers était gênante pour les autorités locales. C’est pourquoi, en haut lieu, on prit la décision de les rassembler tous en un même endroit. Après les fêtes de Noël, le 26 décembre, tous les missionnaires de Thanh Hoa furent emmenés à Vinh, sauf Mgr De Cooman qui était belge et le P. Barbier qui était aveugle.
À Vinh (1946-1952)
Les missionnaires de Thanh Hoa, ceux de Vinh et une partie de ceux de Hué furent concentrés à la cure de Vinh. Cette situation dura pour le P. Levrey et les autres confrères qui n’étaient pas morts entre-temps, jusqu’au 12 août 1952. C’est alors que les missionnaires de Thanh Hoa — et cela pour des raisons qu’il serait trop long d’exposer ici — furent libérés et dirigés sur Hué et de là sur Saïgon. Après un temps de repos, et une fois les diverses formalités accomplies, ils furent rapatriés. Tous avaient grand besoin de repos. Au bout d’un an, le P. Levrey reçut une nouvelle destination pour Hanoï, où il arriva le 8 septembre 1953.
À Hanoï
La place ne manquait pas pour employer le P. Levrey. Il fut d’abord envoyé à la paroisse de Thuong Lâm, pour « se remettre dans le bain », et cela dura d’octobre 1953 au mois d’avril 1954. Ensuite l’évêque lui confia la paroisse de Yên Kiên, située à une trentaine de kilomètres de Hanoï, sur la route de Hoà Binh. A ce moment, tout allait encore à peu près bien ; on pouvait circuler sans difficulté spéciale. On risquait de rencontrer des Viêt-Minh, mais c’était quand même rare, car de nombreux postes militaires français assuraient la sécurité. C’est de tout cœur que le P. Levrey s’adonna à son ministère à travers toute la paroisse, ministère sacerdotal proprement dit, mais aussi ministère de charité, en soignant les malades dont personne ne s’occupait. Les clients ne manquaient pas, car sa renommée de bonté et de charité se répandit très vite dans tout le secteur. Chaque fois qu’il venait à Hanoï, il n’hésitait pas à dépenser des sommes importantes pour se procurer des médicaments. Tout ce qu’il avait était pour les autres. Tout alla convenablement bien jusqu’au mois d’octobre 1954. C’est à cette époque que les communistes occupèrent tout le Nord Vietnam, en vertu des accords de Genève qui divisaient le pays en deux parties. Pendant quelques mois, le P. Levrey fut tranquille et put encore circuler, soit pour venir à Hanoï, soit pour accomplir son ministère dans les diverses chrétientés. Mais les Viêt-Minh ne pouvaient supporter ainsi longtemps la présence d’un étranger qui circulait, qui recevait beaucoup de visites et qui se rendait compte de la réalité. Il fallait absolument le neutraliser. Tout d’abord, on lui défen¬dit de sortir de sa résidence et de recevoir les gens. Peu de temps après, il fut enfermé dans sa chambre avec un gardien ou une gardienne, baïonnette au canon devant sa porte, jour et nuit. Cette situation dura assez longtemps, c’est-à-dire le temps de préparer les gens du village et des villages environnants par des réunions pendant lesquelles on « lavait » le cerveau des gens, en leur répétant contre le P. Levrey toutes sortes d’accusations. On y mit une telle audace et on les répéta avec une telle fréquence que les gens finirent par y croire. Lorsque les esprits furent bien prêts et bien « chauffés », commencèrent alors les jugements populaires. Pendant ces jugements, l’accusé est assis par terre, tête baissée, et il n’a qu’à écouter les accusations que l’on profère contre lui ; il ne peut rien dire. Le P. Levrey subit ainsi six fois un jugement populaire et fut condamné à mort trois fois. Seul un homme courageux osa déclarer que toutes ces accusations étaient fausses. Il fut arrêté et mourut en prison. Le P. Levrey l’apprit vingt ans plus tard. Inutile de dire que la santé du P. Levrey se détériorait de plus en plus. Les bruits les plus alarmants parvenaient, à Hanoï, au Supérieur régional. Celui-ci, grâce à l’intervention du Délégué de France, réussit à sortir le P. Levrey de cette situation. C’était le 15 mai 1956. Il était grand temps ! Quelques semaines de plus, et nous n’aurions plus revu le P. Levrey vivant. Il serait mort de misère. Il fut soigné à la clinique Saint-Paul, mais sans grands résultats. Aussi fut-il rapatrié, le 8 août 1956, d’ailleurs contre son gré. Il fallut lui donner l’ordre de rentrer en France : ce qui prouve combien il était attaché à sa vocation.
Cambodge
Aucun organe vital n’était atteint chez le P. Levrey. Il était victime des privations qui avaient usé sa santé. Il séjourna huit mois en France. Et, au mois d’avril 1957, il repartit pour le Cambodge. Il fut chargé de la paroisse vietnamienne du Sacré-Cœur. Cette paroisse était mixte, à la fois pour les Chinois et pour les Vietnamiens. C’était une situation délicate pour le P. Levrey. Il s’en tira au mieux avec beaucoup de patience, car les Vietnamiens étaient un peu relégués, au profit des Chinois. Il en fut ainsi jusqu’au mois d’octobre 1965. C’est alors qu’il demanda à être envoyé à Battambang pour apprendre un peu le cambodgien. Ce stage dura jusqu’au mois de mars 1966. Entre-temps, on avait fondé la nouvelle paroisse Saint-Antoine, dans un quartier dénommé Tuk Laak (les eaux sales). C’est là que s’installa le P. Levrey, à son retour de Battambang, pour y donner libre cours à son zèle et à son dévouement. Cette nouvelle paroisse était ouverte aux Cambodgiens et aux Vietnamiens. Mais la quasi-totalité des fidèles étaient Vietnamiens.
En 1970, des troubles graves éclatèrent au Cambodge. Ces troubles ne furent pas spontanés, mais provoqués par les autorités de l’époque, même s’ils s’appuyaient sur une animosité ancienne. Les Vietnamiens ne dominaient pas le pays ; il n’y eut pas de soulèvement contre eux, mais des sévices très graves exercés à leur égard par des éléments de la police ou de l’armée ou des groupes menés par des agitateurs. Le massacre des chrétiens de Chrui Changvar fut ordonné par les plus hautes autorités, pour ne pas dire la plus haute autorité (Lon Nol). Sur près de 400.000 Vietnamiens vivant au Cambodge, le nombre des victimes (tués, disparus) se situe entre 2 et 3.000. Environ 100.000 Vietnamiens furent rapatriés ; d’autres quittèrent le Cambodge dans les années suivantes. En avril 1975, de nombreux Vietnamiens étaient encore au Cambodge, surtout dans les campagnes et même à Phnom Penh.
Dans les quartiers dont s’occupait le P. Levrey, il ne restait pratiquement plus de chrétiens, ni Vietnamiens, ni Cambodgiens. Par ailleurs, il ne savait pas assez le cambodgien pour exercer son ministère parmi les Khmers. C’est pourquoi, en accord avec le Vicaire apostolique, il se résigna à gagner le Vietnam. C’était le 1er novembre 1970.
À Saïgon
A la fin du mois de décembre, il fut chargé de l’aumônerie de l’hospice de Phu My, tenu par les Sœurs de Saint-Paul-de-Chartres. Pauvre au milieu des pauvres, des boiteux, des aveugles, il gagna tout de suite le cœur de ces pauvres gens et devint leur providence à tous points de vue, dans la mesure de ses moyens. Il était vraiment leur Père : accueil bienveillant, instruction patiente des catéchumènes, réconfort et soutien spirituel. Il serait intéressant d’avoir des témoignages sur son apostolat pendant ces quelques années. Malheureusement, il n’est pas possible d’en obtenir ! Le P. Levrey serait volontiers resté dans cet hospice, mais une fois encore les événements politiques allaient l’obliger à quitter Saïgon et le Vietnam, cette fois pour toujours.
Rappelons que les Viêt-Công s’emparèrent de la ville de Saïgon, le 30 avril 1975. Comme toujours, au début, pendant plusieurs mois, on laissa les missionnaires tranquilles. Ainsi le P. Levrey put continuer à résider à l’hospice et à exercer son ministère. Mais bientôt il se rendit compte lui-même que la situation devenait difficile. C’est pourquoi il vint habiter à la Maison régionale, pour éviter que les Sœurs ne soient accusées d’avoir des liens trop étroits avec un « colonialiste ». Cependant, il pouvait aller à l’hospice tous les jours ; il continua ainsi son ministère jusqu’au 23 juillet 1976, date à laquelle il fut expulsé du Vietnam avec tous les autres missionnaires, hommes et femmes. Il arriva en France le 26 juillet.
Arrivé en France, le P. Levrey se reposa pendant quelques semaines, puis manifesta le désir de reprendre le travail. On lui proposa divers postes en France, mais aucun ne lui donnait satisfaction. Il se sentait un peu comme un poisson hors de l’eau. C’est alors qu’on lui proposa de partir pour l’Île Maurice. Il accepta avec joie. Une fois de plus, il se lançait dans l’inconnu. Mais ce qu’il savait, c’est qu’il aurait du travail et cela lui suffisait.
Île Maurice
Arrivé à l’Île Maurice, il fut placé à la cathédrale et nommé aumônier de l’hôpital civil qui compte 360 lits. C’est l’après-midi qu’il visitait les malades. Mais chaque matin, à la cathédrale, il assurait avec fidélité le ministère des confessions. Ceux qui voulaient demander le pardon du Seigneur étaient sûrs de le trouver. Il exerça là un ministère dont Dieu seul connaît la fécondité spirituelle. Tout l’après-midi était consacré à la visite des malades. Il y avait parmi eux une majorité de non-chrétiens : musulmans et hindous. A tous il apportait tout son dévouement. Il a décrit lui-même son ministère. « En principe, je visite chaque salle une fois tous les deux jours. Je passe de lit en lit, sans distinction de race ou de religion. L’accueil est sympathique. Je console, j’encourage et souvent j’ai l’impression d’être utile. Avec tous on peut parler de Dieu, de son amour pour nous. Je suis heureux dans cette fonction. » Telle fut sa vie à l’Île Maurice jusqu’au dernier jour.
On ne peut mentionner, par le détail, toutes les activités apostoliques du P. Levrey. Il faut cependant mentionner ses voyages à Agaléga, petite île située à plus de mille kilomètres au nord de Maurice, où vivent quelque 300 chrétiens employés à la cueillette des noix de coco. Tous les trois mois environ, un bateau apporte le ravitaillement et emporte les noix cueillies. Il est d’usage qu’un prêtre aille visiter ces chrétiens, chaque année, au temps de Pâques. Par trois fois, Mgr Margéot, l’évêque de Port-Louis a demandé ce service au P. Levrey, sûr de sa totale disponibilité. Cela représente trois jours en mer, sur un mauvais bateau, quatre ou cinq jours dans l’île consacrés à l’administration des sacrements et trois jours de bateau encore pour le retour. Constatant que le séjour sur l’île était trop bref pour un travail d’évangélisation indispensable, le P. Levrey proposa d’y rester entre deux voyages de bateau. Il réalisa ce projet en 1983, demeurant ainsi sur l’île pendant quatre mois, sans autre lien que la radio avec le reste du monde. Avec l’aide de l’instituteur, il lit l’effort de prêcher en créole, pour se faire mieux comprendre. Il revint, heureux du travail apostolique accompli, mais désolé de ce que les hommes, surtout pendant ce temps, n’étaient guère venus à l’église. Il était disposé à recommencer en 1984, malgré son âge et son état de santé. Diverses circonstances ne lui ont pas permis de rester si longtemps absent de Port-Louis. Il a fait quand même une dernière visite à Agaléga en juin 1984.
C’est au retour de ce voyage que le P. Levrey reconnut que sa santé se détériorait. Depuis quelque temps déjà, il éprouvait une fatigue qui ne faisait que s’accentuer. Il toussait beaucoup, crachait un peu de sang. Divers examens n’avaient rien décelé. A son retour d’Agaléga, le médecin décida de faire une bronchoscopie qui ne montra encore rien. Un mois plus tard, le 8 août, le médecin diagnostiqua une tumeur au poumon, en évolution très rapide, et prescrivit un retour en France immédiat, précisant qu’en septembre, il serait trop tard.
Cette nouvelle connue, le P. Levrey téléphona à son supérieur pour l’informer et il ajouta : « Aujourd’hui, à l’hôpital, j’étais bien fatigué. J’ai quand même achevé la visite de tous les malades, mais j’étais vraiment fatigué. » Un condamné à mort visitant tous ces malades qu’il aimait tant ! il a accompli sa tâche jusqu’au bout.
En une journée, toutes les formalités furent accomplies et, le soir du 9 août, il prit l’avion pour arriver en France le 10. Le jour même, son hospitalisation à l’Hôtel-Dieu fut décidée pour examens. Au bout de quelques jours, il revint au séminaire, attendant une nouvelle convocation pour de nouveaux examens. On décida alors de lui faire une série de rayons. Comme il était de plus en plus fatigué, il fut admis à l’hôpital Tenon et c’est là qu’il est décédé, le dimanche 23 septembre, au matin, avant même que fût terminée la série de rayons prescrite.
À son arrivée en France, ce qui a frappé tout le monde, c’était sa sérénité extraordinaire. À un confrère, vieux compagnon de route depuis 46 ans, il déclara tout tranquillement : « Ça y est, c’est fini. » Il prononça ces mots tout simplement, comme s’il s’était agi d’un autre que lui.
Telle fut, en résumé, la vie apostolique du P. Levrey. Sa vie, bien simple et bien ordinaire en apparence, nous rappelle quelques leçons que nous allons essayer de dégager.
En tout premier lieu, il faut noter sa fidélité à sa vocation, depuis son entrée au séminaire de Faverney jusque sur son lit de mort, à l’hôpital Tenon. Il a cheminé tout droit, sans broncher, sans regarder en arrière. L’évocation de sa vie en est une preuve éclatante. Cette fidélité fut soutenue et entretenue par son esprit surnaturel profond dans toutes ses activités et à travers les épreuves qu’il a endurées. Il fut un homme de prière et aussi un missionnaire qui eut toujours à cœur de faire prier ses chrétiens : ce qui n’est pas une petite affaire, quand on se trouve en présence de bons vieux et de bonnes vieilles, tous nouveaux chrétiens. Il s’agit d’essayer, avec la grâce du Seigneur, de les faire entrer dans un « autre monde », de leur infuser un esprit chrétien : ce qui exige beaucoup de patience et de persévérance. Cette patience, cette persévérance, le P. Levrey les avait envers ces nouveaux chrétiens qui formaient presque la totalité de son troupeau, surtout quand il était à Mâu Thôn. Que de soirées passées à enseigner et expliquer le catéchisme et les prières ; pendant les administrations, c’est-à-dire la visite des diverses chrétientés.
Pour le P. Levrey, avoir charge d’âmes n’était pas un vain mot. Il avait le souci de tous et de chacun et son dévouement n’avait pour ainsi dire pas de limites : c’est d’autant plus remarquable que les résultats ne correspondaient pas toujours à ses efforts, tant s’en faut ! Son dévouement se manifestait aussi par sa générosité à soulager les misères sans nombre qu’il rencontrait. Tout ce qu’il avait, tout ce qu’il recevait de ses bienfaiteurs était employé pour les autres, surtout pour se procurer des médicaments. Il était pauvre lui-même, mais riche de cœur pour les autres ! Étant à l’Île Maurice, il était resté en relation avec des chrétiens du Nord Vietnam, réfugiés au Sud. Il leur faisait envoyer des colis. Un jour, il écrivait à un confrère : « J’ai une certaine somme en procure, mais cet argent me brûle les doigts. Il faut l’utiliser pour secourir tel et tel à Saïgon. Pour moi, je n’ai besoin de rien. » De fait, tout ce modeste avoir y passa. À l’Île Maurice, il pratiquait la même générosité, non seulement envers les malades de l’hôpital, mais aussi envers les mendiants, les clochards qui venaient le solliciter au presbytère : ce qui parfois agaçait son curé et lui faisait dire : « Il n’est pas toujours facile de vivre avec un saint.»
Il était non seulement matériellement pauvre, mais surtout était « pauvre en esprit », c’est-à-dire humble, ne se mettant jamais en avant, se contentant de travailler en silence et de toutes ses forces, là où le Seigneur l’avait placé.
Fidélité, esprit surnaturel, dévouement, zèle, pauvreté et humilité, tels sont les points forts qui ressortent de la vie du P. Levrey. Vraiment il nous laisse un bel exemple.
Dans le missel dont il se servait chaque jour pour se préparer à célébrer le Saint Sacrifice de la Messe, on a trouvé une feuille sur laquelle il avait noté une parole de Gandhi, une réponse à un missionnaire qui lui avait demandé quelle était la meilleure manière de prêcher : « Je ne puis dire ce qu’il faut prêcher, mais je sais qu’une vie de service et de simplicité totale est le meilleur sermon. Une rose n’a pas besoin de prêcher, simplement elle répand son parfum ! »
Le P. Levrey a noté cette parole, parce qu’elle correspondait au plus profond de lui-même. Sa vie a été réellement une vie de service et de simplicité. Pour les obsèques, on avait choisi un texte de saint Paul, dans sa lettre aux Romains : « Rien ne peut nous séparer de l’amour du Christ » et un passage de saint Jean : « Si le grain ne meurt. » A travers les épreuves qui l’ont jalonnée, la vie du P. Levrey a été le commentaire vivant de ces deux paroles. Selon la réponse de Gandhi : « Comme une rose, il a répandu son parfum. »
Pour terminer, apportons deux témoignages. Tout d’abord, celui de l’Intendant de l’hôpital civil de Port-Louis : « C’est avec beaucoup d’émotion et de peine que nous avons appris le décès du P. Levrey, ancien aumônier de l’hôpital civil de Port-Louis. Le P. Levrey faisait partie de notre hôpital et sa mort laisse un grand vide. Il était toujours là quand on avait besoin de lui. Il prodiguait ses conseils, non seulement aux malades, mais aussi aux membres du personnel. Il était aimé et respecté de tous, même de ceux appartenant à d’autres religions. Nombreux sont ceux qui se souviendront de son amabilité pour longtemps. » A son tour, Mgr Margéot, évêque de Port-Louis, écrit : « Le P. Levrey a vraiment servi l’Église qui est à Maurice jusqu’aux dernières limites de ses forces. Ne se sachant pas gravement malade, il avait même accepté une mission difficile à Agaléga, en juin dernier. Le P. Levrey, de par sa spiritualité missionnaire et sa fidélité à l’Évangile et à l’Église, a été pour ses confrères de la cathédrale et tous les membres du presbyterium un exemple de vie sacerdotale. Il laissera toujours parmi nous le souvenir d’un prêtre entièrement donné à sa mis¬sion. »
La veille de sa mort, deux confrères lui rendirent visite. Il avait les lèvres et la gorge desséchées. Au prix d’un grand effort, il réussit à murmurer : « J’ai soif. » Il demandait un peu d’eau que lui donna une infirmière. Ne pourrait-on pas rapprocher cette parole de celles de Jésus sur la Croix : « J’ai soif », « Tout est consommé. »
Nous pouvons penser, à juste titre, que le P. Levrey a offert sa mort, en union avec le Christ, pour le salut des peuples parmi lesquels il avait tant travaillé.
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Références
[3608] LEVREY Pierre (1907-1984)
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Mars 1996
Mémorial LEVREY Pierre, Victor, Joseph page
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