Jules DUBERNARD1840 - 1905
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 0848
- À savoir : Mort violente
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Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Chine
- Région missionnaire :
- 1864 - 1905 (Kangding [Tatsienlu])
Biographie
[848]. DUBERNARD, Jules-Etienne, massacré au Thibet, né à Ussel (Corrèze) le 8 août 1840, commença ses études au collège de Brive, et après un court séjour au petit séminaire de Servières, entra au grand séminaire de Tulle. Il n'y resta qu'une année, et se présenta tonsuré au Séminaire des M.-E. le 11 décembre 1860. Ordonné prêtre le 10 janvier 1864, il partit pour le Thibet le 15 mars suivant. Il débuta à Kiangka. Chassé ainsi que tous les autres missionnaires du Thibet par les païens, il dut se retirer à Pamoutang. Un an après, Mgr Chauveau lui confia le poste de Tse-kou, où presque tout était à organiser ; il y demeura quarante ans. Au début, la plupart des chrétiens étaient d'anciens esclaves dont le missionnaire eut bien de la peine à régler la vie, même dans les choses les plus ordinaires, habitués qu'ils étaient à n'avoir aucune initiative. Il fonda les petites chrétientés de Yarmé, Chiamé, Dragnira.
En 1876 ou 1877, ayant vu les Lyssous emmener en esclavage plusieurs centaines d'habitants païens des villages voisins de Tse-kou, il prit avec lui deux domestiques chargés de sel, condiment rare et apprécié des sauvages, suivit la troupe victorieuse, et quand celle-ci fit le partage des esclaves, il en racheta le plus grand nombre possible en les payant avec du sel.
Il construisit à Tse-kou un presbytère, des écoles, et une église qu'il dédia au Sacré-Cœur. Après cette vie bien remplie, Dieu lui accorda la grâce et l'honneur de sceller sa foi de son sang. Il fut massacré le 26 juillet 1905 par des païens qu'avaient soudoyés les lamas ; c'était aux environs de Tse-kou d'après quelques-uns, et selon d'autres, non loin d'A-ten-tse. Son corps, exhumé le 1er février 1906, fut transporté à Tse-kou où il repose aujourd'hui.
On a raconté un fait extraordinaire qui se passa après sa mort. Un botaniste anglais, presbytérien de religion, qui se trouvait au Thibet lors de la persécution, réussit à échapper au massacre : " J'ai été sauvé par le bon M. Dubernard, affirma-t-il. Pendant que j'errais tout seul, dans les montagnes, le Père m'apparut quatre nuits de suite ; sans dire un mot, il m'indiquait de son bras la direction que je devais suivre. Sans ce secours, je serais certainement tombé aux mains des lamas. " La Salle des Martyrs du Séminaire des M.-E. conserve le calice du vénérable martyr.
Nécrologie
M. DUBERNARD
MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE DU THIBET
Né le 8 août 1840
Parti le 15 mars 1864
Mort le 26 juillet 1905
M. Jules-Étienne Dubernard naquit à Ussel (Tulle, Corrèze), le 8 août 1840. Son père et sa mère tenaient, dans cette ville, un hôtel qui avait pour enseigne : Au Lion d’Or.
Ils élevaient leur nombreuse famille à la sueur de leur front. Leur maison jouissait d’une grande renommée d’honnêteté. Plus d’une fois, des consommateurs, moins scrupuleux, en firent l’expérience. Un jour, des officiers de la remonte étaient descendus au Lion d’Or. A leur départ, le brigadier fourrier voulut faire signer à M. Dubernard une note bien supérieure aux dépenses réelles. Le brave homme se récusa. Sur les instances du soldat, il se fâcha et tout fut dit. A cette époque, cependant, M. Dubernard ne pratiquait pas ses devoirs religieux. Plus tard, les prières et l’exemple des vertus de son fils missionnaire le ramenèrent à Dieu, et il fit une mort édifiante.
Vers l’âge de douze ans, Jules fut placé au collège de Brive avec deux de ses frères. Nous ne savons rien de ses études, dont il ne parlait qu’en sa défaveur. Après un court séjour au petit séminaire de Servière, il entra au grand séminaire de Tulle.
Comment germa la vocation sacerdotale dans l’âme du jeune homme ? C’est le secret de Dieu. Pendant son enfance, il avait admiré les vertus d’un de ses oncles qui, après avoir été athée et proviseur de lycée, s’était fait prêtre et lui avait donné les premières leçons de latin. La vocation de Jules, qui était espiègle par caractère, fut, sans doute, le fruit des prières de cet oncle vénéré, qui mourut comme un saint.
Quoi qu’il en soit, l’abbé Dubernard arriva au grand séminaire avec une disposition d’esprit assez inexplicable chez un séminariste. C’était pour ainsi dire malgré lui qu’il venait frapper à la porte de cet établissement, que la sainteté et la science des fils de M. Olier avaient rendu très florissant. « J’entre au séminaire, se disait-il, mais je ne crois pas y rester huit « jours.» Dieu, qui voulait faire de lui un apôtre et un martyr, agit sur son âme fortement et suavement. Pendant la retraite, l’abbé Dubernard se sentit attiré à la piété et se décida à mener une vie toute nouvelle. Une véritable transformation s’opéra en lui ; il n’était plus reconnaissable. Pénétré de reconnaissance envers Dieu qui lui avait ouvert les yeux, il pensa, dès lors, à se dévouer pour la conversion des infidèles.
Au commencement de sa deuxième année de séminaire, M. Dubernard se mit en route pour Paris, sans retourner chez lui. Au séminaire de la rue du Bac, il se lia d’une étroite amitié avec Just de Bretenières, qui devait cueillir si vite la palme du martyre.
Ordonné prêtre, le 10 janvier 1864, il partit pour le Thibet, le 15 mars suivant, en compagnie de M. Félix Biet, qui devait devenir plus tard vicaire apostolique de cette mission, et aussi de deux autres jeunes missionnaires, dont la destination fut changée à Hong-kong, par M. Libois, à cause de la persécution qui régirait alors au Thibet.
A cette époque, en effet, les missionnaires, chassés de leurs postes, voyaient leur troupeau dispersé. Ils ne tardèrent pas à le réunir, mais combien précaire était leur situation ! La France ne voulait plus donner de passeport pour le Thibet. M. Goutelle, supérieur de la mission, qui résidait à Ta-tsien-lou, dirigea MM. Dubernard et Félix Biet sur Kianka et Bonga. A la frontière du Thibet, les lamas essayèrent d’arrêter les prêtres étrangers, mais ceux-ci ne se laissèrent pas intimider et arrivèrent sans accident à Kianka. Là, les deux compagnons se séparèrent. M. Félix Biet continua sa route vers Bonga, et M. Dubernard resta à Kianka, où venait de mourir M. Renou, premier apôtre du Thibet.
M. Dubernard se mit avec ardeur à l’étude de la langue des lamas. Ceux-ci, après avoir vainement essayé d’effrayer les missionnaires, apprirent un beau jour que la légation de France ne leur avait pas donné de passeport. Thibétains et Chinois de s’unir aussitôt pour les expulser. Ils se saisirent de M. Fage et de M. Dubernard et leur intimèrent l’ordre de repasser la frontière, avec leurs chrétiens, dans les trois jours. M. Fage, très versé dans les langues chinoise et thibétaine, essaya de tenir tête à l’orage, mais tout fut inutile. M. Dubernard et lui furent donc obligés de quitter ce pays de Lhassa qui leur était si cher.
M. Dubernard s’installa à Pamoutang, à quelques pas de la frontière thibétaine. Là, il se perfectionna dans l’étude de la langue, en instruisant les quelques néophytes qui l’avaient suivi. Un an après, il fut appelé au poste de Tsekou, dans le haut Yun-nan, pour aider M. A. Biet, qui venait d’y rassembler les débris des stations de Bonga et de Kionatong. C’est là qu’il devait passer quarante ans et terminer sa carrière apostolique par le martyre.
M. Dubernard est, à bon droit, considéré comme le fondateur du poste de Tsekou. Quand il y arriva, tout était à organiser et la tâche était difficile. En effet, les néophytes avaient besoin d’une main ferme pour les diriger, les faire sortir de leur indolence native et les habituer à une vie laborieuse.
Après avoir installé ses chrétiens et leur avoir donné des terres à cultiver, M. Dubernard s’occupa de la conversion des païens. Plusieurs familles demandèrent le baptême et vinrent augmenter son troupeau. Il réussit, en outre, à créer des stations secondaires à Shiame, Yarme et Draneira.
Il fallait une église à Tsekou ; le zélé missionnaire la construisit et la plaça sous le vocable du Sacré-Cœur. Elle devait être, pendant trente ans, le plus bel édifice de la mission. M. Dubernard aimait à y réunir ses néophytes, pour les instruire et leur faire le catéchisme. Les confrères voisins étaient heureux d’y venir eux-mêmes, à certaines fêtes, pour rehausser l’éclat des cérémonies et contempler la piété des fidèles de Tsekou. Ils étaient fervents, en vérité, ces pauvres Thibé¬tains convertis. La communion du dimanche était en honneur parmi eux, et on les voyait assister nombreux au chemin de la croix, qui se faisait le vendredi. Les exercices du mois de Marie et du mois du Sacré-Cœur, que le missionnaire présidait chaque jour, attiraient presque toute la chrétienté.
Toutefois, Tsekou n’était pas seulement la station chrétienne et fervente, c’était encore un foyer de civilisation, dont les bienfaits se répandaient au loin. Que de païens y sont venus chercher aide et protection ! Que de malades y ont recouvré la santé ! M. Dubernard se faisait tout à tous. On vit parfois, autour de Tsekou, jusqu’à quarante et cinquante tentes d’étrangers qui venaient se faire vacciner par le mission¬naire. M. Dubernard parcourait les tentes, et se rendait compte par lui-même du résultat de l’opération. On peut évaluer à dix mille le nombre des personnes préservées de la variole, grâce aux soins intelligents du missionnaire.
En 1875, la guerre éclata aux environs de Tsekou. Les lamas de Hompou ayant tué le roitelet de Yetche, chef des Lyssous, ceux-ci se levèrent en masse et ravagèrent quelques villages thibétains ; ils firent même un grand nombre de prisonniers. M. Dubernard, n’écoutant que son cœur d’apôtre, entreprit de sauver le plus qu’il pourrait de ces malheureux captifs. Suivi de nombreux ballots de sel et de toile, il traversa les montagnes couvertes de neige et se rendit au pays des Lyssous. Il eut la joie de racheter la plupart des prisonniers, qu’il ramena chez eux et auxquels il procura gratuitement des bœufs et des instruments de labour. Depuis lors, toute la région eut les yeux tournés vers les missionnaires de Tsekou, dont la renommée publiait au loin le mérite et les bienfaits. Cependant les lamas ne désarmaient point. Tout ce que faisaient les missionnaires catholiques n’était-il pas une condamnation des exactions et des injustices que se permettaient les lamas ? Le démon et ses suppôts voyaient d’un mauvais œil l’influence croissante du catholicisme et se sentaient mal à l’aise dans le voisinage de Tsekou. Aussi ne laissaient-ils échapper aucune occasion de nuire aux Pères et aux chrétiens. Tantôt à main armée, tantôt en cachette, ils essayèrent de ruiner les œuvres établies par les missionnaires.
En 1887, la persécution, qui avait pris naissance à Batang, gagna les autres postes de la mission. Les missionnaires et les chrétiens de Yerkalo et d’Atentse se replièrent sur Tsekou, pour échapper à la fureur des lamas et de leurs adeptes. M. Dubernard se multiplia pour venir en aide aux exilés. Mais Tsekou, lui-même, ne devait pas être épargné par la tempête.
Le peuple des environs reçut l’ordre de chasser M. Dubernard et ses chrétiens. Le missionnaire, voyant que toute résistance était impossible, franchit le Mékong, sur un pont de corde, avec tout son monde, abandonnant ses établissements à la garde du Sacré-Cœur.
Qui pourra décrire les angoisses et les larmes du pasteur et des brebis, qui perdaient tout pour sauver leur foi ? Quelles furent tristes, les routes de l’exil !
M. Dubernard, oubliant ses souffrances, s’employait de son mieux à consoler et secourir ses pauvres enfants. Il avait tout perdu, lui aussi, mais que lui importait ? La foi de ses ouailles était sauvée. Au bout de sept mois, les autorités chinoises comprirent enfin que leur véritable intérêt était de s’opposer aux folles entreprises des lamas et réinstallèrent M. Dubernard et ses chrétiens à Tsekou. Toutes les maisons avaient été pillées et renversées, mais la chapelle du Sacré-Cœur était encore debout. Le missionnaire reprit alors sa vie de dévouement et d’abnégation, se dépensant tout entier pour ses chrétiens et pour les païens, qui lui avaient fait tant de mal.
Nommé supérieur de la partie du vicariat qui se trouve dans la province de Yun-nan, jamais il ne fit sentir à personne qu’il était plus que les autres. Les confrères recouraient à lui dans leurs difficultés et sa charité compatissante ne leur fit jamais défaut. Il suffisait d’entendre ses paroles pleines de foi et de zèle, pour se sentir réconforté. Il avait su se créer quelques ressources, en collectionnant la faune et la flore du pays. Il rendait ainsi d’éminents services à la science et trouvait moyen de développer ses œuvres, voire même celles de ses confrères, qui sont unanimes à louer sa charité.
Tsekou n’était pas seulement un lieu de repos, où les missionnaires fatigués venaient prendre des forces pour les luttes futures ; il était encore le rendez-vous des explorateurs, français et autres, qui voulaient pénétrer au Thibet par le Yun-nan. Parmi les hommes marquants qui y reçurent l’hospitalité, il faut citer le prince Henri d’Orléans, qui se reposa quelques jours à Tsekou avec ses deux compagnons. Tous furent charmés de l’accueil que leur firent M. Dubernard et M. Soulié. Ils se reposèrent quelques jours au milieu de cette petite colonie, dont les membres partageaient avec eux la même foi et le même amour de la France. Voici ce qu’écrivait le prince Henri, du vétéran de l’apostolat :
« M. Dubernard a recueilli les débris de plusieurs missions, des fidèles persécutés ou « chassés de divers points et les a amenés ici, où il a fondé une véritable colonie agricole : les « chrétiens sont ses fermiers. Lorsque je le vois, administrant ses sujets, aidant les « malheureux, soignant les malades, surveillant les récoltes, faisant des provisions pour les « imprévoyants, instruisant les enfants, il m’apparaît comme un bon seigneur du moyen âge, « ou plutôt (que le lecteur ne s’effarouche pas du mot), comme un vrai socialiste. N’est-il pas « le vrai socialiste, celui qui vit de la vie de ses administrés, qui est riche de leur richesse ou « pauvre de leurs misères, qui s’égaie de leurs joies, souffre de leurs douleurs, se tourmente de « leurs craintes ? »
Grâce à l’influence de M. Dubernard, les hardis explorateurs purent trouver toute une suite de chrétiens et de païens, qui les accompagna, à travers mille dangers, par une route inconnue jusque dans les Indes.
Et quelle touchante description fait le prince, du courage et de la piété des chrétiens, lors de la mort de l’un d’eux, dans les forêts de l’Irrawaddy ! Le soir, ils se réunissent et prient pour leur frère disparu, s’agenouillant, la face tourmentée vers Tsekou, où ils ont laissé tout ce qu’ils ont de cher au monde. Et cependant ils suivent des étran¬gers ; mais ces étrangers sont les compatriotes de leur pasteur, cela leur suffit.
Plus tard, les explorateurs Gullère et Nichols trouveront, auprès de M. Dubernard, le même dévouement, et ce sera grâce à ses soins qu’ils pourront rétablir leur santé compromise par leur courage.
Avant de raconter comment notre bien-aimé supérieur donna sa vie pour son troupeau, il ne sera pas inutile d’indiquer ici les grands ressorts qui animaient ce cœur vaillant et généreux.
Une fidélité inviolable à ses exercices spirituels, une foi vive, un abandon filial à la Providence, une humilité profonde et une grande défiance de soi-même, telles sont les vertus qu’a pratiquées, toute sa vie, notre vénéré confrère.
Au commencement d’avril 1905, MM. Mussot et Soulié remportaient la palme si désirée du martyre. MM. Bourdonnec et Vignal, fuyant devant les persécuteurs, arrivaient bientôt après, à Tsekou, avec un certain nombre de leurs chrétiens, dans le plus complet dénuement. M. Dubernard se multiplia pour leur faire oublier leurs souffrances. Nous espérions tous, d’ailleurs, que l’orage se calmerait. Malheureu¬sement, il n’en devait pas être ainsi. Nos stations du Yun-nan allaient subir le même sort que celles du pays de Batang ; notre supérieur et M. Bourdonnec étaient les victimes choisies par Dieu dans nos rangs.
Les lamas des bonzeries d’Atentse et de Hompou décidèrent d’en finir une bonne fois avec la religion catholique et ses ministres. Ils eurent de la peine à faire marcher le peuple, mais l’investissement de la garnison chinoise d’Atentse fut le signal d’une levée en masse.
Si, à ce moment-là, nos confrères avaient fui, ils auraient pu échapper à la mort. Mais ils furent trompés par le maire du pays qui déjoua leur prévoyance.
Le 19 juillet, les missionnaires, avertis de l’imminence du danger, se réfugièrent, avec un Anglais botaniste et leurs chrétiens, dans les montagnes de Tsekou. Le lendemain, les lamas et les Thibétains, furieux de ne pas les trouver chez eux, se lancèrent à leur poursuite. M. Bour-donnec, plus agile que M. Dubernard, peut suivre les bords du fleuve, avec quelques chrétiens, sans être arrêté. Il est déjà arrivé près de Yetche, quand des indigènes, vendus aux lamas, le conduisent dans une embuscade où il tombe sous les balles des Thibétains. Sa tête, son cœur et son foie sont emportés et remis aux chefs de la révolte. Le botaniste anglais, de son côté, après avoir erré huit jours dans les montagnes, réussit à traverser les lignes et arrive à Yetche sain et sauf.
M. Dubernard, accompagné de plusieurs chrétiens, qui le conduisent par la main, se sauve sur la montagne. A l’approche des soldats, il ordonne à sa petite escorte de le laisser seul ; il s’agenouille au pied d’un arbre et attend la mort ; mais les soldats passent sans l’apercevoir. Le lendemain, des chrétiens lui apportent un peu de nourriture et il couche, le soir, dans un village lyssou. Les gens de l’endroit, craignant de se compromettre, le transportent dans une grotte située sur la lisière de la forêt. Des chrétiens viennent le voir ; il leur distribue l’argent qui lui reste et leur conseille de s’en aller au plus vite.
Ils obéissent, mais se tiennent à proximité de sa cachette.
Après le massacre de M. Bourdonnec et de deux chrétiens, les Thi¬bétains s’étaient réunis à Tsedprong, pour se concerter et essayer de découvrir la retraite de M. Dubernard. Elle leur fut indiquée, dit-on, par un chrétien apostat et, aussitôt, ils se mirent en route pour Lomélo. Arrivés à une centaine de pas du lieu où le missionnaire était caché, la fusillade commença. A la première décharge, un chrétien est atteint légèrement à la main ; le missionnaire dit aux néophytes de s’en aller et il tombe lui-même à genoux. Raymond reste avec toute sa famille ; un de ses enfants est blessé d’une balle au pied. Alors les Thibétains se précipitent sur Raymond et le tuent à coups de sabre ; ils se saisissent de M. Dubernard et l’enchaînent, en proférant des menaces de mort. Ils l’accablent de coups. Les insultes et les blasphèmes contre le Dieu, pour lequel il souffre, ne lui sont pas ménagés. On le force de marcher pieds et tête nus. Pendant que les cailloux et les épines lui meurtrissent les pieds, ses bourreaux ne cessent de lui lancer des pierres à la tête, et chaque pierre fait jaillir le sang. Comme il ne peut plus marcher, on le porte à dos d’homme, car il faut qu’il arrive vivant à Atentse, où il doit être unis à mort devant tout le peuple. Pour cela, il faut traverser le fleuve. Or, le pont de corde a été coupé.
Le missionnaire est alors attaché à un poteau, au milieu d’un champ ; les bourreaux l’entourent. La femme de Raymond lui procure une tasse de thé. Toute la nuit, lamas et Thibétains se moquent de lui : ils lui demandent où est son Dieu, qu’il disait si puissant ; à quoi lui servent ses longues prières. Ils lui proposent même l’apostasie. Le vieil apôtre, indigné, leur présente sa tête blanche, les invite à la trancher et déclare que jamais il ne reniera son Dieu. Il prie, à genoux, au pied de son poteau, tandis que les Thibétains s’endorment en faisant cercle autour de lui.
Le lendemain, ils remontent la rive droite du Mékong et font porter le missionnaire par des Lyssous, car ils tiennent absolument à le con¬duire à la lamaserie d’Atentse. Mais, au bout de deux lieues, les por¬teurs refusent d’aller plus loin. On se trouvait sur le bord d’un torrent qui se jette dans le fleuve. La dernière heure de notre bien-aimé confrère est arrivée. Deux hommes aiguisent leurs sabres, tandis que les autres dépouillent le martyr et lui attachent les mains derrière le dos. M. Dubernard tombe à genoux et fait sa dernière prière, il supplie ses bourreaux de lui laisser au moins sa chemise et son pan¬talon, et il tend le cou au sabre qui doit lui ouvrir les portes du ciel. Les lamas lui proposent encore l’apostasie ; il répond, en demandant sa croix qu’on lui avait enlevée la veille, et sa tête roule au troisième coup de sabre.
Les assassins recueillent le sang du martyr, lui arrachent le cœur et le foie qu’ils portent à Atentse avec sa tête. Les Lyssous creusent une petite fosse sur la rive du fleuve et y déposent les restes de M. Dubernard, qu’ils recouvrent d’une légère couche de terre.
L’année suivante, le 1er février, le délégué chinois, Li, fit transporter les corps des deux martyrs à Tsekou. Les honneurs funèbres leur furent rendus, sur le parcours, par des soldats et des mandarins. Le 15 février, le cortège arriva en face de Tsekou. Là, le délégué reçut les corps, en grande cérémonie. M. Genestier célébra le saint sacrifice de la messe, devant la foule émue ; puis, les cercueils furent placés dans des tombes creusées à côté de la chapelle du Sacré-Cœur, qui n’était plus qu’un amas de cendres.
Quand les chrétiens déterrèrent le corps de M. Dubernard, inhumé l’année précédente, il fut trouvé sans corruption. Les chairs, un peu desséchées, avaient la couleur de l’ivoire et ne dégageaient aucune mauvaise odeur.
Me serait-il permis d’ajouter un autre fait, qu’il m’appartient de constater et non de juger. On se rappelle la présence à Tsekou d’un botaniste anglais qui réussit à échapper au massacre. Ce gentleman arriva en même temps que moi à Siao-ouy-sy, le 7 août. Il me demanda si je croyais à l’apparition des âmes après la mort. Je lui répondis qu’avec la permission de Dieu la chose était possible : « Alors, dit-il, je suis rassuré et je puis vous dire que j’ai été sauvé par le « bon M. Dubernard. Pendant que j’errais tout seul dans les mon-tagnes, le Père m’apparut « quatre nuits de suite ; sans dire un mot, il m’indiquait de son bras la direction que je devais « suivre. Sans ce secours, je serais certainement tombé aux mains des lamas. » Cet Anglais, « âgé de vingt-huit ans, est un presbytérien d’Écosse, qui ne mettait pas les pieds à l’église, « mais dont la conduite était irréprochable par ailleurs.
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Références
[0848] DUBERNARD Jules (1840-1906)
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1879, p. 27 ; 1881, p. 36 ; 1882, p. 34 ; 1884, p. 58 ; 1885, p. 53 ; 1887, p. 87 ; 1888, p. 82 ; 1889, pp. 81, 83 ; 1891, p. 99 ; 1892, p. 106 ; 1894, p. 134 ; 1895, p. 141 ; 1896, p. 122 ; 1898, p. 106 ; 1899, p. 128 ; 1900, p. 100 ; 1901, p. 104 ; 1902, p. 119 ; 1905, p. 77 ; 1906, p. 96.
A. P. F., xliv, 1872, p. 453 ; lxxviii, 1906, p. 44. - M. C., v, 1873, Voyage de Tse-kou à Ta-so (Thibet) ; visite aux Lyssous, pp. 498, 512 ; vii, 1875, p. 354 ; ix, 1877, Station de Tse-kou, pp. 106, 334 ; xxxvii, 1905, Sa mort, p. 518. - A. M.-E., 1906, pp. 6 et suiv. - Sem. rel. Tulle, 1887, p. 568 ; 1907, Notice, pp. 301 et suiv. - Bull. Soc. Géog. [Paris], 6e sér., x, 1875, Les sauvages Lyssous du Lou-tze-kiang, p. 65.
Nos miss. pat. et sav., p. 52. - Hist. miss. Thibet, Tab. alph. - Les miss. cath. franç., iii, p. 343. - Du Tonk. aux Indes, p. 202.
Notice nécrologique. - C.-R., 1906, p. 295.
Portrait. - A. P. F., lxxviii, 1906, p. 82. - A. M.-E., 1906, p. 2. - Du Tonk. aux Indes, p. 202.