Jean-Baptiste GUERLACH1858 - 1912
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 1524
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- Archives : Dossier personnel du P. Jean-Baptiste Guerlach
Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Vietnam
- Région missionnaire :
- 1882 - 1912 (Qui Nhon)
- 1882 - 1912 (Kontum)
Biographie
[1524]. GUERLACH, Jean-Baptiste-Marie, originaire de la paroisse Saint-Martin, à Metz (Moselle), naquit le 14 juillet 1858. Il fit ses premières études à la maîtrise de sa ville natale, et après la guerre de 1870, qui amena la conquête d'une grande partie de la Lorraine par l'Allemagne, il se rendit à l'institution Saint-Pierre-Fourier à Lunéville. Il ne prit pas, comme on l'a écrit, ses inscriptions à la faculté de médecine de Paris ; mais, désireux de se consacrer à l'apostolat, il entra au séminaire de Saint-Sulpice où il resta deux ans, et y reçut la tonsure et les ordres mineurs. Il arriva au Séminaire des M.-E. le 6 septembre 1879. Prêtre le 4 mars 1882, il partit le 12 avril suivant pour la Cochinchine orientale.
Pendant un séjour de cinq mois à Xoai où il étudia la langue annamite, il eut l'heureuse idée de prendre copie du dictionnaire bahnar de Dourisboure, qui sans cela eût été complètement perdu en 1885.
A la fin de 1882, il fut envoyé dans la mission des sauvages et placé à Po’lei Jo’dreh.
Bientôt son rôle devint prépondérant ; quoiqu'il ne fût pas le supérieur, il eut sur les chrétiens et sur les païens une grande influence, et c'est à lui qu'est dû, en majeure partie, le développement de cette mission qui végétait depuis plus de trente ans.
En 1885, lors de la persécution qui sévit à l'occasion de la conquête du Tonkin par la France, il organisa la défense des chrétientés sauvages. Il conduisit une expédition jusqu'à la frontière du pays annamite, et mit en fuite un mandarin en train d'enrôler les tribus Ja-rai contre la mission.
En 1887, ayant été pillé par ces mêmes tribus avec un explorateur français, le lieutenant Metz, il conçut le projet de mettre fin à ces pillages, ainsi qu'aux guerres continuelles que se faisaient entre eux les villages. Il réussit complètement par une double expédition contre les Ja-rai. En 1888, sur des recommandations officielles, il prêta son concours au baron de Mayréna ; mais quand il apprit que ce dernier était désavoué par la France, il cessa de le soutenir. Accusé de trahison pour ces faits, il se disculpa devant Rheinart, gouverneur général de l'Indo-Chine, et le fonctionnaire qui l'avait calomnié fut déplacé d'office.
Il fut, en 1890, nommé supérieur intérimaire de la mission des sauvages. L'année suivante, il aida de tout son pouvoir les officiers de la mission Pavie, auxquels il servit de guide et d'interprète, et donna une longue hospitalité. Peu après, il rendit le même service aux officiers des colonnes envoyées pour arrêter les incursions des Siamois. En même temps, il travailla activement à la conversion des païens, et obtint plus de succès que ses prédécesseurs : de 1888 à 1894, il instruisit et baptisa plus de 1 200 néophytes.
A la fin de son supériorat intérimaire, il reprit son poste de Po'lei Maria. Lors d'une épidémie de variole qui en 1895 ravagea le pays, il vaccina plus de 7 000 personnes. Venu en France en 1896, pour refaire ses forces épuisées, il donna de nombreuses conférences, s'efforçant d'intéresser ses auditeurs aux missions. Après son retour, il dirigea le district de Ro-hai composé de 1 500 chrétiens, et commença la construction d'une église. Il fut ensuite placé dans le district du Pokei, avec résidence à Kon-xo'nglok.
En 1903, trop fatigué pour rester dans ce pays malsain, il fut chargé de la paroisse de Tourane et de l'aumônerie à l'hôpital militaire de cette ville ; il s'y fit une place à part dans l'estime des Européens. Les religieuses de Saint-Paul de Chartres ayant été exclues de l'hôpital, il les installa dans des bâtiments de la mission et les aida à établir une école et un ouvroir ; il posa également les fondations d'une grande et solide église. Il répondit victorieusement, en 1906, par une brochure L'Œuvre néfaste, à une série d'attaques publiées dans les journaux et dans un volume intitulé : Missionnaires d'Asie, leur œuvre néfaste, par Camille Paris.
En 1908, il retourna dans la région sauvage et reprit son ancien poste de Ro-hai. L'année suivante, 1909, après la mort de Vialleton, il fut nommé provicaire et supérieur de la mission des sauvages ; il s'installa à Kon-tum. Il usa de son influence pour faire accepter l'administration française, dont les indigènes étaient loin de comprendre et de goûter tous les procédés. Il mourut à Kon-tum le 29 janvier 1912, après une carrière apostolique de 30 années remplies de travaux, de succès, et de services patriotiques. A sa mort, la mission des sauvages, dont le développement était dû, en partie, à son initiative, comptait 120 stations chrétiennes, 11 645 catholiques pratiquants, et 5 000 catéchumènes. Les lettres qu'il a publiées sont nombreuses et fort intéressantes. La partie de sa correspondance demeurée inédite est beaucoup plus considérable, et n'offre pas moins d'intérêt.
Nécrologie
M. GUERLACH
PROVICAIRE DE LA COCHINCHINE ORIENTALE
Né le 14 juillet 1858
Parti le 12 avril 1882
Mort le 29 janvier 1912
Jean-Baptiste Guerlach était né à Metz, le 14 juillet 1858. Son père était un de ces chrétiens dont la vie est une ligne droite, ne connaissant ni les inconséquences ni les contradictions. En cela, son fils lui ressembla de tous points. De sa mère, il reçut cet amour de Dieu suave et mystique qui s’alliait si bien à sa foi ardente et chevale¬resque.
A l’âge de huit ans, il entrait à la Maîtrise de Metz., où il fit sa première communion le 24 juin 1870, à la veille de la terrible guerre.
Pour défendre la France contre l’envahisseur, il obtint, à force d’instances, d’être envoyé comme aide au service des ambulances. Pendant le siège, il s’en allait donc au soir des batailles, sous la pluie, pataugeant dans la boue sanglante, à la recherche des blessés, tandis qu’au loin tonnait encore le canon sinistre.
Fidèle à la patrie mutilée, il émigra plutôt que de se soumettre au joug du Prussien. Ce fut à l’Institution Saint-Pierre Fourier, à Lunéville, qu’il acheva ses fortes études que couronnèrent brillamment les épreuves du baccalauréat.
Ame ardente, doué d’une intelligence supérieure, d’une vive et riche imagination et surtout d’un cœur débordant d’affection, il hésita quelque temps entre deux carrières de dévouement : l’armée ou la médecine.
Il sembla même se décider pour cette dernière, et il prit une inscription à la Faculté de Paris, dont il suivit régulièrement les cours pendant une année. Il y acquit l’art si délicat de soigner et de consoler les malades, qu’il posséda dans la suite à un rare degré.
Mais Dieu, qui se préparait en lui un excellent champion de sa cause, lui montra l’inanité des choses terrestres, et bientôt son cœur se ferma aux séductions humaines.
Après deux années passées au Séminaire de Saint-Sulpice, il entra aux Missions-Étrangères. Convaincu que la lutte contre soi-même et le sacrifice des goûts personnels sont la loi universelle des grandes choses, persuadé que les héros de l’apostolat ne se font pas autrement que les héros des champs de bataille, il s’appliqua avec ténacité à réprimer sa nature exubérante, en se pliant aux moindres exigences du règlement. Il travailla aussi à développer de plus en plus ses qualités natives de l’intelligence et du cœur et à surnaturaliser sa vie par de ferventes méditations et l’étude assidue des auteurs sacrés. Saintes et laborieuses années de Séminaire, qui imprimèrent dans son âme une trace ineffaçable de piété profonde et de studieuse discipline
Après le diaconat, il fut donné comme infirmier à Mgr Galibert, vicaire apostolique de la Cochinchine Orientale, retenu au Séminaire par la maladie. Le bon et vaillant évêque apprécia le dévouement de son diacre, qu’il obtint pour sa Mission des Bahnars. M. Guerlach, ordonné prêtre le 4 mars 1882, fut au comble de ses désirs en apprenant sa destination pour la Cochinchine Orientale. « Vivent les Bahnars ! Deo Gratias ! s’écria-t-il. Seigneur, j’accepte par avance l’apostolat tel que votre Providence me le réserve, avec ses travaux, et peut-être ses déboires !
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Parti de France le 16 avril de la même année, il arrivait à Qui Nhon le 4 juin suivant. Après un séjour de cinq mois en Annam, consacrés à l’étude de l’annamite sous la direction de M. Geffroy à Xoai, M. Guerlach quittait An Khê, le 30 décembre 1882, et, six jours après, atteignait Kon Tum où il trouvait MM. Vialleton et Roger, qui, avec le catéchiste Nguyên et 1.200 chrétiens, composaient toute la Mission Bahnar. On le désigna pour remplacer à Poleï Jodreh M. Chabas qui venait de mourir.
A peine arrivé, il se mit avec ardeur à l’étude de la langue. Trois mois plus tard, il prêchait, confessait et se donnait de tout cœur au saint ministère.
Pendant la terrible année 1885, il s’employa de son mieux à recueillir et à soigner les chrétiens d’Annam qui purent s’enfuir jusque chez lui, et surtout à empêcher les petits mandarins militaires d’enrôler les tribus Jorais contre la Mission. Il fit tant et si bien que la Mission des Sauvages sortit indemne de cette redoutable crise.
Toutefois, cela n’empêcha pas les trois missionnaires d’alors de subir un blocus de dix-huit longs mois. Partout on les crut morts : on pria pour le repos de leur âme. Dieu leur sauva la vie ; mais, sans communications avec le monde civilisé, ils manquèrent de tout, même de quinine. Ils durent s’imposer la plus grande des privations, celle du saint Sacrifice ; car bientôt ils ne célébrèrent plus que le dimanche.
Sous le poids de ses travaux, des privations et des soucis, M. Guerlach tomba dangereusement malade.
Quand le blocus eut pris fin, il s’en alla, sur l’ordre de son Evêque, refaire sa santé à Hong-Kong, où il ne resta que quelques mois.
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Revenu à Qui Nhon, il fit partir en avant le convoi de ravitaillement de la Mission. Les Jorais, « pour le ramener à la stricte pauvreté apostolique », le pillèrent complètement.
Comme ces actes de pillage se renouvelaient par trop souvent, il demanda à l’autorité française d’intervenir pour les réprimer ; trop occupée par ailleurs, elle se récusa.
Réduit à ses seules ressources, M. Guerlach conçut le projet bienfaisant, aussi hardi que difficile, de mettre fin à ces guerres incessantes de village à village, de tribu à tribu. Il eut la gloire d’y réussir complètement : sa double expédition contre les pillards Jorais pacifia tout le pays sauvage. « Chacun avait pu voir le Père marcher à cheval en tête de la troupe, sans souci des flèches qui tombaient autour de lui, semblant le respecter. Aussi le bruit s’était répandu qu’un « Iang » (esprit) avait élu domicile dans son corps, et le rendait invulnérable. Et fait bien plus extraordinaire encore, aux yeux des Sauvages, il n’utilisait pas à son profit personnel la puissance dont il disposait : mais il était connu de tous par sa charité. » (Mission Pavie.)
C’est de cette époque (1888), que date l’aventure du baron de Mayréna, le fameux Conquistador, qui tenta de se faire reconnaître sous le nom de Marie Ier comme roi des Sédangs.
Trompé par des recommandations officielles, sûr d’ailleurs de l’approbation de ses supérieurs, M. Guerlach n’écouta que son patriotisme et prêta d’abord son concours aux expéditions de cet « explorateur », envoyé pour repousser, au profit de la France, l’invasion du Siam en pays moï et laotien. Mais quand le rusé flibustier déclara n’avoir agi et n’agir plus que pour son propre compte et menaça de se donner à l’Angleterre, voire même à l’Allemagne, M. Guerlach cessa immédiatement de le soutenir. Accusé, malgré tout, d’avoir par là trahi sa patrie, il se rendit à Hanoï, et prouva, documents en main, au Gouverneur général, que, missionnaire français, son rôle s’était borné à aider de tout son pouvoir un explorateur français, envoyé chez les Sauvages par un haut fonctionnaire français.
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En août 1890, M. Vialleton étant obligé d’aller en France refaire sa santé délabrée, M. Guerlach fut nommé supérieur intérimaire de la Mission Bahnar. En cette circonstance, il donna la mesure de son activité.
Dès l’année suivante, une brigade d’officiers, faisant partie de la Mission Pavie et chargée de relever la topographie de la région moï proprement dite, choisit Kon Tum comme centre d’opération et de ralliement. M. Guerlach reçut à cœur ouvert tous ces vaillants compatriotes, mit à leur disposition toute son influence et toutes ses ressources, leur servit lui-même de guide et d’interprète, les soigna dans leurs maladies, et leur offrit de longs mois cette hospitalité exquise, dont tous ont gardé si bon souvenir.
La Mission des Bahnars végétait depuis longtemps dans un désolant statu quo. Son nouveau supérieur profita des circonstances pour la lancer en avant. Jeune missionnaire, il avait déjà contribué à l’abolition de plus d’un usage, de maint préjugé asservissant et pernicieux pour l’avenir de la Mission. Quand il fut au premier rang, son influence et son impulsion étant plus directes, furent plus efficaces.
Bientôt les villages se convertirent nombreux. En quelques années, il instruisit et baptisa plus de 1.200 néophytes. Dieu seul sait ce que coûte de patience la préparation d’un Sauvage au baptême.
Peu de missionnaires ont poussé plus loin le zèle des âmes, la vigueur dans la lutte et la fougue dans l’action. Aussi son influence fut décisive ; il a mérité d’être appelé le second fondateur de la Mission Sauvage.
Après deux années passées en France, M. Vialleton revint à son poste. Heureux de se décharger du commandement, M. Guerlach lui remit le supériorat, et reprit son rang de simple soldat dans son district de N-D. de Lourdes de Poleï Maria.
L’année suivante (février 1893), une affreuse épidémie de variole, apportée d’Annam à Kon Tum, fit en un mois, dans ce seul village, 180 victimes ; bientôt elle se répandit dans les villages voisins et envahit rapidement tout le pays. M. Guerlach et ses confrères réussirent, au bout de deux mois d’efforts et d’inquiétudes, à obtenir enfin six demi-tubes de vaccin. Aussitôt chacun s’empressa de faire des tournées de vaccination dans tous les villages environnants. On parvint à se rendre maître du fléau ; mais il avait déjà dévoré plus de mille victimes. Pour sa part, M. Guerlach inocula le vaccin sauveur à plus de sept mille personnes.
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Cependant les travaux, les soucis, la fièvre, les privations ont miné fortement la robuste constitution de notre Confrère. Sur l’ordre de ses supérieurs, il doit prendre le chemin de France.
Venu au pays natal pour se guérir, il s’oublie totalement lui-même ; il parcourt la France, prêche et donne de nombreuses conférences ; il s’efforce d’intéresser à son œuvre toutes les âmes dévouées aux Missions.
A peine remis, il songe à ses néophytes, et il a la nostalgie de ses montagnes. Il vient d’apprendre qu’un grand mouvement de conversions s’est déclaré dans la région de Bun Uin, à sept journées au sud-est de Kon Tum. Bravement il s’offre pour ce poste laborieux. « Il y aura bien des misères pour installer ce nouveau poste ! dit-il. Tant mieux ! Je connais la souffrance, et maintenant, grâce à Dieu, je l’aime... »
De fait, cette nouvelle mission lui fut confiée. Mais à cause de difficultés inextricables, cette fondation, qui promettait tant, n’eut pas de succès ; M. Guerlach dut retourner chez ses Bahnars. Il en fut à peu près de même d’une autre fondation qu’il entreprit quelque temps après à Poleï Kluh, en plein pays Jorai.
Chargé de nouveau du district de Rohai, il se donna tout entier au ministère des âmes, dont il éprouva les difficultés mais aussi les consolations. Rohai n’avait alors qu’une petite chapelle annamite, bien trop exiguë pour ses 1.500 chrétiens. Le Père entreprit la construction d’un plus vaste bâtiment. Il en prépara les matériaux, y mit tout son cœur et toutes ses ressources ; mais il dut laisser à son successeur la consolation de l’élever.
Ce fut alors que M. Robert, garde principal, commandant du poste qui a gardé son nom, fut littéralement haché de blessures et laissé pour mort par les Sédangs. Quand on le transporta à Kon Tum, M. Guerlach lui fit les premiers pansements et se constitua son garde-malade ; jour et nuit il le soigna avec une charité inlassable, pendant le mois de souffrances atroces qui précédèrent sa mort, vraiment chrétienne, dans les bras de son cher infirmier.
Peu après, M. Guerlach quitta le district de Rohai et la belle vallée du Bla pour le district très montagneux de Kon Xonglok, vrai poste d’avant-garde en pays perdu. Là, peut-être plus qu’ailleurs, le bon Dieu lui ménagea de sensibles consolations. Mais sur ces entrefaites, la nouvelle de la mort de son père causa une vraie maladie à son cœur si aimant et si sensible. Maints autres ennuis et préoccupations achevèrent de ruiner sa santé, et lui firent même perdre peu à peu la tranquillité d’esprit. Une forte réaction s’imposait. Ses supérieurs le comprirent et le rappelèrent en Annam, où il fut nommé curé de Tourane et aumônier de l’hôpital militaire de cette ville.
Outre la réaction morale créée par un monde et un ministère tout nouveaux, il devait trouver dans ce poste les soins spéciaux que pour¬rait exiger son état de santé.
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De la brousse à la ville, qui comptait de 300 à 400 Européens, la transition était sensible. L’instruction quelque peu universelle de M. Guerlach, sa vieille habitude des usages de la bonne société, sa distinction et son élévation naturelle d’esprit et de cœur, le mirent tout de suite à la hauteur de la situation et le firent apprécier de tous. On peut affirmer que, par son bon ton, son dévouement, sa franche et cordiale loyauté, le Curé « sauvage » conquit vite toute l’estime et la confiance de ses paroissiens et de ceux qui entrèrent, même en passant, en rela¬tions avec lui.
Plusieurs, tant fonctionnaires que civils de toute condition, lui vouèrent une très sincère et durable affection. Il n’est pas jusqu’au Vénérable de la Loge locale qui ne se proclamât en toute circonstance, avec une franchise toute à son bonheur, « l’ami du P. Guerlach », amitié que ni la séparation, ni la mort n’ont interrompue, et qui, on peut l’espérer, aura son couronnement en paradis.
Dieu lui avait réservé, ici encore, une œuvre de combat : la défense devant l’opinion publique de la cause et de l’honneur des Missions d’Extrême-Orient odieusement calomniées, d’abord dans des articles de journaux, ensuite dans un ignoble volume intitulé : Missionnaires d’Asie, leur œuvre néfaste.
Pour défendre la justice et la vérité, M. Guerlach prend sa plume, la manie comme une épée, et dans une brochure toute vibrante de foi, de patriotisme, de loyauté franche, et parfois d’indignation : L’œuvre néfaste, il terrasse et réduit au silence le vil imposteur, auteur du pamphlet, aux applaudissements de tous les hommes simplement honnêtes. La lutte finie, il tend la main à l’ennemi vaincu : « J’ai répondu loyalement à vos attaques déloyales, parce que le bien général est en jeu. Mais si, demain, je puis, comme par le passé, vous rendre service, je le ferai bien volontiers. Le cœur du prêtre ne connaît qu’une haine, celle du mal. »
Malgré tout, son ministère lui donnait à Tourane peu de consolations, et il gardait au cœur, en terre civilisée, la nostalgie du pays Sauvage. Comme un soldat guéri de ses blessures et condamné au repos, il se sentait impatient de reprendre son vrai poste de combat : « Le jour où Monseigneur me dira : partez ! quel Te Deum ! écrivait-il à ses Confrères de la Mission Bahnar.
Le 7 janvier 1908, il accompagnait à Kon Tum Mgr Grangeon pour l’inauguration solennelle de l’Ecole Cuenot. A cette occasion, chacun put voir que si M. Guerlach aimait ses Sauvages, ceux-ci le lui rendaient sincèrement. En le revoyant, ils n’eurent qu’une voix : « Il faut que vous nous restiez ! » Et suppliants, ils allèrent se jeter aux pieds de leur Evêque pour obtenir de garder leur cher Père Guerlach. L’Evêque finit par donner son consentement.
Deux mois après, le Missionnaire se retrouvait définitivement réinstallé à son ancien poste de Rohai. Ce devait être sa dernière étape.
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Le 11 novembre 1909, la mort de M. Vialleton laissait vacante la lourde charge de supérieur. Mgr Grangeon ayant consulté les Missionnaires des Sauvages pour lui désigner un successeur, le choix de tous se porta sur M. Guerlach. Quelques semaines après, il recevait sa nomination et les pouvoirs de provicaire.
Les temps étaient particulièrement difficiles. Une Délégation du Gouvernement venait d’être créée à Kon Tum. Les Sauvages, jusque-là enfants libres de la forêt, ne pouvaient comprendre l’obligation de se plier aux exigences du nouveau régime. Les prestations, la corvée sans la moindre rémunération, leur parurent une flagrante injustice. Le méconten-tement était général. Les Missionnaires, et surtout M. Guerlach, usèrent de toute leur force de persuasion pour calmer les esprits et faire comprendre à tous la nécessité de se soumettre aux pouvoirs civils. Les villages chrétiens, quoique réquisitionnés les premiers, n’opposèrent aucune résistance.
De plus, les Missionnaires mirent toute leur influence morale à faciliter l’expansion pacifique de l’influence française.
Leurs bons offices ne trouvèrent pas la reconnaissance qu’ils étaient en droit d’attendre. On alla jusqu’à leur imputer le malaise qui régna un moment parmi la population. M. Guerlach lui-même fut officiellement accusé d’être « un fauteur de troubles ».
Pour essayer de justifier pareilles calomnies, on poussa les indigènes à l’apostasie, espérant établir par des défections une preuve du contentement qu’ils avaient d’être délivrés de leur « oppresseur ».
Plusieurs fortes têtes se laissèrent, en effet, entraîner, la plupart simples catéchumènes ; quelques centaines de non-valeurs suivirent le mouvement par pusillanimité... En somme ce ne fut guère qu’une épuration, qui fut très loin d’atteindre les proportions que les conjonc-tures permettaient aux uns de craindre et aux autres... d’espérer... N’importe, M. Guerlach en fut blessé au cœur. Son supériorat fut un long martyre.
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Ces tortures morales furent encore aggravées par de multiples et très vives souffrances physiques. Sur la fin de 1910, des complications inquiétantes survinrent, dans son état de santé ; les douleurs qu’il éprouvait, étaient souvent intolérables.
En janvier 1911, sur les instances de ses Confrères, M. Guerlach se décida enfin à se rendre une fois de plus à Saïgon. L’excellent docteur Angier reconnut une appendicite et conclut à la nécessité d’une opération. Quoique, en réalité, du même avis, le malade préféra se rendre à Hong-Kong. Le diagnostic fut le même qu’à Saïgon, et le malade consentit à se laisser opérer. A l’encontre de ses désirs intimes, aucune complication ne se produisit. Le lendemain de l’opération, Mgr Grangeon pouvait écrire aux Missionnaires de Kon Tum : « L’opération, pratiquée hier matin sous mes yeux, a duré plus d’une heure. Le docteur estime qu’il y a eu déjà un, peut-être deux abcès qui ont crevé naturellement, et que, par suite, notre malade a dû souffrir énormément... Sa pensée et son cœur sont sans cesse avec vous tous. »
La cicatrisation se fit très normalement, et, de ce côté, tout danger disparut. Mais les sueurs profuses, les douleurs très vives de l’estomac, le mauvais fonctionnement de tout l’organisme n’en persistèrent pas moins. Ce n’était pas le retour escompté à la santé.
Les Docteurs, son Evêque, ses Confrères, le pressèrent d’aller se rétablir en France, où l’attendaient sa bonne vieille mère et de nombreux et dévoués amis. Tout fut inutile : « Je ne crois pas, écrivait-il, à l’efficacité d’un voyage en France. Aussi, malgré tout, je veux remonter à Rohai le plus tôt possible. Je n’y ferai pas grande besogne, mais j’y souffrirai beaucoup, et, quand il plaira au bon Dieu, j’y mourrai. »
Le vaillant soldat du Christ voulait mourir sur la brèche et donner jusqu’à la fin l’exemple de la force et de la persévérance dans le sacrifice. « Je ne reviens pas pour travailler, mais pour mourir », dit-il à ses Confrères, dès son arrivée au milieu d’eux. Et quand ceux-ci tentaient encore de le déterminer à venir chercher sa guérison en France : « Pourquoi vouloir me chasser ? répondait-il en souriant. En voyant que je suis venu mourir parmi eux, nos Sauvages comprendront com¬bien je les aimais. »
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Au mois de novembre, la faiblesse devint extrême. Il s’efforça, néanmoins, de remplir ses fonctions de supérieur. Il parlait avec une tranquillité surprenante de sa mort prochaine. Il régla toutes les formalités à garder après son décès ; il écrivit à tous ses amis ses derniers adieux, et fit fabriquer sous ses yeux son cercueil et la croix de sa tombe.
Dès qu’il crut à l’imminence du danger, il demanda les derniers sacrements qu’il reçut devant les dignitaires de ses paroisses annamites, les chefs de ses villages sauvages et les élèves de l’Ecole, convoqués tout exprès à cette cérémonie.
Tout semblait fini, lorsqu’un mieux inespéré se produisit, « véritable résurrection », avouait-il lui-même. Quelques-uns comptaient déjà voir se prolonger durant plusieurs années une vie si précieuse, pour la conservation de laquelle tant de prières avaient été de toutes parts adressées à Dieu.
L’espoir ne fut pas de longue durée. M. Guerlach le pressentait, du reste, et il disait : « C’est bien le retour à la vie, mais non à la santé. » — « Priez pour moi, écrivait-il encore, à la date du 23 janvier 1912 ; priez pour moi, qui suis de jour en jour plus faible et marche à grands pas vers mon éternité. Cette fois-ci, j’espère bien ne point manquer le train. »
Six jours plus tard, le 29 janvier, après une courte et paisible agonie, ayant reçu de nouveau avec une grande foi les derniers sacrements, en présence de cinq de ses Confrères, à 5 heures du soir, le cher Père Provicaire s’endormait dans le Seigneur, en pressant sur son cœur le crucifix, souvenir de sa mère. Après avoir vécu en saint, M. Guerlach mourait de la mort des saints.
Selon toute apparence, il succombait à des lésions cancéreuses dans la région de l’estomac.
La triste nouvelle produisit une vive émotion dans tout le pays Sauvage. Au premier signal, les fidèles des chrétientés centrales se transportèrent en foule à la grande église de Rohai, œuvre du défunt, où le corps venait d’être exposé en habits sacerdotaux. Ils n’interrompirent point la récitation des prières des morts jusqu’au moment des obsèques.
La plupart des autres chrétientés, même lointaines, envoyèrent une nombreuse députation. Tous les Missionnaires accoururent, sauf deux qu’il fut impossible d’avertir à temps. Devant une assistance considérable, les funérailles revêtirent le caractère d’une solennelle manifes-tation religieuse. Un char magnifiquement décoré, transformé en corbillard et traîné par 20 hommes choisis, 10 Annamites et 10 Sauvages, transporta lentement le cercueil au modeste cimetière de la Mission, non loin de l’Ecole du Bienheureux Cuenot que M. Guerlach avait tant aimée.
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Références
[1524] GUERLACH Jean-Baptiste (1858-1912)
Bibliographie. - L'Œuvre néfaste. " Les Missionnaires en Indo-Chine. Assassinat de Robert et d'Odend'hal. Mayréna, roi des Sédang. Dédié au F. Camille Paris, colon, en Annam. - Imprimerie commerciale, Saïgon, 1906, in-8, pp. 151 + err. et tab.
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1889, p. 155 ; 1890, p. 115 ; 1891, pp. 159 et suiv., 291 ; 1895, p. 206 ; 1896, p. 204 ; 1898, p. 160 ; 1905, p. 152 ; 1908, p. 186 ; 1910, p. 180 ; 1911, p. 161. - A. P. F., lxvi, 1894, La mission des Bahnars, p. 243 ; lxviii, 1896, Chez les Bahnars, p. 243 ; lxxv, 1903, p. 68 ; lxxxiv, 1912, Sa mort, p. 286.
M. C., xvi, 1884, Chez les sauvages Bahnars, pp. 22, 40, 55, 69, 81, 100, 119, 393, 404, 416, 428, 435, 453, 464 ; xix, 1887, Mœurs et superstitions des sauvages Bahnars, pp. 441, 453, 466, 477, 489, 501, 513, 525 ; Ib., Captivité chez les Bahnars, pp. 538, 549, 562, 573, 586 ; xxiv, 1892, La mission des sauvages, p. 61 ; xxv, 1893, Visite aux princes annamites persécutés, pp. 241 et suiv. ; Ib., La variole chez les sauvages, p. 617 ; xxvi, 1894, Chez les sauvages de la Cochinchine orientale, Bahnars, Reungaos, Sedangs, pp. 9, 21, 32, 46, 70, 81, 94, 107, 115, 132, 140, 157, 169, 182, 189, 193, 206, 219, 241 ; xxvii, 1895, p. 397 ; xxxiv, 1902, p. 520 ; xxxvi, 1904, p. 169 ; xlii, 1910, pp. 266, 460 ; xliii, 1911, La mission des sauvages, p. 49 ; Ib., L'école des catéchistes bahnars, p. 447 ; xliv, 1912, Sa mort, p. 179.
B. O. P., 1896, p. 562 ; 1897, pp. 655, 705, 795. - A. M.-E., 1898, Chez les sauvages Trong-kreng, p. 163 ; 1900, Démarche à Reu-haï, pp. 88, 119 ; 1901, Mariages et cérémonies des noces chez les Bahnars, p. 225 ; 1902, Tentative de révolte chez les sauvages, p. 107 ; Ib., pp. 201, 289 ; 1903, Funérailles chez les Bahnars, p. 193 ; 1904, Les sauvages de Kon-seunglok, pp. 225, 276 ; 1910, p. 275 ; 1911, pp. 115, 197. - Miss. Quinhon. Mém., 1904, pp. 23, 30 ; 1905, pp. 53, 78, 101 ; 1906, pp. 46, 49, 69 ; 1907, pp. [30], 45, 46, 47 ; 1908, pp. 3, 17, 33 ; 1909, pp. 2, 162 et suiv., 169 ; 1910, pp. 16, 49 ; 1911, pp. 19, 25 et suiv., 35, 63, 78, 104, 128 ; 1912, pp. 4, 41, 54.
Courr. d'Haïphong, 1889, n° 232. - Annuair. petit sém. Saint-Pierre, 1896-97, p. 83. - Le Lorrain, 1885, n° du 5 avril ; 1887, n° du 28 avril ; 1888, Constitution de S. M. Marie Ier, n° du 4 sept. ; 1894, n° du 6 mars ; 1897, n° du 25 nov. ; 1912, Notice, n° du 27 avril. - La Croix de Lorraine, 1912, Notice, n° du 7 avril. - Rev. Indoch., i, pp. 575, 835.
L'Œuvre des Missions en Indo-Chine, par J.-M. [J.-B. Saumont]. - Editions du Courrier d'Haïphong, 1906, in-4, pp. 30.
Réponse à L'Œuvre Néfaste du R. P. Guerlach, par C. Paris. - Editions du Courrier d'Haïphong, 1906, in-8, pp. 13.
Au Pays Moï, pp. 143 et suiv. - Le Tonk. actuel, p. 70. - L'aff. de Siam, p. 109. - Miss. Pavie, iii, pp. 321, 328, 361, 423, 865.
Notice nécrologique. - C.-R., 1912, p. 402.
Portrait. - M. C., xliv, 1912, p. 179. - A. M.-E., 1912, p. 281.
réf. biographiques : 1985« Jean-Baptiste-Marie GUERLACH (1858-1912) », p. 164-165, in R. Cornevin (éd.) : Hommes et destins (Asie). Tome VI, Paris, Académie des Sciences d’Outre-Mer, Institut d’Asie du Sud-Est, 474 p. réf. biblio : 1893-94 « La variole chez les Södang, Röngao et Bahnar », Missions catholiques, 1893, p. 617-622 ; 1894, p. 219-220. 1901 « Lettres, mariage et cérémonies de noce chez les Bahnars », Annales de la Société des Missions Etrangères, 23 (sept.-oct.), p. 125-234. 1903 « Les funérailles chez les Bahnars », Annales de la Société des Missions Etrangères, 34 (juillet.-août.), p. 193-201.