Maurice DUCOEUR1878 - 1929
- Statut : Vicaire apostolique
- Identifiant : 2564
- Bibliographie : Consulter le catalogue
Identité
Naissance
Décès
Consécration épiscopale
Autres informations
Missions
- Pays :
- Chine
- Région missionnaire :
- 1901 - 1929
Biographie
[2564] Maurice Ducoeur est né le 31 octobre 1878 à Nanton, dans le diocèse d'Aurun en Saône et Loire. Il fait ses études au petit séminaire de Rimont. Il entre au séminaire des MEP le 2 septembre 1895, dans la communauté de Bièvres, où il étudie la philosophie, puis la théologie. Il est procureur des aspirants, se montrant affable et serviable envers tous.
Il est ordonné prêtre le 23 juin 1901.
Chine (1902-1929)
Il part le 24 juillet 1902 pour la mission du Kouangsi en Chine. Son évêque, Mgr. Lavest, l'envoie apprendre le chinois dans le district de Se-Tchen sous la direction du P. Labully, qui l'initie également au ministère paroissial.
Un an après, il est suffisamment armé pour prendre la tête du district de Sieou-Jen. Il s'intéresse aux conversions, surtout dans les cantons de la région peuplés de races indigènes « pa ». Il va alors s'installer dans le canton de Eul-Pai, au village de Kien-Tcheou.
Il y demeure cinq ans ; il a la consolation de faire de nombreux baptêmes. Voyageur infatigable et excellent cavalier, il rayonne loin de Eul-Pai, et crée une nouvelle chrétienté, à cent kilomètres de distance à l'est, la chrétienté de Pan-Tien, qui est aujourd'hui le centre d'un nouveau district. Il est toujours très fraternel avec ses voisins, qui aiment se réunir chez lui, et qui en repartent tous en emportant dans leur coeur un rayon de soleil.
En 1910, lorsqu'il est question de nommer un successeur à Mgr. Lavest, ses confrères proposent le P. Ducoeur, qui, appuyé par le Séminaire de Paris, est nommé Préfet apostolique du Kouangsi le 22 décembre 1910, puis Vicaire apostolique de Nanning le 6 avril 1914.
Il n'a que 33 ans et devient ainsi le plus jeune évêque du monde.
Malgré l'élan que lui a imprimé Mgr. Lavest, la mission du Kouangsi a la réputation méritée d'être la plus difficile et la plus ingrate des missions de Chine. Terre de prédilection des pirates et des Pavillons Noirs, peuplée de races indigènes profondément indifférentes et grossières, arrosée du sang des martyrs (P. Chapdelaine), cette mission du Kouangsi est et restera encore longtemps un rude champ d'apostolat.
Nombreuses sont les difficultés auxquelles doit faire face le nouvel évêque. La devise qu'il a choisie- Corde magno et animo volenti -lui inspire le courage que donne la confiance en Dieu. Il porte ses efforts sur le Séminaire et le clergé indigène. Il s'intéresse beaucoup à l'oeuvre des catéchistes, puis à l'éducation des jeunes et aux oeuvres médicales. Il a la joie d'ordonner dix prêtres indigènes, dont le nombre est ainsi porté à treize. Il fait ouvrir dans des centres bien choisis des écoles de catéchistes, et il travaille beaucoup à la formation de religieuses indigènes pour l'instruction des femmes. Il fait appel à des Soeurs canadiennes pour diriger le noviciat. Il fait venir aussi des Soeurs infirmières qui ouvrent un hôpital-dispensaire.
Mgr. Ducoeur règle la question de la division de la mission du Kouangsi. La partie Nord-Ouest est détachée pour être réunie à la partie Sud du Koui-Tcheou et former la nouvelle mission de Lanlong. En dépit de cette division, le nombre de chrétiens augmente, car cette nouvelle structure favorise beaucoup l'oeuvre d'évangélisation.
Depuis longtemps, Mgr. Ducoeur ressentait les premières atteintes de la maladie qui devait l'emporter. En 1915, il se sent victime de malaises indéfinissables : le coeur s'arrête, il devient pâle comme la mort, la sueur l'inonde. Quelques instants après, il se sent mieux et reprend son travail. A la fin de l’année 1924, les crises s’aggravent et il se resigne à aller passer plusieurs mois à Hongkong. Les médecins constatent une lésion au coeur et ordonnent le repos absolu. Malgré ce verdict, il reprend ses occupations ; cependant, la maladie se complique de maux de tête, d'estomac, des intestins. Il pense à rentrer en France pour se soigner.
Il quitte Nanning le 15 avril. Le 8 juin 1929, il arrive à Marseille, exténué ; il est immédiatement conduit à l'hôpital. Le médecin déclare son état désespéré. L'évêque de Marseille vient rendre visite au pauvre évêque missionnaire qui va bientôt mourir.
Le 10 juin 1929, il rend son âme à Dieu.
Les obsèques présidées par Mgr. Dubourg ont lieu le lendemain. Le P. Sibers chante la messe. Les pères Robert, Bibollet, Masseron, Demanse, Cadière et Hérault représentent les MEP.
Les funérailles ont lieu le 14 juin à Rimont, selon le désir exprimé par le défunt. Devant les jeunes élèves du petit séminaire, le père supérieur, dans son homélie, rappelle le désir du P.Ducoeur d'être martyr :
"La Sainte Vierge, dit-il, lui a donné de livrer goutte à goutte les forces de son corps, les énergies de son âme, l'amour de son coeur. Et pour que le martyr fut bien complet, elle lui a fait faire le rude sacrifice des consolations, bien méritées pourtant, qu'il eût pu trouver à vivre quelque temps au milieu de ceux qu'il aimait et qui se préparaient à l'entourer de tant de respectueuse affection."
Nécrologie
Mgr DUCŒUR
VICAIRE APOSTOLIQUE DE NANNING
Mgr DUCŒUR (Maurice-François), né à Nanton (Autun, Saône-et-Loire), le 31 octobre 1878. Entré laïque au Séminaire des Missions-Etrangères le 28 septembre 1896. Prêtre le 23 juin 1901. Parti pour la Mission du Kouang-Si le 24 juillet 1901. Evêque de Barbalisse et Vicaire Apostolique du Kouang-Si le 22 décembre 1910. Mort à Marseille le 10 juin 1929.
Maurice-François Ducœur naquit à Nanton, au diocèse d’Autun, le 31 octobre 1878, d’une famille profondément chrétienne, dans laquelle la pensée de Dieu, les devoirs de la vie chrétienne, la soumission à la divine Providence, étaient les idées directrices de la vie quotidienne. Plus tard, dans son sermon de première messe à la Chapelle-de-Bragny où la famille était alors fixée, il a rendu lui-même à son père et à sa mère ce magnifique témoignage : « Je crois qu’il m’est permis de le dire devant vous : au premier éveil de ma « raison, j’ai vu autour de moi les virils exemples de foi de mon père, j’ai grandi entouré de « l’héroïque et pieux amour de ma mère. » L’enfant, vers l’âge de quatre ans, tomba gravement malade, les médecins désespérèrent de le sauver ; ses parents supplièrent Dieu de le leur conserver, promettant de l’élever pour son service. Il guérit, et les parents reconnaissants le présentèrent, le moment venu, au Petit-Séminaire de Rimont.
Maurice Ducœur fut au Petit-Séminaire un élève très pieux, dévot à la sainte Vierge, à qui il demandait même la grâce du martyre. Ses maîtres ont gardé le souvenir de cet enfant extrêmement consciencieux et travailleur, régulier dans ses efforts et ses progrès ; ses condisciples se rappellent le camarade plein d’énergie et d’entrain, très aimé de tous, marquant sa charité par le dévouement et les services plutôt que par les démonstrations affectives. N’y a-t-il pas là déjà quelques traits qui présagent le futur missionnaire ? En fait, à la fin de sa rhétorique au cours de laquelle il avait mûri son idée de vie missionnaire, Maurice pria son ancien curé d’avertir ses parents, et d’obtenir leur autorisation, que ces bons chrétiens donnèrent en ces termes touchants : « Monsieur le Curé, c’est un grand sacrifice ; quand nous l’avons donné à Dieu, nous pensions que ce serait seulement pour être prêtre ; il nous le prend beaucoup plus que nous n’avions imaginé : mais enfin nous le lui avons voué, il est à Lui, nous ne songeons pas à le Lui reprendre. Que sa sainte volonté soit faite ! » Et notre sémi-nariste partit pour le Séminaire des Missions-Etrangères de Paris ; il y entra le 28 septembre 1896.
Il fit partie d’abord de la communauté de Bièvres ; il y fut un modèle de piété, de régularité, de travail, de bon esprit ; en récréation, il était par tempérament peu porté aux jeux bruyants, il préférait les conversations sérieuses avec d’autres « déambulants » comme lui. Il avait la confiance de ses condisciples, non moins que de ses maîtres. On le chargea de la procure des commissions des aspirants. Pendant les vacances que la communauté de Bièvres passait à Ferrières, il fut investi de la charge d’économe, qui est loin d’être une sinécure, et requiert entre autres qualités du dévouement et du savoir-faire ; il la remplit à la satisfaction générale. Ayant accompli son service militaire, il remplit à la communauté de Paris les fonctions de procureur des aspirants. Serviable, consciencieux, ponctuel, affable envers tous, soit aspirants soit fournisseurs, il laissa la réputation d’un procureur modèle.
Ordonné prêtre le 23 juin 1901, M. Ducœur reçut sa destination pour la Mission du Kouang-Si, et partit le 24 juillet de la même année. Il avait été choisi chef du départ, quelque chose comme primus inter pares, et qui comporte plus de responsabilités, morales s’entend, que de privilèges ; il s’agit simplement de faire, comme chef de départ, la volonté de tout le monde, et ceci demande de l’affabilité, du sérieux, avec une certaine dose d’entrain.
Arrivé au Kouang-Si, il fut envoyé à Se-Tchen. Il fit la route en barque en compagnie de Mgr Lavest qui montait à Si-Lin pour la bénédiction de l’église commémorative du Bien-heureux Chap¬delaine. Le groupe comprenait encore M. le Consul de France, envoyé pour représenter le gouvernement français, et aussi M. le lieutenant François Marsal, ce dernier plus tard homme politique et ministre des Finances, avec lequel il resta en relations jusqu’à sa mort, et qui l’aida souvent avec une parfaite générosité. A Se¬-Tchen, il se mit avec ardeur à l’étude de la langue chinoise, et, sous la direction de M. Labully, fit ample provision de connaissances pratiques sur les méthodes d’évangélisation. Il s’intéressait à tout, se faisant expliquer les obstacles à la conversion des païens et les moyens de les surmonter. Aussi ses progrès furent-ils rapides : un an après il était suffisamment armé pour être mis à la tête du nouveau district de Sieou-Jen. C’est là, que le nouveau missionnaire allait donner toute sa mesure.
Le moment était favorable aux conversions, grâce aux bonnes relations entre les autorités civiles et les missionnaires. Le peuple ne répugnait plus à entrer en contact avec des hommes qui jouissaient de l’estime de ses chefs ; les adhérents se présentaient donc nombreux, mais les motifs n’étaient pas toujours très purs, il fallait distinguer le bon grain de l’ivraie, et ceci n’était pas toujours facile. M. Ducœur y réussit, mieux même que quelques confrères déjà anciens, et un mouvement en faveur du catholicisme s’affirma en plusieurs endroits de la sous-préfecture de Sieou-Jen, spécialement dans la région des « pai », cantons peuplés de races indigènes. Et comme en ville M. Ducœur s’ennuyait de ne pouvoir à peu près rien faire, il obtint de Mgr Lavest d’aller s’établir dans le canton de Eul-Pai, au village de Kien-Tcheou, où se trouvaient déjà quelques chrétiens baptisés une dizaine d’années auparavant par M. Bertholet. Pendant les cinq années qu’il y demeura, M. Ducœur fit de bonne besogne : tous les villages aux environs eurent bientôt des catéchumènes et des baptisés. Ces années de 1905 à 1910 furent pour le futur Evêque des années de consolation qu’il n’évoquera jamais sans émotion.
Missionnaire dans toute la force du terme, M. Ducœur se faisait tout à tous, ne repoussa jamais les importuns à qui, par zèle apostolique, il donnait une partie de son temps et même de son argent. Une généreuse bienfaitrice lui envoyait chaque année la jolie somme de mille francs et elle continuera plus tard quand le missionnaire sera devenu Evêque ; grâce à ce revenu assuré, il put construire des écoles, une résidence, et une jolie église en style du pays ; il put même acheter des terrains de rapport pour l’entretien des œuvres du poste. Voyageur infatigable et excellent cavalier, il rayonnait loin de Eul-Pai ; c’est sous son administration que fut ouverte, à cent kilomètres de distance à l’Est, la chrétienté de Pan-Tien, qui est aujourd’hui le centre d’un nouveau district. Son voisin de Long-Niu, M. Rué, était son compatriote ; ils se voyaient souvent, se rendaient mutuellement service et se confiaient leurs espoirs. A la mort de M. Rué, cette même simplicité et cette charité fraternelle continuèrent avec M. Dalle son successeur : leurs projets étaient toujours discutés en commun, d’où meilleure organisation, moins d’échecs, et en somme plus de bien. A Koui-Lin, alors capitale provinciale, le Pro-Préfet de la Mission. M. Renault, avait en grande estime son jeune confrère de Eul-Pai. Les missionnaires de la région se réunissaient chez lui pour la retraite annuelle. M. Ducœur se faisait toujours remarquer par son optimiste et sa simplicité, et plus d’une fois il fit partager à ses confrères son entrain et son courage. Tous d’ailleurs étaient attirés chez lui à Eul-Pai : ils s’y sentaient chez eux, et après quelques jours d’intimité toute familiale, ils repartaient en emportant dans leur cœur comme un nouveau rayon de soleil.
Le Vicaire Apostolique Mgr Lavest avait M. Ducœur en singulière estime : « C’est un bon confrère, écrivait-il dans ses notes intimes, et un saint missionnaire. » Il n’est donc pas surprenant qu’aimé et estimé de ses égaux comme de son Supérieur, M. Ducœur n’ait été l’objet du choix des missionnaires lorsqu’il s’agit de donner un successeur à Mgr Lavest. Ce choix appuyé par le Séminaire de Paris auprès de la Sacrée-Congrégation de la Propagande, fut ratifié par le Saint-Siège. Dans les premiers jours de 1911, un télégramme apprenait aux missionnaires du Kouang-Si qu’ils avaient un nouvel Evêque en la personne de Mgr Ducœur. Il n’avait alors que trente-trois ans, et fut plusieurs années durant le plus jeune Evêque du monde. Le sacre eut lieu à Nanning le 4 juin 1911, en la fête de la Pentecôte ; le prélat consécrateur était Mgr Marcou, Vicaire Apostolique du Tonkin Maritime, aujourd’hui Phatdiem, qui n’hésita pas à affronter les fatigues d’un long voyage pour venir imposer les mains au succeseur de Mgr Lavest ¬son ami intime. Et voici à cette date l’impression que donne de ¬ce sacre et de cet Evêque le Petit-Messager du Kouang-Si : « Je dirai seulement « combien je fus ému quand je vis se prosterner devant l’autel ce jeune homme de trente-trois « ans, acceptant dans l’abnégation de son âme la lourde charge que lui imposait la confiance « de tous ceux qui avaient collaboré à élévation. Au Kouang-Si l’honneur est un mot, le « fardeau une réalité. Nos trois premiers Vicaires Apostoliques n’ont pu le supporter plus de « dix ans. Je regrettais presque pour Mgr Ducœur ces éminentes qualités qui l’ont rendu avant « l’âge plus vertueux, plus sage que ses vieux compagnons. Mais j’ai tort de lui prêter ma « faiblesse.. Souhaitons-lui que le poids de sa charge lui soit léger, et qu’à lui seul le porte « aussi longtemps qu’ensemble le portèrent ses trois prédédesseurs. »
Malgré l’élan que lui avait imprimé Mgr Lavest; la Mission du Kouang-Si avait la réputation méritée d’être la plus difficile et la plus ingrate des Missions de Chine. Terre de prédilection des pirates et des Pavillons-Noirs, peuplée de races indigènes profondément indifférentes et grossières, arrosée du sang des martyrs, elle était et restera encore longtemps sans doute un champ d’apostolat où les pierres l’emportent sur la bonne terre, les épines sur les roses, les épreuves sur les consolations. Nombreuses furent les difficultés auxquelles eut à faire face le nouvel Evêque ; la devise qu’il avait choisie : Corde magno et animo volenti, lui inspira le courage que donne la confiance en Dieu. Il serait long d’énumérer toutes les situations angoissantes, les incidents douloureux, les coups inattendus qui vinrent contrarier son action, annihiler ses projets, ou même imposer, du moins en apparence, un arrêt à sa marche en avant. Ceux-là seuls qui ont vécu en Chine depuis une quinzaine d’années, et particulièrement au Kouang-Si, comprendront, et loin de s’étonner de la lenteur des progrès réalisés, se persuaderont que le bien obtenu en pareilles circonstances a coûté réellement des efforts patients, de la persévérance, du courage et même de l’héroïsme. Il va donc de soi qu’au milieu de ces embarras continuels l’Evêque de Barbalisse n’eut guère cette liberté d’action dont on jouit dans les Missions où la sécurité est assurée ; il lui fut impossible de se lancer dans de grandes entreprises, non par manque de ressources, il en aurait trouvé, mais par manque d’opportunité ; ou même de possibilité. Citons quelques points où l’activité de Mgr Ducœur fut plus heureuse.
Ses efforts portèrent d’abord sur les œuvres de propagande, les unes plus directes comme le Séminaire et le clergé indigène, les catéchistes soit hommes soit femmes, les autres indirectes comme écoles, dispensaires, hôpitaux. Il fit agrandir le Petit-Séminaire, et obtint un supplément de bourses pour aider à l’entretien des petits Séminaristes. De plus il décida l’ouverture d’un Probatoire qu’il n’a pas vu débuter, et qui donne de belles espérances avec sa rentrée de vingt jeunes recrues. Il eut la joie d’ordonner dix prêtres indigènes, dont le nombre fut ainsi porté à treize. Ce chiffre semblera modeste pour dix-huit années d’épiscopat, mais l’on jugera autrement si on se rappelle que la population chrétienne ne dépasse pas cinq mille âmes. De ces prêtres chinois, six sont chefs de districts, un est Supérieur du Probatoire. C’est dire que Mgr Ducœur n’hésitait pas à mettre son clergé indigène en relief, suivant en cela fidèlement les directives du Saint-Siège.
Il fit ouvrir dans des centres bien choisis des écoles de catéchistes, et ces écoles rendent actuellement de réels services. Mais son souci principal, son œuvre de prédilection, fut peut-être le recrutement et la formation de religieuses indigènes pour l’ins¬truction des femmes. Il composa pour cela un règlement très sage, et, ne pouvant plus trouver de religieuses en France, il fit appel à des Sœurs canadiennes pour diriger le noviciat. L’œuvre compte maintenant plus de quarante sujets. Il fit venir aussi des Sœurs infirmières qui ouvrirent un hôpital dispensaire pour le service des indigents. Cette œuvre obtient grand succès, et réussit à faire contre-poids aux attaques des étudiants en montrant les vraies dispositions des Missions à l’égard du peuple. Sa Grandeur estimait avec raison que la religieuse est l’indispensable collaboratrice du missionnaire.
Mgr Ducœur eut à régler la question de la division de la Mission du Kouang-Si. La partie Nord-Ouest fut détachée pour être réunie à la partie Sud du Koui-Tcheou et former la nouvelle Mission de Lanlong. A l’Est, plusieurs sous-préfectures furent cédées aux missionnaires américains de Maryknoll. Dans l’arrangement de ces affaires, Mgr Ducœur montra toujours le plus grand esprit de désintéressement et de conciliation, son seul désir étant le bien des âmes et l’accroissement du royaume de Dieu. En dépit de ces cessions de territoire, et malgré la diminution du nombre des missionnaires, le nombre des chrétiens a augmenté de près d’un millier, la qualité aussi, si du moins l’on juge par le nombre des communions annuelles, 2.450 au lieu de 1.315, et des communions de dévotion, 50.000 au lieu de 17.000.
Nous nous en voudrions si dans cette courte notice consacrée à la mémoire de notre regretté Mgr Ducœur nous omettions d’insister sur sa vertu dominante, la charité. Charité envers Dieu d’abord : elle se manifestait par une éminente piété et un profond esprit surnaturel, qui se traduisaient par la méditation du matin soigneusement préparée, par une action de grâces prolongée, par la visite au Saint-Sacrement qui était l’un de ses bons moments de la journée. Ses exercices de piété quotidiens, il les faisait avant de se mettre au travail. Il se confessait régulièrement, fréquemment, et avec une grande humilité. Son esprit surnaturel était intense, éclairant toute sa vie, et lui faisant voir le bon Dieu dans la marche des événements. Son journal intime est plein de pieuses réflexions, d’aspirations vers Dieu, de confiance et d’amour à l’endroit de la sainte volonté.
Charité envers le prochain : elle se manifestait par sa libéralité à l’égard des besogneux, des malheureux, et même des quémandeurs qui ne manquent jamais aux Evêques : une misère matérielle à soulager le trouvait toujours prêt. Il ne faisait pas appel à la caisse de la Mission, mais à la sienne, que de-ci de-là quelque généreux bienfaiteur venait à temps remettre à flot ; il allait trouver le procureur et lui disait : « Reste-t-il quelque chose dans ma caisse ? C’est « pour un tel qui vient encore me taper ; il est bien difficile de ne pas me laisser faire, car c’est « pour une bonne œuvre. » Cette même charité était surtout bienveillante et compatissante aux souffrances morales : bienveillante, car il jugeait tout le monde avec son cœur plus encore qu’avec sa raison, trouvant toujours des circonstances atténuantes à tous les manquements ; compatissante aussi, car les dons de son cœur le portaient à montrer de la sympathie et du dévouement à tous ceux qui souffraient : à tous il savait dire le mot qui fortifie, écrire la lettre qui console, pour tous il savait tenter la démarche qui relève et encourage.
Mais s’il avait en partage la puissance d’aimer, il avait aussi, et en proportion la capacité de souffrir. Est-il téméraire de croire ¬que peu d’Evêques ont souffert moralement autant que lui ? Il était d’une sensibilité extrême et toujours en éveil. On lui disait quelquefois en plaisantant : « Monseigneur, il faudrait aux Evêques une cuirasse pour protéger leur cœur « contre les mauvais coups, les contrariétés, les avanies qui leur surviennent ! » Mais notre Evêque ne réussit jamais à cuirasser son cœur, et à chaque « courrier de Job », ce pauvre cœur se contractait comme s’il avait reçu un coup de poignard.
Toutefois la puissance de souffrir a une limite, et ce n’est pas impunément qu’un homme souffre sans cesse au moral, le physique finit par en recevoir un contre-coup fatal. Depuis longtemps Monseigneur avait ressenti les premières atteintes de la maladie qui devait l’emporter. Dès les années qui suivirent son sacre, tout le monde s’aperçut que sa santé n’était guère brillante, et les plus pessimistes disaient : « Ses trois prédécesseurs ont tenu dix ans, pourra-t-il tenir même ce laps de temps ? » Il tint dix-huit ans, mais dès 1915, il se sentit frappé : des malaises indéfinissables le prenaient subitement à son bureau, le cœur s’arrêtait, la plume tombait des mains, il devenait pâle comme la mort, la sueur l’inondait. Quelques minutes après, il se sentait mieux et reprenait son travail. Les médecins consultés lui ordonnèrent un traitement qu’il ne put jamais s’astreindre à suivre à la lettre. A vrai dire, il ne sut jamais se soigner, il essayait deux ou trois jours les médicaments recommandés, mais ne voyant guère d’amélioration, il les délaissait. Pour le régime, il aimait mieux suivre les caprices de son estomac que de s’en tenir aux potages et aux purées. Sur la fin de 1924, la crise fut plus grave, et il dut se résigner à aller passer plusieurs mois à Hongkong. Les médecins constatèrent une lésion au cœur, et ordonnèrent le repos absolu, l’absence de toute fatigue, de tout souci, de toute émotion ; demander cela à un Evêque, surtout en Chine, c’est demander l’impossible. Il reprit ses occupations, à la grâce de Dieu ! Puis la maladie ¬de cœur se compliqua de maux de tête, d’estomac, des intestins : l’organisme était attaqué. A ceux qui le pressaient de rentrer en France, il disait ces paroles qui sonnaient déjà comme un glas : « Je « suis persuadé qu’un voyage en France, même si je pouvais l’entreprendre, n’apporterait « aucune amélioration à mon état. Je ne sais ce qui s’use le plus, il me semble cependant que « c’est le cœur. » Enfin en 1929, il se décida, mais il avait comme un pressentiment qu’il ne reviendrait pas. Le 15 avril, il quittait Nanning, le cœur déchiré. De Hongkong il érivait à tous ses missionnaires une lettre touchante d’adieu. Il leur disait entre autres¬ choses : « Gardez « bien entre vous, missionnaires et prêtres chinois, cette charité qui jusqu’ici nous a tant aidés, « et a fait l’ad¬miration de ceux qui ont pu l’apprécier. » C’était son testament spirituel.
Ne pouvant voyager seul, il demanda au doyen de ses missionnaires, M. Héraud, de l’accompagner. De Hongkong à Saïgon, la traversée n’est pas longue, mais le malade était harassé. Le docteur prescrivit un régime, et donna à Monseigneur le faux espoir qu’il serait mieux en arrivant à Marseille. C’est à partir de Colombo surtout que la fatigue s’accentua : les pieds se mirent à enfler, l’estomac ne supportait plus qu’un peu de lait, de bouillon, des oranges. A Port-Saïd, l’espérance remonta dans les cœurs : la température devenait plus fraîche, l’état du malade ne s’aggravait pas, lorsque certain soir, Monseigneur fut pris d’une crise d’étouffement qui dura toute la nuit. M. Héraud lui donna l’Extrême-Onction, et le lendemain le Saint-Viatique.
Enfin le 8 juin, il arriva à Marseille, et fut conduit de suite à l’hôpital. Le docteur déclara l’état désespéré. On télégraphia à sa sœur qui arriva le lendemain avec son mari. Le vénéré malade avait pour cette sœur la plus tendre affection. Admirable mère de dix enfants, elle attendait son frère qu’elle n’avait pas revu depuis son départ pour la Chine, et pensait pouvoir en jouir, le soigner, le dorloter. Elle voulait le conduire à Lourdes pour obtenir un miracle et le rendre ensuite à sa chère Mission. Digne sœur d’un tel frère ! Citons quelques lignes d’une lettre qu’elle envoya quelques jours après le dénouement au Kouang-Si : « Quand j’arrivai « près de lui, ne pouvant plus parler, il éleva les bras très haut et me montra le ciel. Pauvre « cher frère, il a donné jusqu’au dernier soupir de sa vie pour les pécheurs. Entre chaque « hoquet qui le secouait, d’un mot, il priait pour les pécheurs. L’aumônier de l’hôpital lui « disait : « Monseigneur, vous avez donné votre vie pour les pécheurs, vous pouvez bien « mourir en paix » ; il souriait alors de son bon sourire et continuait toujours... »
Monseigneur l’Evêque de Marseille tint à honneur de faire visite au pauvre Evêque missionnaire qui allait mourir au port sans avoir pu jouir un intant de sa famille recouvrée. Jusqu’au dernier instant il fut assisté de M. Héraud qui à genoux lui dit : « Monseigneur, « bénissez-moi, et bénissez toute la Mission, et tous vos missionnaires. » Il éleva ses deux bras aussi haut, et aussi étendus qu’il le pouvait, et resta ainsi un long moment. Le lendemain, sa sœur après la messe lui dit : « Nous venons de communier, nous t’apportons un peu du bon « Dieu. Je te donne bien à Lui puisqu’il te veut. Veille sur nous. Il me répondit encore : « Oui… ! Et à ce moment il ouvrit tout grands les yeux, et les fixa au ciel, comme en extase. Oh ! ces deux minutes seront le souvenir de toute ma vie. » Dans la soirée Mgr Ducœur rendait son âme à Dieu.
Le lendemain avaient lieu les obsèques. Mgr Dubourg voulut présider ; M. Sibers chanta la messe, MM. Robert, Bibollet, Masseron, Demanse, Cadière et Héraud représentaient la Société des Missions-Etrangères. Après la cérémonie qui eut lieu à la chapelle de l’hôpital, le corps fut conduit à la gare. Les funérailles eurent lieu le vendredi 14 juin à Rimont, selon le désir exprimé par le vénéré défunt ; elles furent présidées par Monseigneur le Vicaire général d’Autun ; MM. Papinot et Bibollet représentaient le Séminaire de Paris. Devant les jeunes élèves du Petit-Séminaire, M. le Supérieur tira les hautes leçons que sa tombe, « symbole visible et gage d’une protection aimante dans le ciel », devait laisser à tous en héritage. Et il ne nous semble pas inopportun de citer cet éloquent et touchant passage de l’orateur reliant le commencement de la vie apostolique de l’ancien élève de Rimont à la fin de 1’Evêque du Kouang-Si à travers une existence de vingt-huit années de sacrifices ininterrompus : « Il avait « demandé à la Sainte Vierge de lui obtenir la grâce du martyre. Elle lui a donné de livrer « goutte à goutte les forces de son corps, les énergies de son âme, l’amour de son cœur. Et « pour que le martyre fût bien complet et bien couronné, elle lui a fait faire le rude sacrifice « des consolations, bien méritées pourtant, qu’il eût pu trouver à vivre quelque temps au « milieu de ceux qu’il aimait et qui se préparaient à l’entourer de tant de respectueuse « affection. »
~~~~~~~
Références
[2564] DUCOEUR Maurice (1878-1929)
Références biographiques
AME 1901 p. 267. 1907 p. 312. 313 (art.). 1910 p. 311 (art.). 1913 p. 57 (art.). 1914 p. 35 (art.). 211. 1917-18 p. 275. 1919-20 p. 284. 1922 p. 146. 1925 p. 18. 1929 p. 167 (art.). 174. 180. 1932 p. 107 (art.). 1936 p. 251. 252. 1939 p. 110. 1926-27 p. 120. CR 1901 p. 277. 1902 p. 147. 151. 1904 p. 151. 1905 p. 122. 1907 p. 159. 161. 162. 1908 p. 129. 130. 1909 p. 140. 1910 p. 4. 1911 p. 5. 114. 1912 p. 165. 1913 p. 171. 406. 1914 p. 66. 67. 1915 p. 84. 1916 p. 93. 1917 p. 70. 1918 p. 55. 1919 p. 62. 1920 p. 43. 1921 p. 65. 1922 p. 77. 1923 p. 94. 1924 p. 73. 1925 p. 82. 1926 p. 90. 1927 p. 83. 1928 p. 91. 1929 p. 122. 247. 1930 p. 137. 1938 p. 108sq. 1937 p. 281. 288. 1940 p. 125. 130. 1947 p. 174. 176. 309. 317. 318. 1948 p. 242. BME 1922 p. 310. 410. 506. 691. photo p. 17. 1923 p. 258. 319. 388. 446. 1924 p. 397. 461. 601. 668. 726. 800. 1925 p. 240. 305. 435. 775. 1926 p. 250. 707. 1929 p. 49. 369. 374. 436. 470. 1931 p. 96. 866. 1932 p. 756. 940. 1933 p. 20. photo p. 153. 1934 p. 174. RHM 1925 p. 152. 1926 p. 463. 464. 1929 p. 464. MC 1918 p. 63. 64. 1922 p. 133. 1929 p. 310. EC1 N° 107. 178.
"