Xavier BAUDOUNET1859 - 1915
- Status : Prêtre
- Identifier : 1616
Identity
Birth
Death
Other informations
Missions
- Country :
- Korea
- Mission area :
- 1884 - 1915
Biography
[1616] BAUDOUNET Xavier, Calixte, est né le 25 septembre 1859 à Mostuéjols, canton de Peyreleau, dans l'Aveyron, au diocèse de Rodez, fils de Albert Baudounet et de Marie Reynes. Il fait ses études secondaires au Petit Séminaire de Belmont, puis entre au Grand Séminaire de Rodez où il reste deux ans. Il est tonsuré quand il demande son admission au Séminaire des Missions Étrangères où il entre le 9 septembre 1881. Ordonné prêtre le 20 septembre 1884, il part pour la Corée le 19 novembre suivant, en compagnie des PP. Vincent Couderc et Gabriel Maraval.
Arrivés au Japon, les trois jeunes missionnaires trouvent une lettre de Mgr. Blanc, vicaire apostolique de Corée, qui leur fait savoir que la prudence demande que seulement deux d'entre eux entrent en Corée, et que le troisième devra attendre quelque temps. Le tirage au sort désigne le Père Baudonnet pour attendre au Japon; il accepte bien la chose et a la bonne fortune de rencontrer, à Nagasaki, le Père Coste, qui y surveille des travaux d'imprimerie. Au bout de 7 mois d'attente, le Père Baudounet peut enfin se rendre en Corée et arrive à Séoul le 26 octobre 1885.
Presque aussitôt il est envoyé dans une petite chrétienté de la province du Choung-chong pour apprendre la langue et se former aux usages du pays. Six mois plus tard, il est envoyé dans la province de Kyong-sang pour être l'unique voisin du Père Achille Robert. De mai 1886 à mars 1887, il réside à Yo-tjin, un village situé à une trentaine de kilomètres de la résidence du Père Robert et où on fabrique des pots d'argile. Le Père Robert ayant décidé de se rapprocher le plus possible de la grande ville de Taegu, le Père Baudounet s'en va, en mars 1887, "résider" à Sin-namou-kol à la place du Père Robert. "Résider" est beaucoup dire, les missionnaires passant la majeure partie de leur temps à visiter les chrétientés dispersées, ne se reposant à leur "résidence" que pendant les mois très chauds et très humides de l'été.
Au printemps de 1888, le vicaire apostolique nomme le Père Baudounet responsable de la province du Chon-la et en même temps voisin et mentor du Père Vermorel, tout récemment arrivé dans le pays et qui faillit avoir la charge de toute la province, quand le Père Lafourcade, arrivé l'année précédente, allait mourir prématurément en juillet 1888. Le Père Baudounet alla s'établir à la chrétienté de Tai-song-dong, dans le canton de So-yang de l'arrondissement de Wan-fu, à une quinzaine de kilomètres de Chon-ju, capitale de la province. Le Père Baudounet reste trois ans dans ce village, y souffrant passablement les conditions matérielles misérables dans lesquelles il se trouve, mais heureux d'être au milieu de ses ouailles. Une bonne partie de l'année est prise par la visite des chrétientés éloignées. Le reste de son temps est employé à la confession des chrétiens qui habitent à proximité, à porter les derniers sacrements aux malades par monts et par vaux et à l'étude; essentiellement à l'étude de la langue que, malgré des moyens tout à fait ordinaires, mais grâce à un travail opiniâtre, il arrive peu à peu à très bien parler.
Durant les dix dernières années, c'est-à-dire depuis les années 1880, les idées des Coréens se sont beaucoup modifiées, le royaume de Corée a conclu des traités de commerce et d'amitié avec quelques grandes puissances et tolère officiellement la présence des missionnaires. Certes, ces idées ne sont pas encore monnaie courante chez la majeure partie du commun du peuple. Mais les missionnaires commencent à se montrer à découvert et, munis d'un laissez-passer délivré par les autorités civiles, ils peuvent maintenant se rendre n'importe où. En 1891, le Père Baudounet profite de ce nouveau climat pour aller se fixer à Chon-ju, la capitale de la province. Dans cette ville, il n'existe pour encore qu'une seule famille chrétienne et l'ensemble de la population connaît la religion chrétienne seulement comme une religion perverse, proscrite et persécutée. Mais le sang des nombreux martyrs qui ont été exécutés à Chon-ju dans le passé va, ici aussi, devenir une "semence de chrétiens". Quelques familles de chrétiens de longue date viennent s'installer auprès du missionnaire et, par la parole et par l'exemple, gagnent l'estime des païens de leur voisinage. Les conversions devenant nombreuses, il faut, à deux reprises, diviser le district devenu trop vaste et trop lourd pour un seul missionnaire.
Les choses allaient donc à merveille quand éclate, en 1894, le soulèvement des Tong-hak, une secte mi-religieuse mi-politique qui avait choisi ce nom d'"École d'Orient" par opposition au christianisme, considéré comme "École d'Occident", et qui avait notamment pour principe de "rester coréen en rejetant les étrangers". Se prétendant disciples de cette secte, des bandes d'insurgés, essentiellement composées de gens peu recommandables, se mirent à parcourir les provinces, se livrant au brigandage, au viol et au pillage. Les missionnaires sont alors priés par leur évêque de se réfugier à Séoul, mais ceux qui en étaient trop éloignés durent se cacher dans les montagnes. Finalement, le Père Baudounet et le Père Villemot se décident à gagner Séoul et y parviennent après avoir connu bien des aventures, subi toutes sortes de privations et recueilli bien des nouvelles attristantes, dont celle du massacre du Père Jozeau par les troupes chinoises. Car, entre-temps, le gouvernement coréen avait appelé les soldats chinois au secours, et le Japon avait envoyé des troupes en Corée pour écraser ces soldats chinois. Cela permit au Japon de s'emparer de Formose, des Pescadous et de Port-Arthur. Finalement, les insurgés Tong-hak sont écrasés, le calme revient peu à peu en Corée en 1895. Dès que cela fut possible, le Père Baudounet se hâta de rejoindre son poste de Chon-ju pour réparer les ruines accumulées durant l'insurrection.
Ces ruines étaient immenses : le Père Jozeau avait été tué, les résidences des missionnaires avaient été pillées, bien des chrétiens avaient souffert. De la résidence du Père Baudounet, il ne restait que les murs et le toit. Le climat semblait peu favorable à l'apostolat, mais il n'en fut rien. Durant les années qui suivirent, il eut la joie de baptiser des centaines d'adultes. Le nombre des chrétiens augmentant de jour en jour, le Père Baudounet doit songer à remplacer sa très modeste chapelle par une véritable église qu'il veut grande et belle, et pour laquelle il demande au Père Poisnel de faire les plans. Malgré les économies qu'il a faites, le Père Baudounet est contraint d'interrompre pendant deux ans les travaux de construction commencés en 1905, le temps de quêter et de faire des économies supplémentaires. Finalement, il peut achever cette église en 1908 qui, comme il l'avait voulue, était "grande et belle", servait la gloire de Dieu et éclipsait tous les plus beaux monuments de la ville. Plus tard, cette église servira de cathédrale, et les autorités provinciales la déclareront "monument historique provincial".
En 1911, lors de la création du vicariat apostolique de Taegu, le Père Baudounet en devient membre automatiquement, mais cela ne change rien à sa vie. Sobre et même austère en ce qui concerne le vêtement et la nourriture, il est admirable dans la pratique de la charité, avec sa bonté qui le porte à rendre service, à faire plaisir, à soulager les misères matérielles ou spirituelles, même quand certains abusent de cette bonté. Que de temps il a passé, au confessionnal ou ailleurs, à raccorder des époux, à rétablir la paix dans des ménages, à ramener dans le bon chemin des malheureux qui s'en étaient écartés ! C'est naturellement dans sa grande piété que le Père Baudounet puisait force et lumière pour bien accomplir son ministère, très fécond dans la ville de Chon-ju et dans les villages des alentours.
Le 22 mai 1915, veille de la Pentecôte, il confesse toute la journée. Le soir, il se sent mal et prend des remèdes en conséquence, mais qui n'ont aucun effet réel. Malgré une mauvaise nuit et son état de grande faiblesse, il veut célébrer la messe de la Pentecôte, mais il doit s'avouer vaincu et se coucher pour ne plus se relever. Il décède très paisiblement dans la matinée du 27 mai 1915 et est inhumé dans la colline-cimetière de la mission de Chon-ju.
Obituary
[1616] BAUDOUNET Xavier (1859-1915)
Notice nécrologique
François-Xavier Baudounet naquit le 25 septembre 1859 à Mostuéjouls (Rodez, Aveyron), d’une famille foncièrement chrétienne, qui donna deux de ses fils à l’église. Il fit ses études au petit séminaire de Belmont, où il fut remarqué pour la douceur de son caractère, une sagesse exemplaire et une grande piété. Entré au grand séminaire de Rodez, il y resta deux ans, et il était tonsuré quand il demanda son admission au Séminaire des Missions-Etrangères.
Arrivé à Paris le 9 septembre 1881, il passa trois ans à la rue du Bac, occupé tout entier à se préparer et à se former à la vie apostolique. Il s’y montra aspirant sérieux, travailleur et d’une grande piété. Détail significatif, il fut admis, sur sa demande, dans le corps des « ministres de l’intérieur », dont tout le monde, dans notre Société, connaît le rôle et les attributions. Cette charge nullement attrayante, et d’ordinaire peu enviée, nous révèle déjà ce que M. Baudounet devait rester toute sa vie, c’est-à-dire avant tout un homme d’abnégation, de charité et de dévoue¬ment.
Ordonné prête le 20 septembre 1884, il partit le 19 novembre de la même année, avec deux de ses compatriotes, pour la mission de Corée. Arrivés au Japon, nos trois joyeux compagnons de route trouvèrent une lettre de leur vicaire apostolique, Mgr Blanc, de vénérée mémoire, qui faisait savoir à ses nouveaux missionnaires que deux d’entre eux seule¬ment pouvaient entrer en Corée ; que le troisième devait attendre quel¬que temps. On tira donc à la courte-paille, et ce fut notre bon M. Bau-dounet que le sort désigna pour rester, pendant que ses deux confrères continuaient leur route. Cette décision prise par le vicaire apostolique avait sa raison d’être. On sortait alors de la persécution. Le royaume de Corée restait toujours fermé aux étrangers ; la police y était sévère, et ce n’est que déguisés en Coréens que les missionnaires pouvaient y péné¬trer. Monseigneur Blanc craignait qu’en arrivant tous les trois ensem¬ble ils ne fussent reconnus et arrêtés. M. Baudounet comprit la chose, et fit par obéissance ce sacrifice. Il eut, du reste, la bonne fortune de rencontrer à Nagasaki M. Coste, provicaire de la mission de Corée, venu au Japon pour des travaux d’imprimerie. Sa présence contribua beaucoup à adoucir au jeune missionnaire les ennuis de l’exil. Cet exil dura 7 longs mois. Enfin, au mois d’août 1885, M. Baudounet put à son tour entrer dans la chère mission qu’il ne devait jamais quitter jusqu’à sa mort.
Après quelques jours passés à Séoul, il fut envoyé dans une petite chrétienté du Tchyoung-Tchyeng-to, pour y apprendre la langue et se former aux usages du pays. Il ne resta dans ce poste que 6 mois. M. Achille Robert, aujourd’hui notre vénéré doyen, se trouvait seul dans le Kyeng-syang-to ; M. Baudounet lui fut donné pour voisin de district. Ce fut dans le courant du mois de mai 1886 que notre cher confrère quitta Séoul pour se rendre à la station qui lui avait désignée. Yetjini était une petite poterie située à 470 lys de la capitale et à 80 lys de Sinamoukol, résidence de M. A. Robert : Je m’étais empressé d’aller à la rencontre de mon nouveau confrère, écrit M. Robert. J’avais d’ailleurs tout fait préparer pour son installation. Il était 6 heures du soir lorsqu’il arriva au village. Les chrétiens se trouvaient tous réunis avec moi pour le recevoir. Après l’accolade fraternelle et le salut des chrétiens, on nous servit le souper auquel mon jeune confrère fit honneur. À peine avions-nous pris notre repas, qu’on vint nous annoncer que M. Baudounet avait été reconnu en route par une bande de satellites de Taikou, envoyés à la recherche des voleurs très nombreux dans ces parages, qu’ils s’étaient mis à sa poursuite, et qu’ils pourraient bien arriver dans quelques heures à Yetjini pour le prendre. Force nous fut donc de déguerpir au plus vite, après avoir recommandé aux chrétiens de faire disparaître tout ce qui pouvait être un indice de notre passage. Je me décidais à emmener mon confrère dans une autre chrétienté à 30 lys plus loin, en pays de montagne. Nous y arrivâmes à 1 heure après minuit. Le lendemain, on envoya dans toutes les directions des hommes chargés de recueillir des nouvelles, et, en cas de danger, de nous avertir immédiatement. Pendant la journée, nous restions cachés à la montagne sous les pins ; le soir, nous rentrions à la maison pour y passer la nuit. Après cinq jours de cette vie nomade, un courrier de Taikou vint nous avertir que les chrétiens de la ville avaient réussi, à force d’argent, à gagner le chef des satellites et à le faire rentrer à Taikou : nous étions sauvés. Pendant la nuit suivante, j’emmenai M. Baudounet à ma propre résidence, à 80 lys de là. Il put s’y reposer quelques jours et se remettre de ses premières émotions ; après quoi, je le reconduisis à son poste de Yetjini. Dès le lendemain de son arrivée, il se mit à l’étude de la langue, avec un zèle et une patience extraordinaire, si bien qu’au mois d’octobre suivant, il fut à même de commencer l’administration de son grand district, qui l’occupa jusqu’au mois de mars de l’année suivante.
À peu près de cette époque, je dus quitter Sinamoukol pour me rapprocher de Taikou, et M. Baudounet vint prendre ma place, de sorte que nous ne nous trouvions éloignés l’un de « l’autre que de 40 lys ; nous pouvions nous voir tous les 15 jours. Durant l’été, mon confrère continua à se livrer de tout cœur à l’étude de la langue, qu’il parlait déjà assez bien ; il apprit même par cœur une grande partie de son dictionnaire. Mais au printemps suivant, il fallut nous séparer, Monseigneur l’envoyait dans la province de Tjyen-la-to comme voisin et mentor de M. Vermorel, récemment arrivé, et qui restait seul depuis la mort de M. Lafourcade.
Il alla s’installer à Taisyangtong, village distant de 460 lys de Séoul, et de 40 de la ville de Tyentjyon. Il y resta trois ans, et y souffrit beau¬coup. En demandant un missionnaire à l’évêque, les chrétiens avaient bien promis qu’ils le logeraient. Mais quand le Père arriva, ils n’eurent à lui offrir qu’une misérable chambre, dans laquelle il devait dire la messe, travailler le jour et dormir la nuit, en compagnie d’une infinité de petites bestioles, toujours empressées à lui trouer la peau et à lui sucer le sang. Cette chambre n’était séparée de celle de la famille que par une mince cloison, bien insuffisante pour empêcher les cris, les rires et tout le vacarme que 3 ou 4 gamins faisaient de l’autre côté, tout le long du jour, et souvent la nuit : notre confrère appelait cela sa « fanfare ». La famille qui le logeait était surtout riche en dettes. Quand la provision de riz était épuisée, et cela arrivait souvent, c’était sur celle du locataire qu’on se rabattait. On n’avait évidemment pas l’intention de le voler : on espérait bien lui rendre un jour ce qu’on lui mangeait, oui ; mais, en attendant, l’argent du missionnaire s’en allait avec une rapidité incroyable et le grand vase en terre qui servait de grenier était toujours vide.
Malgré tout, M. Baudounet se trouvait heureux au milieu de ses ouailles. En dehors de l’administration qui l’occupait plusieurs mois de l’année, il passait le reste de son temps à entendre leurs confessions, à escalader de hautes montagnes pour leur porter l’extrême-onction, et aussi à l’étude, surtout à l’étude du coréen. C’est grâce à ce travail acharné qu’il était parvenu, avec des moyens très ordinaires, à le parler mieux que sa langue maternelle : il émerveillait les païens qui l’enten¬daient.
Depuis son entrée en Corée, c’est-à-dire en l’espace de 10 ans, les idées des Coréens s’étaient beaucoup modifiées relativement aux étran¬gers, surtout parmi les gens de la classe élevée. Ils s’étaient aperçus que tôt ou tard, de gré ou de force, ils seraient obligés de sortir de l’état de séquestration dans lequel ils s’étaient enfermés depuis des siècles. Déjà des traités de commerce avaient été conclus entre leur gouvernement et plusieurs puissances européennes. La France était représentée par un consul résidant à Séoul ; les missionnaires commençaient à se montrer à découvert ; ils pouvaient, munis d’un passeport, voyager partout, et même résider à la capitale et dans quelques ports ouverts. C’était l’au¬rore de la liberté ! L’Eglise de Corée sortait des catacombes.
M. Baudounet en profita pour aller se fixer à Tjyentjyou, la capitale du Tjyen-la.to ; c’était en 1891. A son arrivée, il n’y avait encore dans la ville qu’une famille chrétienne et on n’y connaissait de la religion que ce que le vent de la persécution y avait jeté en passant. Mais Tyjentjyou avait eu aussi ses martyrs, et leur sang, celui de l’héroïque vierge Luthgarde Ryon en particulier, devait être, comme toujours, une semence féconde de chrétiens.
Quelques familles de vieux fidèles vinrent s’installer à côté du missionnaire. Ces chrétiens se firent les prédicateurs de la religion auprès de leurs voisins païens ; petit à petit il y eut des catéchumènes ; les con¬versions se firent vite et nombreuses, si bien qu’au bout de quelques années, et à deux reprises, on fut obligé de diviser le district, devenu bien trop grand pour un seul prêtre.
Les choses allaient à merveille, quand arriva, en 1894, le soulèvement des Tonghak. C’était l’insurrection des Boxeurs en petit. Ils avaient pour devise : « La Corée aux Coréens, et sus aux étrangers ! » Leurs bandes, composées en grande partie de gens sans aveu et sans travail, parcouraient la province, semant partout la terreur. Le pillage, le viol et le brigandage marquaient leur passage. Ils ne con¬naissaient ni discipline, ni lois, ni chefs ; chacun en prenait à son aise. Cependant à Séoul on s’inquiétait au sujet des missionnaires, et on leur avait donné l’ordre de se rendre à la capitale. Ceux qui le pu¬rent, répondirent à ce prudent appel ; mais ceux qui étaient trop éloignés, durent fuir dans les montagnes. M. Baudounet et son compagnon. d’in¬fortune, M. Villemot, errèrent ainsi pendant 2 mois, sans abri, sans autre nourriture que celle que les chrétiens trouvaient moyen de leur faire passer en cachette, souffrant encore plus au moral qu’au physique, du fait qu’à chaque instant un courrier de Job venait leur annoncer que, dans telle chrétienté un homme avait été tué, qu’un autre avait été mis à la question ; que des femmes avaient été violées, qu’un village avait été incendié, que la résidence de tel missionnaire venait d’être pillée, etc. Fatigués de cette vie errante et moins que sûre, voyant que les choses ne prenaient pas meilleure tournure, nos deux braves résolurent de tenter la fortune et de gagner Séoul. Ce n’était point chose facile. Les che¬mins étaient remplis de Tonghak, et les fugitifs risquaient à chaque instant de tomber entre leurs griffes. Ils arrivèrent cependant, mais non sans danger, ni sans une protection spéciale de la Providence. Une nuit, dans une auberge les Tonghak, qui ne pensaient pas être compris des deux Européens qu’ils savaient là, complotaient leur mort. M. Villemot, harassé de fatigue, dormait ; mais M. Baudounet, qui veillait et avait tout entendu, laissa reposer tranquillement son confrère. Ce ne fut que le lendemain, après qu’ils furent sortis comme par miracle de ce guêpier, qu’il raconta à son confrère ce qu’il avait entendu.
Arrivé à Séoul après bien des péripéties et toutes sortes d’aventures, M. Baudounet attendit longtemps encore avant que les événements ne lui permissent de retourner à son poste. Enfin, le gouvernement coréen se voyant impuissant à rétablir l’ordre (les soldats qu’il avait envoyés combattre les rebelles étaient passés de leur côté), se décida à implorer le secours des japonais. Ceux-ci ne se firent pas prier. Ils envoyèrent quelques compagnies de soldats qui eurent vite fait de mettre les pil¬lards à la raison. Ils en tuèrent quelques-uns, et blessèrent quelques autres ; le reste prit la fuite et la paix fut rendue au pays. M. Baudounet se hâta de regagner son district pour essayer de réparer les ruines mo¬rales et physiques accumulées par les Tonghak.
Elles étaient grandes. Un missionnaire, M. Jozeau, avait été tué ; les résidences des autres missionnaires avaient été pillées. Celle de M. Bau¬dounet avait particulièrement souffert. De sa maison il ne restait que le toit et les quatre murs. Elle n’avait échappé à l’incenlie que grâce au dévouement de son servant : celui-ci, en récompense de sa bravoure, reçut à bout portant une balle qui lui brisa la mâchoire. Cette bourrasque qui aurait dû, ce semble, arrêter, ou tout au moins ralentir l’élan des conversions, ne fit au contraire que l’augmenter. Pendant les années qui suivirent, le missionnaire baptisa des centaines de païens ; le vent était à la religion !
Voyant le nombre de ses chrétiens augmenter de jour en jour, et n’ayant qu’une misérable chapelle pour les réunions, M. Baudounet songea à bâtir une plus grande. Ses chrétiens promirent de l’aider de tout leur possible ; de son côté, il se mit à ramasser, sou par sou, la somme qu’il lui fallait. Ce fut long ; il n’était pas riche, le pauvre Père, et il ne connaissait guère la réclame. Quand il crut avoir les fonds suffisants, il demanda à notre grand architecte de Corée, le cher et dévoué M. Poisnel, les plans d’une belle et grande église. « Ou-trre ! disait-il, c’est ici la ville : il faut quelque chose qui fasse honneur à notre sainte religion… »
Les plans faits, de suite il se mit à l’œuvre. Les travaux allaient bon train : les murs et la couverture étaient déjà à peu près finis quand, hélas ! une perte considérable d’argent vint l’obliger à tout interrompre pendant 2 ans. C’était cruel ; mais, en homme toujours confiant en la divine Providence, il ne perdit pas courage. Il se remit tout simplement à ramasser, à quêter, et surtout à se priver. Au bout de deux ans, il put continuer et achever cette église qui, non seulement fait honneur à la religion, mais qui éclipse tous les plus beaux monuments coréens et japonais de Tjyentjyou ; c’est certainement la plus belle, et de beaucoup, de toutes les églises qui existent en province, dans les deux missions de Corée. Mais Dieu sait ce qu’elle lui a coûté de soucis, de priva-tions et d’économies. On peut dire que chaque pierre, que chaque brique de cette église représente une privation de quelque chose, une mortification du missionnaire. Il se privait même du nécessaire ; et c’est grâce à sa robuste constitution, à son tempérament de fer, qu’il a pu résister si longtemps aux intempérances par défaut auxquelles il se condamnait les 365 jours de l’année. Je ne parle pas de son genre de vie en tournée d’administration ; c’était l’ordinaire coréen dans toute sa simplicité. Chez lui, quand on allait le voir, il se mettait en quatre pour vous bien recevoir ; mais lorsqu’il était seul, je crois bien qu’il ne dépensait pas en moyenne plus de 20 sous pour ses trois repas. Depuis quelques années pourtant, il avait cru pouvoir se payer le luxe d’une demi-barrique de vin européen. Encore ce vin le réservait en grande partie pour ses hôtes. Il n’en buvait que très peu en hiver ; mais, même en été, une bouteille lui faisait facilement 4 et 5 jours. Il avait un cheval, qui lui était bien utile pour ses fréquentes et longues courses à travers les hautes montagnes d’une partie de son district, il s’en débarrassa le jour où il songea à commencer ses bâtisses : ça lui faisait une bouche de moins...
Il était aussi sobre dans ses habits que dans sa nourriture. Il lui répugnait de mettre une soutane ou un chapeau neufs. Les deux con¬frères qui l’ont assisté à ses derniers moments, eurent de la peine à trou¬ver dans sa pauvre garde-robe un habit convenable pour sa dernière toilette. Il avait une douillette à laquelle il tenait beaucoup. De couleur douteuse, elle trahissait un long usage. Il ne la mettait que pour les grandes circonstances, quand il venait à la retraite, par exemple : « c’était son cache-misère ». Son logement était à l’avenant. Il habitait une maison coréenne, où l’on pouvait à la rigueur vivre en hiver ; mais, en été, on y grillait. Quand on lui en faisait la remarque : « Ou-trre ! s’exclamait-il, laissez-moi d’abord bâtir mon église ; après, on verra. Il faut d’abord loger le Maître ; le domestique ne vient qu’après. »
Pauvreté et charité sont sœurs ; notre bon confrère n’était pas moins admirable dans l’une que dans l’autre. Son plus grand bonheur était de pouvoir rendre service à quelqu’un, de lui faire plaisir. Tous ceux qui l’ont connu lui en rendront le témoignage. C’est sa charité qui le poussait à soulager les misères aussi bien corporelles que spirituelles de ses chrétiens. Il ne pouvait supporter la vue d’un malheureux ; il avait une immense compassion pour ceux qu’il voyait souffrir, une indul¬gence extraordinaire pour excuser leurs fautes et leurs défauts, surtout ceux de ses néophytes et des gens de sa maison : lui en dire du mal, c’était le toucher à la prunelle de l’œil. Faut-il s’étonner que certains aient cherché à exploiter cette bonté, qu’ils ne comprenaient souvent même pas ! En Corée, dans les grandes villes, et Tjyentjyou ne fait pas exception à la règle, les gens sans travail, et qui se gardent bien d’en trouver, sont nombreux. Beaucoup de ces gens-là fréquentaient le par¬loir du missionnaire. Sous prétexte de s’instruire de la religion, ils ve¬naient raconter des histoires, fumer la pipe, quelquefois brasser des affaires, et quand l’heure des repas arrivait, ils allaient aider au cuisinier à vider le fond de la marmite. Que de riz a ainsi disparu au su et à l’insu du pauvre Père qui laissait faire ! D’une nature droite et simple, il ajoutait facilement foi à ce qu’on lui disait ; il ne se figurait pas qu’on pût le tromper ; il jugeait les autres d’après lui-même, ce en quoi la cha¬rité trouvait profit, mais pas toujours la prudence.
Pour travailler utilement au salut des âmes, saint Paul a dit qu’il fal¬lait savoir se faire tout à tous. M. Baudounet observait ce précepte à la lettre ; il était devenu tout à fait coréen. Quand il s’agissait du salut des âmes, rien ne l’arrêtait, rien ne semblait lui coûter. Appelé pour une extrême-onction, il partait immédiatement, de jour ou de nuit, et par n’importe quel temps. C’était, disait-il, pour beaucoup de pécheurs l’heure décisive, le moment le plus favorable pour attraper les grosses pièces. Que de temps il a passé, au confessionnal et en dehors du confessionnal, à raccorder des époux, à rétablir la paix dans un ménage, ou à ramener dans le bon chemin un malheureux qui s’en était écarté ! C’est dans la piété, dans son union à Dieu que notre cher confrère pui¬sait force et lumière pour bien remplir son ministère. Il était très fidèle à ses exercices ; il les omettait rarement, lors même qu’il était très oc¬cupé par ailleurs ; il sentait le besoin de se retremper dans la piété comme il sentait le besoin de manger.
Mais je n’en finirais pas si je voulais retracer toutes ses belles qualités, tous les exemples de vertu qu’il nous a laissés ; il me suffira d’ajouter qu’il fut et restera pour moi le type de l’homme apostolique, le mission¬naire dans toute la force du terme, l’idéal rêvé au Séminaire de Paris ; idéal, hélas ! plus facile à imaginer qu’à réaliser. Oui, les missionnaires de la trempe de celui que nous pleurons, sont rares. En le perdant, la mission a fait une grande perte ; elle a perdu un bon ouvrier qui a tra¬vaillé jusqu’au bout, jusqu’à l’épuisement. Dans toute sa vie de mission il n’a été malade que deux fois. La première fois, il paya son tribut d’ac¬climatation en restant tout un mois aux prises avec la fièvre typhoïde ; la seconde fois, il y a de cela quatre ans, il souffrit de la dysenterie, qu’il avait contractée en soignant un moribond.
La maladie qui devait l’emporter ne dura que 5 jours. Le 22 mai, veille de la Pentecôte, il confessa toute la journée, bien que dans la soi¬rée il se sentît déjà très fatigué. Il crut d’abord à une simple indiges¬tion ; mais, un peu plus tard, les vomissements et la diarrhée devenant plus violents, il se dit que cela pouvait bien être la cholérine, et il prit des remèdes en conséquence. Ces remèdes, et d’autres que lui firent prendre les médecins coréens, n’eurent aucun effet appréciable. La nuit fut mauvaise ; le missionnaire ne put dormir. Malgré son état de grande faiblesse, il voulut, le lendemain, essayer de dire la messe. Il s’y reprit à trois fois, sans pouvoir la terminer. Il dut s’avouer vaincu. On le rap¬porta dans sa chambre ; il se coucha, hélas ! pour ne plus se relever.
Pour raconter dignement la mort qui a couronné une si belle vie, je crois ne pouvoir mieux faire que de copier à peu près textuellement la lettre dans laquelle Mgr Demange donne des détails sur les derniers mo¬ments de notre cher et bien regretté confrère.
C’est le cœur qui a défailli, écrivait Sa Grandeur le 28 mai. Avant-hier encore, il allait bien, se faisait lire le journal et même fumait ; mais, dès le soir, MM. Mialon et Lucas remarquèrent qu’il baissait. Il baissa de plus en plus. Il reçut l’extrême-onction en pleine connaissance. Les deux confrères venaient de finir les prières de la recommandation de l’âme, quand il ferma les yeux, pencha un peu la tête sur le côté droit comme pour s’endormir et cessa de respirer. Il était 10 heures du matin, hier 27 mai 1915. Je n’arrivai qu’à 11 heures du soir. Ce matin, après les démarches à la préfecture de police, qui a bien voulu permettre d’enterrer le corps dans la montagne de la mission, nous avons procédé, au « milieu des lamentations des chrétiens, à la mise en bière. Pendant cette triste cérémonie, je regardais les pieds du mort, que l’on baisait il y a plus de 30 ans dans la chapelle de la rue du Bac. Quam speciosi..., qu’ils seront beaux au jour de la résurrection générale ! Que de pas ils ont faits, par tous les temps, dans les mauvais chemins, sur les routes de montagne, sans autre but que le salut des âmes coréennes qu’il a données à Dieu, mais qu’il a achetées au prix de douleurs physiques et morales, que seul le Maître connaît, car le regretté défunt ne savait pas se plaindre !
References
[1616] BAUDOUNET Xavier (1859-1915)
Références bio-bibliographiques
AME 1911 p. 212. 213.
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