Jean LÉCULIER1876 - 1925
- Status : Prêtre
- Identifier : 2408
Identity
Birth
Death
Other informations
Missions
- Country :
- Vietnam
- Mission area :
- 1898 - 1921 (Hué)
Biography
[2408] Jean, Pierre, Hilaire, Francis, Auguste LECULIER naquit le 03 Mars 1876, à Sergeron, paroisse de Pleure, diocèse de Saint-Claude, département du Jura.Vers l'âge de sept ans, il fut confié à un grand-oncle, M.Thouverey, instituteur à l'Etoile, petite commune à six kms de Lons-le-Saulnier. M. Michoulet, curé de la paroisse lui donna quelques leçons de latin; en 1888, il le dirigea vers le Petit Séminaire de Nozeroy, où il fit ses études secondaires.
Le 16 Septembre 1893 il entra au Séminaire des Missions Etrangères, en même temps que M. Alexandre Perrodin, son condisciple de Nozeroy.Il s'adapta sans peine, à la vie du Séminaire, fut un aspirant aux qualités équilibrées, fort gai, apprécié de tous. Tonsuré le 23 Septembre 1894, minoré le 21 Septembre 1895, il devança l'appel pour le service militaire qu'il fit à Lons-le-Saulnier. Pendant une période de manoeuvres, il fut affligé d'une paralysie faciale qui lui provoqua un rétrécissement des paupières lui laissant l'apparence d'un oeil plus petit que l'autre.
Sous-diacre le 26 Septembre 1897, diacre le 05 Mars 1898, trop jeune en Juin 1898, pour recevoir l'ordination sacerdotale avec ses confrères de cours, il dut attendre le 24 Septembre 1898,pour être prêtre; il reçut sa destination pour le Vicariat de la Cochinchine Septentrionale (Hué) qu'il partit rejoindre le 23 Novembre 1898 en compagnie de M.Lefèvre Marie-Antime.
Arrivé à Hué le 11 Janvier 1899, il passa les premières semaines à visiter les postes missionnaires proches de cette ville, et commença l'étude de la langue viêtnamienne; puis Mgr Caspar le confia à M. Allys curé de Phu-Cam et chef du district de Benthuy depuis une dizaine d'années et qui avait ouvert cinq ou six centres chrétiens dans cette région. Le jeune missionnaire suivit son maitre dans ses pérégrinations à travers son district.
Fin Février 1899, le Gouvernement du Protectorat créa à Hué,un hôpital central qui fut confié aux Soeurs de St. Paul de Chartres. En outre, la population européenne devenait de jour en jour, plus nombreuse. M. Leculier fut tout désigné pour assumer cette double charge pastorale. En 1904, les Frères des Ecoles Chrétiennes ouvrirent à Hué l'école Pellerin, et un noviciat quelques années plus tard. M. Leculier en assura l'aumônerie. En 1909 M. Allys devint Vicaire Apostolique; il voulut garder auprès de lui celui qui était son commensal depuis dix ans; il lui confia le soin de construire l'Evêché et la Procure de la Mission. En quinze mois tout fut achevé.
En 1911, M.Leculier céda à un autre sa charge d'aumônier des Frères; il s'occupa de l'Institution Jeanne d'Arc et il prit la direction de la Procure de la Mission qu'il garda jusqu'en 1918. Entre temps, il résolut de construire une église pour la communauté française de Hué. A cette fin, il acheta un terrain et pour réaliser son projet, il partit à Saïgon solliciter toutes les générosités; M.Albert Sarraut lui fit un don important. Malgré les difficultés de la guerre, le 15 Août 1918, Mgr. Allys bénit cette nouvelle église St. François. Le 13 Octobre suivant la cloche Charlotte-Henriette-Marguerite" reçut le baptême.
En Juillet 1912, il ressentit sa première crise de coliques néphrétiques; en 1917, il faillit être emporté par la sprue.Malgré ces accidents de santé, il construisit son église et son presbytère. Celui-ci achevé, il quitta la Procure, et s'installa à St.François, au milieu de ses paroissiens. En 1921, survinrent quelques troubles sérieux du côté du coeur, mais en Octobre de la même année, sur la proposition des Vicaires Apostoliques concernés, Mgr. de Guébriant l'appela au Conseil Central de la Société, comme représentant des Missions de Cochinchine et du Cambodge.
Arrivé à Paris en Mars 1922, la direction de la Procure des Commissions lui fut donnée.Il s'y montra avenant, attentif,serviable. L'année suivante, il passa à la Procure Générale où on lui confia la tenue des livres. Mais la maladie ne lui avait accordé qu'un sursis.En 1924, fatigué,il se résigna à consulter un docteur. Vers la fin de cette même année, l'urémie le força à un repos complet. Il se rendit à la Procure de Marseille,auprès de M.Masseron, son compatriote et ami. Dans cette ville,, il retrouva les docteurs Thiroux et Seguin, ses vieux amis de Hué.
Le 27 décembre 1924, une crise d'urémie se déclara, suivie d'une autre plus alarmante le 27 Janvier 1925. Le 04 Novembre 1925, vers deux heures trois quart du matin, il rendit son âme à Dieu. Il repose au caveau des Mep, au cimetière de Marseille.
Obituary
M. LÉCULIER
PROCUREUR DES MISSIONS DE COCHINCHINE ET DU CAMBODGE
AU SÉMINAIRE DES MISSIONS-ÉTRANGÈRES
M. LÉCULIER (Jean-Pierre-Hilaire-Francis-Auguste), né le 3 mars 1876 à Sergeron (Saint-Claude, Jura). Entré laïque au Séminaire des Missions-Étrangères le 16 septembre 1893. Prêtre le 24 septembre 1898. Parti pour la Cochinchine Septentrionale (Hué) le 16 novembre 1898. Représentant du groupe des Missions de Cochinchine et du Cambodge en 1921. Mort à Marseille le 4 novembre 1925.
Jean-Pierre-Hilaire-Francis-Auguste Léculier naquit à Sergeron, paroisse de Pleure (Jura) le 3 mars 1876. -
Et in nativitate ejus multi gaudebunt dit l’Ecriture de saint Jean-Baptiste ; il dut en être ainsi dans la famille de notre nouveau-né, à en juger par les nombreux prénoms qui lui furent donnés au baptême : il est à présumer que chacun voulut lui imposer le sien. On choisit ceux des parents et grands-parents ; dans l’usage, pour l’accord de tous sans doute, ce fut un cinquième qui prévalut : Francis.
Son père, Pierre Léculier, et sa mère, Augustine Girodet, vivaient à Sergeron avec les grands-parents maternels, Hilaire et Jeannette Giroudet, gens très simples, chrétiens de race et de tradition. Parents et grands-parents cultivaient ensemble une propriété bien modeste et vivaient de leur travail.
Dans cette atmosphère d’affection et de vertus familiales, germèrent les qualités peu communes dont nous verrons bientôt le développement dans la vie du missionnaire. Nous ignorons à quelle époque les deuils successifs vinrent attrister l’âme très sensible de notre confrère, mais nous savons que la bonne grand’mère vivait encore quand son petit Francis était déjà missionnaire en Annam. « Je me rappelle, écrit un de ses confrères de départ et de mission, avoir vu arriver en Annam quelques paires de bons bas de laine bien étoffés, bien chauds, que la maman Jeannette avait tricotés au coin du feu pendant les longues soirées d’hiver. Ces bons bas de laine arrivaient régulièrement en mai ou en juin, époque où le thermomètre affolé est près d’atteindre 40 degrés. Aussi, entendions-nous souvent, quand la chaleur nous accablait, cette réflexion qui dans la circonstance ne manquait pas d’humour : « Et dire que ma bonne grand’mère se tue à me tricoter des bas de laine ! »
Deux petites sœurs vinrent prendre place au foyer. Francis fut confié, vers l’âge de sept ans, à un grand-oncle, M. Thouverey, instituteur à l’Etoile, petite commune à six kilomètres de Lons-le-Saulnier, renommée par ses vins mousseux. M. Thouverey était un instituteur de la vieille école, un homme de devoir : il donna à son petit-neveu ce premier enseignement élémentaire mais bien approfondi, où la bonne plume de Francis devenu grand puisera toujours deux grandes qualités du parfait styliste : l’élégance et la correction. De son côté, Mme Thouverey, sœur de la grand’mère Jeannette, âme vertueuse qui eut à subir de grandes épreuves, prit à cœur de communiquer à l’enfant les vertus qui faisaient d’elle une sainte. M. Michoulet, curé de la paroisse, distingua bien vite les qualités précoces du petit Francis ; aussitôt après la première communion, il lui donna quelques leçons de latin, puis le fit entrer au petit Séminaire de Nozeroy, en 1888.
Le petit séminariste fit à Nozeroy des études sérieuses. « Pas très joueur en récréation, disent les notes que nous possédons, il préférait causer... » Nous le croyons sans peine ; nous croyons aussi que ceux qui causaient avec lui n’étaient pas ceux qui se récréaient le moins ; peut-être même, — ce n’est pas un jugement téméraire — ces causeries se prolongeaient-elles parfois jusqu à l’étude, car la tranquille gaîté de Francis, qui ne le poussait pas vers les jeux bruyants, était toujours exubérante dans les conversations.
Durant son séjour au petit Séminaire de Nozeroy, il fréquenta, pendant les vacances surtout, M. l’Abbé Stanislas Léculier, curé des Chalesmes, petite paroisse du Haut-Jura. Ce prêtre, dont la grande bonté était connue de tout le diocèse, était appelé « mon oncle » par le petit Francis, bien qu’en réalité il n’y eût aucun lien de parenté entre eux malgré la similitude de leur nom patronymique ; mais, et cela suffisait, il était l’oncle du cousin germain, Eugène Léculier, de qui nous viennent ces renseignements ; il était surtout l’oncle de la bonne marraine, Mlle Adélina, qui alors « gouvernait » le presbytère et, aujourd’hui retirée à Dôle, ne peut se consoler de la disparition de son cher filleul.
Les visites aux Chalesmes devinrent plus fréquentes, à mesure qu’il approchait de la fin de ses études secondaires. Il eut en rhétorique un moment d’hésitation au sujet de sa vocation : Guidé par les sages conseils de M. l’Abbé Baud, son directeur, il se décida pour les Missions, et la résolution une fois prise fut inébranlable. « L’oncle bénévole », le Curé des Chalesmes, lui prodigua encouragements et réconfort car il eut à lutter un peu contre la volonté de ses parents, dont l’amour était crucifié à la pensée de la séparation prochaine et dans quelques années définitive.
Francis Léculier entra au Séminaire des Missions-Étrangères le 16 septembre 1893, en même temps qu’un de ses condisciples de Nozeroy, Alexandre Perrodin, aujourd’hui missionnaire à Tchengtou ; il avait alors dix-sept ans et demi. Il n’eut aucune peine à s’accoutumer à la vie bien réglée du grand Séminaire. Dans l’observation simple de ses devoirs de séminariste, il fut simplement un bon aspirant, dont les qualités bien équilibrées furent toujours à l’abri d’un enthousiasme exagéré, aussi stérile qu’éphémère. Sa qualité — dominante pourrait-on dire — celle qui décuple les forces du missionnaire aux heures difficiles, la gaîté, gaîté gauloise, gaîté de l’esprit beaucoup plus que des gestes bruyants, le fit apprécier, aimer et rechercher de tous ses confrères.
Deux années passées au Séminaire de Bièvres le rapprochaient du service militaire ; il devança l’appel et fut incorporé au 44e d’Infanterie, à Lons-le-Saulnier. Pendant une période de manœuvres, il fut affligé d’une paralysie faciale qui laissa une légère trace : une sorte de rétrécissement des paupières donna sur sa physionomie très expressive l’apparence d’un œil plus petit que l’autre, ce qui accentuait un petit air malin et nuançait singulièrement les saillies dont ses conversations étaient émaillées.
La caserne ne lui donna pas le goût de l’héroïsme « armé » ; il la quitta sans regret et revint prendre la vie tranquille du séminaire. Trop jeune pour recevoir l’ordination sacerdotale avec ceux de son cours, en juin 1898, il dut attendre jusqu’en septembre et partit en novembre pour la Mission de Hué avec M. Lefèvre, son ami de toujours et son confident que, durant sa dernière maladie, il appelait souvent à son chevet lorsque le mal le tenaillait plus fort.
Les deux amis arrivèrent à Hué le 11 janvier 1899. Les premières semaines furent consacrées à la visite des postes relativement peu éloignés de Hué et entre temps à l’étude de la langue puis, tandis que M. Lefèvre était envoyé dans la paroisse la plus éloignée — dans la brousse — M. Léculier recevait sa destination pour Hué même. Le plus heureux des deux ne fut pas ce dernier. Au Séminaire, la brousse exerce son attraction sur les imaginations même les plus froides et M. Léculier lui-même en avait rêvé. Il ne tarda pas cependant à constater qu’il avait reçu la meilleure part.
Le missionnaire à qui Mgr Caspar venait de le confier était M. Allys qui, depuis une dizaine d’années à la tête du district de Benthuy, avait déjà établi cinq ou six centres d’administration dans des contrées jusque-là toutes païennes. Le jeune missionnaire put se rendre compte des mille difficultés de l’évangélisation : Une période bien pénible commençait alors, qui devait durer plusieurs années, et les missionnaires, le P. Allys entre autres, avaient à lutter dur et ferme pour défendre leur bercail. Le disciple prenait plaisir à suivre le maître dans
ses fréquentes pérégrinations à travers les nombreuses chrétientés disséminées de tous les côtés de son district ; il observait beaucoup, première condition d’une expérience sûre ; il était à bonne école et l’élève se montrait digne du maître. L’avenir cependant lui réservait une autre sphère d’action.
Vers la fin de février 1899, l’hôpital militaire de Thuanan fut supprimé et l’établissement d’un hôpital central à Hué fut décidé par le gouvernement du Protectorat. Les Sœurs de Saint-Paul de Chartres quittèrent donc Thuanan et vinrent prendre la direction de l’hôpital de Hué. D’autre part, la population européenne augmentait de jour en jour, et sans être encore bien importante, réclamait un missionnaire qui s’occupât spécialement d’elle. M. Léculier se trouvant sur les lieux, puisque Phucam, chef-lieu du district de Benthuy, est tout près de la ville européenne, fut tout désigné pour assumer cette double charge ; à cela il avait toutes les aptitudes : une piété éclairée, une grande commisération pour toutes les infortunes et une remarquable finesse d’observation. « Avec son petit œil, écrit M. Lefèvre, il voyait beaucoup de choses sans en avoir l’air ; et ces choses, il savait les redresser, les corriger. C’était un jeu pour lui d’envelopper, sous de belles phrases bien cadencées et bien sonores, des vérités qui, toutes nues, auraient jeté l’émoi. Bressan d’origine, il allait à l’énergie du Franc-Comtois la finesse du Bourguignon : Quand il fallait faire le siège d’une âme ou attaquer une position, le Bourguignon entrait dans la place sans être aperçu et quand il y était, il aidait le Franc-Comtois à déblayer diplomatiquement le terrain. »
En 1904, l’Institut des Frères des Ecoles Chrétiennes ouvrit à Hué l’Ecole Pellerin, du nom du premier Vicaire Apostolique de la Mission. Aux diverses fonctions qu’il remplissait déjà, M. Léculier dut ajouter celle d’aumônier de l’école, pensionnat, externat, puis, quelques années plus tard, noviciat.
En 1909, Mgr Allys, devenu Vicaire Apostolique de la Mission, voulut conserver près de lui celui qu’il avait depuis dix ans comme commensal ; à ses nombreuses occupations, il ajouta la lourde charge de construire l’évêché et la procure. C’est ici que commence l’œuvre peut-être la plus importante que réalisa notre confrère en Mission et qui dota celle-ci de constructions belles et solides.
Les difficultés étaient nombreuses : le terrain n’était pas aussi ferme que le sol rocailleux où il avait vu et « observé » le P. Allys construisant une spacieuse église ; les matériaux, offerts en partie, étaient parfois de qualité médiocre ; les ressources étaient limitées et il fallait faire grand et solide. Il se mit à l’œuvre. En quinze mois tout fut achevé, évêché, procure, maisons solides, belles et confortables, où missionnaires et prêtres indigènes fatigués sont heureux de trouver auprès de leur évêque « bon souper, bon gîte et le reste » quand ils peuvent venir se reposer à Hué.
En 1911, M. Léculier céda à un autre la fonction d’aumônier des Frères, mais il prit en revanche la direction de la Procure qu’il garda jusqu’en 1918. Entre temps il résolut de construire une église pour ses paroissiens de la colonie française : Dans les œuvres de Dieu, le zèle suit une loi de progression constante.
La population française de Hué augmentait de jour en jour et la petite chapelle des Religieuses de Saint-Paul de Chartres servait — toujours provisoirement — d’église paroissiale. Cela ne pouvait durer plus longtemps, mais que faire ? On ne trouvait plus de terrains libres pouvant être cédés en concession ; il fallait se résigner à acheter très cher l’une des rares rizières que l’on rencontrait encore dans le périmètre de la ville et, avant de bâtir, il fallait combler à grands frais ce terrain marécageux ; le missionnaire n’avait en caisse que quelques milliers de francs qui lui venaient de sa famille. Il se mit à l’œuvre, acheta un terrain assez grand, réussit à le combler, et la bourse se trouva vide. Allait-il encourir le reproche de l’Evangile ? Hic homo coepit oedificare et non potuit consummare. Il écrivit un article qui parut dans Le Gaulois, envoya des lettres assez nombreuses en France et il reçut… beaucoup d’encouragements. Mettant de côté la plume qu’il maniait pourtant avec dextérité, il prit le bâton de pèlerin et partit pour Saïgon. Présenté par Mgr Mossard, encouragé par M. Masseron, son vieil ami et compatriote, guidé par le T. C. F. Camille, Visiteur des Frères des Ecoles Chrétiennes en Indochine, il put remplir son escarcelle ; M. Albert Sarrault, soucieux de soutenir les intérêts de la France dans la belle colonie qu’il gouvernait alors, fit au missionnaire bâtisseur un don généreux avec promesse de le renouveler au besoin.
De retour à Hué, M. Léculier mena rapidement les travaux. Le 15 août 1918, Mgr Allys bénissait le gracieux monument en présence de toute la population française. Le 13 octobre suivant, la cloche « Charlotte-Henriette-Marguerite », noms bien chers à une des meilleures familles de Hué, recevait le baptême, et le 11 novembre 1918, elle sonnait de sa voix argentine la joie et les fiertés de l’armistice.
Elle sonnait aussi pour notre confrère l’heure de la vieillesse prématurée et du repos nécessaire. Il était d’une constitution très forte ; malgré cela, peut-être même à cause de cela, sa santé eut beaucoup à souffrir en Annam. Comme tout bon arthritique, il éprouva très souvent de violentes migraines ; il prenait alors à fortes doses des médicaments puissants qui sans doute le débarrassaient de son mal mais laissaient dans son organisme des traces qui peu à peu favorisaient l’éclosion de la maladie qui devait l’emporter. C’est en juillet 1912 qu’il ressentit la première crise de coliques néphrétiques qui, par intervalles fréquents, devaient le torturer pendant dix ans. Pendant la guerre, alors qu’il cumulait les fonctions de procureur, curé, aumônier, voire même d’infirmier militaire, une maladie plus grave faillit l’emporter, le « sprow ». Plus jamais il ne retrouva l’ardeur qui l’animait avant ; lui, dont la carrure était puissante, était devenu tellement maigre qu’il en était méconnaissable. Un jour, se trouvant à la Poste, il entendit un de ses paroissiens — un militaire sans doute — dire à son compagnon : « Regarde donc le Père, il est f... ; c’est dommage, c’était un bon b... « — « Cette réflexion, disait-il plus tard, me fit d’abord impression ; puis je me rendai compte de mon état et me préparai à la mort. »
La mort heureusement ne vint pas et le malade put terminer la construction de l’église et du presbytère. C’est alors qu’il quitta la procure et alla s’installer au milieu de ses paroissiens. Ceux-ci avaient appris à l’aimer et, quoique peu nombreux — quelques centaines —ils demandaient à l’avoir comme pasteur. Dès lors, l’assistance à la messe fut plus nombreuse et plus régulière ; un groupe de dames se forma, auquel vinrent s’adjoindre quelques hommes, pour s’approcher régulièrement de la Sainte Table ; une jeune fille quitta le monde pour entrer au Carmel ; le nombre des Pâques augmenta d’année en année.
Le missionnaire était heureux. Cette nouvelle vie au milieu de ses ouailles lui apparaissait comme un repos, en attendant, dans un avenir qu’il voyait encore lointain, le repos définitif du cimetière au milieu de ceux qu’il avait conduits ou allait conduire à Dieu.
Cependant, en 1921, survinrent des troubles graves du côté du cœur ; il se crut de nouveau à la veille de mourir et pria un de ses paroissiens d’aller interroger adroitement le docteur en chef de l’hôpital qui le soignait : « Rassurez-vous, répondit celui-ci, le Père n’a rien à craindre ; mais dame ! si vous étiez venu il y a quelques jours, je ne sais pas ce que je vous aurais répondu. »
Quelques mois après, en octobre 1921, Mgr le Supérieur du Séminaire et de la Société, sur la proposition des Vicaires Apostoliques du groupe des Missions de Cochinchine et du Cambodge l’appelait à prendre au Conseil Central de la Société la place de délégué de ces Missions.
M. Léculier arriva au Séminaire de Paris en mars 1922. De taille un peu au-dessous de la moyenne mais de belle prestance, large d’épaules, dégagé d’allure malgré une légère pointe d’obésité, les traits encore jeunes sous une longue barbe touffue et chenue s’étalant en large éventail sur la poitrine, d’humeur toujours réjouie, il nous donnait à tous l’impression d’une santé florissante.
La direction de la Procure des Commissions lui fut donnée. Jamais procureur ne fut plus que lui avenant, attentif, serviable. Réussit-il à surmonter toutes les difficultés si complexes de sa charge et à contenter toutes les exigences ? Nous ne voulons pas l’affirmer : il n’était pas un thaumaturge. Les besoins d’une organisation prévoyante le firent passer l’année suivante à la procure générale où la tenue des livres lui fut confiée. Ainsi nous aimions à voir disparaître la crainte du vide que le travail trop lourd pour un seul, la fatigue, l’âge pouvaient produire dans notre administration.
Hélas ! la maladie ne lui avait accordé qu’une trêve et durant des mois il lutta pour tenir secrètes ses nouvelles atteintes. « Le 15 août 1924, écrit M. Lefèvre, nous montions ensemble la côte de Bel-Air ; à peine arrivés dans le parc, il me confia qu’il lui était de plus en plus difficile de monter les côtes ; il était tout essoufflé. Je le grondai doucement, lui reprochant de ne pas prendre les précautions les plus élémentaires, je l’engagea à aller à Vittel, comme le lui avaient conseillé les docteurs de Hué. « Vous savez bien, me dit-il, que je suis incapable de rester trois semaines sans rien faire, alors que le travail s’accumule dans ma chambre. »
Il se résigna enfin à consulter un docteur qui lui prodigua ses soins. Cependant, aucune amélioration ne se produisait. Vers la fin de novembre, il se décida à un repos complet ; il s’éloigna de toute occasion de fatigue et se rendit à la procure de Marseille auprès de M. Masseron, son compatriote et son ami ; il savait aussi qu’il retrouverait là le dévouement éclairé de ses vieux amis de Hué, les docteurs Thiroux et Seguin. Ceux-ci découvrirent vite le mal, mais il était trop tard pour l’enrayer et ils ne purent que retarder la fatale échéance.
Nous voulons insister ici sur le grand dévouement de ces grands bienfaiteurs de nos missionnaires, les docteurs Thiroux et Seguin, parce que la reconnaissance nous en fait un devoir, et parce que la véritable affection, dont ils donnèrent tant de preuves à M. Léculier mourant, était un écho de celle dont cette âme d’apôtre débordait pour les âmes ; leurs visites répétées à la moindre alerte et de jour et de nuit, leur vigilance assidue au chevet du malade étaient un hom¬mage à l’un des nôtres et un éloge pour l’œuvre que nos missionnaires accomplissent là-bas.
Le 27 décembre une crise d’urémie se déclara ; on put en venir à bout, mais à partir de ce jour, notre confrère dut se priver de dire la messe. Ce fut désormais une longue agonie qui dura près de onze mois, avec des alternatives de haut et de bas ; nous devons en abréger les détails pourtant touts édifiants. Le 27 janvier, une nouvelle crise plus alarmante fut aussi plus difficile à enrayer. En mars, l’œdème commença à se montrer ; il devait durer quelques mois, disparaître quelques semaines pour revenir ensuite et emporter le malade.
Quand M. Léculier se sentit perdu, la sérénité de ceux qui ont mis toute leur confiance en Dieu ne quitta pas son âme : Il offrit à Dieu ses souffrances et sa vie et attendit le dernier appel. « Vous direz à Mgr Allys, répétait-il souvent à son confrère de Hué, M. Chapuis, qui le veillait, que j’offre à Dieu toutes mes souffrances pour sa personne, sa Mission, pour tous ses prêtres et particulièrement pour l’œuvre des catéchumènes. » — « Je vous le dis à vous tout, seul, écrivait-il à un autre de ses confrères, toutes ces ponctions me font souffrir beaucoup et je paye cher mon soulagement ; toutefois je suis disposé à monter tant qu’il faudra ce douloureux calvaire, suivant la sainte Volonté de Dieu ; aidez-moi de vos prières. »
Le dénouement survint le 4 novembre, vers deux heures trois quarts du matin ; nous en trouvons le récit dans une lettre adressée à Mgr Allys par M. Chapuis : « Le samedi matin, 31 octobre, le Père eut une crise qui nous fit craindre un instant, mais il se remit presque aussitôt. Dimanche, lundi, mardi, rien de particulier... Le soir du mardi il disait qu’il allait mieux et causait plus volontiers. Vers dix-huit heures, il fut tout heureux de recevoir la visite de Mgr de Guébriant à son retour de Rome et s’entretint avec lui... Quand je le quittai à vingt et une heures, rien ne faisait prévoir qu’il mourrait pendant la nuit. A vingt-trois heures il eut une crise ; le froid l’envahissait, quoique la chambre fût surchauffée. La Sœur garde-malade appela vite les Pères et de lui-même le cher malade demanda aussitôt l’Extrême-Onction. « Hâtez-vous, me dit-il, cela presse. » Mgr le Supérieur prévenu aussitôt vint la lui administrer ainsi que le Saint Viatique.
Après la cérémonie, le Père s’adressant à Monseigneur lui dit qu’il n’avait qu’un seul désir, celui d’être utile aux Missions ; mais puisque le bon Dieu l’appelait, il lui offrait volontiers le sacrifice de sa vie pour la Société et particulièrement pour les Missions qu’il représentait... Il demanda ensuite à tous ceux qui étaient présents de lui pardonner la peine qu’il avait pu leur causer.
Pensant que la fin n’était pas encore proche, Monseigneur se retira avec les Pères ; le P. Bonhomme et moi restâmes avec la Sœur garde-malade. Le docteur Seguin appelé par téléphone arriva aussitôt, essaya de soulager le moribond, mais tout fut inutile. Je récitai alors près de lui les prières des agonisants et l’exhortai à renouveler les actes de contrition et de confiance en Dieu...
A un moment donné, la Sœur dit qu’il était temps de lui donner une dernière absolution. A peine l’eut-il reçue qu’il passait à une vie meilleure. »
Ainsi mourut dans le Seigneur, comme il avait vécu, Jean-Pierre-Hilaire-Francis-Auguste Léculier, notre confrère.
Beati qui in Domino moriuntur !
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References
[2408] LECULIER Jean (1876-1925)
Références biographiques
AME 1899 p. 40. 1922 p. 181. 1923 p. 67. 117. 1925 p. 240. 1926-27 p. 486. CR 1898 p. 273. 1899 p. 227. 1905 p. 184. 1908 p. 199. 1918 p. 87. 1921 p. 93. 1925 p. 145. 190. 1936 p. 258. 1939 p. 232. 1947 p. 227. BME 1922 p. 15. 25. 38. 105. 179. 299. 497. 679. 682. 1923 p. 65. 178. 332. 456. 523. 586. 1924 p. 130. 263. 342. 1925 p. 249 sq. 777. 788. 1926 p. 58. 1936 p. 594. 1937 p. 213. EC1 N° 1. 5. 10. 11. 13. 17. 20. 22. 23. 26. 30. 34. 36. 38. 39. 41. 44. 46. 55. 56. 57. 67. 76. 77. 78. 79. 82. 83. 91. 96. 119. 140.
Juillet 1994
Mémorial LECULIER Jean, Pierre, Hilaire, Francis, Auguste