Jean-Marie DONJON1902 - 1996
- Status : Prêtre
- Identifier : 3338
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Identity
Birth
Death
Biography
[3338] DONJON, Jean-Marie, Vincent, né le 10 avril 1902 à Saint Priest la Roche (Loire), diocèse de Lyon, fit ses études primaires à Mormand (Rhône) et ses études secondaires au Petit séminaire de Saint Jean de Lyon. Passant par le Séminaire de philosophie, de Sainte Foy, puis pour la théologie par le Grand séminaire de Francheville, il entra aux Missions Etrangères. Ordonné prêtre le 29 juin 1927, il part pour la mission de Phatdiem.
Cette mission, importante géographiquement, peuplée de 1.500.000 habitants, comprenait 60.000 catholiques, principalement d'origine vietnamienne. Dès son arrivée, le Père Donjon apprit la langue vietnamienne ainsi que le thai et occupa les postes de Muong Tiet, de Muong Chu, de Muong Poun et de Muong Xuoi. En plus de l'évangélisation propre à tout missionnaire, il essayait d'apporter quelques soins à la population avec peu de moyens : savon de Marseille, alcool, quinine, teinture d'iode ; la mortalité infantile régressa. En 1945, les Japonais et les comités révolutionnaires envahirent le pays, certains missionnaires furent arrêtés, assassinés mais le Père Donjon préféra rester mais put s'enfuir pendant un an dans les forêts où il survécut dans des conditions difficiles. En 1946, il rencontra les Légionnaires de retour de Chine et le Père retrouva une vie normale avant de s'installer à Sam Neua, à Muong Poun, à Savanakket et à Thakket. En 1978, avec les péripéties guerrières de l'Indochine, il rentra en France et se retira à Lauris ; ses paroissiens ne l'oubliaient pas, lui écrivaient, le Père répondait à tous. Il avait vécu sa vie de missionnaire dans un dénuement total, ses nombreux accès de malaria avaient dégradé sa santé , il s'éteignit le 7 janvier 1996.
Obituary
Père Vincent DONJON
(1902-1996)
Suivre Vincent Donjon du berceau à la tombe, l'accompagner tout au long de son existence pour en raconter les faits marquants est, à la fois, agréable et facile quand on a tant soit peu partagé son parcours missionnaire.
C'était un homme tout droit, très sociable, qui avait plaisir à vous conter avec humour ses faits et gestes et les moindres aventures de sa vie sans mystère.
Très observateur, il jetait sur le monde un regard mutin, l'œil plissé d'un sourire bienveillant, s'efforçant de ne voir que le bon côté des choses sans en méconnaître pour autant la complexité, le sérieux et, parfois le tragique.
De sa formation première à la maison, il tenait un esprit pratique, avec un sens très aigu des réalités terrestres et une intelligence ouverte à tous les aspects matériels de la vie.
Il savait deviner, improviser, inventer comme en se jouant, le moyen commode de faire face à toute situation concrète.
Par contre, il n'aimait pas entrer dans le domaine des grands principes. Quand, avec quelques confrères, la discussion ou la controverse s'attardait sur un sujet philosophique, théologique ou scientifique, il suivait la querelle avec une condescendance amusée, puis d'une fine boutade, ramenait tout le monde sur terre.
Voici son histoire, telle qu'il nous l'a racontée.
Ses débuts dans la vie.
Né le 10 Avril 1902 à Saint-Priest la Roche, dans une famille heureuse qui allait compter quatre garçons et une fille, il y fut choyé, dorloté et entouré du confort sommaire et frugal, qui était le lot de toute la France rurale en ce début de siècle. Toute sa vie, il en gardera un souvenir émerveillé.
Sa maison touchait la Loire. Près de sa source, elle n'était encore là qu'un modeste ruisseau et donc un terrain de jeux et d'expériences à la mesure de ses rêves et ambitions d'enfant. La ferme était modeste, - pauvre, dira-t-il - sur un petit terrain aride et rocailleux. Toutefois, avec ses prolongements communaux, elle fournissait presque tout le nécessaire pour faire vivre la famille. De plus, l'isolement du coin favorisait toute initiative propre à compléter les ressources de la culture et de l'élevage par des apports occasionnels fort appréciés.
Avec juste un peu de flair et d'astuce, la moindre crue de la rivière pouvait vous rapporter un panier de truites et un simple brin d'osier, bien placé, un oreillard trop curieux, grâce à de fines techniques que les gardes n'avaient pas besoin de savoir. C'est de cette époque de son apprentissage quotidien de l'univers rural qu'il tira son aptitude à faire face à toute situation imprévue et à se tirer d'affaire avec les moyens du bord. Sa connaissance de la nature et ses facultés d'observation lui firent mieux comprendre les montagnards thaïs qui le prirent d'emblée pour un des leurs.
C'est grâce à elles aussi qu'il put survivre à la terrible épreuve de son séjour en grande forêt, un an durant, et pratiquement seul. Heureux chez lui, avec tant d'occupations passionnantes, il n'était bien qu'à la maison : on travaillait ensemble, les uns avec les autres et les uns pour les autres. La maison, c'était ce partage quotidien des petits secrets, des joies et des peines qui soudait la cellule familiale et lui donnait force et cohésion.
Aussi, l'école ne lui plût pas, ni la lecture ni l'écriture : il avait l'esprit ailleurs... C'était pourtant un enfant facile, doux de caractère et bien éduqué dans la foi, par une tendre mère et toute une famille chrétienne. Son rejet de l'école les chagrinait tous. Pour y remédier, il fut décidé qu'on l'enverrait à Mornand pour une éducation plus sérieuse. Son parrain de baptême, l'oncle prêtre J.-Marie Donjon, le prit en charge et, en plus des leçons de l'école primaire, se mit à lui apprendre le latin et le grec. Il lui suffit de trouver un climat et des circonstances favorables pour faire de très rapides progrès dans les études. Il apprenait sans peine apparente, il retenait et il avançait.
Il se trouvait même très à l'aise et savait rester gai, sensible et bon compagnon. Sa piété profonde mais sans ostentation, son désir de servir avec le sourire sont si manifestes que son oncle y discerne des signes de vocation sacerdotale. "S'il veut être prêtre ? - Mais bien sûr !" affirme-t-il simplement à l'oncle et à la famille ravis de la bonne nouvelle. Après un dernier coup de collier avec l'oncle-précepteur, il sera admis en quatrième !
Le 3 octobre 1916, alors que la Grande Guerre se prolonge, il entre à la manécanterie de Claveisoles et, l'année suivante, au petit séminaire St-Jean de Lyon, où il poursuit sans peine des études normales. En 1920 il est au séminaire de philosophie Ste-Foy. En avril 22 il est incorporé chez les artilleurs pour dix huit mois de service, pendant lequel il devient un fringant cavalier.
Il entre en théologie en novembre 23 à Francheville d'où, en juin 24, il sollicite la faveur d'entrer aux Missions Étrangères. Muni de certificats élogieux, il est admis et termine ses études à la rue du Bac pour y être ordonné prêtre le 12 Juin 1927. Selon la tradition, il reçoit sa destination le soir même pour la mission de Phat-diêm où il arrivera fin octobre 27.
Il a vingt-cinq ans !
En mission
La mission de Phat-diêm occupait un vaste territoire dit "Tonkin Maritime", comprenant le sud du delta, adossé, au nord ouest, aux montagnes du Laos et en débordant largement la frontière. Par suite de différents arrangements et divisions, la mission fut partagée en deux : Phat-diêm et le nord, déjà bien évangélisés, furent confiés au clergé vietnamien tandis que le sud du delta et son prolongement dans la montagne, avec Thanh-Hoa comme centre, revenait aux Missions Étrangères.
Il y avait de quoi faire ! 20 000 km_ la moitié de la Suisse et 1 500 000 habitants dont 60 000 catholiques. La plupart de ceux ci, vietnamiens, étaient sur les basses terres en chrétientés assez regroupées.
Les montagnes du Chau Laos, tant au Viêt-nam qu'au Laos, abritaient, elles, différentes minorités ethniques : des Thaï - Thaï Dëng ou Thaï Dam - Rouges ou Noirs selon la couleur des robes des femmes, - des Muong, des Hmong et, à Sam Nua des Lao.
Très dispersés, sur un terrain compliqué et accidenté, il y avait, environ, trois mille chrétiens, surtout des Thaï.
A peine arrivé, il se mit comme tout un chacun, à l'étude de la langue principale du pays : le vietnamien. Un an durant, il peina sur les fines distinctions de sons et de tons de ces subtils monosyllabes qui ne tolèrent aucune fantaisie dans leur prononciation sans risque d'abominables contresens. N'ayant pas l'oreille musicale, à force de travail assidu, il arriva à un honnête usage du vietnamien parlé et écrit.
Malheureusement, il n'était pas au bout de ses peines, puisque destiné au Chau Laos, il devait maintenant apprendre le thaï ! Le thaï est aussi une langue à tons dont la subtilité et la précision ne le cèdent en rien au vietnamien, sans avoir la moindre parenté avec lui. En plus, selon les vallées, les intonations sont passablement variables.
L'éloignement de ce secteur par rapport au centre de Thanh Hoa ainsi que ses particularismes et la diversité de ses populations lui valaient une certaine autonomie en tous domaines et un supérieur délégué : présentement le Père Canilhac. Ce dernier, jusqu'à sa mort - il fut tué le 10 Juin 46 - fut pour Vincent Donjon, un père très cher, un conseiller compétent et un frère vénéré. La chaleur de l'accueil, avec l'aura de l'aîné, facilitèrent l'acclimatation et l'adaptation du jeune missionnaire dans ce pays neuf, sauvage et beau.
Dès que ses connaissances linguistiques le lui permirent, il se fit des amis qui lui ouvrirent bien des portes. Il occupa d'abord les postes de Muong Kiet et Muong Chu, en terre vietnamienne, avant Mouong Poun et Muong Xuoi en terre lao. En fait, ce n'était là que des pied à terre, sa charge l'amenant à errer tout au long de son secteur, de vallée en vallée, de poste en poste, selon la demande des gens et les besoins du ministère, en équipe avec le Père Canilhac qu'il rencontrait de loin en loin. Sur ce terrain accidenté, coupé de failles verticales, de pentes glissantes et de torrents fantasques, il se déplaçait à cheval ou sur d'invraisemblables radeaux
Plus terrien que marin, il lia avec ses chevaux une affectueuse complicité, mais garda pour ses radeaux plus de méfiance que d'enthousiasme !
Au Chau Laos.
En arrivant dans cette vaste région qui serait son domaine, ce monde encore neuf, cette immense forêt, à peine trouée, çà et là, par la clairière d'un village, Vincent Donjon ne put se défendre d'un sentiment d'admiration pour la toute puissance de cette riche nature étalant la densité da sa végétation, la hauteur de ses arbres, la force de ses torrents, mais ne put réprimer une crainte respectueuse pour la noire profondeur des sous bois, le fouillis imposant des lianes énormes ou le cri inquiétant de quelque bête invisible.
Que des hommes aussi démunis de moyens réussissent à y vivre lui apparut comme un exploit, mais que, de plus, ils réussissent à en vivre, c'était là un fameux défi qu'il se promit de relever lui aussi. En leur compagnie et à leur école, il devint vite, car il était doué, un fin connaisseur des richesses et des dangers de son nouveau pays. Il apprit le nom et la qualité des bois, des lianes, des herbes et des racines. Il s'exerça à relever les traces de tous les hôtes furtifs, à distinguer la marque du chevreuil de celle du sanglier, à reconnaître le cri du paon ou celui du calao ...
En peu de temps, il devint un véritable homme des bois, reconnu et fier de l'être.
Les thaï de cette haute région, divisés en plusieurs branches, sont un peuple fier, élégant et racé.
Être Thaï, c'est répondre à ces trois critères :
- Habiter toujours des maisons sur pilotis, y compris les cabanes des champs, pour éviter humidité, serpents et vermine.
- Manger du riz gluant - au demeurant délicieux et qui tient au ventre -.
- Jouer du "khen", sorte d'orgue à bouche aux sons doux et harmonieux.
Les Thaï ont le poil noir mais le teint clair. Leurs femmes, souriantes et gracieuses, drapent leurs fines silhouettes dans des robes, de coton ou de soie, avec pudeur et non sans coquetterie. Très actives à leurs tâches ménagères, à leur broderie comme au travail des champs, elles sont levées bien avant l'aube pour actionner le pilon à riz. Elles font ainsi un peu honte à leurs pères et maris, plus portés sur la palabre, la jarre de vin de riz ou la sieste prolongée... Il faut dire qu'ils ont la bonne excuse des gros travaux d'abattage des bois et de la préparation des brûlis pour les rais, des affûts de la chasse ou de la pêche au torrent.
À quelques exceptions près, la monogamie est de règle. La femme est respectée, écoutée et donne son avis, sans complexe dans toutes les affaires d'importance. Une saine tradition, sans le moindre fanatisme, préconise le respect des anciens, la solidarité du clan, une bonne morale naturelle et le culte des génies, dans une grande liberté d'application. Ils vivent sur les confins montagneux du Viêt-nam et du Laos, sur le flanc de vallées profondes qu'ils entaillent de vastes rais, cultures sur brûlis, d'où ils tirent le riz quotidien et une grande variété de fruits et légumes. Sauf pour le sel, venu de l'extérieur, ils vivent quasiment en autarcie parfaite, ce qui a pour mérite de stimuler leur créativité, et pour inconvénient de limiter singulièrement leurs moyens.
Dès les premiers contacts, le courant passa :
Le Père fut tout de suite conquis par l'amabilité, l'exquise politesse et l'ouverture d'esprit des Thaï. Ceux-ci, de leur côté, adoptèrent d'emblée ce colosse jovial, rieur, curieux de tout et qui se mêlait à eux avec la simplicité d'un grand frère.
Tout de suite, il fut, pour tous, le "Po Dong" terme affectueux bientôt connu de toute la contrée.
Activité missionnaire.
Po Dong était venu aux Thaï sans idée préconçue avec le désir tout simple de leur apporter, pour le leur faire partager, ce qu'il avait de meilleur en lui : sa Foi en Jésus Christ. Humble et modeste envoyé, il se voulait porteur de la Bonne Nouvelle du Salut pour tous les hommes pour qu'ils soient libérés de tout asservissement.
Toutefois, il n'était pas porteur d'une méthode ou d'un système élaboré par des missiologues.
"Allez, enseignez, baptisez !" disait l'Évangile.
Ses aînés en mission s'étaient simplement pliés à des relations faites de respect et d'amitié et avaient improvisé le message qui avait formé des groupes de chrétiens à la foi généreuse et conquérante.
Po Dong ne voyait pas comment il pourrait faire autrement. Conscient de la grâce qui lui était faite, par cette adoption réciproque et spontanée, il mit tout son cœur à comprendre les siens, à découvrir le fond de leur être. Il remarqua d'abord leur sens profond du sacré, la révérence, ou plutôt la crainte d'un univers hostile qu'il fallait rendre favorable ou dont il fallait parer les coups par des offrandes, des rites exigeants ou des sacrifices diligentés et tarifés par un sorcier sans scrupule.
Les animistes craignent les génies, et Dieu sait s'il y en a : celui du ciel, de la terre, du torrent, de la forêt, de l'arbre, du chemin... Partout il y a un génie à redouter, à apaiser, à nourrir, et si possible, à éloigner ! D'où la crainte perpétuelle d'une offense inconsciente, d'un tabou négligé, d'un malheur provoqué par la plus innocente manœuvre, sacrilège à leur insu..
Au long des soirées familiales, autour d'une jarre, au long des veillées funèbres, des rencontres de circonstance, Po Dong savait s'asseoir, écouter avec attention et, au moment opportun, avec patience et une grande douceur pour ne pas heurter il apportait son point de vue :
À son sens, non, ce n'était pas le génie de l'eau qui avait mangé l'enfant, il fallait penser à l'imprudence de ce dernier à affronter un remous furieux...
Non, ce n'était pas le génie de l'échelle qui faisait trembler de fièvre la pauvre femme - et toute la maison avec elle - mais la terrible fièvre des bois, la malaria qu'ils traînaient tous, et qu'il se proposait de soigner illico avec la quinine qu'il tirait de son sac...
Non, il n'avait pas peur du génie de l'arbre du coin, mais oui, il avait, comme tout le monde, peur du tigre qui était venu y voler un cochon...
Peu à peu, un peu de bon sens et de raison pénétrait et préparait le lit à une annonce évangélique prochaine. Il en imposait par sa taille et sa prestance mais il restait toujours d'un abord facile et engageant. Il écoutait tout visiteur avec attention, restait sensible à toute détresse et généreux de son temps, de son aide et de son appui. Simplement, il n'aimait pas s'en laisser conter. S'il décelait quelque trace de flatterie, de vantardise ou de mensonge, il avait l'art d'apporter avec tact la réponse appropriée. S'il était rarement dupe, il restait toujours bon.
Les esprits angoissés et inquiets étaient impressionnés par sa douce certitude exprimée sans éclat mais avec conviction d'être le fils aimé d'un Dieu Père et Maître du monde qu'il priait sans ostentation mais avec une grande piété. C'est tout spontanément que beaucoup, touchés par son exemple, lui ont dit, comme dans l'Évangile :" Père, apprends-nous à prier ".
Il faut dire que, toujours et en toute circonstance, Po Dong priait avec une ferveur d'enfant! Au début de son ministère, toujours par monts et par vaux, son arrivée au village suscitait un tel intérêt qu'il n'arrivait pas à se ménager le moindre temps libre. Les visites se succédaient sans arrêt. Ayant la délicatesse méritoire de ne renvoyer personne sans l'entendre, il s'était scrupuleusement accusé auprès de son supérieur de n'avoir pas le temps matériel de réciter son office. Mais il faisait œuvre missionnaire et les demandes de devenir enfant de Dieu se faisaient nombreuses.
Colloques et conversations improvisés devinrent alors séances d'instruction chrétienne, de catéchisme comme on disait alors, débouchant sur la prière et se terminant en véritables célébrations d'une liturgie authentique, c'est-à-dire vécue. Dans une ambiance bon enfant, on se réunissait le soir, on faisait quelques exercices de "par cœur" et on fournissait toute explication désirable.
Entra alors en lice la poignée de catéchistes, formés au centre de la mission, qui secondait le Père, le précédait ou le suivait dans toutes ses tournées.
À la longue, cet enseignement systématique finit par peser par son manque d'imprévu et de fantaisie. Les rangs s'éclaircissaient sous les plus mauvais prétextes. Avec beaucoup d'à propos et de sens pédagogique, Po Dong sut agrémenter ces moments trop austères par quelques intermèdes sautillants de cinéma à manivelle. Ce fut un succès inouï !
Bientôt, chacun put réciter avec un égal bonheur la liste des sept sacrements et les exploits de Charlot ...
Et surtout, libérés des vieux tabous, des craintes superstitieuses et des obligations diaboliques du culte des génies, un grand nombre de Thaï s'épanouit dans la joie de vivre l'Évangile libérateur, avec la tranquille assurance des enfants de Dieu .
Mission et développement avec Po Dong.
Depuis quelques années de doctes assemblées n'en finissent pas d'associer, de dissocier, de distinguer, et parfois de confondre, Mission et Développement. Po Dong ne les a pas attendus pour se consacrer à l'une et à l'autre avec un égal bonheur.
Moins que quiconque, en foulant la terre de ce nouveau monde, il n'eut garde d'oublier les réalités terrestres.
Ces Thaï si sympathiques vivaient dans un dénuement total avec des moyens dérisoires.
Certes, on peut fort bien se passer d'allumettes quand on sait encore frotter deux bouts de bois pour faire du feu ; on n'a que faire d'une brouette quand il n'y a pas le moindre plat pour la faire rouler, mais on n'est pas des sauvages pour autant ... Quelques nouveautés auraient bien amélioré l'existence. Étaient disponibles trois ou quatre outils en fer :
- le coupe-coupe toujours à la ceinture quand il n'est pas en action,
- la petite hache, sur manche souple, capable d'abattre les géants de la forêt,
- une houe, en bout de manche, pour fouiller, retourner, labourer et creuser... Enfin une serpe et quelques couteaux.
Le reste de la panoplie ? Mille ingénieuses utilisations du bambou, des lianes, des carapaces et des calebasses. Avec cela, tout ce monde vivait, se nourrissait, s'habillait, se soignait dans cette immense forêt, souvent plus hostile et dangereuse qu'accueillante.
Vivait, oui, mais à quel prix ? Beaucoup de sueur, de fatigue et de peine.
Abattre un grand carré de bois, le brûler, le clôturer avant d'y semer sa rizière de montagne, c'est un travail de titan. Défendre son bien, son champ et sa vie contre tigres, singes, cerfs ou sangliers ne vous laisse pas un instant. Poser et relever pièges, lacets, nasses ou filets pour faire bouillir la marmite, c'est éreintant et quotidien ! Quand, en plus, vous tombe dessus la fièvre des bois, quelque maligne dysenterie ou un de ces maux indéfinis qui vous rongent la poitrine, le ventre ou la tête et qui parfois se répandent en épidémie, alors, que faut-il faire ? Les enfants en bas âge, les jeunes mamans et même les plus costauds s'en allaient trop souvent. Et qu'y pouvait le sorcier ?
Du premier coup d'œil, à l'exemple de Jésus devant les affamés, Po Dong "eut pitié de cette foule".
La santé ? Pas un médecin, pas un pharmacien à l'horizon...
Sans prétention et sans être grand clerc, il n'eut aucune peine à diagnostiquer et soigner efficacement les principaux fléaux qui décimaient les villages. La fièvre ? c'était surtout la terrible malaria, celle qui en tenait tous les jours deux ou trois à grelotter dans chaque village. Il en souffrit lui-même tout le temps. Heureusement la quinine était là et fit merveille. À l'époque, les antibiotiques ou les sulfamides n'étaient pas encore nés, mais sa pharmacie élémentaire et la pratique de l'hygiène se montrèrent souveraines là où échouaient onguents, poudres et incantations du sorcier.
Avec du savon de Marseille, de l'alcool et de la teinture d'iode pour les plaies infectées, avec la quinine, dosée à la pointe du couteau, pour la malaria, comme la santonine pour les parasites qui rongeaient le ventre des enfants, avec quelques autres ingrédients, dont l'abominable huile de chaulmograa, unique soulagement des lépreux, et avec l'incontournable aspirine, il fit des miracles.
La terrible mortalité infantile recula, on survécut à des accès pernicieux et à des dysenteries naguère mortelles. En quelques années, on vit des villages repeuplés d'enfants, des maisonnées remplies de rires et de joie de vivre, où on n'avait plus la peur au ventre en se sentant plus forts.
Pour la vie de chaque jour, Po Dong fut vite en phase avec ces chasseurs et pêcheurs-nés. En connaisseur, il appréciait la malice, l'astuce des collets, nasses et pièges en usage. Il rendit certains de ces engins plus efficaces par l'apport de nouveautés de son cru : fil de pêche invisible, hameçons de tout calibre d'une finesse incroyable, poudre sans fumé, plombs calibrés et tant d'autres choses...
Faut-il ajouter que les richesses incommensurables de cette forêt infinie lui autorisèrent quelques prélèvements, insignifiants à cette échelle, mais significatifs pour l'appétit d'un village et la défense de son territoire.
Cerfs, chevreuils et sangliers, un fléau pour le riz des rais furent tout surpris de succomber dans les mâchoires des pièges à loup d'importation. Il y eut une pêche miraculeuse pour la fête au village avec un petit crayon de dynamite. Quelques tigres, dont les os valent une fortune, ne résistèrent pas à une petite boulette de strychnine.
D'où venaient donc ces nouveautés ? Mais de Saint-Étienne dont le gros catalogue était le livre de chevet de tout missionnaire de brousse : le supermarché de l'époque à portée de main, à condition de commander sans tarder. De Muong Poun il suffisait de s'y prendre un an à l'avance pour être livré à temps.
C'est ainsi qu'un lot important de scies, rabots, ciseaux, mètres et pendules vinrent valoriser et affiner le travail des artisans du village et lui donnèrent un élan incroyable de progrès matériel. C'est ainsi qu'à un moment, Po Dong posséda dix-huit fusils Simplex, dont il gardait, théoriquement, la propriété, mais qu'il affectait à des chasseurs confirmés d'autant de villages. En gibier de toute sorte, ils fournirent en protéines, autant que toutes les sauces au piment du menu quotidien.
Leur usage était réglementé par un accord amiable scrupuleusement observé : pour chaque bête tuée, il fallait considérer la part du fusil, celle du chasseur et celle de la cartouche, sans oublier ce qui regardait le ciel et ce qui touchait terre. En tenant compte de l'avant, de l'arrière, des parties nobles réservées (foie, cœur, cervelle), un calcul simple vous attribuait alors la succulente partie qui vous revenait, étant sauve la petite réserve pour le Père qui était toujours ailleurs. La justice distributive et la morale sociale étaient toujours préservées.
Effectivement, dans le domaine du Po Dong, on vivait mieux, on se sentait mieux et, où qu'il aille, il était toujours reçu comme un roi. Doué, par la grâce de Dieu, d'une grande force physique et d'un solide estomac, il faisait honneur à tout ce qui lui était servi et plongeait, sans réticence, sa boule de riz gluant dans la marmite commune sans s'informer de ce qu'il y trouverait. Il appréciait tous les ragoûts savoureux, pimentés à souhait, avec, parfois, des accommodements au fumet insoutenable pour des nez étrangers. C'était un bon convive, et, quand il était chez lui, il recevait en grand seigneur.
On citera longtemps, ses boutades fleuries, sur des confrères moins débrouillards, mourant de faim dans la nature qu'ils n'avaient pas su apprivoiser : "Affamé comme un oblat qui vient de brousse..." Ou bien : "Vous arrivez chez un confrère, et il n'a rien à vous donner à manger ! C'est pourtant simple ! Vous faites comme moi : Vous prenez une cuisse de bœuf..."
Et, de fait, boucané, salé, fumé, mais toujours délicieux, c'était un régal qu'il vous offrait. Et de quel cœur !
Avec le temps et la patience, avec l'Évangile prêché et vécu, le progrès humain, la promotion des jeunes grâce aux écoles qu'il créait sur ses terres, avec l'air de prospérité et d'abondance qui émanait de ses villages, on ne pouvait manquer de voir que, depuis dix sept ans, à la suite de Jésus, Po Dong était passé en faisant le bien
L'ermite sans vocation.
Sa popularité, l'attachement à sa personne étaient tels qu'il put tenter - et réussir - l'aventure rare de passer pratiquement un an, seul dans la forêt, avec la complicité passive de tous et l'aide d'un premier et deuxième cercle de fidèles à tout crin, dans l'immense bouillonnement révolutionnaire de l'Indochine de 1945.
La guerre touchait à sa fin. Les Alliés avançaient inexorablement partout. Les occupants japonais de l'Indochine, jusque là contenus par l'accord qui les liait à l'amiral Decoux, se ruèrent, le 9 mars, sur les quelques troupes françaises de la colonie et prirent le pouvoir pour le partager avec les nombreux mouvements d'indépendance qui naissaient partout, contre la puissance coloniale humiliée et affaiblie.
Toute révolution se traduit par une bouffée de dénonciations et d'accusations. Les rumeurs, les ragots, les rancœurs s'accumulent. Les vengeances vont bon train. Nourrie de griefs vrais ou supposés, la révolution verse le sang sans compter et provoque les destructions et les massacres les plus imprévus.
Les missionnaires étaient français ? Ils étaient donc colonialistes ! Ils avaient des rapports normaux avec l'administration et l'armée ? C'étaient donc des ennemis du peuple, des buveurs de sa sueur et de son sang !
Quand toute autorité vacilla, que les Japonais et les comités révolutionnaires se partagèrent le pouvoir et l'administration, qu'on se mit à arrêter, torturer et tuer partout, les Pères du Chau Laos, comme les autres eurent à faire - et vite ! - des choix graves sur l'option à prendre.
Le Père Canilhac, supérieur du P. Donjon, resta stoïquement sur place, sa réputation, celle de la mission lui assurant, croyait-il, assez de crédit pour faire face à toute hostilité. De fait, il tint longtemps, près d'un an : il ne fut assassiné que le 10 juin 1946.
Le Père Mironneau, à Sam Neua, au Laos, devant l'ampleur du mouvement de révolte, jugea préférable de laisser passer l'orage en se réfugiant en Chine qu'il atteignit en quelques jours de cheval.
- Le Po Dong vit l'unanime protestation de fidélité des siens, leurs offres de service et de protection, et, par ailleurs, bien au fait de l'insondable profondeur de la forêt où aucun étranger n'oserait se risquer, opta pour rester avec les siens, restant toujours à leur service, mais désormais à leur merci, pour tout le temps que Dieu voudrait.
Il fallait toute sa foi, toute son audace et toute sa connaissance de la nature pour oser un tel pari ! Il le gagna au bout d'un an d'une extraordinaire aventure qui dura du 25 juin 1945 au 20 juin 1946. Pour connaître Po Dong, il faut lire le modeste livret où il la raconte avec humour et modestie.
Pour ceux qui ne l'auraient pas lu, disons brièvement ceci :
Il survécut avec des moyens dérisoires grâce à son intelligence, sa ruse et sa sobriété dans des conditions qui eussent été fatales à beaucoup.
Il put vaincre sa faim par sa science de primitif, sa connaissance des bêtes, des herbes, des lianes et des racines.
Il sut vaincre son angoisse dans la solitude, à peine éclairée par la joie d'une visite d'une heure ou d'une semaine de quelques amis sûrs, porteurs d'une charge plus lourde d'amitié et de réconfort, que de nourriture.
Il sut vaincre sa peur : celle d'une dénonciation qui l'aurait conduit à la torture et à la mort; la peur de l'inconnu, du mystère de la forêt ; la peur de la panthère ou du tigre quand leur feulement dans la nuit lui faisait serrer son bâton ou qu'il trouvait leur trace toute fraîche devant sa cabane bambou.
Il sut résister au tourment, plus terrible encore, des innombrables bestioles, moustiques, fourmis, tiques et autres insectes surgis de partout, et de ces milliards de sangsues toujours aux aguets.
Il sut trouver sa place d'humble vivant, particulièrement désarmé qui, de temps en temps attrape quelque chose pour le manger, sachant bien qu'il peut se faire attraper et manger aussi selon la loi implacable de la nature.
Sans un livre, autre que son bréviaire ou son missel, sans un journal, avec, de temps à autre, quelque bref message, il ne s'ennuya jamais, il ne se plaignit jamais !
Priant longtemps, célébrant l'Eucharistie presque chaque jour, relevant ses pièges ou consolidant son abri, il sortit vivant et en bonne santé de son stage d'ermite sans vocation.
C'était le 20 juin 46.
Ce jour là, dépenaillé, les restes de sa chemise et de son pantalon effrangés sur ses coudes et ses genoux bien avant que ce ne fut à la mode il rencontre les légionnaires, retour de Chine, où ils s'étaient réfugiés eux aussi.
Chaudement accueilli par la Légion qui met chapeau bas devant sa performance, il se refait peu à peu à une vie normale. Il s'installe d'abord à Sam Neua puis retourne à Muong Poun et dans tout le secteur accessible, sans trop de danger.
En 1950 il peut enfin prendre un vrai congé en France.
En 1953, les troubles persistant au Viêt-nam lui barrent toute possibilité d'action et il opte pour la mission de Thakhek pour y retrouver les grands frères des Thaï : les Lao de la plaine.
S'il comprend à peu près leur langue, il doit faire un ajustement sérieux de la sienne pour être compris, déplacer les accents et aspirer les H afin de se conformer à l'usage du Lao classique.
Il y arrive assez bien après quelques mois de séjour dans les villages du Mékong.
Pour se conformer désormais aux frontières des États, Sam Neua fut rattaché à la mission de Vientiane et Le Père Donjon fut envoyé pour guider et introduire les Oblats de Marie dans leurs nouveaux territoires. Il resta avec eux dix huit mois et ceux ci n'ont jamais caché le respect et l'affectueuse admiration qu'ils ont voués à ce missionnaire au grand courage et au grand cœur
À son retour, il se trouva, à sa grande surprise, nommé curé de Savannakhet, le chef lieu de la Province. Rien ne devait étonner ni démonter l'homme des bois devenu curé de ville.
Vieille chrétienté, vieille église avec deux communautés, lao et vietnamienne, elle abritait aussi une grande communauté des Sœurs de la Charité.
Avec méthode, il organisa son travail, ses horaires, ses catéchismes.
Homme de contact, il écoute ses paroissiens, va les rencontrer chez eux, redonne vie à ce qui somnolait, instaure la Légion de Marie et coordonne les activités paroissiales un peu anarchiques des deux communautés. Tout le monde s'en trouve bien et se groupe autour de lui, de sorte que l'Église de Savannakhet connaît un renouveau certain, en s'adaptant à la rapide évolution du pays. Il accepte aussi d'être mis à contribution pour la formation des postulantes et novices des Sœurs et se dépense sans compter à leur service. Aucune n'oubliera de lui témoigner sa reconnaissance.
Savannakhet, sise au milieu de la mission, étalée tout en longueur, est une halte sur la route de beaucoup de Pères. Son sens aigu de l'hospitalité ne peut se résoudre à les recevoir dans l'inconfort de son vieux presbytère de bois rongé par les termites. C'est pourquoi il présente à Mgr Arnaud les plans d'une nouvelle bâtisse où ils seraient plus à l'aise et plus au large.
Bientôt, ce qui n'était qu'une étape nécessaire sur une longue route devint pour chacun une halte attendue et revigorante. Ils en conservent le souvenir reconnaissant d'un accueil chaleureux et de menus gourmands !
Les péripéties d'une guerre mouvementée qui n'en finissait pas, les évacuations précipitées et les retours hasardeux n'empêchèrent pas le P. Donjon de maintenir la permanence de son ministère et les progrès de son action à un haut niveau, qui lui valut l'estime et la reconnaissance de tous les siens.
C'est à Savannakhet et sur cette belle notation que s'acheva la période active de sa vie missionnaire.
Le bout de la route.
Dès 73, l'évolution politique et militaire laissait présager de grands changements et des difficultés imprévisibles à tous les échelons. Savannakhet serait très exposée et on voulut éviter à ce vétéran des risques inconnus. On le pria de laisser sa place à un plus jeune et de se replier sur Thakhek, d'où il serait plus facile de "voir venir". Au printemps 75, toute l'Indochine tomba, par pans successifs, sous le pouvoir des communistes, le Laos bon dernier.
Comme tous ses confrères qui allaient être expulsés, il partit pour la France.
Il trouva asile et repos à Lauris, dans la vieille maison où les M.E.P. reçoivent les vétérans de la mission. Jamais il n'avait joui d'un tel confort dans le calme et la douceur de la Provence. Le charme du lieu l'enthousiasma durant quelques jours puis s'évanouit : lui qui n'avait jamais eu un moment à lui, ne pouvait supporter son désœuvrement. Tout naturellement, ses pensées se portaient sur son peuple qu'il n'avait pas cessé d'aimer et qui vivait des jours difficiles.
Dès les premiers instants de l'occupation brutale des communistes Pathet Lao, bien de ses paroissiens de Savannakhet passèrent le Mékong et se trouvèrent internés en Thaïlande. Les Thaï des montagnes de Sam Neua, trop loin des frontières, ne purent que subir le joug implacable de la rééducation à l'exception des plus audacieux et des plus habiles, qui purent aussi fuir en Thaïlande.
Tous, dès qu'ils le purent, adressèrent un S.O.S. d'espoir à celui qui restait leur père. C'est pourquoi une avalanche de lettres arriva à Lauris : autant de témoignages d'un affectueux respect suivi d'un appel au secours. Le Père Donjon renoua des liens qui ne s'étaient jamais défaits. Il avait enfin quelque chose à faire ! Tout son temps libre, il le passa à sa correspondance.
Suant et ahanant pour vérifier et contrôler un ton ou un accent sur son dictionnaire lao ou vietnamien, avec application, il répondit à tous ! Il semait un peu d'espoir, quelques conseils et beaucoup d'amitié dans les cœurs désemparés et inquiets de l'avenir et, en homme qui sait que les mots ne sont rien sans les actes, répondait à toute sollicitation par un petit billet.
Tout son argent, tout ce qu'il s'ingénia à trouver dans son réseau d'amis, il l'envoya aux réfugiés, ses enfants dans le besoin. Et du bout de leur exil, d'Europe ou d'Amérique, des années après, il reçut des témoignages émouvants qui le réconfortèrent jusqu'à la fin.
Il vit arriver ses quatre-vingt-dix ans sans aucune atteinte sérieuse à sa santé. Il ne prêtait d'ailleurs aucune attention aux petites misères de l'âge.
Depuis des années, depuis Savannakhet, où un bref accident de parcours l'avait persuadé d'alléger ses menus, il remplaçait souvent un petit repas par une grosse pipe, sans le moindre regret apparent. C'était pourtant un fin gourmet et un amateur éclairé de bonnes choses ! Le tabac l'avait aidé à faire passer sans douleur le poids de sa grande carcasse au-dessous du quintal. En reconnaissance, il resta toujours un gros fumeur très sceptique sur la nocivité de la nicotine qui, à lui, ne faisait que du bien.
Dans ses vieux jours, il signala à son médecin que sa gorge émettait des sifflements intempestifs qui le réveillaient la nuit. Avec un sourire, celui ci n'eut aucune peine à lui désigner comme coupable, la pipe encore chaude posée à son chevet : "Ah ! c'est çà, répondit-il avec une parfaite innocence ! Alors, je vais me mettre du coton dans les oreilles !".
Car jamais il ne perdit ni le sens de l'à-propos ni le sens de l'humour, un humour fin, spontané, toujours plaisant, jamais caustique ni cruel.
Il vieillit doucement, serein, agréable à vivre, attentif aux autres et fidèle en amitié.
Sensible à la moindre attention qui lui était faite, sourd à tout dénigrement, il se disait content de tout. Quand, à table, un plat avait été mal accueilli, il ne manquait jamais, en sortant, de passer la tête à la porte de la cuisine pour féliciter le personnel et, délicatement, lui épargner toute peine.
Jusqu'au bout, il resta le compagnon agréable, prêt, avec le recul du temps, à évoquer avec entrain les mille péripéties de sa rude existence. Il aimait se moquer de lui-même et commenter quelques folles initiatives de sa jeunesse :
- ses suées épiques pour traîner dans la forêt et planter des colonnes de cathédrale et n'avoir à y poser qu'un vague et modeste abri de bambou tressé ...
- les tables et bancs de ses premières écoles, qu'il consolidait, à grand renfort de clous, de grossiers triangles qu'il appelait 'jambes de force' ! "C'était sommaire et rustique. Pas très élégant sans doute, mais, si ça se trouve, ça dure encore !" disait-il, dans un éclat de rire.
Les mots du Père Donjon, son sourire, nous ne sommes pas prêts de les oublier !
Cette histoire, elle date de quand ? serait-on tenté de demander.
N'est-elle pas tirée d'un vieux numéro des Annales de la Propagation de la Foi qui enchantèrent nos jeunes années ?
Non, c'est la simple histoire d'un contemporain de Concorde qui a vécu au bout du monde d'hier, au moment où il s'emballait pour devenir le monde d'aujourd'hui.
Le Père Donjon se souvient de cet hier. Il l'a vécu, même si nous devons faire effort pour ne pas le transporter très loin dans le temps. Par monts et par vaux, il a chevauché Coco, longtemps et avec plaisir, mais après, il a pris, aussi, le Boeing ...
Il comptait fort bien sur ses doigts, sans savoir qu'il aurait une calculette et, en plus, un transistor, un téléphone, une télé et quoi encore ...
Cette histoire d'hier est aussi une histoire d'aujourd'hui : un missionnaire est toujours envoyé avec son cœur et ses mains, comme il le fut, pour présenter l'Évangile à sa manière et avec ses moyens. Aujourd'hui comme hier.
Cette belle histoire, c'est celle du missionnaire Vincent Donjon, décédé à Lauris le 7 janvier 1996.
Paris, le 13 Mars 97
M. Vignalet
References
[3338] DONJON Jean-Marie (1902-1996)
Notice biographique
Réf. biographiques. - AME 1926-27 p. 492, 1929 p. 87, 1933 p. 220-21. - CR 1927 p. 67, 1929 p. 144, 1931 p. 159, 1934 p. 139, 1935 p. 159, 1936 p. 136, 1937 p. 137, 1938 p. 143, 1939 p. 128, 1952 p. 34, 1953 p. 42, 1955 p./ 51, 1958 p. 57, 1961 p. 61, 1962 p. 73, 1963 p. 84, 1964 p. 48, 1965 p. 97, 1966 p. 116, 1967 p. 83-85, 1969 p. 90-91. - BME 1924 p. 546, 1928 p. 581, 711, 1931 p. 378, 1933 p. 516-19, 621-22-43, 1934 p. 800, 1939 p. 281, 429, 1940 p. 211, 1941 p. 194, 487, 1948 p. 97, 246, 1949 p. 50, 380-81, 555-56, 1950 p. 19.20sq.97A, 127sq.158A. 223A. 287A. 394. 397. 692. 1952 p; 38, 61, 479, 1953 p. 105-22, 290, 478, 627, 785-88, 1954 p. 801, 1029, 1955 p. 52, 783, 1023-24-26-27-29, 1956 p. 270, 660-61, 711, 1957 p. 271, 1959 p. 873, 1960 p. 176, 306-08sq. 405-12-14-15, 1961 p. 685. - EPI 1962 p. 291, 801-02, 1964 p. 129. - MDA 1946-47 p. 51, 1946 p. 26, 89, 1947 p. 93. - ECM 1945 p. 253, 1946 p. 26, 89, 1947 p. 93. EC1 n° 63, 134-38, 482, 508-31-40, 637. - HIR n° 203/2.