Victor LARQUÉ1911 - 1990
- Status : Prêtre
- Identifier : 3524
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Identity
Birth
Death
Missions
- Country :
- Thailand
- Mission area :
- 1934 - 1946
- 1950 - 1990
Biography
[3524] LARQUÉ Victor, Hippolyte, est né le 13 janvier 1911 à Ogeu-les-Bains (Pyrénées Atlantiques), dans le diocèse de Bayonne. Il fait ses études primaires au village natal. Il poursuit ses études secondaires au Petit Séminaire de Nay. Il entre au Grand Séminaire de Bayonne puis fait son service militaire (octobre 1931 - octobre 1932), après quoi il fait sa demande d'admission au Séminaire des Missions Etrangères où il entre, sous-diacre, le 16 septembre 1933. Ses études ecclésiastiques sont suivies d'une année de sociologie à l'Institut Catholique de Paris.
Il est ordonné prêtre par Mgr. de Guébriant le 1er juillet 1934 et est destiné à la Mission de Siam. Parti pour sa Mission le 16 septembre 1934, il y arrive le 20 octobre et rejoint le Père Meunier à Chiengmai, le 2 novembre, et se met aussitôt à l'étude de la langue thaïe. En juin 1935, le Père Larqué est nommé au Petit Séminaire de Sriracha, où il réorganise avec ses confrères le curriculum des études pour permettre aux élèves d'obtenir leur diplôme d'études secondaires.
A la fin de 1938, le Père Larqué est nommé vicaire puis curé de Nakhonchaisi dont il va diriger l'école et pour cela passer les examens nécessaires en thaï, avant de se mettre à l'étude du dialecte chinois iochew".
Pendant la guerre, le Père Larqué est mobilisé au Cap Saint Jacques et nommé caporal. Mais il revient en Thaïlande dès qu'il le peut, vers la mi-août 1941, juste avant que n'éclatent les différends franco-thaï et la persécution religieuse anti-chrétienne de Luang Phibun et de ses amis. Envoyé par son évêque au Nord-Est pour vérifier le degré de liberté du culte, il est bientôt expulsé manu militari. Il remonte à Nongkèo après son rapport à l'évêque. Il échappe de peu à un attentat. Il a la joie de commencer le catéchuménat de dizaines de non-chrétiens. Il est nommé en 1944 à Sawapla puis à Nongri dont il aide les chrétiens à s'installer à Ban Na (1944 -1946).
Fatigué par ces activités débordantes, le Père Larqué rentre en France en août 1946. En septembre 1947, Mgr. Lemaire le nomme membre du "Conseil central", représentant les Missions de Thaïlande, Laos, Malaisie et Birmanie, tout en assurant l'économat de la Maison de Paris.
Dès la fin de l'Assemblée générale de 1950, il rejoint sa mission et est affecté à l'imprimerie : il développe la presse catholique, publie la revue Sarasat, et se lance dans la traduction d'ouvrages religieux, sans parler de sa traduction en français de manuscrits écrits en vieux siamois du temps de Mgr. Laneau. C'est au Père Larqué que l'on doit l'achat du terrain où s'est établi le centre de la région de Thaïlande. Mais les contreverses qui suivront lui feront demander à travailler ailleurs : d'abord dans un Collège de la Mission de Sawankalok puis dans la Vallée de la Pasak où il va fonder de nouvelles chrétientés.
A la mort de Mgr. Chorin, c'est Mgr. Yuang Nitayo, un ami du Père Larqué, qui est nommé évêque de Bangkok. Plus tard, la partie Nord de la Mission de Bangkok deviendra la Mission de Nakhon Sawan avec Mgr. Langer comme premier évêque. Le Père Larqué continuera d'y travailler jusqu'en 1974 avant de revenir à Bangkok s'occuper des postes de Nongiri et Ban Na, et régulariser les titres de propriété de l'Eglise catholique. Mgr. Michai Kitbunchoo accordera au Père Larqué une retraite bien méritée qu'il occupera à retrouver et classer les documents d'archives relatifs à la Mission de Siam, devenue la Mission de Bangkok.
Le Père Larqué est décédé à l'hôpital Saint Louis de Bangkok d'un cancer, le 3 mai 1990, non sans avoir mené à bien le travail que lui avait confié son évêque.
Obituary
Le Père Victor LARQUÉ
1911 - 1990
LARQUÉ Victor, Hippolyte
Né le 13 janvier 1911 à Ogeu-les-Bains, diocèse de Bayonne (Pyrénées-Atlantiques)
Entré sous-diacre au séminaire des Missions Étrangères le 16 septembre 1933
Ordonné prêtre le 1er juillet 1934
Parti pour le Vicariat apostolique de Bangkok le 16 septembre 1934
Décédé à Bangkok le 3 mai 1990
Le P. Victor Larqué était béarnais de vieille souche, heureux de cette origine, et plus fier encore d’appartenir à cette ethnie qui avait permis à la France d’être ce qu’elle est. Ce n’est un mystère pour personne, ce n’en était surtout pas un pour lui que, du temps du Vert Galant, le Béarn, avait conquis la France. Victor nous avait presque convaincus de cette vérité première.
Le P. Larqué était blond avant de blanchir lorsque l’âge fut venu. Il avait l’œil bleu et fier comme le « beau ciel de Pau ». De taille moyenne, il avait la résistance des montagnards et l’audace des gens sans peur de son pays. Le Seigneur lui avait fait don d’une belle intelligence et d’une formidable mémoire, fidèle et rapide. Elle avait été cultivée « à main forte et à bras étendu » par son curé depuis sa plus tendre enfance. Ces qualités intellectuelles lui permirent de faire de brillantes études. Il racontait avec malice qu’il avait passé l’épreuve d’histoire au baccalauréat en récitant le résumé, appris par cœur à l’école primaire et dont il se souvenait toujours, d’une question qu’il n’avait jamais étudiée de nouveau pendant ses études secondaires. Il était capable de fabriquer un sonnet fort agréable et dans les règles voulues, comme de résoudre un problème ardu de mathématiques. Il composait des harmonisations et des accompagnements pour les musiques que nous lui confiions et jouait plusieurs instruments ou conduisait un chœur aussi bien qu’il se servait de son ordinateur. De plus, il était tenace dans ses dires comme dans ses actions. « Non, Monsieur », ou « Si, Monsieur », disait-il, et nul argument ne pouvait le faire changer de position. Ni la persécution, ni la maladie n’ont pu l’arrêter dans ses projets ou dans les travaux que les supérieurs lui avaient confiés. Cette ténacité pouvait ressembler à de l’entêtement pour ceux qui n’étaient pas de son avis, mais n’était-il pas de ce pays où l’appellation « cap de bourrou » ou « cap d’asou » est un terme d’amitié ? Du moins, c’est ce qu’il affirmait.
Ce Béarn dont il était si fier a vu naître bien des hommes illustres. C’est ainsi qu’à Ogeu-les-Bains, le 13 janvier 1911, il donna naissance à Hippolyte Victor, le troisième enfant de Jean Larqué et de Thérèse Becàas.
Notre ami venait dans une famille où aurait dû régner le bonheur, mais la guerre, la première, était survenue qui avait emmené le père dans les tranchées Toute la famille avait alors connu l’angoisse et de graves privations. Au bout de quatre années, le chef de famille revint au pays, mais il avait été gazé et ne survécut pas longtemps à cette rude épreuve.
De tout cela, Victor parlait peu, mais il fut marqué par ce départ et par ses suites. Il se montra précoce, entra à l’école dès l’âge de cinq ans, et fit sa première communion à dix ans. Comme il avait manifesté le désir d’être prêtre, son curé l’aida fermement à étudier pour s’y préparer. Il entra ainsi au petit séminaire de Nay sans avoir connu les jeux et les bagarres des jeunes garçons de son âge, ce qu’il regrettait un peu. Il prit la soutane en 1933. Il avait treize ans. En 1927, il entra au grand séminaire de Bayonne. Après l’intermède d’une année de service militaire passée dans la musique, il fit sa demande d’admission au séminaire des Missions Étrangères, où il entra le 16 septembre 1933. Ses études ecclésiastiques étant terminées, il étudia pendant une année la sociologie à l’Institut catholique de Paris.
L’année scolaire terminée, Mgr de Guébriant l’ordonna prêtre le 1er juillet 1934, et le soir du même jour, il lui donna comme destination la « Mission de Siam ». Le 6 juillet, Mgr de Guébriant écrivit une lettre au P. Meunier, chargé de Chiengmai et de la partie nord de la Mission de Siam, pour annoncer la venue du P. Larqué. Le supérieur général s’exprimait ainsi : « Nous venons de donner à un des vingt-cinq partants de septembre prochain sa destination pour Siam. Convaincu qu’il sera envoyé à Chiengmai à votre rescousse, nous l’avons choisi tout exprès et, si nous ne nous sommes pas trompés, le cher P. Larqué sera pour vous l’auxiliaire désirable, généreux, surnaturel, intelligent, prêt à agir ou à enseigner selon les besoins... » Le P. Larqué était persuadé que Mgr de Guébriant avait désiré envoyer des missionnaires en nombre suffisant dans la partie nord du Siam pour qu’elle pût être séparée de Bangkok et devenir une nouvelle Mission.
Le projet n’était pas nouveau, les vicaires apostoliques et de nombreux missionnaires avaient en vain essayé de pénétrer dans le royaume laotien de Chiengmai depuis de nombreuses décennies. En 1930, le P. Mirabel, prédécesseur du P. Meunier, avait réussi à y entrer, à s’y maintenir, et à démarrer plusieurs chrétientés. Le P. Mirabel avait été un missionnaire remarquablement zélé. Lors de l’arrivée de Victor, il venait de quitter la vie apostolique active pour mener une autre vie apostolique, mais contemplative celle-là. Les développements actuels de la Mission de Chiengmai sont sans doute le fruit de ce sacrifice de toute une vie d’homme dans la prière et l’offrande. Dès cette éoque, il semblait à certains que les temps approchaient d’une division des Missions, mais il faudra attendre la deuxième guerre mondiale, les expulsions des missionnaires de Chine par les communistes, et l’arrivée des missionnaires du Sacré-Cœur de Bétharram venus de Thali au sud du Yunnan, pour que ce projet Soit enfin réalisé en 1955.
L’envoi du P. Larqué à Bangkok pour Chiengmai faisait-il partie des plans missionnaires de Mgr de Guébriant ? Victor le pensait, mais cela importe peu pour notre propos. Il s’embarqua le 16 septembre 1934, arriva le 20 octobre « à Siam », et le 2 novembre chez le P. Meunier. Celui-ci raconte qu’il reçut un jeune missionnaire « déjà capable de lire le nom des stations de chemin de fer qui s’échelonnent tout au long des sept cent cinquante-deux kilomètres de lignes ». Le P. Larqué avait en effet commencé l’étude de la langue siamoise sur le bateau. Il continua, car le P. Meunier, conscient de la nécessité de parler le thaï comme les Thaïs, lui promit deux ans d’étude avant tout travail missionnaire sérieux. Pendant six ou sept mois, Victor ne fit que cela. « Apprenant les mots grâce à un dictionnaire thaï-français, racontait-il, j’allais à l’école enfantine 6couter les professeurs et les élèves... Je me trompais de ton et disais des bêtises, ce qui faisait rire, mais comme je riais avec eux, ils me corrigeaient immédiatement ». L’étude d’une telle langue est une école d’humilité et de persévérance.
Dans sa lettre de présentation, Mgr de Guébriant avait précisé que le P. Larqué était « prêt à agir ou à enseigner selon les besoins ». Mgr Perros, le Vicaire apostolique, avait retenu cet avis. Ayant besoin d’un professeur pour son petit séminaire, il alla le chercher là où il pouvait en trouver un, à Chiengmai. Le petit séminaire avait été transféré depuis peu de Bangnokkhek à Sriraja lorsque les Salésiens italiens avaient pris la responsabilité du sud de la Thaïlande et forme la Mission de Rajaburi, dans laquelle se trouvait Bangnokkek. L’évêque, en montant donner la confirmation à Chiengmai au mois de juin 1935, annonça la nouvelle, à la grande déception des deux pères qui obéirent cependant. Le P. Larqué était chargé, avec d’autres professeurs, non seulement d’enseigner les matières traditionnelles, latin et français, mais aussi de réformer les études afin que les séminaristes fussent capables de passer les examens officiels et d’obtenir leur diplôme d’études secondaires. Cette décision venait après le bouleversement et les nombreuses réformes qu’il y avait eus dans le pays à la suite de la révolution de 1931. Le P. Larqué se mit à la tâche avec les autres responsables du séminaire. Ils menèrent à bien cette réforme, et ce fut pour Victor l’occasion de se faire de bons amis parmi les professeurs et les élèves. Ils lui furent fidèles pendant toute leur vie et eurent maintes fois l’occasion de travailler avec lui par la suite.
À la fin de l’année 1938, Mgr Perros donna une nouvelle affectation au P. Larqué. Il devint vicaire et bientôt curé d’un des plus gros postes dans le sud de la Mission, Nakhonchaisri, en remplacement du vieux P. Loetscher. Il y avait là une école dont il devenait le responsable devant l’évêque et devant le gouvernement. Selon les nouvelles lois scolaires, il devait être détenteur des diplômes thaïs exigés par le ministère de l’instruction publique, diplômes qui correspondent au CAP d’enseignement primaire. Il étudia les matières et passa les examens, en thaï évidemment. Il le fit en collaboration avec un des vicaires thaïs, le P. Khiemsun. Ces études lui donnèrent les bases de ce qui devait devenir plus tard la « Grammaire de la langue thaï ». Cette grammaire est un ouvrage qu’il a composé entre 1952 et 1964, date de sa parution, et qui lui valut une décoration française. L’ouvrage fait toujours autorité. Entre temps, Victor Larqué apprit le « tiochew », dialecte chinois parlé par la majorité des Chinois, chrétiens ou non, du Siam.
Pendant ces travaux, la guerre avait éclaté, et Victor dut partir en Indochine comme tous les autres missionnaires. Il fut mobilisé au Cap Saint-Jacques où il fut nommé caporal. Il mit à profit ces quelques mois passés au Sud Viemam pour apprendre la langue du pays et, dès qu’il fut libéré de ses obligations militaires, comme il ne pouvait pas encore rentrer au Siam, il se mit à la disposition de l’évêque de Qui Nhon. Quand la route vers Bangkok fut réouverte, il fut le premier à quitter le Vietnam, par avion, « vers le 15 août 1941 », nous dit un de ses confrères.
Entre temps, la défaite des « alliés anglo-fançais » avait été consommée. Le gouvernement thaï de l’époque pensa que le moment était venu de mener une politique plus nationaliste. Le nom du pays changea et devint la « Thaïlande », le pays des Thaïs, et il y eut une guerre assez brève mais significative entre la Thaïlande et la France pour reprendre la province de Battambang au Cambodge et la rive droite du Mékong au Laos. Ce fut aussi l’occasion d’une persécution religieuse anti-chrétienne menée par Luang Phibun et ses amis, malgré la réprobation de l’immense majorité du peuple thaï, toujours très tolérant. Le régent, M. Pridi Phanomyong, s’y opposa dans la mesure de ses pouvoirs, et le chef de la police lui-même, un musulman, lutta contre cette persécution. Ce fut en vain. Les prêtres et les chrétiens du pays lui payèrent un lourd tribut. De nombreux prêtres thaïs ainsi que des laïcs, furent emprisonnés. Un catéchiste, deux religieuses et quatre laïques furent fusillés. Un prêtre thaï mourut en prison. Un missionnaire italien, battu et laissé pour mort, ne dut sa survie qu’à sa robuste constitution et à l’erreur de diagnostic de ses bourreaux. Le chef du gouvernement de ce temps-là avait reçu une partie de sa formation en France, tout comme Zhu Enlai de Chine, Ho Chi Minh du Vietnam, Pol Pot et ses collaborateurs du Cambodge. Il parlait fort bien le français et lorsque, dix ans plus tard, revenu de ses erreurs, il reçut le premier évêque thaï du Nord-Est et son vicaire général, une des victimes de la persécution, qui parlaient eux aussi français, il eut cette parole au sujet de cette persécution qui avait été son œuvre : « Péché de jeunesse ».
Après que les Thaïs eurent repris les provinces dont il a été question, ils signèrent un armistice avec la France. Dans les clauses, il y avait la promesse de rendre la liberté de culte aux chrétiens qui n’étaient pour rien dans cette querelle. Mgr Perros se doutait que les promesses ne seraient pas tenues par les fonctionnaires du Nord-Est. Il envoya le P. Larqué vérifier la chose. Celui-ci monta à Ubon par le train sans être trop inquiété. De là il alla jusqu’à Nakhonphanom malgré les obstacles sans nombre mis sur sa route. Il en fut expulsé « manu militari ». Il eut cependant le temps de constater que les craintes de l’évêque étaient fondées, mais il eut aussi la joie d’admirer la fidélité des chrétiens, et le réconfort de voir que des non-chrétiens et même des fonctionnaires lui venaient en aide malgré les dangers courus par ceux qui lui montraient de la sympathie. La persécution était bien le fait d’une fraction, non celui du pays.
De retour à Bangkok, après son rapport à l’évêque, le P. Larqué remonta vers le Nord-Est, à Nonkeo, poste nouvellement fondé par un prêtre thaï et un ancien bonze converti. Il l’avait visité pendant son voyage et voulait venir en aide aux chrétiens. Au risque de sa vie, il partagea avec eux les durs sévices qu’ils eurent à subir. Il leur redonna confiance après l’incendie de leur église. Une balle de fusil destinée à Victor vint frapper en pleine poitrine Paul Thavon, un jeune diacre qui l’accompagnait.
Celui-ci portait au cou une médaille du scapulaire, la balle percuta la médaille, celle-ci partit avec la balle qui ricocha, fit un trou dans le mur et se perdit dans la nature. « Quelques jours après, nous dit Victor, une centaine de non-chrétiens demandaient le baptême ». Le courage et la ferveur de ces jeunes chrétiens furent tels qu’il amenèrent des conversions en grand nombre. Par la suite, cette chrétienté a donné naissance à quatre nouvelles paroisses qui forment actuellement le noyau le plus vivant de l’actuel diocèse de Nakhonrajasima.
En 1944 la situation se calmait et Mgr Perros nomma le P. Larqué à Sawapha, poste où les chrétiens parlaient trois ou quatre langues différentes. Dès le premier dimanche, il prêcha en thaï, en vietnamien et en chinois. Il avait conquis sa paroisse. Ce fut un temps de bonheur sans mélange dans sa vie missionnaire. Il ne put malheureusement pas y rester longtemps. La nouvelle Mission de Chanthaburi venait d’être détachée de celle de Bangkok, et Sawapha passait sous la juridiction du nouvel évêque et de son clergé.
Il n’eut pas à aller loin. Mgr Perros le nomma à Nongri, distant de quelques dizaines de kilomètres de la paroisse qu’il quittait. Le poste où il arrivait était éloigné de la grand-route et les chrétiens émigraient vers Banna, la ville toute proche. Il fallait s’occuper d’eux et leur donner un lieu de culte. Victor construirait donc une église, la première d’une longue série. Il y avait dans le secteur un camp de prisonniers anglais et néerlandais, gardés là par les Japonais pendant la guerre. Le P. Larqué leur avait rendu service. Quand la situation fut inversée et que les prisonniers furent devenus libres, ils lui furent reconnaissants. Avec leur aide et celle de Dieu, il acheta un terrain à Banna et bâtit une église pour les chrétiens. Il mit tout son savoir-faire, qui était grand, tout son cœur et toutes ses forces dans cette construction, oubliant de dormir et même de se nourrir.
Pendant dix ans, le P. Larqué avait mené une activité débordante au-delà de ses forces. Ce « cap d’asou » avait oublié « frère l’âne » qui regimba, et il tomba malade. Mgr Perros l’envoya se reposer en France. Il prit le bateau le 24 juillet 1946 en compagnie du P. Broizat et de celle qui allait devenir la reine Sirikit, la fille de l’ambassadeur de Thaïlande en Angleterre qui rejoignait son père par le même bateau que Victor. Il revint donc en France, mais le repos ne lui convenait pas, et le supérieur général du moment, Mgr Lemaire, l’appela à Paris. Il devint membre du « Conseil central », représentant des Missions de Thaïlande, Laos, Malaisie et Birmanie. Il reçut aussi la charge d’économe de la maison de Paris. Ce ne fut qu’un intermède dans sa vie missionnaire. Après l’Assemblée générale de 1950, il repartit pour Bangkok.
Entre temps. Mgr Perros avait été remplacé par Mgr Chorin. Lorsqu’il était procureur, ce dernier avait développé l’imprimerie de la Mission et commencé une œuvre de presse. Il confia la presse au P. Larqué qui la développa en collaboration avec des amis thaïs qu’il s’était fait à Sriraja et Nakhonchaisri. Il publia le Sarasat, revue bi-mensuelle. Il lança ensuite le journal « Cœur Vaillant » qui permit d’introduire le mouvement parmi les enfants et de le développer. Dans le même temps, il se mit à faire des traductions ou des adaptations d’ouvrages français. De nombreux livres parurent ainsi, dont il était le principal artisan. Un catéchisme renouvelé, un nouveau livre de prières, un livre de cantiques, un missel dominical, une vie de Jésus traduite du livre du P. Buzy, les quatre Évangiles, les Actes des Apôtres, une Histoire de l’Église, une Vie des Saints pour tous les jours de l’année. Il avait encore, prêtes à être imprimées, l’Épître aux Romains et les deux lettres aux Corinthiens. Parmi ses collaborateurs et amis thaïs, il faut nommer le P. Yuang Nitayo, appelé aussi Joseph Khiemsun, qui deviendra le premier évêque thaï de Bangkok, le P. Daniel Vongphanit et un professeur laïc, M. Sawat Khuruwan.
C’est à cette époque si féconde qu’il traduisit pour les archives de Paris des manuscrits écrits en vieux siamois. C’était une partie des œuvres de Mgr Laneau et les premiers ouvrages chrétiens écrits en thaï. Il y avait une vie de Jésus, un catéchisme, les prières du chrétien, des « dialogues », les exposés des mystères chrétiens et d’autres écrits encore. C’était là une toute autre langue que le thaï moderne, écrite en partie avec un alphabet différent. Pour en terminer avec l’aspect intellectuel de son travail, il convient de citer encore la traduction en français d’un recueil d’expressions idiomatiques thaïes paru sous le titre de « Bec et ongle ».
À la suite de l’Assemblée générale de 1950, alors que le P. Larqué accomplissait tous ces travaux, la Société des Missions Étrangères commençait à fonder des régions indépendantes des Vicariats apostoliques, pour être prête quand les Églises locales passeraient sous la juridiction du clergé et des évêques autochtones. Il fut chargé de la procure de la région naissante. À ce titre il dut trouver un terrain où établir le centre de la région de Thaïlande. Sans doute ne prit-il pas toutes les précautions suffisantes, et il y eut des difficultés financières dont lui et le supérieur régional du moment portèrent toute la responsabilité, une responsabilité qu’ils assumèrent sans protester bien qu’elle fût largement partagée par d’autres. De cette action controversée, il resta pour la région un beau terrain et une grande maison dont les missionnaires des Missions Étrangères et beaucoup d’autres personnes de par le monde peuvent jouir actuellement. C’est, avec la maison d’Ubon, les deux seuls endroits où nous pouvons nous dire chez nous en Thaïlande.
Ces événements douloureux établirent un climat de défiance dont le P. Larqué souffrit tout le reste de sa vie. Aussi demanda-t-il qu’on l’envoyât travailler au loin. D’abord professeur dans un collège perdu au nord de la Mission à Sawankhalok, il en sortit bientôt pour missionner dans la vallée de la Pasak. Cette rivière coule le long du versant ouest du plateau de Khorat et se jette ensuite dans la Menam Chaophaya. Il prit contact avec les chrétiens dispersés dans cette vallée, posa les bases de nouvelles chrétientés et construisit de nombreuses chapelles ou églises, et même des résidences. Ce fut une époque de démarches et de voyages incessants. Il lui aurait fallu des collaborateurs pour former les chrétiens qu’il découvrait ou les néophytes qui se présentaient, mais ses confrères français ou thaïs n’étaient qu’une poignée de prêtres pour un territoire grand comme une demie douzaine de provinces françaises et sans moyen de communication. La formation des chrétiens s’en ressentit.
Pendant ce travail exaltant, Mgr Chorin mourut et ce fut un évêque thaï, Mgr Yuang Nitayo, qui le remplaça. La partie nord de la Mission de Bangkok fut détachée de celle-ci et confiée aux prêtres des Missions Étrangères, et Mgr Langer en devint le premier évêque en 1967. Victor continua son travail sous la direction du nouvel évêque, puis en 1974, il demanda à revenir à Bangkok chez son vieil ami Mgr Nitayo qui l’avait toujours soutenu dans les difficultés. L’archevêque de Bangkok lui confia des postes qu’il connaissait bien, Banna et Nongri. Il y avait là, en dehors de la pastorale ordinaire, un travail particulier à faire. Mgr Yuang — prénom affectueux de l’archevêque — le chargea de régulariser les actes de propriété de l’Église dans ce secteur et de vendre certains terrains dont la possession n’avait plus de raison d’être pour la Mission. Le P. Larqué le fit au contentement de tous.
L’archevêque en était le premier satisfait, mais devenu malade, il avait donné sa démission, et Mgr Michel Michai Kitbunchoo était venu le remplacer. Ce n’était pas un inconnu pour Victor. Il lui avait enseigné le catéchisme lorsqu’il était jeune curé et que l’actuel cardinal était encore jeune garçon. C’était encore lui qui avait envoyé ce jeune garçon au petit séminaire. C’est dire la vieille amitié qui régnait entre eux. Celui qui devait devenir le premier cardinal thaï le maintint dans ses fonctions puis, sur sa demande, il lui accorda la retraite, une retraite studieuse. Le cardinal, bon connaisseur d’hommes, savait bien qu’il ne pourrait rester inactif. Victor eut pour tâche de retrouver et classer les documents d’archives qui racontent au long des siècles et des années ce que fut la vie de la Mission de Siam, devenue Mission de Bangkok et enfin archidiocèse de cette capitale.
Le cancer vint troubler cette dernière activité. Sans illusion sur l’issue de la maladie, il demanda le sacrement des malades. Il le reçut paisiblement au cours d’une messe, entouré des confrères de Bangkok. La cérémonie fut suivie d’un repas de fête. Cependant, et ce n’est un secret pour personne, Victor était têtu, aussi la maladie dut-elle attendre le point final à ses travaux. Il a certainement souffert pendant sa maladie, quelques exclamations involontaires l’ont montré. Mais, très pudique, il n’extériorisait pas ce qu’il ressentait dans son corps, pas plus qu’il n’avait exprimé ses souffrances quand il dut partir en exil dans le nord. Jusqu’au bout il se montra le même confrère joyeux et plein d’humour dont nous appréciions l’œuvre et la compagnie.
Le P. Larqué était arrivé à Siam quelques années seulement après la révolution de 1931. Il avait vécu la transformation du pays en même temps que les Siamois. Il était passé avec eux de la pirogue qui glisse lentement sur les canaux à l’automobile climatisée qui roule allègrement à cent quarante kilomètres à l’heure. Il avait vu le pays, devenu la Thaïlande, passer à l’ère des ordinateurs sans difficulté majeure en quelques décennies. Il était arrivé en 1934 dans une Église aussi peu importante que son territoire était vaste. Elle était divisée en deux Vicariats apostoliques, un troisième naissait. Quand il est mort, elle comptait dix diocèses et elle avait un cardinal dans la capitale. Il a vécu toutes ces transformations. Il en a même été un des auteurs très actifs.
Victor était certes doué de belles qualités, mais ce n’était pas un surhomme. Il avait les défauts de ses qualités, et cela ne plaisait pas à tout le monde, à commencer par lui. Il y avait chez lui le sens du don rapide et sans retour jusqu’à la témérité. C’était un « fonceur », de ceux que Dieu choisit et dont Il se sert pour faire advenir son règne. Victor a su utiliser au maximum toutes les capacités que le Seigneur lui avait données, et sa vie fut remplie de travaux accomplis au travers d’événements très importants tant pour le pays que pour la Mission.
Il n’aurait jamais mener une telle vie s’il n’avait fait ce qu’avaient réalisé avant lui les apôtres et les autres missionnaires, des hommes fort ordinaires au demeurant. Ils s’étaient mis dans des conditions telles qu’ils avaient « rendu cent pour un ». Avec saint Pierre, ils avaient en effet dit en vérité : « Nous avons tout quitté ». Le Seigneur leur a été fidèle : Victor et ces missionnaires ont « reçu le centuple dès cette vie ».
J. JACQUEMIN
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References
[3524] LARQUÉ Victor (1911-1990)
Références biographiques
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Bibliographie
Epiphanie 1963 p. 732.
Publications en Thaï en collaboration avec M. Sawat (Bangkok Imprimerie de la Mission).
Les Actes des Apôtres, 1960.
Petit Manuel de Prières, 1960.
Les Quatre Evangiles en un seul, 1961.
Histoire de l'Eglise, 1961.
Manuel de Prières, 1962.
Explication du cathéchisme n. 3, nouv. ed. corrigée, 1962.
L'Evangile selon Saint Mathieu, selon Saint Marc, selon Saint Luc, selon Saint Jean, 4 volumes, 1962.
Viens, suis-moi, 1962. Adaptation du "Catéchisme selon l'ordre liturgique" du Chan Thomas, Paris Lethielleux, 1948.
Notes de grammaire Thaïe, Bangkok, Imprim. Mission 19..
Bec et Ongle (Ibid. 19..)
Notice nécrologique
Mémorial 1990 pp. 48-57. (par le Père Ja