Georges LEFAS1906 - 2002
- Status : Prêtre
- Identifier : 3574
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Identity
Birth
Death
Status
Missions
- Country :
- Vietnam
- Mission area :
- 1937 - 1975 (Hué)
Biography
[3574] LEFAS Georges est né le 2 septembre 1906 à Fougères (Ille-et-Vilaine).
Ses parents s’étant établis ensuite à Paris, il fait ses études secondaires au Collège Stanislas, puis entre à l’École supérieure d’électricité, où il obtient le diplôme d’ingénieur en 1927.
Il entre ensuite au Séminaire Saint-Sulpice à Issy-les-Moulineaux. Il y est ordonné prêtre le 29 juin 1933 par Mgr Verdier. Au mois de septembre suivant, il demande son admission aux MEP, et part le 19 janvier 1937 pour la mission de Hué (Vietnam), après avoir obtenu une licence d’histoire et Géographie en Sorbonne.
Après avoir étudié la langue à Ngoc-hô, il est nommé professeur au collège de la Providence à Hué et assume cette charge sans interruption de 1937 à 1975. À partir de 1958, il est aussi chargé de cours à l'université de Hué.
Obligé de quitter le Vietnam en 1975, lorsque le gouvernement communiste prend le pouvoir, il revient en France, où il est directeur-adjoint du Centre France-Asie (1975-1986) et chargé de cours à l'Université catholique d’Angers. Il est ensuite nommé chapelain des religieuses dominicaines du prieuré Notre-Dame de Toutes Grâces à Mortefontaine.
En octobre 2001, il se retire à Lauris, où il meurt le 27 septembre 2002. Il est inhumé à Fougères, son pays natal.
Vicariat Apostolique puis diocèse de Hué.
Stage de langue en juin-août 1937, dans la paroisse de Ngoc-Hô près de Hué.
Nommé professeur à l'Institut de la Providence d'Hué et Directeur Légal de cet institut après le départ de l'abbé Ngô dinh Thuc, nommé évêque de Vinh Long.
Professorat exercé de 1937 à 1975 , sauf congé de 1946 à 1947.
Chargé de cours à l'Université de Hué de 1958 à 1975.
Retour en France en 1975.
Nommé directeur-adjoint du Centre France-Asie dirigé par le Père Elhorga de 1975 à 1986.
Chargé provisoirement de cours à l'Université Catholique de l'Ouest à Angers à l'Institut de Perfectionnement des langues vivantes dès 1976.
Nommé chapelain des religieuses dominicaines du Prieuré Notre-Dame de Toutes Grâces à Mortefontaine depuis 1986. Négatif 100 (1,2)
Obituary
[3574] LEFAS Georges, Emmanuel, Marie
Missionnaire
Hué
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Georges, Emmanuel, Marie LEFAS, fils d'Alexandre et de Jeanne Fessard, naquit le 2 septembre 1906, à Fougères, département d'Ille-et-Vilaine (35), diocèse de Rennes. Son père était parlementaire (Sénateur) ; La famille comptait six enfants, 3 garçons et 3 filles. De 1914 à 1924, Georges fut élève au Collège Stanislas à Paris. Le Baccalauréat Latin-Sciences-Mathématiques élémentaires couronna ses études secondaires. En 1925-26, il rentra à l'Ecole Sudria et en sortit Diplômé de l'Ecole Spéciale de Mécanique et d'Electricité (ESME). En 1927, il fut reçu Ingénieur de l'Ecole Supérieure d'Electricité de Paris (ESE).
En 1928, M. Georges Lefas s'acquitta de ses obligations militaires à Versailles, 3ème régiment d'aviation, Ecole E.D.B. Quant à sa formation cléricale, il la demanda et la reçut au séminaire Saint Sulpice à Issy-les-Moulineaux. Incardiné au diocèse de Paris, il fut ordonné sous-diacre le 29 juin 1932, diacre le 17 décembre 1932. Mgr. Jean Verdier lui conféra la prêtrise le 29 juin 1933.
Au cours de la seconde quinzaine du mois de mai 1933, M. Georges Lefas était admis au séminaire des Missions Etrangères de Paris où il arriva le 16 septembre 1933. A la demande de Mgr. de Guébriant, Supérieur Général de la Société des Missions Etrangères, il suivit des cours à l'Université de Paris et obtint, en 1937, à la Sorbonne, sa licence en Histoire et Géographie. Avant de quitter Paris au matin du 23 novembre 1937, pour faire la visite de toutes les Procures d'Extrême Orient, des missions de Malacca, Bangkok, Thanh-hoa, des trois missions du Nippon, de celles de Corée et de celles du Manchoukuo, Mgr. de Guébriant donna sa destination à M. Georges Lefas :il était mis au service du vicariat apostolique de Hué.
Le 19 janvier 1937, ce dernier quittait Paris. Après les prières accoutumées à l'oratoire du jardin du séminaire, tout le monde se réunit à la salle des exercices à 16h45. M. Sy, supérieur intérimaire, lui adressa quelques mots d'adieu, puis sous les accents connus du "Chant de départ", chacun lui baisa les pieds. Il n'y eût pas de cérémonie particulière à la chapelle. Le jeune partant s'embarqua à Marseille, le 22 janvier 1937.
Le 9 mars 1937, M. Georges Lefas arrivait à Hué. Il avait trente et un ans, dépassant par l'âge plusieurs de ses confrères arrivés avant lui. Il fut chaleureusement accueilli par Mgr François Lemasle, fondateur et premier supérieur de l'Institut de la Providence depuis 1933. Il venait d'être nommé par le Saint Siège, vicaire apostolique de Hué, le 4 février 1937, et consacré évêque dans la cathédrale de Phu-Cam, par Mgr. Ange-Marie Gouin, le 27 mai 1937. Tout de suite, Mgr. Lemasle nomma le nouvel arrivant professeur à l'Institut de la Providence, et lui donna un nom viêtnamien : Georges Lefas s'appellerait "Phuoc" (Bonheur). Pouvait il deviner que toute sa vie missionnaire au Viêtnam jusqu'en 1975, serait entièrement consacrée à la formation intellectuelle et spirituelle de la jeunesse de ce pays, et que des liens solides l'attacheraient pour toujours à la vie et à l'histoire de cette maison.
A la Providence, M. Georges Lefas se mit à la disposition du nouveau supérieur de la maison, M. Henri Dancette. A la rentrée scolaire de 1937-38, la classe de seconde venant de s'ouvrir, l'effectif était de 220 élèves, dont 46 Français seulement. Depuis avril 1937, il y avait travail commun, et échange entre le juvénat des PP. Rédemptoristes canadiens et les professeurs du Collège de la Providence. De ce fait, M. Georges Lefas assura chez eux des cours de langue française. Mais, les effectifs augmentant à la Providence, il fallut construire un nouveau bâtiment pour une seconde salle d'étude et des classes, et la chapelle au dessus de l'un des deux préaux. Ces nouveaux locaux furent bénits par Mgr. Lemasle, le 2 octobre 1938, alors, veille de la fête de Ste. Thérèse de Lisieux, patronne de l'établissement.
En 1938-39, au concours d'admission d'entrée, 70 candidats furent reçus sur une centaine de demandes présentées. L'Institut de la Providence comptait alors près de trois cents élèves dont une cinquantaine de pensionnaires; il y avait 80 français ou métis, et environ 70 catholiques. Nouveaux bâtiments, nouvelle organisation: La division des grands fut séparée de celle des petits. Dès lors, l'enseignement comportait toutes les classes depuis la huitième jusqu'à la première inclusivement, enseignement secondaire cycle latin-grec. En juin 1939, et pour la première fois, les élèves de l'Institut de la Providence affrontèrent les examens du baccalauréat. Douze candidats furent reçus. Mais, lors de cette rentrée 1938-39, la question la plus difficile à résoudre avait été celle des professeurs. Le nombre des élèves avait augmenté, on avait ouvert de nouvelles classes, et plusieurs professeurs des années précédentes étaient partis.
En 1938, en effet, quelques évènements importants avaient marqué la vie du Collège. Le 13 janvier, on apprenait la nouvelle heureuse de l'élévation à l'épiscopat de Mgr. Pierre Ngô-dinh-Thuc, directeur légal et professeur de cet établissement. Le Saint Siège lui confiait le nouveau vicariat apostolique de Vinh-Long, détaché de celui de Saïgon, au Sud-Viêtnam. Sacré le 4 mai 1938, il quitta Hué le 17 juin 1938 pour prendre ses nouvelles fonctions. Mr. Georges Lefas devint alors directeur légal de la Providence. Le 6 juin 1938, M. Henri Massiot rappelé en France comme professeur au petit séminaire Th.Vénard de Beaupréau, quittait la Providence, laissant dans la gêne le corps professoral du Collège. La fin de l'année scolaire était proche. Elle se terminait, en ces temps là, par une solennelle cérémonie de distribution des prix. A l'Institut de la Providence, la présidence de cette fête avait été offerte, cette année là, à M. Gaye, Président de Chambre à la Cour d'Appel de Hanoï, Conseiller juriste auprès du gouvernement viêtnamien. Il revint à M. Georges Lefas, professeur, de prononcer le discours d'usage. S'inspirant de la formation scoute, il donna de très utiles conseils à son jeune auditoire.
Pour lui, en effet, les valeurs humaines et spirituelles prônées par le scoutisme tinrent toujours une place importante dans sa tâche d'éducateur et d'enseignant. Durant ses vacances au début du mois d'août 1938, il se rendit à Quinhon, puis à la léproserie de Qui-hoà pour essayer d'y fonder une troupe scoute. Durant les grandes vacances, il est présent au Camp-Ecole Scout organisé à la station d'altitude de Bach-ma. En 1938, il préside le camp des aumôniers scouts; en 1940, ce camp école obtint un très grand succès, car de toute l'Indochine, de nombreux groupes scouts vinrent y faire un séjour ; ils y pratiquaient les divers exercices du scoutisme, s'y instruisaient, sous la conduite des chef de camp et des aumôniers, des méthodes propres à chaque branche de ce mouvement de jeunes. Tour à tour, se succédèrent Camp-Ecole, Camp des Chefs, Camp des Aumôniers, Camp des Routiers, Camp des Louveteaux. Quant à M. Georges Lefas, un mot résumait son activité inlassable : comme toujours, il était l'âme de ces réunions scoutes, pendant la quarantaine de jours qu'il avait passées au camp.
Le 16 janvier 1941, un service religieux fut célébré en l'église St. François-Xavier de Hué, à l'occasion du décès de Lord Baden-Powel, fondateur du scoutisme. Au cours de la messe, M. Georges Lefas rappela les grandes lignes de l'idéal scout tel qu'il avait été établi et pratiqué par son fondateur, et de nombreux chants scouts rehaussèrent la cérémonie, en particulier un émouvant "Au Revoir".
Lors des fêtes de Pâques 1941, un grand rallye de Routiers, Scouts et Louveteaux se tint à Hué. Il rassembla quelques 2.800 jeunes : français, viêtnamiens, chinois de Cholon, montagnards du Haut-Tonkin et du Sud-Annam. Les catholiques étaient environ 400. Tous ces jeunes avaient établi leur camp à deux kms de la ville de Hué, à proximité de l'esplanade du "Nam-Giao", sur un mamelon boisé dominant la cité. Dans la matinée du 14 avril 1941, se déroula la cérémonie d'inauguration. Etaient présents S.M. l'Empereur Bao-Dai, le Représentant du Gouvernement du Protectorat, Mgr. Drapier, Délégué Apostolique, plusieurs Ministres et de nombreuses personnalités viêtnamiennes et françaises. Une fois encore, M.Georges Lefas se dépensa sans compter. Il fut aussi fort impressionné par la participation des chrétiens à la liturgie pascale. Il témoigne : …." Quelles splendides messes nous avons eues ! Cela est inoubliable ! Le dimanche de Pâques, quatre messes avaient été prévues pour les arrivants….Le lundi et mardi de Pâques, messe au camp, sur un grand autel de bambou, dressé à mi-pente d'un mamelon, sous l'ombrage gai des filaos. Les Pères Thich, Cras, Lefas rappelèrent chaque jour le sens chrétien de ce Rallye de Pâques…Les cérémonies de l'offrande et de la communion étaient imposantes dans leur recueillement …."
Au début des vacances d'été de 1941, avec l'aide de quelques prêtres, M.Georges Lefas organisa d'abord un camp d'information sur le scoutisme à la demande d'une vingtaine de séminaristes. Le lieu du camp était Vinh-Hoà, au bord de la mer. Puis, comme les années précédentes, le Camp-Ecole de scoutisme de Bach-Ma reprit ses activités habituelles. Chefs, Cheftaines, Routiers, Aumôniers vinrent y faire des périodes d'instruction et d'entraînement de huit à dix jours. M. Georges Lefas y était présent, et toujours très actif .
Le 3 et 4 septembre 1941, à l'Institut de la Providence, eurent lieu des "journées sacerdotales". Au programme : l'étude des mouvements de Jeunesse Catholique et de leurs méthodes d'apostolat. Placées sous la présidence de Mgr. le Délégué Apostolique, et de Mgr. Lemasle, vicaire apostolique de Hué, une vingtaine de prêtres, appartenant aux diverses missions d'Indochine, y assistèrent. Le P. Lefas fut l'âme de ces journées.
Avant 1939, pour un missionnaire, c'était une chose rare et très exceptionnelle que de recevoir en Extrême-Orient, la visite de ses parents. M Georges Lefas eut cette joie. Son père, sénateur d'Ille et Vilaine, avait été chargé par le Gouvernement français, d'une enquête sur le développement de l'enseignement en Indochine. Avec son épouse, ils furent les hôtes de M. le Résident Supérieur à Hué. Pendant deux mois, ils parcoururent les différents pays de l'Union Indochinoise et séjournèrent à Hué durant presque tout le mois de février 1939. Mr. le Sénateur fit une classe-causerie aux élèves de Première de l'Institut de la Providence, et une autre aux élèves de philosophie du Lycée Khai-Dinh. Pour le grand public, il fit une conférence fort suivie sur "Quelques aspects de la vie politique en Europe". Il assista, à Hué, durant une semaine entière, aux séances de la Conférence annuelle des Chefs de Service de l'Enseignement. Bien entendu, son séjour dans la capitale impériale, lui permit de voir les œuvres missionnaires non seulement dans les grandes villes, mais aussi la vie quotidienne et le travail des missionnaires en "brousse".
Le 3 septembre 1939, la seconde guerre mondiale éclatait en Europe. Le 28 novembre 1939, M. Henri Massiot, démobilisé, arrivait de France. En effet, en sa qualité de missionnaire d'Indochine, l'autorité militaire le renvoyait dans sa mission de Hué. Il reprit donc sa place de professeur à l'Institut de la Providence. Ce retour permit à M.Georges Lefas de quitter temporairement l'enseignement pour aller perfectionner son viêtnamien à Ngoc-Hô, une chrétienté voisine de Hué, sous la direction de M. Louis Bertin. Son stage achevé, il reprit à la Providence ses fonctions de missionnaire-enseignant et de prêtre-éducateur, s'inspirant des valeurs scoutes, et chrétiennes.
Etait il possible de concilier enseignement et évangélisation au Collège de la Providence, et comment être à la fois professeur et missionnaire, telle fut l'une des questions importantes qui préoccupa toujours M.Georges Lefas. Dès le départ, la Providence se refusait à être une "boite à bachot". Bien que, chez les jeunes viêtnamiens, il y eut toujours un certain culte du savoir et l'amour des études sanctionnées par des diplômes, il fallait acquérir d'abord droit de cité parmi les autres établissements scolaires, en donnant une sérieuse formation intellectuelle, celle qui développe le jugement plus que la mémoire. Les fondateurs du Collège en étaient bien conscients. Sans négliger l'enseignement des sciences, on ne recula pas devant l'apprentissage du latin et du grec. Modeste au début, la réussite aux examens ne cessa de grandir. Ainsi, en 1943-44, le succès au baccalauréat fut de 80%. Puis, leurs études secondaires achevées, beaucoup de ces "anciens" s'orientaient vers l'Enseignement supérieur (Droit, Lettres, Médecine, Ecole d'Ingénieurs.etc...) pour certains au Viêtnam, mais surtout en France ou aux Etats-Unis. Hélas, pour plusieurs d'entre eux, les évènements de 1945 brisèrent leur élan et parfois leur carrière.
Au plan missionnaire, dans une première période qu'il situe de 1939 à 1945, M Georges Lefas parle d'un temps de "Pré-évangélisation". Il écrit : …"Ce Collège catholique était largement ouvert au milieu viêtnamien, sans distinction d'appartenance religieuse ou sociale .." En fait, dans cette période, c'était "un Collège pour la bourgeoisie, celle-ci étant, jusque là, relativement peu entamée par l'évangélisation : en effet, mis à part les fils d'entrepreneurs ou de fonctionnaires …et ceux des familles françaises résidant à Hué, le reste des élèves étaient fils de mandarins ou de riches commerçants de la ville, presque tous non chrétiens. La proportion des catholiques atteignait environ le 1/3 sur un total de 300 élèves.."
Le but des fondateurs .."avait été de créer une ambiance chrétienne qui fournisse un témoignage aussi vivant que possible aux non-chrétiens de ce qu'est la vie chrétienne, comptant davantage dans ce domaine sur les actes que sur les discours.On y vivait "en chrétienté" comme dans une grande famille, sans jamais faire sentir aux non-chrétiens qu'ils pouvaient être des étrangers..." Chaque semaine, il y avait une heure d'enseignement religieux…" Mais il fallait en outre, leur expliquer, la mentalité chrétienne si éloignée, par certains côtés, de celle du milieu ambiant ; or cela pouvait se faire : ..à propos d'un texte littéraire, d'un incident disciplinaire, d'un événement ou d'une fête quelconque, ainsi qu'au cours de conversations particulières…. A cela devaient s'ajouter la sympathie et l'estime réciproques…en vue de susciter cette confiance qui est le premier pas humain de la foi préparant l'action de la grâce…. Les actes de piété proprement dits étaient réduits au minimum et pratiqués en commun.."
A cette époque, explique M. Georges Lefas, 90% de la population célébrait le culte des Ancêtres, religion à caractère familial, ayant peu de liens avec le Bouddhisme… ."La plupart des parents n'hésitaient pas à envoyer leurs enfants dans ce collège catholique sachant que les grandes vertus familiales s'en trouveraient renforcées chez leurs enfants. Ils ne croyaient guère concevable que le problème d'une conversion pût vraiment se poser….Lorsqu'on interrogeait les non-catholiques sur ce qu'ils pensaient du message du Christ et de son retentissement sur leur vie, ils répondaient en grande majorité, qu'ils approuvaient sans réserve ces données, mais qu'il leur était difficile de convaincre leurs parents de les laisser se convertir. Bien entendu, aucune pression n'était jamais exercée pour forcer la main aux parents… Les cas de conversion étaient rares, et parfois dramatiques… Beaucoup des élèves qui n'ont pu se convertir, parce qu'ils redoutaient de contrarier leurs parents, ont pourtant adopté un mode de vie sensiblement plus imprégné des vertus chrétiennes que leurs camarades élevés dans les établissements non confessionnels. Très généralement, on pouvait compter…sur leur droiture, leur conscience professionnelle, leur générosité et leur désir de se compromettre pour le bien commun. C'est donc une sorte de pré-évangélisation…"
A ce sujet, M.Tôn-thât-Thiên, un ancien élève de la Providence, livre le témoignage suivant publié dans la revue viêtnamienne "Sông Huong", et traduit en français :…"Comme mes années de scout, mes années d'élève à la Providence ont dans une très grande mesure, contribué à me rendre apte à avancer plus tard, sans difficulté et d'un pas ferme, dans les études que j'allais entreprendre et sur les chemins de la vie… Les fondateurs de l'établissement eurent une vision très large….Pendant toute la durée de mes études à la Providence, de l'année scolaire 36/37 à l'année scolaire 43/44, je n'ai jamais subi, ni directement, ni indirectement la moindre pression tendant à m'amener à recevoir le baptême ou à suivre les "Tây" (les occidentaux). C'était un grand établissement, doté d'un corps enseignant digne de respect…"
A long terme, les fondateurs du Collège avaient fait le projet de greffer sur le cycle secondaire certaines branches de l'enseignement supérieur, à la manière des Facultés Catholiques de France ou du Canada. D'où la dénomination "Institut de la Providence" Dans l'attente de ce futur lointain, le 8 décembre 1943, le Collège de la Providence célébra son dixième anniversaire par des cérémonies au cours desquelles le "Miracle de Théophile" fut représenté avec succès.
Lors des troubles qui suivirent le coup de force japonais du 9 mars 1945, les écoles fermèrent leurs portes. Le Collège de la Providence servit de centre d'accueil pour les personnes et familles contraintes à se regrouper en raison des évènements. L'armée française occupa une partie des locaux jusqu'en 1954. Le 19 juillet 1946, M. Georges Lefas débarquait à Marseille, pour prendre son premier congé. Le 4 février 1947, il reprenait la mer pour Hué où il arrivait fin mars .
La capitulation japonaise du 15 août 1945, avait permis aux chefs Viêtminh de s'emparer du pouvoir. Après l'échec des négociations complexes et difficiles, en décembre 1946, commença un long et douloureux conflit appelé "la guerre d'Indochine". Au printemps de 1947, la population de Hué, ayant regagné la ville, on songea, après un an et demi environ d'interruption forcée, à rouvrir le Collège de la Providence, dès la rentrée de septembre 1947. Cette mission fut confiée à M.Georges Lefas qui venait de rentrer de congé. Il réunit autour de lui quelques professeurs laïques de bonne volonté. Environ 80 élèves se présentèrent. Puis le recrutement repartit en flèche, un peu modifié au profit des milieux d'affaires. Les évènements politiques avaient dispersé ou même ruiné plusieurs anciennes familles de hauts fonctionnaires. Malgré la situation de guerre , les succès aux examens égalèrent et parfois dépassèrent ceux d'autrefois, au moins en nombre. A la même date, les Frères des Ecoles Chrétiennes et les Sœurs de St. Paul de Chartres reprirent leurs cours. En ces temps troublés, reconnaît un ancien élève :… "il a fallu à Georges Lefas et à ses confrères beaucoup de délicatesse, de prudence, de sens de l'autre pour accomplir sans heurt leur travail de chaque jour…"
Selon M. Georges Lefas, la période 1945-1954, pour le Collège de la Providence, fut "le Rayon de soleil dans la tempête". Au plan des études, il fallut repenser et reprendre à la base avec des méthodes nouvelles l'enseignement de la langue française pour les étrangers. Il y eût nécessité de lâcher du lest. Plus question de grec ; cependant, l'enseignement du latin fut sauvegardé, car les élèves du petit séminaire venaient vivre et suivre des cours à la Providence, avec leurs camarades se préparant à des carrières laïques. Cette expérience heureuse se perpétua pendant longtemps. On essaya de maintenir la section philo. Mais la mode était aux études scientifiques. Faute de professeurs de sciences en nombre suffisant, un nombre de bons élèves quittaient le Collège. Malgré tout, le corps professoral formait une équipe solide, unie, communicante, stable. M.Georges Lefas en était l'animateur et la pierre d'angle. De par sa formation scoute et son expérience, il connaissait l'efficacité du travail en commun. Dans le but de renforcer cette équipe enseignante, un nouveau missionnaire, M. Joseph Grall avait reçu sa destination pour Hué en juin 1948. Hélas ! Il fut capturé, et probablement tué par les Viêtminh, au bord de la lagune de Lang-Cô, le 12 janvier 1949. Ce jour là, ils attaquèrent le train qui conduisait le nouveau père dans sa mission de Hué.
M. Georges Lefas, en bon observateur, nous présente quelques changements profonds qui marquèrent la société viêtnamienne durant la période parfois appelée "Première Guerre d'Indochine". Il écrit :.. "De l'occupation japonaise, aux accords de Genève (20 juillet 1954) , la société viêtnamienne a subi une mutation profonde dont les incidences sur l'éducation devaient se faire sentir très vite. Et pourtant, assez curieusement, c'est la période qui, de beaucoup, semble avoir été la plus propice à l'efficacité de nos efforts d'évangélisation. La vieille société était ébranlée dans ses fondements…Les traditions familiales s'estompaient ; le milieu mandarinal était brusquement dépouillé de ses privilèges ; de nouvelles couches sociales émergeaient par le truchement de l'armée, de la nouvelle administration, ou de l'essor des affaires. Mais, par dessus tout, la guerre imposait son rythme de brutalités à tous les niveaux sociaux, guerre fratricide puisque civile autant que nationale… Comment les enfants n'auraient ils pas été précocement mûris à ce rude contact avec les drames de la vie ? …C'est ainsi que dans le domaine religieux, un certain libéralisme s'infiltra momentanément à travers les fissures de l'ancienne structure. Ce fut à cette époque précisément que se manifesta une sorte de courant de conversion à la Providence. A la base de cet élan, se place la conversion d'un élève très brillant dont le témoignage allait aider beaucoup de ses camarades à se décider…." Et de conclure : .." ..Cette époque s'est révélée comme l'une des plus fécondes en grâces de conversions, et cela, en dépit du fond de tableau sinistre de la prolongation de la guerre.."
Le témoignage de vie donné par les prêtres enseignants à la Providence portait ses fruits. Au cours de l'année 1951, trois élèves reçurent le baptême et plusieurs autres demandèrent à s'y préparer. Lors de la clôture de cette année scolaire, le Collège eût la joie de fêter l'un de ses anciens, son premier prêtre : le P. Alexis Lôc, ordonné pour le service du vicariat apostolique de Kontum. Entré à la Providence en 1933, l'année de la fondation de cette maison, il y avait fait toutes ses études jusqu'au baccalauréat.; il y revenait célébrer l'une de ses premières messes; dans son homélie, il évoqua les nombreuses grâces reçues durant son séjour dans cet établissement où l'appel de Dieu était venu le chercher.
Plus tard, en 1955, le Saint Siège choisit le supérieur du Collège de la Providence à Hué, Mgr. Simon-Hoà Nguyên-van-Hiên pour lui confier le vicariat apostolique de Saïgon. En même temps que Mgr. Paul Nguyên-van-Binh, il reçut le 30 novembre 1955, la consécration épiscopale dans la cathédrale de Saïgon des mains de Mgr. Ngô-dinh-Thuc, ancien professeur à la Providence; le 8 décembre 1960, date de l'érection de la hiérarchie ecclésiastique au Viêtnam, Mgr. Hiên devint le premier évêque du nouveau diocèse de Dalat.
Le 6 juin 1952, M. Georges Lefas arrivait à Paris, par avion, pour prendre son congé régulier. Le 9 septembre suivant, il regagnait sa mission par la voie des airs, et reprenait sa place de prêtre-professeur à la Providence.
En 1954, une année difficile, le Collège de la Providence fêtait son vingtième anniversaire. C'est pour cela que son supérieur M. Jean-Marie Viry, choisit de solenniser la distribution des prix du 11 juin terme de l'année scolaire. Un bon nombre de personnalités officielles et de parents d'élèves étaient présents. Il fut rappelé que les vicissitudes des dix dernières années n'avaient pas arrêté l'essor du Collège. En juin 1955, le Père Simon-Hoà Nguyên-van-Hiên, appelé à l'épiscopat quelques mois tard, au siège de Saïgon, fut nommé supérieur de cet établissement. Mais, du fait de la situation politique, d'un avenir fort incertain au Viêtnam, tous les militaires et les civils français dans leur quasi totalité, s'apprêtaient à quitter Hué et même le Viêtnam. Ainsi, chacun pressentait le début d'une période nouvelle. Cette étape sur le point de commencer pour le Collège de la Providence, M. Georges Lefas la qualifie de : "Elargissement et Ouverture (1954-1969)".
Le Viêtnam, en 1954, se trouvait dans une situation critique. En effet, la chute de Diên-Bien-Phu (7 mai 1954) déboucha sur les "accords de Genève" (20 juillet 1954). Une zone démilitarisée à la hauteur du 17ème parallèle partageait le Viêtnam en deux pays, deux "républiques" se réclamant chacune d'un système politique différent. De plus, cette ligne de démarcation coupait le territoire du vicariat apostolique de Hué au tiers de sa longueur vers le nord. Toute la province du Quang-binh et le nord de celle de Quang-tri se trouvaient isolées du centre du vicariat. De ce fait, quelque 18.000 chrétiens du vicariat de Hué et près de 10.000 chrétiens du vicariat de Vinh se regroupèrent au sud du 17ème parallèle. En conséquence, à Hué, la population scolaire allait donc augmenter. Sur un plan plus général, en application des dits accords, il s'en suivit un exode massif des populations du Nord Viêtnam vers le Sud.
M.Georges Lefas évoquant cette période 1954-1969, en rappelle quelques autres évènements importants : ." avènement d'un chef d'état catholique; ( il s'agit de Mr. le Président Ngô-dinh-Diêm) ; réaction bouddhiste de plus en plus politisée ; chute de ce régime, suivie d'une période de grande confusion politique ; intensification de la guerre par l'engagement progressif des Etats-Unis.." Il note que tout cela créa "une ambiance parfois un peu équivoque ou génante " sur le plan du témoignage évangélique…" Ce fut, écrit il, le moment où une vague de conversions collective se déclencha dans les campagnes et jusque dans les faubourgs urbains…" Ce mouvement inquiéta certains milieux bouddistes politisés, et des partisans du régime communiste du Nord, infiltrés clandestinement dans le Sud. Cela se traduisit par l'ouverture d'écoles secondaires "orientées" pour concurrencer les lycées d'Etat et ceux de l'enseignement confessionnel.
A la Providence, dont les effectifs augmentaient d'année en année " ..l'attitude des parents de nos élèves allait se montrer plus circonspecte ou même durcie relativement au problème des conversions. Les enfants eux-mêmes étaient plus ou moins conscients de la confusion crée entre les domaines politiques et religieux, ce qui les rendait plus hésitants…" Au plan des études, en 1957, de nombreux élèves exprimèrent le désir de suivre les programmes d'enseignement français. Il fallut envisager de reprendre, lors de la prochaine rentrée scolaire, cet enseignement dans les basses classes.
Cette même année, en novembre, une Université d'Etat, succursale de celle de Saïgon, s'ouvrit à Hué ; quelques sept cents étudiants se pressaient pour suivre les cours des années préparatoires des Sciences, des Lettres et surtout du Droit. On sollicita le concours de M. Georges Lefas qui, tout en continuant à assurer son enseignement à la Providence, accepta de bon cœur cette offre. Il raconte…" Le fondateur de l'Université de Hué demanda à plusieurs d'entre nous d'entrer dans le corps professoral de cette Institution d'Etat. Nous y retrouvions nos anciens élèves, restés très confiants et ouverts ; nous prenions également contact avec d'autres étudiants, non moins ouverts en général, ce qui élargissait le champ de notre témoignage, plutôt vital que magistral…" Cette nouvelle fonction lui donna l'occasion de rendre service en bien des domaines, aux anciens élèves qui allaient poursuivre leurs études supérieures les uns à Saïgon, d'autres en France ou aux Etats-Unis. De par ailleurs, le 25 août 1956, les anciens élèves du Collège de la Providence fondèrent une amicale. Celle-ci voulait témoigner de la solidité de la formation reçue, des sentiments qui liaient chacun de ses membres à leur ancien Collège, de leur reconnaissance envers leurs anciens maîtres.
Le 11 juin 1958, M.Georges Lefas arriva en France pour un congé régulier ; il regagna sa mission le 9 septembre suivant, reprenant aussitôt son ministère d'enseignant à la Providence et à l'Université. On traversait une période d'instabilité et de mutation, tant au plan ecclésiastique, qu'au plan militaire, civil et national. Il en était de même au niveau de l'enseignement. Tout cela dans un contexte de guerre s'amplifiant autour du 17ème parallèle, de coups d'état avortés en 1961 réussis en 1963, d'infiltrations subversives dans le pays, de noyautage dans les établissements scolaires et dans plusieurs services. L'insécurité dans les campagnes, les opérations dites de "nettoyage" entrainaient le déplacement de nombreux villages qui se transformaient en camps de réfugiés. Quant à la politique, elle donnait naissance à des conflits politico-religieux savamment exploités surtout à partir de mars 1966. Mais c'était aussi le temps du Concile Vatican II, de l'établissement de la hiérarchie, de la création de nouveaux diocèses confiés à des évêques viêtnamiens. Hué était élevé au rang d'Archevêché confié à Mgr. Ngô-dinh-Thuc, natif de Hué.
Bien conscient de cette situation, M. Georges Lefas restait fidèle à sa tâche d'éducateur et de missionnaire enseignant toujours en lien avec ses autres confrères professeurs. Répondant au désir de Mgr. l'Archevêque qui voulait une formation poussée pour le clergé diocésain, il contribua à la formation intellectuelle des petits séminaristes de Hué qui, mêlés aux autres étudiants, suivaient les cours à la Providence. A partir de 1966, on y accueillit les élèves de seconde et de première du petit séminaire de Nhatrang. Il en fut ainsi jusqu'à la fin de l'année scolaire 1967-68. A cette date, l'enseignement relevant des programmes français prit fin au collège de la Providence ; les confrères professeurs dans cette section cessèrent leurs activités. MM. Georges Lefas et Jean Oxarango gardèrent leur chambre dans l'établissement. M. Modeste Duval s'installa au Collège Jeanne d'Arc dirigé par les Sœurs de St. Paul de Chartres, à Hué. Il y enseigna les mathématiques, et en fut l'aumônier. M. Henri Petitjean, se dévoua à l'accueil des confrères à la maison de la communauté Mep de Hué où il organisa des cours de langue française, à l'intention des étudiants.
De novembre 1957, date de l'ouverture à Hué d'une Université d'Etat, jusqu'en mars 1975, où "éloigné" du Viêtnam, il se trouva dans l'obligation de regagner la France, le 29 mars 1975, M. Georges Lefas assura un enseignement régulier et fort apprécié auprès de la jeunesse universitaire. Témoignage de l'un de ses anciens élèves :.."A la Faculté de pédagogie de Hué…il prodiguait le même dévouement…Il entretenait avec ses étudiants des liens de travail et de confiance dont la plupart se souviennent aujourd'hui…"
En 1961, sur les 1700 élèves qui fréquentaient cette université d'Etat, 150 étaient catholiques. Mais les effectifs grossissaient d'année en année. Pour les confrères de Hué, en milieu pastoral comme dans le monde universitaire, l'année 1966 fut particulièrement éprouvante. Le 20 février 1966, M.Louis Valour trouva la mort par l'explosion d'une mine. Au début du mois de mars, l'agitation bouddhiste éclata à Danang, gagna Hué et Saïgon. Des pressions furent exercées particulièrement sur les nouveaux chrétiens. L'Université dut interrompre ses cours pendant plus de quatre mois, en raison des évènements. Car, parmi les étudiants "… un petit nombre d'entre eux s'étaient laissés entraîner dans les formations de "jeunesse bouddhiste" dont le caractère politique allait se révéler surtout au cours des troubles de 1966.." rapporte M.Georges Lefas.
Nouvelle épreuve dure pour la petite communauté missionnaire de Hué : Au printemps 1968, (Têt Mau-Thân) les "Viêtcong" s'emparèrent de la ville. Combats acharnés: parmi les victimes, deux séminaristes, quatre frères, sept prêtres dont nos deux confrères MM. Marie-Georges Cressonnier et Pierre Poncet tués d'une rafale de mitraillette, le 13 février 1968. Malgré le poids de tous ces malheurs profondément ressentis, M. Georges Lefas continua avec courage et jusqu'au bout ses cours à l'Université dont il était un élément compétent et stable dans la section française de la Faculté de Lettres.
Rassemblons quelques témoignages donnés par tel ou tel des anciens élèves de la Providence, sur leur ancien maitre. L'un écrit :…" Georges Lefas, lui, n'avait pas besoin d'entretenir les apparences de la pauvreté. Il était intrinsèquement pauvre, c'est à dire qu'il était pauvre de cœur. Envoyé par Dieu, il est venu humblement vers les humbles, ne cherchant ni à s'imposer ni à imposer…." Exigeant pour lui-même, il l'était aussi pour ses élèves : …" Il nous faisait travailler dur. Il avait un truc imparable : il travaillait deux fois plus que nous…Georges Lefas nous demandait de corriger nos fautes de grammaire et de recopier dix fois ses corrections. Il relisait ligne par ligne ces dernières. S'il détectait encore des erreurs, le nombre de lignes à recopier s'élevait exponentiellement. A ce rythme, il était très difficile de rester cancre…"
Ce même ancien nous présente M.Georges Lefas comme quelqu'un toujours en recherche de perfection. Il raconte :.." Au moment de mon baptême, en mars 1951, il m'offrit en cadeau le missel édité par les moines d'Hautecombe, et l'utilisa pour m'initier aux séquences successives de la messe…Nous lisions donc lentement le texte en latin et la traduction en français. A l'Agnus Dei, nous lisions ensemble : "Agnus Dei qui tollis peccata mundi…Agneau de Dieu qui enlevez les péchés du monde…" Il s'arrêta net et dit : " Ce n'est pas une bonne traduction. Il faut un mot plus fort. "Tollis"devrait se traduire par arracher. Enlever est trop faible…" Plus de cinquante ans après, je revois encore cette scène. Corriger la traduction du latin des Pères d'Hautecombe, il fallait le faire !…"
Mettant en relief sa conscience professionnelle, sa fidélité à sa vocation de missionnaire enseignant-éducateur et sa rigueur dans le travail, un autre ancien écrit :…" ..Pour lui, la formation humaine des jeunes passait …par la régularité dans le travail, par le respect des règles essentielles auxquelles il ne cessait de les renvoyer….Il suffirait de rappeler le soin légendaire qu'il mettait à corriger les copies sur une planche posée elle-même sur les bras d'un fauteuil peu confortable. Les marges noircies de notes et de références grammaticales…rappelaient à l'élève l'exigence de la rigueur et du travail bien accompli…"
Rentré en France en raison des évènements qui conduisirent à la chute de Saigon en 1975, M. Georges Lefas fut nommé le 5 novembre 1975, directeur adjoint et secrétaire de l'Association "Centre France-Asie" qui prenait le relais du Foyer des Etudiants d'Extrême-Orient. Il se mit au service des étudiants asiatiques avec le même enthousiasme et le même dévouement, tout en donnant son aide aux réfugiés nombreux qui arrivaient d'Asie.
Dès 1976, il fut chargé provisoirement de cours à l'Université Catholique de l'Ouest à Angers à l'Institut de perfectionnement des langues vivantes. En janvier 1977, il reçut la décoration de la Légion d'Honneur. Le 29 juin 1982, il fêta dans l'action de grâce, ses cinquante ans de sacerdoce.
En avril 1986, il se mit en semi-retraite active, et fut nommé chapelain des religieuses dominicaines du prieuré Notre-Dame de Toutes Grâces (Institut Saint Dominique), à Mortefontaine dans le département de l'Oise, diocèse de Beauvais.
Répondant à une invitation réitérée et collective d'anciens élèves de l'Institut de la Providence et d'anciens étudiants de la Faculté de Pédagogie de l'Université de Hué, résidant au Viêtnam et dans d'autres pays de la diaspora viêtnamienne, M.Georges Lefas, du 10 au 25 mai 2001, fit un voyage-pèlerinage au Viêtnam. Il voyait là une occasion de contacts personnels avec ses anciens, une sorte de pèlerinage aux sources, grâce à la visite de plusieurs sanctuaires et des lieux où s'était déroulée sa vie de missionnaire-professeur."..Je ne suis pas venu comme un père, mais comme un ami et un frère.." déclarait il, dès son arrivée. Il ne voulait être ni vedette, ni "sage" donneur de conseils. En raison de son âge, 95 ans et doyen de la Société MEP, de ses infirmités, mauvaise vue et arthrite rendant sa marche difficile, il demanda à M. José Laroque, son confrère, ancien professeur à la Providence, d'être son compagnon.
M. Georges Lefas passa quelques jours à Saïgon rendant visite aux prêtres résidant à la maison de retraite, près de l'église N.D. de Fatima. Il y retrouva Mgr. Nguyên van Lâp ancien professeur à la Providence et ex-doyen de l'Université catholique de Dalat. Le dimanche 13 mai 2001, il assista à la messe des étrangers dans la cathédrale de Saïgon, car l'interdiction faite aux prêtres étrangers de célébrer la Messe ou de présider une réunion en public restait en vigueur. Au milieu de cette même journée, il partagea un banquet de 130 couverts réunissant les anciens élèves de la Providence qui venaient de clôturer leur 5ème réunion plénière. " A ma grande surprise, écrit il, mon arrivée, en haut d'un escalier gravi la canne à la main, fut saluée par des applaudissements, des cris et même des pleurs qui s'adressaient moins à ma silhouette de vieillard qu' au symbole que ma venue représentait de l'héritage d'une formation et d'une culture imprégnée de l'Evangile…Cela fut d'ailleurs exprimé par de touchants discours accompagnés de cadeaux et d'embrassades…"
Le lendemain, il voulut se rendre au Cap Saint Jacques (Vung-Tau), une station balnéaire bien connue, où un nouveau sanctuaire venait d'être inauguré en l'honneur de la Vierge Marie. C'était un pèlerinage qui lui tenait à cœur ! Le 16 mai, par avion il gagna l'importante ville de Da-nang, rendit visite aux Sœurs de St. Paul de Chartres, revit la plage de My-khê où jadis, il avait failli se noyer, et fut accueilli par une cinquantaine d'anciens élèves ou étudiants. Le 18 mai, il tint à faire en minibus le trajet de Da-nang à Hué, saluant en passant à Cân-hai, la station estivale de Bach-mâ, pour lui, pleine des souvenirs du camp-école de la Fédération Indochinoise du scoutisme.
Quelle émotion de retrouver, de revoir Hué ! Durant son séjour, il logea à l'hôtel Saïgon-Marin, jadis occupé par la faculté des Lettres de l'Université d'Etat de Hué, dans l'ancien quartier français de la ville. C'est là que discrètement, à bicyclette, Mgr. Etienne Nguyên-Nhu-The, archevêque de Hué, vint lui rendre visite, dans sa chambre d'hôtel. Ses anciens élèves et étudiants, -plus de 80- avaient établi un programme précis. L'un d'eux, maintenant directeur de la Faculté des Sciences à Hué, l'invita "à visiter les locaux de l'ancien Institut de la Providence"
Rendez-vous fut pris pour le 19 mai, à 8h30. M. Georges Lefas fut reçu " par Madame la vice doyenne de la faculté dans ses plus beaux atours.." avec discours de bienvenue auquel il répondit brièvement. .." La réception, écrit-il, a eu lieu discrètement et non pas dans une salle de cours. Mais le ton était courtois et affable se terminant par une invitation à visiter tous les locaux à note guise. Nous ne nous fîmes pas prier pour revoir la chapelle, transformée en salle de travail pour les étudiants. Quant à mon ancienne chambre, près de la bibliothèque, elle est à la disposition des professeurs, et je l'ai reconnue sans peine, me prêtant à une photo souvenir.
L'ensemble des bâtiments de la Providence a été respecté, doté de matériel et bien entretenu. De plus, comme il y a actuellement 4.000 étudiants qui en fréquentent les trois facultés, il a fallu construire des immeubles modernes à proximité. Les anciennes cours de récréation sont transformées en jardin d'agrément avec des arbres d'âge respectable, le tout, nous a-t-on dit subventionné par des dons provenant de la région Nord-Pas de Calais…"
Ce pèlerinage aux sources se continua par un long arrêt au grand seminaire interdiocésain tenu par les Sulpiciens, une prière au cimetière des Pères Mep, une visite aux communautés religieuses. Partout, accueil chaleureux. Et bien entendu, écrit il: "Il nous tardait de faire notre pèlerinage à N.D. de La-Vang.. Le Père Laroque et moi avons pu célébrer la Messe en union avec tous les pélerins qui affluent périodiquement.." Il se rendit ensuite au chevet de l'église de Cam-lô pour se recueillir sur la tombe du P. Audigou. Sur le chemin du retour à Hué, il fit une halte et une prière au cimetière de Tri-Bun, " où reposent tant de martyrs du XIXème siècle et où on a transporté les restes du Père Louis Valour…"
Arriva le temps pour M. Georges Lefas de regagner Saïgon et vint l'heure de la séparation et de l'embarquement pour Paris. C'était le 25 mai 2001…" Le départ à l'aéroport de Tân Sôn-Nhut fut très émouvant pour nous deux, (MM.Lefas et Laroque) entourés de nos amis en larmes comme à la fin d'un beau rêve brusquement interrompu…" relate-t-il dans son compte-rendu. A Roissy, le commandant de bord l'invita à assister, dans le cokpit, à l'atterrissage de l'Air-Bus A 340. A sa descente d'avion, un groupe d'anciens élèves l'attendait pour le reconduire, "encombré de bagages et la tête pleine de souvenirs," jusqu'au prieuré Notre Dame de Toutes Grâces à Mortefontaine.
Le mercredi 31 octobre 2001, M. Georges Lefas prit la route pour rejoindre la communauté Mep de Lauris. La veille, au cours d'un apéritif, les religieuses dominicaines lui avaient fait leurs adieux. Pour leur répondre, mélomane averti,il se mit à l'orgue; avec talent, pendant une demi-heure, il improvisa librement, exprimant ses sentiments à travers la musique, au point que les sœurs en eurent les yeux mouillés.
A 95 ans accomplis, doyen d'âge de la Société Mep, ses facultés quasi-intactes sauf la vue, il mena une vie de prière avec la communauté de Lauris. Recevoir des visites, répondre au courrier l'occupait un certain temps chaque semaine. Mais laissons l'un de ses anciens élèves évoquer leur dernière rencontre à Lauris :…" Georges Lefas, écrit il, n'était pas pressé d'entrer dans l'immortalité. Il avait encore tant de lettres à écrire, tant d'anciens élèves à guider, tant de colis à envoyer aux pauvres du Viêtnam ! Mais l'heure est venue, et il dit son Nunc dimittis.
Le jour de l'Assomption, après la messe à Lauris, il était épuisé. Il me dit dans un souffle " Je n'en peux plus ". Un silence….encore un silence, puis : "J'ai demandé le sacrement des malades". Moi aussi, je sentais que la fin était proche. Cela ne l'a pas empêché de me réserver une surprise de taille dans l'après-midi.
Nous étions tous les deux dans sa chambre, à parler de choses et d'autres. Conversation lente, entrecoupée de demi-silences. Puis, au détour d'une phrase, il évoqua la vie d'une de ses anciennes élèves, devenue témoin silencieux de la Foi, en des circonstances très difficiles. Il se lança alors dans un long exposé sur la valeur du témoignage chrétien. Je le regardais, ébahi, frappé par la logique de l'exposé, la rigueur des arguments, la force de la conviction. On aurait dit qu'il était en chaire. En fait, il prononçait son dernier sermon. Et quel sermon !..
Il s'est éteint dans la nuit du 26 au 27 septembre 2002, ayant obtenu ce qu'il avait voulu sa vie durant : la gloire de son Dieu.."
Le samedi 28 septembre 2002, à 15 heures, la messe des funérailles fut célébrée à la chapelle des Missions Etrangères à Lauris. Sa dépouille mortelle fut transférée à Fougères, la ville de sa naissance (35) ; après une messe célébrée en l'église Saint Léonard, le 30 septembre 2002, Georges Lefas fut inhumé dans le cimetière de cette ville.
Ultérieurement, le 14 décembre 2003, une messe du souvenir rassembla à la chapelle des Missions Etrangères à Paris, ses anciens élèves et étudiants. Dans son homélie, le célébrant évoqua "l'éventail des talents qui faisaient du Père Lefas une personnalité très riche de culture et de goût…" , son attachement profond pour les hommes et le pays où il avait été envoyé :".Il n'était pas motivé par des rêves de conquête, mais bien par un véritable amour…..Il a aimé et servi les personnes, et surtout les jeunes, sans distinction ni d'origine, ni de religion. Il a aussi aimé et respecté le pays vers lequel il avait été envoyé par ses supérieurs, le Viêt-Nam. Il a aimé le Viêt-Nam pour lui-même comme il a aimé les viêtnamiens pour eux-mêmes…" Faisant mémoire du passé, mais tourné vers l'avenir, il rappela l'extrait d'un article que M. Georges Lefas avait écrit à la demande de ses anciens élèves et étudiants :.." Contre toute attente, L'Institut de la Providence traversait ces orages sans sombrer, en dépit des blessures périodiques de la guerre. L'établissement surnageait, parce qu'il s'adaptait simplement à l'évolution des mentalités et la marche irrésistible vers une indépendance trop longtemps marchandée à ce pays, mûr pour la prise en main de ses destinées…"
Novembre 2004