Léon RONCIN1924 - 1991
- Status : Supérieur général
- Identifier : 3891
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Identity
Birth
Death
Status
Missions
- Country :
- Japan
- Mission area :
- 1951 - 1964 (Osaka)
- 1980 - 1991 (Osaka)
- 1964 - 1968 (Tokyo)
Biography
[3891] RONCIN Léon Armand fut supérieur général de la Société MEP de 1974 à1960. Ses parents étaient domiciliés à Varades en Loire-Atlantique; mais il naquît à Longué, dans le Maine-et-Loire, le 6 septembre 1924. Après des études primaires à Varades, en 1936 il entre au petit séminaire à Guérande puis rejoint celui de Notre-Dame des Couëts.
Il entre au Séminaire des Missions Etrangères le 1er octobre 1943. Suite à une mauvaise pleurésie, il doit interrompre ses études et passer de longs mois au Sanatorium de Thorenc. Il est ordonné prêtre le 30 avril 1950. Le 30 juin 1950 il reçoit sa destination pour Osaka. Mais sa santé étant encore fragile, il est nommé professeur au petit séminaire de Menil-Flin. A la fin de l'année scolaire il va passer quelques mois en Angleterre pour étudier l'anglais. Il s'embarque pour le Japon le 21 décembre 1951 et arrive à Kobé le 21 janvier 1952.
Dans un premier temps il réside dans la paroisse de Nakayamaté. Il étudie le japonais et s'initie à la culture japonaise. En septembre 1954, il est nommé vicaire d'un prêtre japonais, le P. Nishimura, à Shukugawa. Le 30 janvier 1956, il est nommé vicaire du P. Duchesne à Shimoyamaté, puis curé de cette même paroisse en février 1960. Il participe à l'Assemblée générale de 1960 en tant que délégué des confrères. En 1962, il est nommé supérieur local du groupe de Kobé.
En 1964, il succède au Père Delbos comme supérieur régional et doit donc quitter Shimoyamaté pour la maison régionale de Tokyo. La Région du Japon comptait alors encore plus de cent confrères. Il prend très à coeur ses nouvelles fonctions, rendant visite à chaque confrère. En 1966, il est élu Président de la Conférence des Supérieurs majeurs du Japon. A partir de cette même année, il s'investit dans la préparation de l'Assemblée Générale de 1968 avec beaucoup de générosité et de compétence.
Au cours de cette Assemblée il est élu premier assistant et vicaire du général du Père Quéguiner. Cette fonction lui donne maintes occasions de découvrir la vie et les activités de la Société dans divers pays d''Asie, mais aussi à Madagascar et en France. Il prend une part prépondérante à la préparation dy Synode de Hongkong de 1971 et à celle de l'Assemblée de 1974.
En 1974, il est élu supérieur général. Le nombre des Assistants a été réduit de quatre à trois. Or, l'animation de la Société sera particulièrement délicate et son administration exceptionnellement lourde pendant la durée de son mandat. 115 missionnaires qui travaillaient au Vietnam, au Cambodge ou au Laos sont expulsés ! Il faut les accueillir, les aider à assumer cette épreuve, leur proposer un nouveau départ vers un autre pays ou un point de chute en France même. Le Père Roncin et son Conseil ne ménagent pas leur peine pour dialoguer avec ces confrères et explorer diverses possibilités pour de nouveaux engagements missionnaires. C'est ainsi que de Nouveaux Groupes" sont constitués et se mettent à la disposition de divers diocèses en Indonésie, en Nouvelle-Calédonie, à l'Ile Maurice, au Brésil. Un autre problème préoccupe le Père Roncin et son Conseil: l'absence de vocations. Plus aucun candidat ne se présente à partir de 1976 ! Dans ses lettres communes, comme à l'occasion de ses visites aux confrères, le Père Roncin s'efforce de rappeler l'essentiel, "l'unique nécessaire", "la foi au Christ seul Sauveur" (1976). A ceux qui sont inquiets pour l'avenir de la Société et de la Mission en Asie, il rappelle "les raisons toujours nouvelles que nous d'être missionnaires".
C'est cependant avec soulagement que le Père Roncin vit approcher l'Assemblée générale de 1980 et l'expiration de son mandat. Dès la fin de l'Assemblée, il demande à repartir au Japon. En octobre 1980, il est de nouveau à Kobé et il se remet à l'étude du japonais. En avril 1981, il assure le remplacement d'un confrère à la paroisse St Jean-Marie Vianney de Sanda. En novembre 1981 il va aider le Père Tavernier à Tarumi. Il lui succède en avril 1982 et restera curé de cette paroisse jusqu'à sa mort. Il participe àl'Assemblée générale de 1986.
Ce second séjour du P. Roncin au Japon ne fut pas marqué par la facilité, mais par un merveilleux approfondissement de sa foi. A la demande des confrères il a rédigé un jour des notes émouvantes sur son ministère de curé. Mais Il lui arrivait aussi de confier se à un ami par lettre: " Pour moi, de plus en plus, l'évangélisation c'est l'affaire de l'Esprit (...) Peut-être fallait-il en arriver là pour que le Seigneur puisse faire quelque chose. Peut-être faillait-il être écrasé pour que les autres puissent tenir debout. Alors l'aventure continue à petit pas: avec un peu d'espérance. Il suffit d'en avoir assez pour une journée."
Le Père Roncin souffrait de troubles digestifs depuis plusieurs années. Il est hospitalisé en février 1991 et subit une opération qui lui procure quelques mois de répit. Mais la tumeur qu'on avait décelée était trop avancée pour que les docteurs puissent donner espoir à son entourage. Il meurt à l'hôpital du Kaisei le 30 juin au terme d'une période de grandes souffrances. Les obsèques sont célébrées à Nakayamaté..
Obituary
Léon RONCIN (1924-1991)
Roncin Léon, Armand, né le 6 septembre 1924, à Longué, Maine-et-Loire, diocèse d’Angers, entré au séminaire des Missions Étrangères le 1er octobre 1943, prêtre le 30 avril 1950 ; parti pour le diocèse d’Osaka le 21 décembre 1951, vicaire général de la Société le 30 août 1968 ; supérieur général du 12 août 1974 au 9 juillet 1980 ; retourné au Japon en octobre 1980 ; décédé à Kobé le 30 juin 1991.
Léon Roncin est né de parents très chrétiens, établis peu après sa naissance dans la petite ville de Varades en Loire-Atlantique, où son père était pâtissier. Son enfance a baigné dans l’atmosphère de foi qui caractérisait alors la région, à la frontière de l’Anjou et du pays nantais. Traditionnel, le catholicisme des habitants ne se limitait pas pour autant à une pratique formaliste mais faisait preuve d’une belle vitalité. Le milieu chrétien était un vivier presque inépuisable de candidats pour les séminaires et noviciats des environs. Du magasin de ses parents le jeune Léon n’avait que quelques pas à faire pour se rendre à l’église et prendre part aux activités de la paroisse. Il le faisait apparemment avec plaisir et c’est sans doute sans trop se poser de questions qu’après ses études primaires, faites à Varades même, il entra au petit séminaire, d’abord à Guérande, puis à Notre-Dame des Couets dans le diocèse de Nantes.
Avant le départ en mission
Sur sa vie au petit séminaire, nous avons le témoignage d’un confrère ayant suivi le même itinéraire que lui. Parmi les quarante et quelques élèves du même cours, la personnalité de Léon Roncin s’imposait et ne pouvait passer inaperçue. Également doué pour le chant et la musique, pour le sport, dans lequel il excellait, et pour l’étude, « il était le seul à finir l’année des prix plein les bras ». Les professeurs l’estimaient, mais il n’était pas homme à acheter par des flatteries la bienveillance de l’autorité : « Il n’était pas sans critiquer les autres, mais toujours gentiment, sans partialité ». Bon camarade, il était aimé de ses condisciples, qui reconnaissaient sa valeur. L’art de plaire à tous, l’assiduité au travail quotidien, la générosité –« il faut savoir être poire », conseillait-il à qui voulait l’entendre -, le refus des compromissions… cet ensemble de qualités et l’impression de force qu !émanait du premier de classe intriguaient. Son ami s’interrogeait : « Tout ce q’il fait lui semble naturel. Y a-t-il quelque mérite ? »
Le jour des épreuves écrites du baccalauréat de philosophie, Léon Roncin victime d’une crise d’urticaire, n’était pas en pleine possession de ses moyens. Il fut reçu avec la mention assez bien seulement, alors que ses performances habituelles permettaient de s’attendre à mieux. Après ce succès plus qu’honorable, à l’automne de 1943, il fut admis au séminaire de la rue du Bac.
Dès le printemps précédent, il avait fait part à quelques-uns de sa décision d’entrer aux Missions Étrangères, « non pas qu’il s’ennuyât en notre compagnie, mais on l’avait averti que, s’il désirait vraiment partir en mission, mieux valait qu’il ne franchisse pas le seuil du grand séminaire de Nantes : on avait besoin en France d’hommes de sa trempe ». bien qu’il n’ait pas fait de confidences sur les motifs de sa décision, il semble qu’il ait été impressionné par l’exemple de Théophane Vénard. « Une qu’il ait été impressionné par l’exemple de Théophane Vénard. Une.Vie de Théophane Vénard écrite par le chanoine Trochu fut peut-être, de tous les livres qu’il avait reçus en prix, le seul qu’il ait emporté au séminaire ». la lettre adressée au supérieur général pour demander son admission exprime en tout cas sa conviction, « obtenue après de sérieuses réflexions et de nombreuses prières », de répondre à un appel de Dieu. Le supérieur du petit séminaire qui transmet cette lettre se borne à une ligne de recommandation : « Recrue de tout premier ordre, à tous points de vue ».
Malheureusement, quelques mois à peine après son arrivée à Paris, le nouvel aspirant tomba sérieusement malade. Une mauvaise pleurésie l’obligea à interrompre le cours de son séminaire dès le deuxième trimestre de la première année. Malgré les efforts de l’économe le régime alimentaire des années de guerre n’était pas toujours suffisant pour de jeunes hommes ayant un robuste appétit. Il ne convenait pas aux santés fragiles ou aux convalescents. Léon Roncin dut quitter Paris et passer de longs mois au sanatorium de Thorenc, ouvert par les évêques de France pour les prêtres et séminaristes dans son cas. Il faisait ainsi l’expérience de l’épreuve et de la souffrance, l’expérience de la solitude aussi, dont il laissa entendre plus tard qu’elle l’avait profondément marqué. Bien des années après son ordination, retenu en France par l’Assemblée générale de 1968 pour être vicaire général du P. Maurice Quéguiner, il eut l’occasion à deux reprises d’être interviewé à la télévision, dans le cadre d’une émission religieuse, après la parution, en traduction française en 1973, du roman Le Silence d’Endô Shûsaku.. Interrogé sur le thème de la souffrance humaine et du silence de Dieu, il insista sur cette solitude à laquelle se trouve contraint celui qui souffre, « renvoyé à soi-même pour livrer un combat intérieur… Même si le témoin de la souffrance d’autrui est rappelé à devenir par une amitié vraie un signe de la présence de Dieu à celui qui souffre, la souffrance ne se partage pas ». Quelques jours avant sa mort, alors qu’il était accablé de souffrances physiques très douloureuses, presque complètement anéanti, il devait griffonner sur un petit bout de papier que retrouva un confrère dans sa chambre : « Le cœur : là où on est seul et où il devient inévitable d’entendre la vraie parole ! »
Dès le temps du séminaire, Léon Roncin a été conduit par l’épreuve à se forger des convictions dont il ne s’est jamais départi : c’est par le combat spirituel, par l’acceptation de la croix du Christ, que le missionnaire doit s’efforcer d’être témoin de la Bonne Nouvelle, « une nouvelle qui annonce la libération de tout ce qui empêche l’homme d’accéder à une vie humaine authentique, c’est-à-dire une vie de fils de Dieu ». Avant de se manifester par une activité visible, la participation à la mission du Christ se réalise d’abord dans une lutte intérieure « sorte de combat de Jacob avec l’ange », aimait-il à dire pour signifier combien il est difficile d’accepter de se perdre.
À la lecture des lettres officielles qu’il adressa à ses supérieures pour demander d’être admis aux ordres, on est frappé tant par la fermeté du style que par la qualité des désirs qui motivent son engagement. Alors qu’il s’agit d’un genre conventionnel, là où beaucoup se contentent de formules plus ou moins banales et stéréotypées, il sait dire simplement et avec un accent de vérité sa résolution de mettre sa vie au service de l’Église pour continuer la mission du Christ en participant à son sacerdoce.
Sa santé étant rétablie, il avait regagné le séminaire des Missions Étrangères dès la réouverture de Bièvres à la fin de la guerre. Et il avait pu suivre le cours régulier des études – une année de philosophie à Bièvres en 1945-1946, quatre années de théologie à Paris ensuite -, jusqu’à son ordination sacerdotale le 30 avril 1950. Aux séminaires de Bièvres et de Paris également, directeurs et aspirants reconnurent bientôt les qualités qui l’avaient signalé à l’attention de ses maîtres du diocèse de Nantes. Signe de la confiance qu’il inspirait, il fut choisi comme doyen des aspirants. Il s’acquitta de cette fonction à la satisfaction générale, grâce à la faculté qu’il avait d’affirmer ses opinions en les exprimant clairement, grâce à son aptitude à retenir l’essentiel d’un débat sans se laisser égarer par la passion partisane, grâce à sa courtoisie naturelle aussi, que tous appréciaient. Il avait la réputation méritée d’être un bon confrère.
Ayant reçu sa destination pour la mission d’Osaka, Léon Roncin dut participer avant d’obtenir l‘autorisation de partir. Peut-être pour lui donner le temps d’affermir sa santé demeurée fragile, le supérieur général le nomma pour un an professeur au petit séminaire de Ménil-Flin. Au terme d’une année scolaire à Ménil-Flin, il alla ensuite passer quelques mois en Angleterre pour étudier l’anglais. Il devait regretter plus tard d’avoir choisi l’italien dans le secondaire et de n’avoir pas consacré plus de temps à apprendre l’anglais, souvent bien nécessaire dans les rencontres internationales. C’est seulement le 21 décembre 1951 qu’il peut prendre le bateau des Messageries Maritimes qui le conduisit jusqu’à sa mission.
Ministère à Kobé
Arrivé à Kobé le 21 janvier 1952, Léon Roncin se mit sans attendre à l’apprentissage du Japonais. La paroisse de Nakayamaté était à l’époque le centre du district confié aux Missions Étrangères dans le diocèse d’Osaka. C’est là qu’il résida d’abord pendant plus de deux ans, jusqu’en septembre 1954, suivant avec Jean-Louis Creignou, venu de France sur le même bâteau que lui, les cours que leur donnait quotidiennement un professeur. Il travailla avec acharnement, manifestant dès le début le souci qu’il garda sa vie durant de maîtriser autant que possible la maniement de la langue. Il comprit vite la nécessité pour ce faire de lire couramment le japonais écrit, et il y parvint rapidement, mieux que beaucoup d’autres. Dans l’étude il se montra consciencieux à l’extrême ayant horreur du relâchement et de l’à-peu-près. Il ne concevait pas qu’un missionnaire puisse se dispenser d’un effort soutenu pour connaître non seulement la langue mais aussi l’histoire et la culture du pays dans lequel il est appelé à vivre. C’était pour lui affaire d’honnêteté professionnelle. Et il s’étonnait que certains lui fassent parfois grief d’être avare de son temps parce qu’absorbé par son travail.
À l’automne de 1954, au terme de la période d’initiation au Japonais passé à Nakayamaté, il fut affecté à la paroisse de Shukugawa dans la ville voisine de Nishinomiyta, nommé vicaire d’un prêtre japonais, grand ami des Missions Étrangères, le P. Nishhimura, sous la direction duquel il fit ses premières armes. Il devait y rester jusqu’au printemps de 1956, dans d’excellentes conditions pour apprendre à mieux connaître la société japonaise, le curé prenant à cœur son rôle de mentor. Les paroissiens se montraient particulièrement bienveillants pour les missionnaires français dont les devanciers avaient fondé le poste. Le curé précédent, le P. Alfred Mercier, avait gagné l’admiration de tous par son zèle et par son courage. Face aux persécutions policières pendant la guerre. Toute sa vie Léon Roncin garda le meilleur souvenir du temps passé à Shukugawa, et il se montra reconnaissant au P. Nishimura du soin qu’il avait mis à lui enseigner les secrets de l’étiquette japonaise risquant d’échapper à un étranger.
À l’automne de 1956, il dut réintégrer le district de Kobé, d’ailleurs tout voisin. La règle d’alors voulait que missionnaires et prêtres japonais soient répartis, à l’intérieur d’un même diocèse, dans des secteurs différents dont chacun jouissait d’une relative autonomie sous l’autorité de l’évêque. Léon Roncin fut nommé vicaire du P. Maurice Duchesne dans la paroisse de Shimoyamaté, proche de celle où il avait résidé en arrivant au Japon. Il devait passer huit ans à Shimoyamaté, dont il devint curé à son tour en 1960. Il ne tarda pas à y donner toute sa mesure, se montrant très actif et entreprenant. À peine arrivé, il se vit confier plusieurs responsabilités : aumônerie des sections de JOC, alors assez vivantes, animation spirituelle des Auxiliaires de l’apostolat, institut séculier introduit au Japon dans l’immédiat après-guerre, catéchèse des adultes, souvent faite individuellement à des personnes que les contraintes horaires de leur travail empêchaient de se joindre à un groupe. Bien qu’il s’agisse de la paroisse japonaise la plus ancienne de la ville, les paroissiens n’étaient pas très nombreux, quelques centaines, mais les activités étaient suffisamment variées, et le territoire suffisamment étendu, pour qu’il soit occupé à plein temps. Il n’hésitait pas à aller loin dans la banlieue et dans les villes des environs, à Ono pour s’y occuper d’une communauté de Coréens catholiques, à Suzurandai, où l’Église n’était pas encore implantée, pour y préparer le futur.
En 1960, il organisa à Kobé une exposition de mode, un « fashion show », à la demande d’un prêtre italien. Les mannequins, venus d’Italie, étaient des femmes appartenant à l’action catholique italienne qui souhaitaient donner un témoignage chrétien dans le monde de la mode, amenant à réfléchir sur la vraie place de la femme dans la société. Plus de deux mille personnes participèrent à cette entreprise, originale et audacieuse pour l’époque. À peu près ,au même moment, étendant son rayon d’action, Léon Roncin accepta de devenir aumônier des médecins catholiques de tout le diocèse, s’obligeant à donner des conférences dont la préparation lui demanda beaucoup de travail. Il collabora à la publication d’une plaquette en japonais sur les méthodes naturelles de régulation des naissances. Ces multiples activités ne l’empêchent pas de prendre part à l’Assemblée générale de 1960 à Bièvres. Sa réputation dépassant le cadre du groupe de Kobé, il a été élu par l’ensemble des confrères de la région comme un de leurs représentants.
Tous ceux qui l’approchent admirent le don qu’il a de traiter un sujet avec rigueyur et de mettre de l’ordre dans les discussions qu’il anime. Très discret, il ne laisse pas paraître ses sentiments. Certains, quç le trouvent peut-être trop cérébral, éprouvent quelque difficulté à communiquer avec lui, alors qu’en réalité c’est seulement par pudeur qu’il hésite à se livrer. Les confrères le devinent, qui envient sa capacité à tenir ses engagements et sa fidélité stricte au programme qu’il s’est fixé, même s’ils regrettent parfois sa hâte à abréger une rencontre ou une conversation pour reprendre le cours de ses activités. En tout cas, c’est parce qu’ ils ont confiance en lui que, consultés par le supérieur régional pour le choix d’un nouveau supérieur local, ils proposent Léon Roncin qui, à partir de 1962, ajoute cette responsabilité à celles qu’il exerçait déjà par ailleurs.
Devenu supérieur local, il doit s’efforcer de coordonner la pastorale du district. Le diocèse d’Osaka est alors dirigé par Mgr Taguchi, futur cardinal, un remarquable organisateur, qui sait répartir les tâches et déléguer une partie de ses pouvoirs aux responsables des différents districts. Il s’en remet à eux du soin de transmettre ses directives et de faire appliquer ses décisions. Souvent, les nominations, le règlement des questions administratives, comme les achats ou enregistrements de terrains, sont sinon du ressort exclusif du moins en partie à la charge du supérieur local. Pour les MEP, ce dernier, sans avoir les attributions d’un supérieur religieux, doit néanmoins animer les rencontres des confrères, jouer le rôle d’arbitre parfois, veiller au soin des malades ou des plus âgés. La fonction n’est pas toujours une sinécure. Léon Roncin s’en acquitte si bien, toujours avec sérieux et méthode, que tous penseront à lui quand, un peu plus tard, il s’agira de désigner un successeur au supérieur régional, le P. Fernand Delbos.
Supérieur régional du Japon
Le P. Delbos est l’homme qui, conformément aux décisions prises par l’Assemblée générale en 1950, a mis sur pied la région du Japon, érigée en entité juridique. Alors qu’auparavant les missionnaires dépendaient exclusivement de leur évêque, qui assurait leur subsistance, ils sont depuis 1950 constitués en « communautés », vis-à-vis desquelles la Société se reconnaît des obligations : étude de la langue, formation continue intendance, garanties en cas de maladie. Le premier supérieur régional a dû préparer et conclure des contrats avec les évêques des six diocèses dans lesquels travaillent les confrères. Il a dû surtout expliquer, obtenir que, de part et d’autre, on s’habitue à ce nouveau système qui modifiait la situation à laquelle étaient accoutumés les anciens. Tout cela avait nécessité beaucoup de diplomatie, et demandé un travail considérable, que le P. Delbos avait mené à bien de main de maître. Après les fêtes du troisième centenaire de la Société en 1963, ce dernier avait demandé avec insistance à être remplacé. C’est ainsi qu’après avoir procédé aux consultations d’usage le supérieur général choisit Léon Roncin et le nomma supérieur de la région du Japon en 1964.
Il n’était pas facile de succéder au P. Delbos, qui s’était acquitté de sa tâche avec une autorité souriante et incontestée. La région du Japon comptait alors plus de cent confrères, la plupart dans la force de l’âge, dont beaucoup attendaient surtout du nouveau supérieur qu’il se montre discret et se garde de donner des consignes trop précises.
Léon Roncin sut très vite se faire accepter et apprécier de tous. Il s’installa à Tokyo, à la maison régionale dont la construction venait d’être terminée, pour être totalement disponible et se consacrer à plein temps au service de la région. Ce service réquérait souvent travail de bureau, correspondance et rapports officiels, mais l’essentiel était pour lui le contact humain. Il entreprit de visiter les confrères dans leur poste, et prit goût à ces visites qui l’amenèrent à parcourir le Japon du Hokkaidô au Kyûshû plusieurs fois au cours de son mandat. Cherchant à connaître la situation et à comprendre les soucis de chacun, il impressionna favorablement ses interlocuteurs par son attitude fraternelle et sa simplicité, même quand une fois ou l’autre il dut intervenir avvec vigueur pour mettre de l’ordre. Prenant très au sérieux son rôle d’animateur, il s’efforça de stimuler la réflexion commune et d’aider les confrères de la région à marcher sur la voie de l’aggiormamento requis par le concile Vatican II qui venait de se terminer.
Les quatre années pendant lesquelles il exerça la fonction de supérieur régional furent une période d’activité intense qui lui permit d’enrichir son expérience et d’acquérir une vue d’ensemble des problèmes de l’évangélisation dans tout le Japon. De nombreuses rencontres avec les évêques et avec les supérieurs des instituts missionnaires travaillant dans le pays lui fournirent l’occasion de réfléchir aux améliorations souhaitables de la collaboration entre tous les partenaires de la mission, sujet qui lui tenait grandement à coeur. Il fut d’ailleurs élu en 1966 président de la Conférence des supérieurs majeurs des Instituts religieux, sorte de forum où s’échangeaient informations et réflexions sur la question. On trouve l’écho de ses préoccupations dans les nombreuses lettres ciurculaires qu’il adressa aux confrères comme dans sa correspondance régulière avec le supérieur régional et dans les rapports qu’il rédigea à son intention. On le sent soucieux de prépaarer l’avenir de la mission, de trouver les moyens de permettre aux prêtres japonais et aux missionnaires étrangers de travailler davantage ensemble, de favoriser les regroupements. Il sait présenter ses vues de manière convaincante, didactique même quand il s’agit de documents d’étude, si bien que même les partisans du statu quo en sont parfois ébranlés.
Il s’occupe avec un soin particulier des plus jeunes, qui éprouvent le besoin d’une formation complémentaaire de celle reçue à l’école de langue. Pour eux il organise une session d’étude de plusieurs jours sur différents aspects de la société japonaise. Les conférences sont données par des Japonais spécialement qualifiés pour traiter des conditions de travail et des problèmes syndicaux, de l’évolution de la famille, de la littérature contemporaine, etc. Elles donnent lieu à des échanges dont les participants disent avoir tiré grand profit. De nombreux missionnaires de la région sentaient la nécessité d’une initiation plus systématique à la culture japonaise que celle dont ils avaient bénéficié en arrivant dans le pays. On sut gré au supérieur régional d’avoir en quelque sorte officialisé ce besoin de formation.
À cette époque, en dépit des espérances suscitées par le Concile, l’atmosphère n’était pas toujours à l’optimisme chez les missionnaires du Japon. La période de l’immédiat après-guerre avait été marquée par un investissement sans précédent en personnel et en argent pour évangéliser le pays, dans l’espoir qu’il serait plus réceptif à l’évangélisation qu’au temps du militarisme triomphant. Il avait fallu ensuite déchanter et constater que les résultats n’étaient pas à la mesure des efforts consentis. Beaucoup de missionnaires s’interrogeaient sur le sens de leur présence dans un pays où les progrès visibles de l’Église étaient si lents. D’autres se sentaient à l’étroit dans les petites paroisses et communautés dont ils avaient la charge, et se demandaient comment diversifier leurs activités pour mieux se trouver en prise avec la réalité de la vie japonaise.
Le supérieur régional se trouvait aux premières loges pour évaluer la situation et recueillir les échos des discussions qui avaient lieu dans les districts. Il cherchait les moyens de favoriser les échanges et de faire avancer la réflexion commune quand le P. Quéguiner annonça, en 1966, la convocation pour 1968 de l’Assemblée générale primitivement prévue pour 1970. Ainsi se présentait une occasion idéale de mobiliser l’ensemble pour étudier sereinement les problèmes que certains étaient tentés de régler de manière trop simpliste ou précipitée. Dans le cadre de la préparation de l’Assemblée prévue par les constitutions, on pouvait faire entrer toutes les questions qui préoccupaient légitimement les confrères et chercher à s’entendre sur les moyens à prendre pour faire face aux difficultés Léon Roncin vit de suite quel parti tirer de cette convocation anticipée de l’Assemblée. Il écrivit sans attendre au supérieur général pour signaler les inconvénients qu’aurait une préparation effectuée uniquement grâce à des rapports établis par les seuls supérieurs et responsables reconnus officiellement comme tels. Il se référait à son expérience de délégué à l’Assemblée de 1960 pour montrer comment on risquait de passer sous silence, ou de traiter sans l’attention requise, certains sujets d’importance si on n’obtenait pas la participation de tous les missionnaires au travail préparatoire. Et il faisait dès le début, à titre personnel, plusieurs propositions pour mettre ce travail en route à tous les échelons de la région et partout dans la Société.
On peut dire que, pendant les deux ans qui précédèrent l’Assemblée, Léon Roncin se révéla vraiment être l’homme de la situation. Il fit merveille pour rédiger questionnaires et documents en vue de faciliter la réflexion des indiidus et des groupes, payant de sa personne pour animer parrtout des rencontres, toujours avec rigueur et méthode, et parvint, au-delà même de ce qu’il avait espéré, à susciter l’intérêt de tous pour la préparation de l’Assemblée.
Vicaire général de la Société
Ce ne fut une surprise pour personne quand il fut élu, en 1968, premier assistant et vicaire général du P. Quéguiner. La qualité de ses interventions avant et pendant l’Assemblée avait attiré l’attention des participants et ceux-ci n’hésitaient pas à lui confier cette nouvelle responsabilité. En acceptant cette élection il renonçait à ses activités au Japon, auquel il était d’autant plus attaché qu’il avait appris à le mieux connaître les années précédentes. Cela lui coûta beaucoup, comme il lui coûta au début de se trouver plongé dans le climat d’effervescence et de contestation qui régnait dans certains secteurs de France. Les remous de la “révolution” de mai 1968 étaient à peine apaisés quand il fut amené par ses nouvelles fonctions à représenter la Société dans différentes instances de l’Église de Fraance où le P. Quéguiner déléguait son vicaire général. Il dut apprendre à mieux connaître les causes de l’instabilité qui se manifestait un peu partout en ces années d’après-Concile et s’habituer au parler “hexagonal” de ses nouveaux interlocuteurs.
Les six années qu’il passa au poste de vicaire général lui permirent surtout de mieux mesurer la diversité des situations dans les différents pays où la Société exerce des responsabilités. Le “conseil central”, comme on disait alors, se réunit chaque semaine pour examiner les affaires qui lui sont soumises et les demandes les plus variées venant de Corée et de Taïwan, du Vietnam et du Cambodge, de l’Inde et du Japon, de Malaisie et de Madagascar, de Thaîlande et du Laos. Pour préparer les décisions à prendre, !il faut avoir lu un abondant courrier. Il peut s’agir de questions financières : la vente, un moment envisagé, de la procure de Rome et les pourparlers avec les acheteurs éventuels, la construction d’une nouvelle procure à Genève, les rapports de l’économe génral. Chaque dossier demande une étude attentive. Il peut s’agir aussi d’avis à donner pour les nominations ou les démissions d’évêques - c’était encore le cas à l’époque -.
En concertation avec les supérieurs intéressés, il faut tenter d’aider tel ou tel confrère à trouver une solution à ses difficultés. Il faut transmettre et expliquer des directives données par la Congrégation pour l’évangélisation. Le Conseil doit également prévoir les destinations des partants, décider des retours en France et proposer, le cas échéant, un nouveau départ. Il doit pourvoir en titulaires les services généraux de la Société, et trouver des professeurs pour les séminaires de Bangalore et de Penang, qui sont encore confiés aux Missions Étrrangères, et pour celui de Bièvres. Bièvres et Penang vivent une période de transition difficile. À la suite de longues négociations avec Rome et avec la Conférence épiscopale de Malaisie, Penang passera sous la direction du clergé local, tandis que Bièvres s’engage au Consortium d’études missionnaires en collaboration avec d’autres instituts.
En ces affaires, Léon Roncin est souvent amené à agir au nom du supérieur général, qui s’en remet à lui du soin d’entrer dans les détails et de faire appliquer les décisions prises en Conseil. Il s’intéresse de près aux efforts des confrères du service pour la formation permanente, aux sessions qu’ils organisent en France et en Asie, à la revue Épiphanie que publie le P. Pierron, responsable du service. Il doit également prendre parti dans les débats suscités par la publication de Peuples du monde, revue missionnaire commune à plusieurs instituts qui ont chacun renoncé pour elle à leur propre publication. Le lancement de cette revue n’a pas été du goût de tous. Le contenu est parfois décevant. Il tente d’obtenir des améliorations et de faire valoir le point de vue de la Société auprès des auditeurs.
il a été chargé par le P. Quéguiner de s’occuper plus particulièèrement des confrères résidant en France qui, pour dsifférentes raisons, n’ont pas pu repartir ebn mission. Beaucoup sont des missionnaires expulsés de Chine et de Birmanie, marqués par les épreuves passées. D’autres ont eu des ennuis de santé ou connu des difficultés d’adaptation. Il faut veiller à ce que chacun ait, autant que possible, un ministère qui lui convienne dans un diocèse de France, correspondre avec ces confrères et avec les évêques, faire des visites parfois aux quatre coins du pays. cela aussi demande beaucoup de temps.
Au cours de son mandat Léon Roncin a également dû prendre une part prépondérante à la préparation du Synode de Société en 1971 à Hongkong, puis à celle de l’Assemblée générale de 1974. Chaque fois il se dépense pour mobiliser l’ensemble des confrères. Il rédige enquêtes, questionnaires et documents de réflexion. Il relit les textes écrits par d’autres, fait des remarques, suggère des améliorations. Travail échelonné sur plusieuurs semaines ou plusieurs mois qu’il fait sans marchander sa peine.
Enfin on ne peut parler de cette période sans mentionner les services qu’il a rendus à la communauté catholique japonaise de Paris, dont il a accepté d’être aumônier pendant quelque temps, après l’Assemblée de 1968, avant l’arrivée à ce poste du P. Pierre Dunoyer. C’est sur son intervention que ladite communauté, qui se réunissait jusqu’alors de manière informelle, a été officiellement reconnue par l’archevêché de Paris. C’est lui qui a aidé les laïcs à en rédiger les statuts et obtenui pour eux du diocèse une petite subvention et un local. Les Japonais qui l’ont connu alors gardent encore le souvenir, bien des années plus tard, de leurs échanges avec lui au cercle d’études bibliques qu’il les avait invités à fonder. Ils se rappellent en particulier, écrit l’un d’eux, son insistance sur la prière à l’Esprit-Saint pour accéder à une foi personnelle. “Nous avons tous été impressionnés, écrit encore le même, par la profondeur de sa foi, par sa façon de parler du martyre, nouvelle pour nous, et par l’amour qu’il portait aux Japonais”.
Supérieur général
Vint l’Assemblée générale de 1974, attendue avec quelque impatience par certains qui, rendus soucieux par l’évolution des mentalités, désiraient faire le point et même entendre réaffirmer des certitudes selon eux trop souvent passées sous silence. On s’inquiétait de la raréfaction des vocations missionnaires. On se plaignait des publications soutenues par la Société, comme Spiritus, dont le contenu déroutait les lecteurs. De même on critiquait les méthodes ou les interventions de tel ou tel conférencier au service de la formation permanente. C’est dans un climat un peu incertain que se déroula l’Assemblée. Léon Roncin fut élu supérieur général, en remplacement du P. Quéguiner qui avait exercé la fonction pendant quatorze ans. demandant un délai de réflexion avant d’accepter cette élection, il fit part avec franchise aux membres de l’Assemblée de ses appréhensions, et aussi de sa perplexité devant la relative imprécision de la mission qu’on entendait lui confier : quoique défini par les constitutions, le rôle de supérieur général n’est pas compris de la même façon par tous les missionnaires de la Société, dont le statut n’”est pas celui de religieux liés par des voeux ; ce qu’on attend de l’autorité varie beaucoup d’un confrère à l’autre ; en recherchant l’unité, ce qui est louable, l’Assemblée générale a tendance à se contenter de compromis quand il s’agit de questions délicates, laissant ensuite le supérieur général et son conseil démunis pour faire face aux difficultés.
Après avoir consulté les confrères présents et surmonté ses hésitations, Léon Roncin accepta finalement la charge qu’on lui mettait sur les épaules et s’engagea pour six ans à collaborer avec les conseillers élus ensuite pour diriger la Société. Et effectivement bien que, selon les Constitutions, la responsabilité du Conseil ne soit pas collégiale, dès le départ, il organisa un véritable travail en équipe permettant d’associer les assistants à l’étude de toutes questions et à toutes les décisions. On remarquera d’ailleurs, non seulement au Conseil mais dans toute son activité, son souci de privilégier le dialogue, de partager autant que possible les responsabilités, de promouvoir la participation de tous. Aussi est-il pratiquement impossible de raconter l’histoire de cette période en distinguant dans les réalisations, et même dans les lettres communes signées par lui, ce qui est dû à son initiative personnelle et ce qui est dû aux membres du Conseil. Il signalait lui-même dans le rapport rédigé au terme de son mandat combien ce travail en équipe est à la fois et enrichissant pur ceux qui l’acceptent.
Les épreuves ne manquèrent pas pendant la durée de ce mandat. D’abord celles des confrères expulsés du Vietnam, du Cambodge et du Laos. C’est à ces pays qu’il réserva sa première visite de supérieur général en 1975, mais quelques mois plus tard les 115 missionnaires qui y travaillaient furent priés par les autorités communistes de quitter les lieux. Plusieurs confrères le firent après avoir couru de grands dangers. Léon Roncin s’efforça d’accueillir fraternellement à Paris ceux qui rentraient et de manifester sa sympathie aux victimes de ces bouleversements qui, par ailleurs, affectaient gravement l’équilibre de la Société. Il s’efforça aussi de proposer à chacun d’eux une nouvelle affectation convenant à son état de santé et ses aptitudes, après que l’intéressé ait lui-même indiqué ses préférences. Pour une partie d’entre eux, il fut possible de constituer de nouveaux groupes missionnaires à Hongkong, en Indonésie, au Brésil, en Nouvelle-Calédonie, à l‘Ile Maurice. On devine que pour parvenir à ces résultats, il fallut de nombreux entretiens et réunions, et quantité de démarches auprès des autorités concernées.
Une autre épreuve, d’un ordre différent mais vivement ressentie, fut le tarissement pratiquement complet des vocations missionnaires, et la cessation des ordinations et destinations après 1976. Manifestation d’une crise débordant largement le cadre de la Société, cette interruption du recrutement, dont il n’était pas responsable, restera pour lui un sujet de préoccupation constante. C’est d’ailleurs pour tenter de porter remède à la situation qu’un confrère fut nommé par lui pour travailler exclusivement au service des vocations, désormais distingué du service d’information. Jean Dantonel fut rappelé de Thaïlande pour cela.
En dépit de ces soucis, il fallait mettre en œuvre les dispositions prévues par l’Assemblée pour améliorer la communication à l’intérieur de la Société, mieux distinguer les niveaux de responsabilité et réorganiser certains services. L’Assemblée avait décidé d’accorder une plus grande autonomie aux régions, dont les supérieurs seraient désormais non plus nommés par le supérieur général mais élus, et de leur reconnaître davantage de liberté pour la gestion de leur budget et la répartition des aides à l’apostolat. Il fallut donner des instructions pour réaliser ces réformes et veiller à leur application. Il fallut de même mettre en route et roder le fonctionnement du conseil plénier, création de l’Assemblée en 1974, conseil qui devait se réunir chaque année pour permettre une meilleure collaboration du conseil permanent et des supérieurs régionaux. Ceux qui ont participé à ces rencontres savent avec quel soin elles étaient préparées.
Toujours conformément aux décisions de l’Assemblée, le supérieur général fit mettre à jour là où ils existaient, et mettre en chantier là où ils n’existaient pas, la rédaction de directoires régionaux, soumis à son approbation. L’entreprise demanda patience et persévérance.
Pour répondre à l’attente de beaucoup de confrères rattachés à la « délégation de France », il désigna l’un d’entre eux comme son représentant personnel, chargé de rendre visite à tous et de leur venir en aide en cas de besoin. Il s’intéressa constamment au sort de chacun. Après l’étude de diverses solutions possibles, et après avoir consulté les confrères susceptibles de prendre leur retraite dans un proche avenir, il décida la construction d’une aile supplémentaire au sanatorium de Montbeton, équipée de toutes les commodités nécessaires pour y soigner les malades.
Outre ces décisions concernant le fonctionnement de la Société et le bien de ses membres, il eut à en prendre beaucoup d’autres où s’entremêlaient questions de personnes et implications financières, comme le changement de local du service d’information, transféré rue de Babylone, ou la nomination d’un nouveau directeur au Foyer des Étudiants d’Extrême-Orient devenu Centre France Asie, ou encore la vente de la maison de Béthanie à Hongkong et l’utilisation du produit de cette vente. Pour régler les affaires de cette sorte en accord avec l’Économe général, il n’hésitait pas à multiplier les consultations, étudiait minutieusement chaque dossier et prenait grand soin d’expliquer les choix retenus. Il eut à souffrir parfois en constatant que, malgré ses efforts pour ce faire, les personnes concernées se résignaient mal à les accepter.
Le conseil permanent est régulièrement saisi de demandes variées provenant de personnalités extérieures à la Société. Il traite aussi presque à chaque rencontre de questions soumises par des confrères qui recourent à lui pour solliciter une aide ou un arbitrage. En tous les cas Léon Roncin cherchait d’abord à être bien renseigné avant de répondre, et surtout veillait à manifester le respect qu’il portait aux personnes quand bien même il devait les décevoir ou s’opposer à elles. Il savait mettre en garde contre la tentation de vouloir régler tous les problèmes du simple point de vue administratif. Et beaucoup de ceux dont le cas a été traité au conseil pendant son supériorat ont pu apprécier sa délicatesse et ses qualités de cœur quand ils étaient dans l’ennui.
Il aimait à répéter que le centre de la Société n’est pas à Paris mais en mission. Symboliquement il insistait pour qu’on ne parle plus du conseil du supérieur général comme du « conseil central » mais pour qu’on s’en tienne à l’appellation de « conseil permanent » prévue par les Constitutions. Et il considérait comme une part essentielle de son ministère le temps passé sur le terrain à visiter les régions et les groupes missionnaires. Sa santé déficiente et la fatigue rendaient parfois ces visites pénibles pour lui mais il tenait à rencontrer les confrères sur les lieux de leur travail, pour se faire présenter leur œuvre ou leur paroisse et les entendre expliquer leurs projets ou leurs difficultés. Ces visites étaient pour lui un moment d’échange privilégié permettant le partage des expériences et des réflexions, un renouvellement dans la foi et l’espérance. Elles lui permettaient d’engranger des observations dont il tirait profit ensuite pour animer les rencontres organisées à l’occasion de son passage ou pour attirer l’attention de tous les membres de la Société sur telle ou telle question dans les lettres communes qu’il adressait à l’ensemble.
Il souhaitait faire de ces lettres un moyen de poursuivre l’échange commencé au cours de ses visites et d’aider les confrères à approfondir « les raisons toujours nouvelles que nous avons d’être missionnaires ». En réfléchissant sur la situation du missionnaire étranger dans une Église locale, il insiste sur la conversion nécessaire pour qu’il soit vraiment fidèle à sa vocation : « Sa présence ne se justifiera que dans la mesure où il saura promouvoir l’autonomie de cette Église locale. C’est là une attitude fondamentale, traditionnelle dans notre Société, qui devrait animer aussi bien nos réflexes au niveau des relations interpersonnelles que notre action pastorale : formation des laïcs, organisation paroissiale, objectifs des mouvements, etc. Une telle exigence est vitale pour l’avenir des Églises locales ; elle nous concerne aussi bien personnellement que collectivement dans toutes nos relations avec les membres de l’Église dans laquelle nous travaillons, évêque, prêtres, religieuses et laïcs. Dans le contexte actuel de l’Asie où se révèlent de légitimes aspirations à l’indépendance et à la dignité nationale, nous entendons souvent le reproche que l’Église apparaît comme étrangère. Ce reproche, même s’il nous semble exagéré ou injustifié, peut nous inciter à nous demander si nous avons été assez accueillants et ouverts à toutes les valeurs du peuple qui a accepté notre présence, si nous avons cherché, inlassablement et avec humilité, à discerner comment la Parole de Dieu rejoint et anime ce qu’il y a de meilleur dans le cœur et les aspirations de ceux qui, sur certains points, nous apparaissent si différents de nous. Il s’agit pour nous de “reprendre le chemin de Nazareth”, où s’accomplit la lente maturation de la rencontre de la Parole de Dieu avec les réalités humaines. »
Il revient en toute occasion sur les exigences d’une foi réellement missionnaire : « Notre certitude s’enracine dans notre foi au Christ, seul Sauveur de tous les hommes. Vivant au sein de réalités culturelles, sociales et politiques complexes, nous avons à nous maintenir en même temps dans deux attitudes : d’une part, chercher à connaître les réalités qui conditionnent l’existence des hommes concrets au milieu desquels nous vivons. Cette connaissance ne peut se limiter au cœur de l’homme : elle doit s’étendre aux réalités collectives, aux mécanismes socio-culturels et politiques qui constituent son environnement et marquent profondément sa vie quotidienne. Peut-être n’avons-nous pas été suffisamment sensibilisés à cet aspect collectif de la vie. Cette connaissance est nécessaire pour pouvoir transmettre l’Évangile en termes d’aujourd’hui, pour les hommes tels que nous les rencontrons. D’autre part, chercher à retrouver constamment l’essentiel, “l’unique nécessaire”, qui est au cœur de notre foi et de notre vocation missionnaire. Cette recherche est à la fois exigence de contemplation et de conversion : nous devons nous demander sur quoi repose notre assurance de témoins du Christ. Sur les moyens dont nous disposons ? Sur une organisation efficace de notre travail ? Sur des méthodes éprouvées ? Tout ceci est utile mais doit être relativisé. Notre assurance est ailleurs, dans la Parole de Dieu qui pénètre le cœur de l’homme, qui passe au crible ses mouvements et ses pensées (He 6,12) et qui seule peut l’accorder au travail de l’Esprit dans le monde d’aujourd’hui » (Lettre commune de janvier 1976).
« Le message du Christ qui est notre raison d’être missionnaire est toujours le même, mais il a toujours besoin d’être actualisé pour les hommes concrets que nous rencontrons. Nous n’avons pas à réinventer un nouvel Évangile, mais il nous faut chercher sans cesse comment l’Esprit du Christ conduit les hommes d’aujourd’hui vers la vérité. Aussi, ce n’est que dans une attention soutenue à la personne du Christ toujours vivant et aux requêtes des hommes d’aujourd’hui que nous pourrons découvrir ce sens toujours nouveau du message que nous por-tons en nous-mêmes » (Lettre commune de janvier 1975).
Certains de ceux qui approchaient Léon Roncin regrettaient parfois qu’il reste discret, peu enclin à parler de sa vie personnelle. En réalité c’est dans ces lettres communes que se révèlent ses préoccupations profondes. Il n’avait certainement pas la prétention de faire œuvre littéraire ni de dispenser un enseignement original, mais il pensait que sa fonction lui faisait une obligation de partager ses convictions avec ses confrères, et de revenir toujours aux exigences de la mission : fidélité au Christ et à l’Église mais aussi fidélité au monde qu’il faut apprendre à connaître avec humilité. Et il le faisait sur un ton un peu austère, en homme qui ne se résigne pas à la médiocrité.
C’est avec soulagement qu’il vit approcher l’Assemblée générale de 1980 et l’expiration de son mandat. Comme le savent ses amis, il souffrait beaucoup plus qu’il ne le montrait des incompréhensions et de certaines critiques parfaitement injustes dont il était l’objet. Il veilla scrupuleusement à la préparation de cette Assemblée, à laquelle il prit une part active. Et dès l’élection de son successeur il demanda à repartir pour le Japon et à reprendre sa place parmi les missionnaires du groupe de Kobé, auquel il appartenait à l’origine. Il avait décidé ce nouveau départ, après douze années d’absence, sachant qu’il lui faudrait faire un effort pour se réadapter à un pays qui avait beaucoup changé et se remettre à des occupations dont il avait perdu l’habitude. Pour avoir été prévu l’effort n’en fut pas moins éprouvant pour lui, comme en témoigne sa correspondance de l’époque.
Retour au Japon. Curé de Tarumi
Arrivé dès octobre 1980 à Kobé, il se consacra à l’étude du japonais, comme il l’avait fait vingt-huit ans auparavant. « Huit heures de japonais par jour, avec trois livres en chantier, écrit-il à un ami. Cela n’est pas drôle tous les jours. Ce qui est le plus pénible est de n’avoir personne qui semble comprendre mes difficultés. J’ai senti combien j’avais un passé lourd à porter. Un ancien supérieur général doit tout savoir, c’est un surdoué qui n’a pas besoin de faire des efforts. Quand j’essayais de dire combien j’avais besoin de travailler pour refaire surface, je voyais des sourires discrets, montrant que je pouvais toujours parler mais qu’on n’en pensait pas moins. Bref on me prend pour un comédien ou pour un perfectionniste. La communication vraie n’est pas toujours facile... »
À partir d’avril 1981 jusqu’en octobre de la même année, il assura pendant six mois le remplacement d’un confrère à la paroisse Saint-Jean-Marie-Vianney de Sanda, dans les environs de Kobé. « Ce n’est pas sans une certaine appréhension que je reprends le ministère paroissial dont je suis éloigné depuis 1964. Je souhaite que les chrétiens de Sanda n’aient pas trop à souffrir de mon inexpérience... Plus encore que la difficulté de la langue, c’est un nouveau contact avec la culture et la mentalité japonaises qui me demande un effort. Douze années d’absence marquent profondément et ne sont pas facilement récupérables. J’ai l’impression d’avoir vécu dans un autre univers et de me retrouver maintenant dans un monde que je croyais connaître un peu, mais qui m’est devenu très étranger. »
Envoyé en novembre 1981 à la paroisse de Tarumi pour y aider le Père Tavernier, alors malade, il succéda à ce dernier et fut nommé curé en avril 1982. À part quelques brefs congés en France en 1984 et 1989 et sa participation à l’Assemblée générale de 1986, il devait rester jusqu’à sa mort à Tarumi. Il y donna le meilleur de lui-même, impressionnant vivement ses paroissiens et les confrères qui le voyaient vivre par son dévouement à la tâche et par la tonalité évangélique de ses discours. À l’ami déjà cité plus haut il écrivait dans quelles dispositions il commençait son ministère de curé : après un an passé à Nakayamaté et à Sanda « je me découvre de plus en plus pauvre, mais c’est cela faire la vérité en soi. Le Seigneur s’y entend pour semer des clous qui nous dégonflent un peu davantage à chaque fois. Il faudrait le laisser prendre le volant... J’ai perdu beaucoup de mon assurance et cela m’était nécessaire. Je peine comme un bûcheron pour faire une homélie qui colle un peu avec les réalités japonaises. Chaque heure de catéchisme me demande une préparation intérieure : on se sent si petit devant le mystère du Dieu vivant dont il faut parler. Chaque cercle de Bible m’emmène dans une randonnée épuisante pour retrouver les pistes du passage de Dieu dans l’histoire des hommes... Pour moi, de plus en plus, l’évangélisation c’est l’affaire de l’Esprit. Nous ne pouvons que balbutier, surtout quand il s’agit de parler japonais !... »
Un peu plus tard il fait le point, avouant ses doutes et manifestant l’humilité à laquelle il veut tendre : « Je n’ai pas grande opinion de l’utilité de ma présence au Japon, mais c’est sans doute mieux ainsi parce que plus proche de la vérité. Les réalités de la vie missionnaire ici nous font toucher du doigt notre petitesse et notre insuffisance. Vivant avec un prêtre japonais (son vicaire), je me rends compte combien il est difficile d’entrer dans une culture aussi étrangère. On reste à la superficie et, de ce fait, la parole que l’on transmet reste aussi très superficielle. Si elle est alimentée à la Parole de Dieu, elle n’est pas une parole en l’air, mais elle a bien du mal à s’incarner dans une réalité qui nous échappe... J’avoue qu’il m’arrive de me demander ce que je suis venu faire dans cette galère. Peut-être fallait-il en arriver là pour que le Seigneur puisse faire quelque chose. Peut-être faut-il être écrasé pour que les autres puissent tenir debout. Alors l’aventure continue à petits pas : avec un peu d’espérance. Il suffit d’en avoir assez pour une journée. »
À la demande des confrères, il a rédigé un jour quelques notes sur son ministère de curé, qui montrent bien avec quelle exigence il s’y donnait. De manière significative, il les a intitulées : dans la banalité de la vie quotidienne. « 6 heures 45... Le téléphone sonne. Ce n’est jamais bon signe à cette heure matinale. Un malade vit ses derniers jours à l’hôpital. Atteint d’un cancer, il s’approche de la mort depuis plusieurs mois. Je laisse les quelques personnes qui s’apprêtaient à assister à la messe, en leur demandant de prier pour celui qui va rencontrer son Seigneur. Dans la chambre d’hôpital sa femme attend, visiblement harassée de fatigue après une nuit pénible. Lui semble somnoler. Un homme au seuil de la mort, c’est toujours impressionnant. Que se passe-t-il au fond du cœur ? Comment un Japonais voit-il sa mort ? Barrière psychologique, barrière culturelle, l’une et l’autre difficiles à franchir. Lui, c’est un professeur de littérature, amateur éclairé de haiku, tempérament de poète, contemplatif, homme toujours apaisé, semblant vivre à l’intérieur. Que lui dirais-je d’ailleurs ? Dans ces moments-là les mots semblent empruntés, maladroits : il faudrait être au rythme de celui qui souffre... Quand il ouvre les yeux, je crois y voir une faible lueur. Je lui dis que le Christ est là, qu’il peut l’accueillir, mais il n’est pas question de lui donner la communion. Il est au goutte à goutte, avec des tubes partout. Barrière de la technique... Je lui lis lentement l’évangile du jour. C’est un passage du discours après la Cène et cela me semble en situation. C’est à sa femme que je donne le Corps du Christ. Elle en a autant besoin que lui. Nous restons un moment en silence, puis je leur dis que je reviendrai. Ils sont avec le Seigneur. Je les laisse en bonnes mains et je pense à la suite.
La suite, c’est une causerie à faire dans la matinée aux nouveaux professeurs d’une école catholique. La direction invite fortement ces nouveaux, pour la plupart non-baptisés, à suivre pendant une année ce cours hebdomadaire sur le christianisme. Même forcés, ils ont l’air de bonne volonté. Ils prennent même des notes, comme de bons élèves. L’un ou l’autre se hasarde parfois à poser une question, mais le temps est limité : une petite heure de cours. Ce matin je vais leur parler de l’homme. Pour cela j’ai la Bible où grouillent toutes sortes d’hommes et de femmes ; j’ai mon expérience d’une soixantaine d’années. Mais eux, qui sont-ils ? Je connais leurs noms, mais à quoi cela m’avance-t-il ? Derrière chaque visage, il y a quelqu’un que je ne connais pas. Il faudrait pouvoir les écouter, prendre le temps de s’apprivoiser mutuellement. Ils habitent à droite et à gauche, souvent loin de l’école. Je ne les verrai probablement que pendant une courte année scolaire. Barrière du temps. La musique transmise par haut-parleur nous renvoie chacun à nos moutons.
Début de l’après-midi : un pasteur protestant téléphone. Une de ses ouailles lui a signifié qu’elle le quittait pour aller à l’Eglise catholique. Effectivement, elle est venue plusieurs fois ici et est entrée dans un groupe de catéchumènes. Son pasteur, manifestement, est gêné, et moi aussi. Je n’aime pas les longues tirades au téléphone, mais là je sens qu’il faut prendre le temps d’écouter. Il m’explique que son conseil paroissial a enfin donné le feu vert pour ce changement, mais que ce ne fut pas de gaieté de cœur. Nous parlons aussi d’œcuménisme et je l’invite à venir ici, mais il habite à l’autre bout de la ville. Viendra-t-il ? Vaut-il mieux que j’aille le voir ? Barrière des structures ecclésiastiques. Saint Paul nous dit que le Christ a abattu le mur de séparation entre Juifs et Gentils. Nous nous sommes empressés d’en bâtir d’autres.
En fin d’après-midi une jeune fille se présente, apportant son certificat de baptême. Elle vient de la campagne et commence une formation de coiffeuse. Elle me parle du pays. Est-elle préparée à affronter la dureté de la vie citadine ? Seul jour libre : le mercredi, et ce jour-là tant de choses à faire au foyer où elle loge ! Que faire ? Je vais signaler sa présence à d’autres jeunes filles mais, elles, elles travaillent le mercredi !... Nouvelle barrière.
Au repas du soir le vicaire est là. J’engage la conversation sur les rencontres de la journée. Lui, il est plutôt fataliste. Il va son chemin sans se poser trop de problèmes. Il m’écoute en souriant. La communication a du mal à se faire.
Le soir, petit groupe de catéchumènes : six hommes, trois femmes. Deux points communs : l’heure les arrange et ils ont le désir de connaître le christianisme. Pour le reste ils sont très dissemblables : âge, profession, formation... Vont-ils se supporter et me supporter longtemps ? Le Christ va-t-il les rapprocher dans une même foi ? C’est un peu une aventure et je demande à l’Esprit d’inspirer mes paroles. À propos de l’Exode je leur ai parlé de la liberté, celle de servir Dieu. Mais la liberté leur fait peur. Ils préfèrent quelques bonnes contraintes, quitte à en prendre et à laisser selon l’humeur du moment. Alors la marche est cahoteuse, comme celle du désert du Sinaï. Vont-ils accepter de se faire ? libérer par le Seigneur ? Je suis là avec eux, à la fois acteur et spectateur, sentant que, moi aussi, j’ai besoin d’être libéré.
Et la journée terminée, je m’aperçois que je suis allé de barrière en barrière, me heurtant à un obstacle puis à un autre. Course d’obstacles, cette journée ? Sans doute. Je sais que certains aiment sauter les obstacles, d’autres ne les voient pas, d’autres en voient partout : question de tempérament, de formation ou de charisme. De toutes façons il faut essayer d’avancer. Après la résurrection Jésus redit à Pierre : « Toi, suis-moi. » J’ai envie de demander aussi : « Et eux, Seigneur, que leur arrivera-t-il ? (à tous ceux que j’ai rencontrés aujourd’hui). Mais la réponse reviendrait sans doute comme à Pierre : « Que t’importe ? Toi, suis-moi. » Alors je n’ai plus qu’à remettre tout et tous entre ses mains et à m’endormir tranquille. »
À Tarumi, où il est resté neuf ans, Léon Roncin a été assisté successivement par quatre vicaires japonais. Il avait souhaité cette collaboration qui, étant donné les différences d’âge et de culture, ne fut pas toujours facile pour lui. Il tenait beaucoup à établir des relations fraternelles avec le clergé japonais, dans la ligne de la vocation des Missions Étrangères. En 1986 l’un de ces vicaires, le Père Makino, se tua dans un accident de voiture, entraînant dans la mort une jeune mère de famille, catéchiste de la paroisse. Cet accident fut un drame pour la paroisse et pour le curé en particulier, qui avoua avoir eu beaucoup de peine, à s’en remettre. Ceux qui assistèrent aux obsèques gardent le souvenir de l’homélie qu’il fit devant les familles. La qualité évangélique de ses paroles et la vraie compassion qu’elles exprimaient allèrent au cœur de ses auditeurs. « On sentait que le Christ parlait à travers lui quand il s’adressa aux familles », dira l’un d’eux. Cette affaire qu’il ressentit comme une épreuve personnelle fut pour lui le point de départ de nouveaux progrès dans le détachement, comme en témoignent quelques-unes de ses lettres.
Il eut toujours le souci de former les laïcs à exercer leurs responsabilités, et de les associer aussi nombreux que possible aux décisions et aux activités de la paroisse, sans faire acception de personne. Les cercles bibliques qu’il animait étaient pour lui un lieu privilégié pour approfondir cette formation : ils étaient comme un rouage essentiel de son dispositif pastoral. Il mettait beaucoup de soin à leur préparation. Le prêtre qui lui a succédé à Tarumi a de suite constaté que ce travail avait porté du fruit en voyant le bon niveau de connaissances bibliques de ses ouailles, bien supérieur à celui d’une paroisse ordinaire. Ses paroissiens admiraient son dévouement, sa fidélité aux humbles devoirs d’un curé, alors qu’il devait lutter contre ses réflexes d’intellectuel pour les accomplir simplement, alors que sans doute il ressentait parfois, sans le laisser paraître, la nostalgie des horizons plus vastes qu’il avait connus autrefois. De cette admiration des paroissiens on a eu la preuve au cours de sa maladie et lors de ses obsèques, quand ils ont exprimé la reconnaissance qu’ils avaient pour lui.
Il souffrait de troubles digestifs depuis plusieurs années déjà, et s’était plaint de sa santé déficiente, quand une grave crise se déclara en février 1991. Hospitalisé à Kobé, il dut subir une opération qui ne lui procura que quelques mois de répit, la tumeur qu’on avait décelée étant trop avancée pour que les docteurs puissent donner espoir à son entourage. Il mourut à l’hôpital du Kaisei le 30 juin de la même année au terme d’une période de grandes souffrances, après avoir demandé qu’on retire du mur de sa chambre le calendrier qui s’y trouvait pour ne voir que le crucifix. « La croix seule me suffit », dira-t-il à celui qui le gardait.
Les confrères avaient appris à découvrir au-delà des apparences la profondeur spirituelle que cachait sa réserve, et la sensibilité qu’il protégeait par l’ironie. Ils avaient remarqué aussi combien il était attaché à sa famille, dont l’affection comptait beaucoup pour lui comme il l’a montré en plusieurs occasions et notamment au cours de sa maladie. À sa famille aussi s’adresse l’hommage rendu, à la fin de la messe de funérailles célébrées à Nakayamaté, par un paroissien de Tarumi, visiblement ému, qui ne pouvait que répéter devant le cercueil de Léon Roncin : « Merci... Merci... Merci... »
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References
[3891] RONCIN Léon (1924-1991)
Références biographiques
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