Paul LOVENS1928 - 1984
- Status : Prêtre
- Identifier : 3989
Identity
Birth
Death
Missions
- Country :
- Japan
- Mission area :
- 1954 - 1984 (Tokyo)
Biography
[3989] LOVENS Paul, Jean, Louis, Marie est né le 5 avril 1928 à Etterbeck, diocèse de Malines (Belgique). Sa famille s'étant réfugiée à Bayonne, il fit une partie de ses études au collège St Bernard, dirigé par les Frères des Écoles Chrétiennes. Il entre laïc aux MEP le 27 septembre 1948. Agrégé à la Société le 29 mai 1953, il est ordonné sous-diacre le 31 mai, diacre le 27 septembre et prêtre le 30 mars 1954. Destiné à la mission de Tokyo-Urawa, il part le 27 octobre 1954.
Japon (1957-1984)
Il étudie la langue à L'école de langue de Tokyo, puis, en 1957, il est nommé à l'oeuvre de bienfaisance du Père Flaujac. L'année suivante, on lui confie la charge de la communauté chrétienne de Higashi-Matsuyama, appartenant au diocèse d'Urawa. Son district est peuplé d'environ 400.000 habitants, mais le nombre des chrétiens ne dépasse guère les 150. Une des préoccupations du Père Lovens est l'évangélisation des enfants. Il s'efforçe de les atteindre de diverses manières : diapos, cinéma, enseignement gratuit de l'anglais, et bien sûr école maternelle. Dans la montagne, il fait construire un grand chalet où peut loger une centaine de pensionnaires pour des camps de vacances, des retraites, des sessions.
Il reste vingt-six années dans sa paroisse, puis vint le temps de l'épreuve de la maladie. Atteint d'un cancer au foie, il part dire adieu à sa famille, puis dès son retour il entre à l'hôpital et décède le 22 mars 1984.
L'urne funéraire contenant ses cendres repose dans le caveau des prêtres au cimetière de Kawagoe.
Obituary
Le Père Paul LOVENS
Missionnaire de TÔKYÔ-URAWA
1928 - 1984
LOVENS Paul
Né le 5 avril 1928 à Etterbeck, diocèse de Malines, Belgique
Entré aux Missions Étrangères le 27 septembre 1948
Prêtre le 30 mai 1954
Destination pour le diocèse de Tôkyô-Urawa
Parti le 27 octobre 1954 pour Tôkyô-Urawa
En Mission : 1954-1984
Décédé le 22 mars 1984 à Kawagoe
Voir carte nº 7
Il m’est impossible d’adopter un style neutre en parlant lu P. Lovens. Il était mon frère cadet, avec ses caprices passagers, mais aussi un ami vrai et fidèle durant trente années.
Le confrère
Du même « Bateau » du 27 octobre 1954, nous avons quitté Marseille sur le paquebot Vietnam, des Messageries Maritimes. Nous étions 23 partants. 1954, c’est la pénible année de Diên Biên Phu. Ce voyage de trente jours est une expérience de rêve. On aborde graduellement cette mystérieuse Asie qui suscite à la fois curiosité et anxiété. Des escales prestigieuses : Alexandrie, Aden, Djibouti, Bombay, Colombo, Singapour, Saïgon, Manille, Hongkong, Kôbé et terminus de Yokohama. À mesure, nous semions, en cours de route, passagers et confrères ; la langue française avait de moins en moins cours, si bien que le petit reste des quatre Pères destinés au Japon et à la Corée se sont rapprochés instinctivement à cause de la pauvreté de notre anglais. La dernière semaine de la traversée a été le début de notre belle amitié. Au séminaire de la rue du Bac, les aspirants ne m’abordaient qu’avec révérence, parce que j’en étais à ma sixième année de sacerdoce. Cela leur a passé depuis. Dans nos conversations, nous avons souvent évoqué ces magnifiques souvenirs et surtout l’accueil si chaud des missionnaires des Missions Étrangères, dans nombre de ces ports.
L’apprentissage du missionnaire sur le tas est laborieux. À l’époque, nous avions la chance de pouvoir célébrer la messe, baptiser ou porter la communion aux malades en latin, puisque c’était avant le concile. Hormis ce travail pour dépanner les prêtres en paroisse, faute de connaître la langue, on est réduit à l’état de serviteur inutile. Cela dure deux ans, voire plus. A 25 ou 30 ans, être réduit à l’état d’élève d’école maternelle est une épreuve desséchante. En même temps, c’est une période riche en péripéties humoristiques, en aventures et en découvertes sur le pays d’adoption. C’est providentiel il faut des années de vie en Asie pour se libérer partiellement des coutumes européennes.
Nous voici livrés à l’arène pastorale, avec comme bagage un jargon qui ressemble de loin à la langue nippone. Le P. Lovens s’est senti de taille à coopérer avec le P. Flaujac, fondateur d’un ensemble hospitalier qui détient le quatrième rang des œuvres de bienfaisance, sur le plan national ; actuellement la responsabilité en est confiée au P. Milcent.
Ce fut une lutte épique à laquelle les confrères de Tôkyô ont assisté, aux loges. Le vieux briscard a eu, sans mal, gain de cause, mais fidèle à lui-même, il a ouvert au jeune « bleu » une magnifique porte de sortie : la paroisse de Higashi-Matsuyama, dans la banlieue proche de la capitale, diocèse d’Urawa. Du coup, nous sommes voisins pour de bon, nos paroisses étant contiguës. En principe, trois grands fleuves jouent le rôle de limites territoriales, mais les ponts sont si nombreux et tentants que certains paroissiens indisciplinés les traversent régulièrement, en sens interdit, pour aller chez le voisin. D’où choc entre curés, étincelles en feu d’artifice. Je vois d’ici votre sourire narquois, parce que vous avez dépassé de longue date ces contingences secondaires. Mais qu’on vous mette dans une paroisse squelettique, noyée dans une jungle étouffante, vous réagiriez moins quiètement si l’on vous soustrayait des membres actifs de votre communauté. Un certain aumônier d’ACO en sait quelque chose et il pourra vous divertir pendant des heures, si vous branchez la conversation sur ce sujet. Soyez tout de même rassuré : il faut savoir jouer la comédie et avoir le sens de l’humour pour résister à l’érosion de dizaines d’années en pays étranger.
De temps en temps, il y avait des conflits apparemment violents, pour la plus grande joie des confrères du district, accoutumés à la procédure que cela entraînait invariablement. Se mettaient-ils au jeûne et à l’abstinence, pour réparer notre péché contre la charité ? — Oh que non ! C’était pour mieux apprécier le dîner de réconciliation auquel ils étaient invités chez lui, au cours du mois. Son pâté de foie maison, sa dinde et son gigot sont passés dans la légende. Quand faute et absolution sont réciproques, la pénitence se doit d’être partagée également, si bien qu’il n’oubliait pas d’envoyer 50 % de la facture à qui de droit. Retour au beau fixe pour douze mois. Notez bien que l’initiative des pourparlers de paix était son privilège strict.
Divers confrères et paroissiens, sans oublier le percepteur du district et l’inspecteur d’Académie, dont la curiosité malsaine envers l’administration de son école maternelle ne lui plaisait pas, ont eu l’inconscience de le provoquer en duel ! Tonnerre de Malines ! C’était s’exposer à un massacre à bout portant, à gros calibre. Nuances et fioritures de langage n’étaient pas de son fait. J’ai une foule de témoins, à portée de la main, pour confirmer le fait. Si vous le pouvez, trouvez donc une médaille sans envers, parmi les saints les plus illustres. Vous touchez du doigt l’origine d’une souffrance intime. Le duel-éclair terminé, il s’enfermait dans le silence et la solitude, durant un mois. Ce n’est pas un record de vitesse à conseiller aux gens, mais à un tempérament volcanique, il en faut davantage pour retrouver la paix, la sérénité et le sourire. Un beau matin de son choix, il vous appelait au téléphone, pour un bavardage amusant d’une heure. La conclusion : une invitation à partager ses savoureuses gourmandises et la page était tournée.
Après son décès, entre amis, nous avons fait une révision de vie du style classique JOC. Les MEP sont foncièrement français, suffisants, caustiques, légers, et j’en passe, et le P. Lovens était un Belge, un Nordique. Réfugié à Bayonne (famille de neuf frères et sœurs) — son père y est décédé — il a fait une partie de ses études au collège Saint-Bernard, dirigé par les Frères des Écoles chrétiennes. Parlant peu de lui, on ne sait comment il est passé du pays basque en Normandie, pour atterrir aux Missions Étrangères. Ses origines « étrangères » parmi des Français ont peut-être influé sur son comportement.
L’apôtre
À quoi peut donc dépenser temps et énergie un curé de base, responsable de 150 chrétiens et de quelques rares catéchumènes, patiemment pêchés à la ligne ? Attendre, à l’affût dans son presbytère, un gibier qui ne se pointera pas ? Ou bien partir en chasse ? Chez lui, aucun atome crochu pour sympathiser avec les intellectuels de carrière, confortablement installés devant un pupitre, dans un bureau à l’air vicié, qui vous envoient douze solutions par an pour convertir au Christ 120 millions de Japonais, mais qui refusent de vous remplacer un dimanche en paroisse. Tout en étant lecteur avide d’une série de revues religieuses, il était né pour la chasse en jungle ou en pampa. Le district — paroisse de Higashi-Matsuyama — englobe deux villes importantes (200.000 et 50.000 habitants), plus une quinzaine de gros bourgs, sans compter une collection de cités nouvelles, villes dortoirs. Bref, en langage ecclésiastique, il avait charge d’âmes d’une population globale dépassant 400.000 personnes. De plus, son cœur pauli¬nien le poussait irrésistiblement à mépriser bornes, frontières et passeports, si bien qu’il marchait allègrement sur les plates-bandes du voisin, pour soulager le bât du prochain surchargé : élémentaire charité.
Dès son séminaire, les enfants l’ont passionné et, eux, instinctivement, reconnaissaient en lui un des leurs. Il était intarissable lorsqu’il racontait ses colonies de vacances avec les gamins de Puteaux. Le lundi excepté, il prenait la route en moto ou en voiture, à trois heures de l’après-midi et réunissait deux groupes par jour dans la campagne, plus déshéritée que la ville au point de vue des groupes parascolaires. Avec une douzaine d’équipes, il atteignait une moyenne de 300 enfants, de 7 à 15 ans, tous non chrétiens. Évangélisation, diapositives, cinéma, et même leçons d’anglais gratuites ! Le professeur n’est pas tendre du tout : à la troisième absence injustifiée, le petit bout d’homme ou de femme était renvoyé à ses pénates manu militari, privé de ses droits aux cours gratuits d’anglais, à la colonie de vacances de trois semaines, dans le chalet de montagne paroissial, sans compter la colonie de vacances en France et voyage en avion. La plupart de ses baptêmes ont leur origine dans ces groupements. Et cela a duré vingt-six ans ! Lors de la veillée mortuaire et le jour des obsèques, j’estime que deux mille jeunes non chrétiens (anciens des groupes et de l’école maternelle) ont défilé autour de son cercueil ouvert.
Quant à son école maternelle, il y veillait farouchement. Les bâtiments (tous en bois) ainsi que presbytère et chalet de montagne, ont eu au moins 26 couches de peinture, toutes de sa propre main. C’était net, propre et pimpant, presque de la laque. A neuf heures du matin, vous le trouviez à l’entrée de l’école pour saluer, un par un, enfants et mamans. Ils vous le diront tous : il aimait chaque enfant avec un semblant de sévérité paternelle. Sauf exception, il n’admettait pas dans son école un enfant dont la mère travaillait la journée entière. Toujours du parti des pauvres, dans tous les sens du terme, des « paumés » comme on dit en France. Sur ce point, j’en aurais tant à vous racon¬ter !
Voici quelques-uns de ses propos un peu expurgés pour ne pas vous scandaliser : « Nos gars bardés de diplômes, ça vaut pipette. Ils disent et ne font pas. Ils croient avoir des muscles dans leur cervelle, construisant des « fuji » de paille et lui font enfanter un crevaillon de souris. Je voudrais les voir à la pelle, à la pioche, à la brouette, au pinceau, sans cravate ni gants, à découper une vraie montagne, avec leurs méninges rachitiques ! » La suite est encore plus truculente. Il faisait allusion à son grand chalet de montagne, Okuro no ie. La plupart du temps seul, parfois avec un petit groupe de chrétiens, il a passé des mois, de 5 heures du matin à 6 heures du soir, à aplanir 500 m2, au flanc d’une colline louée, pour y bâtir un solide bâtiment en bois, à l’épreuve des séismes bien sûr, fonctionnel, bien équipé pour loger une centaine de pensionnaires (colonies, retraites, sessions, etc.). Bienfaiteurs connus et anonymes, soyez assurés qu’il a beaucoup prié pour vous, en maniant sa pelle et en construisant sa voiture où pendait un dizainier scout, près du volant.
Le prêtre
Un prêtre qui fait un retour sur son passé ne peut oublier ses six années de grand séminaire. Âge de la générosité, du don complet dont on garde un souvenir nostalgique. Sur beaucoup de points, notre ami Paul Lovens est demeuré un séminariste sincère : levé à 5 heures, oraison, messe, bréviaire de matines à complies ; au bureau à 8 heures précises ; à 9 heures posté à l’entrée de l’école pour accueillir les enfants et leurs mamans. Le soir, inutile de lui téléphoner après 9 heures, Il dormait déjà à poings fermés. Sommeil du juste, agrémenté comme il me l’a dit un jour, de rêves mirobolants.
Deux fois par mois, vous auriez pu le rencontrer à 5 heures du matin, roulant à 100 à l’heure, là où la signalisation lui criait 40 ! Le gendarme de service ne se méfiait de rien et le Seigneur fermait les yeux, puisque c’était pour la confession mutuelle avec le P. Anouilh.
Le Supérieur régional a retrouvé son registre de messes, tenu minutieusement à jour. Sa foi, solide comme le granit, prenait base sur l’enfance spirituelle, le respect du pauvre, la Vierge, saint Paul, sainte Thérèse de Lisieux. Il n’était certes pas laxiste, mais il plaisantait parfois sur les Commandements de l’Église : même ramenés à six, il en trouvait en surnombre, ajoutant qu’un pasteur n’a pas à compliquer la vie des gens, mais doit la simplifier, l’unifier, la libérer de l’anxiété. S’il n’arrivait pas à trouver un prêtre remplaçant pour la messe du dimanche, il donnait placidement congé aux paroissiens pour plusieurs semaines : « Le Jour du Seigneur, arrangez-vous pour le sanctifier sans messe, comme l’ont fait vos ancêtres persécutés pendant deux cent soixante-cinq ans. Je pars pour la Belgique acheter des machines modernes au nom des Trappistines de Nasu, pour la confection de leurs gâteaux. On ne peut pas les laisser dans la misère et être leurs bons clients. Je ne peux pas être à la fois au four et au moulin. »
Il prononçait l’homélie au début de la messe. Pourquoi ? Il vous le dira au Paradis, Il se vantait de prendre ses thèmes favoris dans « les petites vertus », sous prétexte que son entourage comportait peu de savants et qu’il fallait s’adapter à son auditoire.
Pendant une vingtaine d’années consécutives, le journal de langue anglaise, « The Japan Times », qui faisait une campagne de dons pour offrir des fauteuils roulants aux handicapés physiques, à l’occasion de Noël, publiait, dans la liste du 25 décembre, l’offrande d’un million de yen venant de la paroisse et de l’école de Higashi, Matsuyama. 99 % de la somme sortaient du cœur et de la bourse d’enfants et d’adultes non chrétiens pour qui le Père était le centre de ralliement. Il avait pour principe de faire agir les non-chrétiens comme de vrais chrétiens.
Il prétendait ne pas aimer la visite des malades. Tout compte fait, le diplôme de « prêt à tout faire et tout enseigner, avec une égale compétence » qu’on vous décerne à la sortie du séminaire, n’attribue pas magiquement la grâce d’exécuter avec la même facilité les treize et un métiers qu’on impose à un prêtre « sur le tas ». Or, il visitait fidèlement les malades, il les gâtait de mille façons, surtout les pauvres ; il n’en a pas laissé un seul sans qu’il ait reçu le Sacrement des malades.
Son successeur affirmait tout récemment qu’il a trouvé une communauté active, fervente et bien formée, sensibilisée sur les problèmes essentiels. Un curé qui fait l’éloge de son prédécesseur ne se rencontre pas à tous les carrefours !
Quelques traits de caractère
Il avait une foule d’amis, bien qu’il mît leur fidélité à rude épreuve, par temps orageux. Vingt-six ans de présence dans une paroisse, c’est déjà un indice, n’est-ce pas ?
Ses réactions, pas toujours classiques, ont parfois suscité des méprises, d’autant qu’il n’avait pas une langue suffisamment déliée, ni en français ni en japonais pour s’expliquer ou se disculper et qu’il n’y tenait pas non plus : une fierté de samouraï ! Et, pour lui, le sacerdoce était le titre de noblesse par excellence.
Après une rapide consultation de trente minutes, un psychanalyste freudien lui aurait notifié, certains jours, quelques complexes vexants : réticence envers tout ce qui est autorité (police, évêque, supérieurs des Missions Étrangères). Apportons de l’eau au moulin du psychanalyste : lors de ses voyages en Europe, un pèlerinage à la rue du Bac était un devoir sacré, au 140 bien sûr ; le 128 ?, pas question ! Il a refusé catégoriquement la visite d’un des assistants, en septembre 1983. Après l’avoir coudoyé pendant trente ans, je me crois autorisé à un diagnostic différent. Derrière sa massivité de lutteur de « sumo » (lutte japonaise) se cachaient une affectivité émotive et une profonde sensibilité qu’il s’évertuait à ne pas extérioriser. Ses réactions fortes décelaient timidité, pudeur, besoin de protéger le secret de l’âme. Il n’était certes pas bavard sur lui-même, l’égotisme n’entrait pas dans ses défauts. Le décès de sa mère vénérée l’a affecté au point qu’il a fallu deux ans pour qu’il s’en remette. Choc encore que le départ, six mois avant le sien, du P. Anouilh : il l’a admiré vivant, souffrant avec fierté, mourant « debout ». On a l’impression qu’il a tenu à en faire autant. Au lieu de concélébrer à la messe des obsèques de son ami, il a préféré se mêler à l’assistance générale. La raison en est bien simple : le sanctuaire est trop en évidence et il n’aurait pas pu s’empêcher de pleurer. Pleurer en public, manque de décence !
Sa claustrophobie évidente lui faisait préférer les retraites en plein air aux retraites fermées. Et comme il adorait les longues randonnées à bicyclette, en moto puissante, en voiture et puis en avion ! Donnant généreusement, il disait qu’on ne va pas en mission pour thésauriser. Il nous a quittés sans dettes et sans le sou. Qui dit mieux ?
L’épreuve de la maladie
Le 13 décembre, nous avons déjeuné en tête à tête et je n’ai rien remarqué d’anormal. On ne l’avait jamais vu malade et il a dû avoir son premier gros rhume en octobre de la même année. Le 19 décembre, il entre à l’hôpital protestant Saint-Luc pour un examen complet. Les médecins vous démontent leur client pièce par pièce et quand ils passent au rassemblage, il leur arrive de trouver des pièces détachées en moins ou en trop. Chacun des spécialistes a eu droit au même refrain, les yeux dans les yeux : « Docteur, je suis prêtre, vous me direz la vérité ; j’ai le mensonge en horreur. » Le matin du 24, le médecin qui l’a surpris en train de boucler sa valise l’a sommé de se recoucher illico. La caboche japonaise ne fait pas le poids contre la belge. « Docteur, je dois passer la Noël avec mes chrétiens. “Sayonara” (Au revoir). On se reverra le 26. » Et il a fait le mur comme un grand. Son testament est daté du 25 décembre.
À son retour à l’hôpital, trois jeunes chirurgiens l’attendaient pour lui servir le verdict glacial, preuves scientifiques à l’appui : cancer du foie inopérable. Maximum trois mois de survie. Condamné à l’immobilité dans l’espace d’un mois ! Prière de régler immédiatement les affaires urgentes et de retourner au plus vite à l’hôpital. Le P. Waret qui assistait à la scène en est resté pantois, mais l’intéressé avait été servi sur commande expresse. Il avait énormément lu au sujet du cancer, il savait donc à quoi s’en tenir.
« Docteurs, merci. » Le trio a quitté la chambre au pas cadencé.
Voyage éclair en Belgique, France et Suisse, derniers adieux aux frères et sœurs. Il revient finir ses jours au Japon, s’enferme dans son presbytère tel un vieux lion blessé dans son antre, refusant toutes visites, sauf celles de l’évêque et de deux confrères qui ont forcé le barrage. « Monseigneur, c’est dommage, j’aurais voulu continuer longtemps à travailler pour le diocèse », a-t-il murmuré.
Il a refusé toute drogue, piqûre, tout calmant, à part quelques remèdes homéopathiques. Quand il n’en pouvait plus, il prenait un bain très chaud, cinq à six fois, jour et nuit, pour essayer d’adoucir la douleur quelques instants.
Il a reçu le sacrement des malades au jour et à l’heure de son choix, des mains du P. Floirac, franciscain, mettant fin à l’inquiétude de certains amis.
Sa chambre à coucher, nue comme une cellule de religieux, n’est séparée de la chapelle que par une mince cloison. Le tabernacle n’est qu’à dix mètres de son lit de souffrance. Le Seigneur lui a donné force, patience et foi, jusqu’au 22 mars, 13 heures. La veille, il s’était traîné jusqu’à son bureau et avait rédigé sur une vaste feuille blanche : « Le Seigneur a fait pour moi des merveilles. »
La gouvernante a été splendide pour terminer ses trente ans de service dans la paroisse. Aidée de ses filles et de leurs maris, elle a soigné le Père avec un dévouement parfait.
Je vous fais grâce du détail des obsèques. L’école maternelle, la vaste cour, les rues avoisinantes, tout était noir de monde en deuil, non chrétiens, en majorité.
Les deux heures d’attente pendant l’incinération sont insupportables. Il n’y avait là que ses proches amis et ils m’ont forcé à raconter sa « petite histoire ». L’humour peut parfois servir d’échappatoire aux larmes. Ami Paul, ce n’était peut-être pas l’heure convenable, mais je me suis permis d’amuser les gens sur ton dos. Te souviens-tu, de ce jour de grand typhon où, dans un autobus bondé, tu plongeas la pointe de ton parapluie fermé et dégoulinant dans la botte d’un gen¬darme japonais debout près de toi ? Raconte cela à saint Pierre qui ne comptait pas beaucoup d’amis dans la caste de la police et il t’ouvrira la porte du Paradis à double battant. Tu auras sans doute beaucoup de mal à lui expliquer ce qu’est un autobus, un parapluie, une botte et un typhon au Japon !
L’urne funéraire du P. Lovens repose dans le caveau des prêtres au cimetière de Kawagoe, c’est-à-dire sous ma garde, en attendant que je le rejoigne. Il y a de la place pour 18 urnes et il est le premier occupant.
Amis lecteurs et membres de la famille, j’ai laissé vagabonder ma plume et je vous en demande pardon. J’estime que le P. Lovens gagne à être mieux connu, partant mieux aimé et, surtout, mieux vivant dans votre souvenir et votre prière.
Laurent LABARTHE
References
[3989] LOVENS Paul (1928-1984)
Références biographiques
CR 1954 p. 88. 1957 p. 20. 1958 p. 21. 1960 p. 26. 1961 p. 46. 1962 p. 34. 1963 p. 45. 1964 p. 18. 1965 p. 27. 1966 p. 26-28. 1967 p. 21. 22. 1968 p. 118. 1969 p. 13. 1974-76 p. 23. AG80-81 p. 30. 80-82 p. 22. 85 p. 24-29. BME 1948 p. 377. 1954 p. 817. 1145. 1955 p. 332. 1956 p. 549. 1957 p. 245. 951. 1959 p. 427. 846. 964. 1960 p. 915. 916. 1961 p. 211. 849. EPI 1963 p. 577. 578. 1965 p. 244. 1969 p. 522 (art). ISG 30/2. Hir n°150. 151/2. EC1 N° 464. 560. 567. 733. 741. NS. 3P81. 82. 22P246. 33P210. 180/9. 184/C2.