Joseph QUINTARD1934 - 2003
- Status : Prêtre
- Identifier : 4111
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Identity
Birth
Death
Missions
- Country :
- Thailand
- Mission area :
- 1961 - 2003
Biography
[4111] QUINTARD Joseph est né le 26 mars 1934 à Saint-Félix-de-Lunel (Aveyron).
Ordonné prêtre le 21 décembre 1960, il part le 26 (NN : 27) septembre 1961 pour la mission de Bangkok.
Il étudie le thaï à Bangkok et le karen à Mephon (Chiang Mai). En 1963 il est envoyé chez les Karens à Moesod. Avec le P. Verdière, il commence l’évangélisation du peuple karen, dans la vallée de la Mœi. Il passe les premières années à visiter les Karens dans toute la région de Moesod. De 1969 à 1978, il est responsable du secteur de Moesod. Il dirige aussi une équipe médicale volante, en collaboration avec ses confrères, le P. Guillou et le P. Tygreat. Il reprend ensuite ses randonnées apostoliques dans la région de Tasongyang et de Mae Tevo.
Il meurt accidentellement près de Moesod, le 7 octobre 2003.
Obituary
[4111] QUINTARD Joseph (1934-2003)
Notice nécrologique
7 octobre 2003 vers 11 heures du matin. Les téléphones portables se mettent à appeler un peu partout dans le diocèse de Nakhorn Sawan : Joseph Quintard vient de nous quitter subitement dans un accident de la route ! pas encore d’autres précisions. Nous sommes tous profondément choqués par cette nouvelle tragique – Quinquin ! Est-ce possible ? Hélas, oui ! Plus tard nous connaîtrons les détails concernant l’accident par Alain qui miraculeusement s’en sort sans aucune blessure. Le chauffeur du camion entré en collision n’a lui aussi que quelques contusions ! Deo gratias, quand même !
À cinq kilomètres de Maeramart (environ 100 kilomètres de Maetawo, résidence de Quinquin et d’Alain) un pick-up débouche subitement d’une petite route sans regarder si la voie est libre. Alain freine et donne un coup de volant pour l’éviter. La route est glissante, le 4x4 fait un tête-à-queue et vient heurter un camion chargé de briques arrivant en sens inverse ! Le choc est très violent, le côté gauche du 4x4 est enfoncé et Quinquin meurt sur le coup ; rupture des vertèbres cervicales, d’après le rapport du médecin de l’hôpital de Maeramart. C’est, bien sûr, la consternation dans tous les villages Karens où Quinquin est révéré comme le « Père des Karens ». Enfants, jeunes, adultes pleurent et bientôt se mettent en marche pour rejoindre l’église de MaeSod, le Père Manat emmène le cercueil à Nakorn Sawan où aura lieu la messe d’enterrement à trois heures de l’après-midi. Le Père Olivier suit ainsi que plusieurs autres pickups surchargés. Il y a foule aussi bien Thaïs que Karens réunis dans la tristesse et la Foi. Les deux Évêques, Mgr Chamnien et Mgr Ban Chong entourés d’une cinquantaine de prêtres concélèbrent. Le mot d’adieu de l’évêque est bref. Les mots sortent difficilement d’une gorge serrée, l’émotion et la profonde tristesse en sont la cause. Jean Dantonel, en l’absence du régional, met l’accent sur la « vie missionnaire » de Quinquin, un prêtre qui a tout donné aux Karens, par amour du Christ. Le Père Manat, au nom des prêtres du diocèse et spécialement de l’équipe montagnarde, exprime son admiration pour Quinquin et lui dit un sincère merci pour tout le travail accompli. Il est vraiment le pionnier de la mission Karen dans le diocèse. La mission Karen bien engagée, continuera. Enfin une religieuse de Saint-Paul de Chartres, sœur Maurice, remercie Quinquin d’avoir appelé les religieuses à venir travailler dans les montagnes et de leur avoir donné l’occasion de faire un travail missionnaire ; elle est bien placée pour en parler, car elle a travaillé avec Quinquin presque depuis le début. Avec émotion et humour, elle trace de lui un magnifique portrait, avec ses grandes qualités, sans omettre ses petits défauts ! « S’il parlait fort, je parlais encore plus fort que lui ».
Enfin, c’est le départ pour le cimetière. Quinquin va reposer au milieu des autres prêtres MEP du diocèse. Quinquin qui pensait mourir quelque part dans la montagne et être enterré sur place rapidement et simplement, va effectuer son dernier voyage sur terre, porté en triomphe ! Superbe ! imaginez le cercueil de Quinquin posé sur un immense brancard porté par une vingtaine de jeunes Karens en costume « national », chemise rouge Karen. Sur terre, il aurait sans doute fait opposition, mais de là-haut, il a dû faire un beau sourire, heureux, mais un peu gêné d’être le sujet d’un tel triomphe ! Aux yeux de tous les assistants, il avait bien mérité ce dernier hommage, témoignage de l’affection sincère des Karens. Pour eux, c’est leur « Saint ».
Que ce soit à MaeSod ou à NakhornSawan, les cérémonies ont été magnifiquement organisées par les prêtres thaïs du diocèse. À MaeSod, les Pères Manat, Thawat, Rangsiphon ont fait preuve d’un dévouement et d’une efficacité admirable. Même chose à NakhornSawan avec les Pères Phithak et Siricharn. Les laïcs n’étaient pas en reste ; tout le monde tenait à faire le maximum pour témoigner leur admiration pour Quinquin ; les pères MEP de NakhornSawan en ont été profondément touchés.
Sa vie, en résumé
Quinquin a gentiment laissé quelques notes pour aider le rédacteur de sa biographie, de sa naissance à Saint Félix de Lunel en 1934 jusqu’à ses soixante ans à Maetawo en 1994. Il ne manque que dix ans, faciles à résumer pour ceux qui l’ont côtoyé.
"Jeunesse"
Né le 26 mars 1934 à Saint Félix de Lunel (Aveyron) j’ai été baptisé le jour de ma naissance. Famille très chrétienne, sept enfants, trois filles, quatre garçons. L’aîné Louis est Père Blanc. Je me souviens de ma confirmation par l’évêque de Mende venu remplacer l’évêque de Rodez malade. J’ai appris le français à 7 ans. En septembre 1946, j’entre au petit séminaire des Assomptionnistes à Charac en Lozère. J’ai appris à aimer la liturgie et l’office du bréviaire. En 1949, je rejoins Vérargues, dans l’Hérault, jusqu’en 1952. C’est à cette époque que l’envie d’être missionnaire m’a pris ! Mais comme j’aimais beaucoup Saint François d’Assise, j’ai hésité entre missionnaire et capucin ! En juin 1952, j’ai fait ma demande d’entrée aux Missions étrangères, et je n’ai plus regretté ni Assomptionnistes, ni Capucins. Je n’ai pas aimé la vie de séminaire mais j’étais heureux et fier d’être MEP.
Les trente mois de service militaire n’ont pas terni cet enthousiasme ; d’abord chasseur alpin en Allemagne, puis Zouave en Tunisie, à ... Tataouine ! un bon entraînement à la vie missionnaire chez les Karens, Dieu est malin, il me préparait sans que je ne m’en aperçoive !
Ordonné prêtre le 21 décembre 1960, j’étais accueilli le 23 par la paroisse de Saint Félix pour ma première messe solennelle. La préparation des sermons était une véritable corvée. J’ai toujours été déçu de mes sermons et je le suis encore.
En mission, les Karens
En mars 1961, je termine enfin le séminaire et je vais passer quatre mois en Angleterre avant de rejoindre ma mission, la Thaïlande. Le 27 septembre avec Michel Coutand et Georges Mansuy, nous embarquons sur le « Laos » jusqu’à Singapour. Plus de trente missionnaires sur le bateau ! De Singapour, nous rejoignons Bangkok en train, par petites étapes, visitant les églises au passage. Nous arrivons à Bangkok le 26 octobre 1961. Après quelques jours dans la triste procure de l’Assomption, je rejoins la paroisse de l’Immaculée Conception le 4 novembre pour commencer l’étude du thaï.
En 1962, changement de paroisse, en raison de la promotion à l’épiscopat du curé, le Père Van Gaver. Le Père Bacon, curé de Saint Joseph de Trokchan me reçoit ; je fais un peu fonction de vicaire, car le curé a des problèmes de santé. C’est là que j’ai commencé mon apostolat ; j’étais heureux.
En 1963, quelques Karens perdues dans les profondes vallées des montagnes de la province de Tak, ont demandé à être chrétiens. C’est le village de Méwé. J’ai été volontaire pour m’occuper d’eux. Je suis alors parti dans le diocèse de Chiangmai à Mephorn, pour apprendre la langue et m’initier à la culture Karen. Neuf mois en contact avec cette ethnie minoritaire de Thaïlande m’ont permis de commencer ma vraie vie missionnaire, telle que je la rêvais.
En novembre 1963 je rejoins MaeSod où le Père Verdière m’avait précédé de quelques mois pour commencer une école primaire et s’occuper des deux familles catholiques chinoises habitant la ville. De 1963 à 1974, j’ai parcouru des centaines et des centaines de kilomètres pour connaître tous les villages Karens de la vallée de la Moei et leur parler de Jésus. Trois fois par an, je faisais sept jours de marche pour visiter les catéchumènes de Méwé. Peu à peu, sans bruit, les Karens se sont intéressés au christianisme. Méwé, Chongkhèb, Tieleko, Padé, Poupé ont accepté l’Évangile. J’avais de quoi m’occuper.
En 1972, le Père Gabriel Tygréat, ancien de Birmanie, prend en charge la région de Chongkheb et en 1976, Joseph Guillou, ancien de Birmanie lui aussi, nous rejoint et s’occupe de la région de Poupé.
Mais de 1974 à 1981, je reçois la responsabilité de diriger l’école de Maesod, son foyer d’étudiants Karens et la petite paroisse. Je continue cependant les visites régulières des chrétiens de la région de Méwé, Oukouplo, Mèsapao et Mèpo.
En 1974, j’ouvre le centre ménager de Banchavala, pour la formation féminine Karen. Ce centre a été, hélas, fermé en 1990.
En 1976, je démarre le mouvement des jeunes Karens, appelé « Nouvelle orientation ». Il ne dure pas très longtemps !
En 1981, enfin libéré de la responsabilité de MaeSod, je démarre « l’équipe médicale mobile », avec la première infirmière karen, Pranee, et les docteurs de l’hôpital de Maesod. Cette équipe médicale fonctionne encore, mais seulement pour les soins dentaires.
L’année 1967 a été pour moi une année importante. C’est l’année où j’ai commencé à me sentir Karen. Cette année-là, j’ai rencontré dans la jungle le général Bomya, chef du mouvement KNU (karen National Union), communément appelé Kawooley. Depuis, je suis, pas à pas, événement après événement, la souffrance des Karens de Birmanie. La simple amitié du début est devenue, au cours des années le sentiment d’être l’un des leurs. La cause est la mienne. Je suis devenu, depuis des années, un peu l’aumônier catholique de Kawsooley, ce sont les circonstances qui l’ont voulu. Les prêtres de Birmanie n’ayant pas accès dans ces zones, de Thaïlande, il m’est facile d’y aller. J’ai essayé de réorganiser quelques communautés catholiques ; j’ai aidé à la fondation de l’église et de l’école de la Rédemption, au coureur de la révolution Karen, signe que l’Église est au côté des opprimés.
C’est une vie fantastique que le Seigneur me donne. J’ai été et je suis heureux. Dans deux mois, j’aurais 60 ans accomplis ».
(janvier 1994)
Les dix dernières années
Quinquin oublie de noter qu’il a été vicaire général de Mgr Bangchong, après Joseph Guillou. De 1994 à 2003, la vie du « baroudeur de Jésus Christ » se déroule au même rythme ! L’équipe des prêtres travaillant en milieu Karen n’est pas très stable. Il y a souvent des changements parfois surprenants ! Ce qui ne facilite pas le travail d’ensemble. Quinquin est toujours prêt à donner un coup de main, même si le travail dans son secteur est déjà amplement suffisant. Après le départ de Gabriel Tygréat, il fera l’intérim jusqu’à l’arrivée d’Olivier, comme il l’avait déjà fait après le décès de Jos Guillou, pour épauler le Père Décha dans les premiers mois.
Dans la lettre à sa famille en 1996, il dit toute sa joie à l’occasion de l’ordination du premier prêtre Karen du diocèse qui va devenir son vicaire pendant quelque temps avant de reprendre le secteur de Chongkheb après le départ définitif de Biel. Trop tôt ? Peut-être ! Quinquin sera peiné quand ce jeune, sur qui il comptait beaucoup, décide de partir.
À soixante-trois ans, il a encore ses jambes de trente ans et gambade allégrement dans la montagne, tout en notant quelques frayeurs ! Un tigre a dévoré un villageois et un éléphant a failli s’attaquer au 4x4. Au dernier moment, le pachyderme s’arrête et fait demi-tour ! « j’ai eu vraiment peur ! les mâles peuvent être très dangereux « .
Les réfugiés sont de plus en plus nombreux, les jeunes partent vers la ville et les Karens craignent d’être chassés de leurs territoires. Le Roi intervient et la crise est temporairement terminée. On le sent préoccupé.
En 1997, son retour est divisé à sa grande satisfaction, division très provisoire, hélas, car, avec le départ de Biel, il perd son vicaire. Retour à la case départ. Il construit la chapelle de Maetawo et doit réparer la route de Poblaki, endommagée par les inondations : « construite en 1996 par une centaine de montagnards, maniant la pioche, pendant trois mois, elle fait 17 kilomètres praticables en 4x4, et permet de désenclaver des dizaines de villages ; c’est un peu ma fierté ». On le comprend ! À Pâques, il baptise une soixantaine de personnes.
1999 est l’année de la maladie ; il se sent très faible et pour cause ! manque de globules rouges, déclare le médecin de l’hôpital de MaeSod, qui lui prescrit de se nourrir un peu mieux ! Il accepte le verdict et retrouve la forme. D’autres lui avaient déjà signalé qu’il pensait à tout et à tous, sauf à lui-même ! Mais un Rouergat, d’après le Père Alazard, est plus têtu que deux Bretons … Il a donc fallu l’ordre du médecin pour qu’il en tienne compte. Il fait l’acquisition d’un nouveau 4x4 offert par les MEP, beaucoup plus confortable que l’ancien, mais l’équipe est réduite à trois ; deux prêtres thaï travaillant chez les Karens, vont continuer leurs études à Rome.
« L’année 2000 n’a pas été une année comme les autres ! la prise en charge de Chongkheb a été dure sur le plan gestion, sans parler des nombreux voyages entre Maetawo et Chongkheb distant de 200 kilomètres. Cette situation va se terminer au 1er janvier 2001 avec l’arrivée du jeune Père Olivier. Encore un mois et la vie sera plus calme ! La malaria m’a fait passer quelque temps à l’hôpital et pour ne rien arranger, un accident : un motard saoul et drogué s’est jeté sur le 4x4. À part cela (c’est déjà beaucoup) mes occupations sont les mêmes : 3 foyers de jeunes à gérer, des marches dans la montagne pour visiter les chrétiens et les réfugiés, 9 écoles de campagne à faire marcher ! De quoi occuper mes 67 ans en mars prochain.
Les deux dernières lettres, décembre 2001 et décembre 2002, sont rédigées d’une écriture tremblotante. Grande fatigue ? C’est possible.
En 2001, il annonce avec joie que les écoles de la montagne sont devenues des succursales des écoles publiques les plus proches ; ainsi les enfants ont un livret scolaire officiel, ont droit à la cantine de midi et à un goûter l’après-midi « on nous a envoyé un professeur par école, mais ils ne sont pas restés très longtemps ! un seul fait encore des apparitions de temps à autre, reste une semaine, puis repart... Il y aura des nouveaux prêtres dans le diocèse, mais pas pour les montagnards ! quant à ma santé, ça va ».
En décembre 2002, dans sa dernière lettre à sa famille, il s’excuse du retard dans ses réponses aux lettres reçues : « je suis trop souvent en déplacement ; les lettres s’accumulent sur mon bureau ; je dis un grand merci au Seigneur pour la santé qu’il m’accorde et qui me permet de tenir encore un secteur pastoral. Le Père Alain Bourdery est avec moi pour apprendre le Karen ; après 6 mois il se débrouille très bien. À Pâques (2003) il sera nommé responsable d’un secteur. Depuis le 22 novembre, Maetawo a l’électricité ! Grande joie pour tous, surtout pour les jeunes, même s’ils oublient de fermer les interrupteurs ; frigo, congélateur, fers à repasser modifient la vie quotidienne et l’ordinateur peut fonctionner à toute heure ; c’est une nouvelle vie pour moi. Le téléphone est annoncé pour bientôt (d’après Alain, cet espoir risque de prendre un certain temps, avant de devenir réalité).
Le mouvement de conversion se poursuit dans le secteur, mais surtout dans les villages éloignés, ce qui ne facilite pas les visites. Je commence à bouder les marches à pied ! on est mieux dans le 4x4. Je viens d’emmener à l’hôpital (100 kilomètres) un Karen trouvé inanimé dans la forêt ; après 5 jours dans le coma ; s’en sortira-t-il ? voilà une petite fenêtre ouverte sur ma vie au jour le jour ». Quinquin, une fois encore bon samaritain.
À noter que c’est la première fois qu’il « commence à bouder » les marches à pied. Pour lui, l’âge ne semblait être qu’une question de chiffres, mais en fait, il n’avait plus la résistance de ses trente ans et commençait à s’en apercevoir. Malgré tout, il va continuer à assurer le travail dans tout le secteur, car Alain prend un congé bien mérité en France, avant de mettre sur pied les projets envisagés dans son nouveau territoire. Après le décès de Quinquin, Alain accepte courageusement de reprendre tout le secteur en attendant du renfort. Un jeune diacre thaï sera ordonné prêtre en mai et se porte volontaire pour missionner en milieu Karen. La mission continue.
On se demande comment Quinquin arrivait à tout faire ! Car tout n’est pas dit dans ses notes biographiques. On pourrait croire qu’il était submergé par le matériel, il n’en est rien. Sa priorité a toujours été l’évangélisation de ses fidèles et il ne négligeait ni la lecture des documents ecclésiastiques, ni sa formation permanente ; il préparait minutieusement ses causeries aux catéchistes et aux responsables de communautés, au cours des sessions de formation, même si parfois, il visait trop haut ! Il s’est nommé lui-même « baroudeur de Jésus-Christ », ce qui signifie que toute sa vie a été orientée vers l’annonce de l’Évangile », qui rend libre les Karens débarrassés du poids étouffant de l’animisme.
Quelques réflexions
Le pionnier
Presque la moitié des quelques 11.000 catholiques du diocèse sont Karens ; ce ne sont pas, bien sûr, tous des « fils de Quinquin » ; mais c’est lui le « vieux » de l’équipe, celui qui a prospecté toute la région, avant de passer la main à d’autres. « En 1963, il y avait 35 catéchumènes à Méwé ; en 1997, il y a 2.700 chrétiens, environ 1.000 catéchumènes et plus d’un millier de réfugiés Karens catholiques de Birmanie ». En 2003, les catholiques Karens dépassent le chiffre de 4.000. Un certain « succès » comparé à un « échec presque total » ailleurs en Thaïlande. D’après ses notes biographiques, citées plus haut, on peut se faire une idée de la progression de l’Église dans les différents villages, Poblaki, MaeTawo et autres.
Des communautés dynamiques
20-25 villages dispersés, plusieurs jours de marche pour les visiter... ; comment ces nouvelles communautés ont-elles pu tenir le coup dans un milieu animiste ? Dès le début, Quinquin, et par la suite Joseph Guillou, Gabriel Tigréat, Manat et les autres membres de l’équipe, ont adapté une méthode pastorale qui dure toujours. Ils ont misé sur les laïcs, en insistant sur la formation des catéchistes et des responsables de communautés, véritables vicaires laïcs. Ce sont eux qui sont, en quelque sorte, l’âme des communautés, capables de vivre et de se développer sans la présence permanente d’un prêtre. Ils ont misé sur les laïcs et ont réussi. Ces responsables ne sont pas laissés à eux-mêmes ; le prêtre responsable les soutient et prépare avec eux les cérémonies en l’absence de prêtre. Ces laïcs ont pris au sérieux les engagements de leur baptême et redonnent force aux défaillants. Ils sont officiellement au service des communautés, sans être diacres.
Les routes Quinquin
Un des rêves de Quinquin est devenu réalité après une visite de Louis Sahuc, ancien de Birmanie et de Thaïlande ; on n’y croyait pas beaucoup et cependant il a osé et réussi. La première route, améliorée plusieurs fois, permet d’arriver en 4x4 à Méwé ; il faut quand même un chauffeur expérimenté ! 6 kilomètres. Une deuxième route vers Maesapao et enfin la troisième, sa fierté, dit-il, rejoint Poblaki ; 17 kilomètres, 100 Karens avec de simples pioches, 3 mois de travail... des dizaines de villages sont désenclavés ! On peut comprendre aisément pourquoi les autorités thaïes lui faisaient confiance pour les autres activités ; ces routes sont utilisées aussi bien par les fonctionnaires que par les villageois Karens.
Les camps de réfugiés
Avec audace et prudence, il se lance dans l’aventure, même si, parfois, il se balance sur une corde raide « le permis et le non-permis, le légal et l’illégal se donnent la main dans la plus belle harmonie », note-t-il avec humour et il continue. « Les visites pastorales (en territoire birman) se font clandestinement. Les autorités thaïes, par bonheur, ont la délicatesse de fermer les yeux. En plus des agglomérations déjà citées, il y a aussi 7 camps de « personnes déplacées », 27.000 en tout, dont quelque 200 catholiques ».
Malgré un tempérament bouillant, Quinquin n’a jamais eu de gros problèmes avec la police thaï ; il se montrait toujours très poli et souriant, même en prenant la défense de ses Karens. Il est probable que son dévouement sans limites était bien connu dans la région et facilitait les choses ; on lui faisait confiance.
Il souffre parfois d’être obligé d’accepter des situations peu évangéliques ; par exemple en 1992, il note « la semaine dernière on est venu le dire qu’une chrétienne a été fusillée pour infidélité à son mari... les autorités civiles Karens ont décrété la mort des deux fautifs. Ils ont été exécutés au cimetière, les deux ensemble ! Je dois aller bientôt célébrer Noël dans ce village, mais j’ai bien envie de tout supprimer. Il faut cependant que je demande l’avis du conseil des anciens, pour éviter de faire une gaffe, en montrant ouvertement ma désapprobation pour ces morts. Je dois me souvenir que je suis un étranger ». Il faut du temps et de la patience pour que l’Évangile finisse par christianiser les coutumes !
Travail en équipe
Très personnel (il a presque toujours été seul dans son secteur), il fait effort pour travailler avec d’autres et avoir une méthode pastorale commune, beaucoup de projets sont réalisés en collaboration avec les autres prêtres, les religieuses et les catéchistes. Les sœurs de St Paul de Chartres travaillent dans la région de Maesod grâce à lui. On le considère comme l’ancien, le Père des Karens, la « mémoire » comme il le dit lui-même. Les jeunes regrettent simplement qu’il ne soit plus de leur âge. À 60 ans et plus, il n’est pas facile d’être au diapason avec les adolescents.
Toujours très fidèle aux réunions mensuelles du presbytérium, malgré la distance, il y participe activement ; membre de plusieurs commissions, membre du conseil épiscopal depuis très longtemps, il ne semble pas désabusé par les nombreuses longues réunions, même s’il n’en ressort pas grand chose ! c’est l’homme du devoir à accomplir. Il note cependant, avec humour, que, par expérience, « la fonction de vicaire général », est complètement inutile.
Les visiteurs
Il parcourt continuellement son immense territoire ; cependant, prévenu à temps, il sait se libérer pour accueillir les visiteurs, que ce soient des amis, des bienfaiteurs, des prêtres, des évêques ou le Nonce apostolique ! (Le Pape Jean-Paul II a eu droit à une lettre lors de sa visite en Thaïlande et Quinquin a reçu plus tard une réponse du Vatican). Il est heureux de piloter dans ses différents postes l’évêque de Rodez, le Père Ghirard et l’évêque de Luçon, le Père Garnier. Mgr Billé, archevêque d’Aix-en-Provence et futur cardinal après la nomination à Lyon, a presque été malade après la remontée à pied de Méwé. Mgr Renato Martino, nonce apostolique en Thaïlande (actuellement cardinal et président de la Commission « Justice et Paix »), n’a sans doute pas encore oublié le chemin de croix du Vendredi Saint à Méwé. Grimper la montagne presque à pic, même avec un arrêt à chaque station, n’est pas facile pour quelqu’un de la ville, surtout en plein après-midi ! Monseigneur n’a pas chuté, mais a failli abandonner ! La vue d’une jeune maman, portant son enfant sur le dos et grimpant pieusement la pente escarpée, lui a redonné force et détermination pour atteindre la 14ème station ! « Mon meilleur chemin de croix » a-t-il déclaré plus tard. Quant à Quinquin, il dit simplement « que le Seigneur lui donne une vie passionnante et qu’il est heureux » !
Le Père des Karens
Pas étonnant que depuis longtemps déjà, il était considéré avec respect comme le Père des Karens ». Sa mort tragique les a profondément peinés ; ils ont beaucoup pleuré et beaucoup prié. Pranee, infirmière et secrétaire, qui a pratiquement toujours travaillé avec lui, a bien résumé les sentiments de tous « je suis très triste et en même temps heureuse de savoir que le Père Quintard va enfin pouvoir se reposer. Il a assez travaillé ».
Rien à ajouter à la magnifique phrase finale de son testament, qui résume toute sa vie missionnaire « les Karens ont été mon bonheur et je meurs pour eux ».