Jean-Claude PERNOT1823 - 1904
- Status : Prêtre
- Identifier : 0632
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Identity
Birth
Death
Biography
[632]. PERNOT, Jean-Claude, né à Vesoul (Haute-Saône) le 17 novembre 1823, entra en 1838 au petit séminaire de Luxeuil, trois ans plus tard au séminaire de philosophie de Vesoul, et en 1843 au séminaire de théologie de Besançon. Ordonné prêtre le 18 septembre 1847, il fut nommé vicaire à Port-sur-Saône et y resta quatre ans, pendant lesquels il s'occupa surtout de l'annexe de cette paroisse, Chaux-les-Port.
Le 3 septembre 1851 il entra au Séminaire des M.-E., et partit pour la mission de Cochinchine occidentale le 4 septembre 1852. Après un séjour de deux ans dans la chrétienté de Thi-nghe, il fut envoyé à Dau-nuoc (Cu-lao Gieng), chrétienté fondée en 1783 par deux familles de Cai-thia. Sa présence y fut connue du mandarin en janvier 1859, et il dut s'enfuir pour échapper aux satellites. Il se réfugia d'abord dans la chrétienté de Cai-nhum ; et, au début de 1860, il passa à Saïgon, d'où, en 1861, il fut envoyé au Séminaire des M.-E. à Paris, comme député des missions de la Cochinchine et du Cambodge.
Reçu directeur le 28 octobre de la même année, il fut nommé procureur pour la recette le 11 novembre suivant. Cette fonction, qu'il devait remplir pendant plus de vingt-cinq ans, lui fut confirmée aux diverses élections dont voici les dates : 12 octobre 1863, 28 octobre 1867, 9 septembre 1871, 12 juillet 1874, 30 juin 1877, 4 juillet 1880, 7 juillet 1883, 5 juillet 1886, 8 juillet 1889. Il avait aussi été économe pendant quelque temps, élection du 11 octobre 1868. Le 30 juin 1877, il avait été nommé assistant du supérieur pour l'extérieur, charge qu'il garda durant trois ans. Il fut pendant très longtemps membre du Conseil de l'œuvre de la Sainte-Enfance. Il mourut au Séminaire des M.-E. à Paris, le 27 février 1904.
Obituary
M. PERNOT
DIRECTEUR DU SÉMINAIRE DES MISSIONS-ÉTRANGÈRES
Né le 17 novembre 1823
Parti le 4 septembre 1852
Mort le 27 février 1904
Jean-Claude Pernot naquit à Vesoul (Besançon, Haute-Saône), le 17 novembre 1823. Son père, Claude-François, exerçait le métier de tailleur, et sa mère, Anne Pinaigre, était une mère de famille accomplie. L’habileté et l’amour du travail du premier, la science du ménage et les principes d’économie de la seconde, leur permirent d’élever convena¬blement les quatre garçons que la divine Providence leur avait donnés, et de leur procurer une solide instruction. Jean-Claude devint prêtre, et un de ses frères remplit la charge de chef de bureau à la préfecture de Vesoul.
Jean-Claude était l’aîné, et bien que sa naissance comblât de joie les jeunes époux, il ne fut cependant point gâté. M. et Mme Pernot n’avaient, du reste, d’autre fortune que leurs instruments de travail et, de plus, le souvenir des misères et des tristesses de la Révolution les avait rendus plutôt sévères ; aussi, devenu vieux, Jean-Claude aimait-il à raconter, dans les colloques intimes, les magistrales corrections qu’il avait reçues. Il disait alors, en bon vieillard, laudator temporis acti, que, de son temps, les parents savaient se faire obéir, tandis que, maintenant, ils ne savent que se plier à tous les caprices de leurs enfants gâtés.
La jeunesse de Jean-Glande fut celle de tous les enfants de sa con¬dition. Il se montra de bonne heure ce qu’il a été plus tard : esprit vif et éminemment pratique, caractère original et prompt, volonté de fer, franchise sans bornes et cœur d’or. Il fit, chez les Frères des Écoles chrétiennes, ses premières études et aussi ses premières espiègleries ; mais ces dernières ne nuisaient en rien à son travail et, chaque année, à la distribution des prix, il avait sa bonne part de couronnes.
Tout en fréquentant l’école, le jeune Pernot remplissait l’office d’enfant de chœur. Il y avait alors à Vesoul un sacristain comme on n’en voit plus. C’était le bon M. Duhaut que l’on appelait souvent le « papa Duhaut ». Il ne se contentait pas de remplir avec zèle ses fonc¬tions de sacristain et de chantre, mais il cherchait encore, et surtout, à procurer la plus grande gloire de Dieu. M. Duhaut avait fait d’assez bonnes études, et il considérait comme son devoir de distinguer, parmi les enfants les moins fortunés de la paroisse, ceux qui lui paraissaient les plus aptes à devenir de bons prêtres. Or, Jean-Claude venait de faire sa première communion. Sa piété, sa gentillesse, son intelligence et sa vivacité l’avaient fait remarquer. M. Duhaut le demanda pour élève, ce qui lui fut vite accordé par les parents, et Jean-Claude commença à décliner rosa, la rose. Ses progrès furent rapides, et, en automne 1838, il entrait au petit séminaire de Luxeuil, où il occupa bientôt un bon rang dans la classe de troisième. En 1841, sa rhétorique achevée, il passa au séminaire de philosophie à Vesoul. Il y resta deux ans, et mérita, comme à Luxeuil, avec l’estime de ses maîtres et l’affection de ses condisciples, bon nombre de récompenses.
C’est en 1843 qu’il entra au séminaire de théologie, à Besançon. Besançon ! Ce nom a fait palpiter son cœur jusqu’à sa mort, et, quand il en parlait, il ne tarissait pas d’éloges. A cette époque, en effet, le jeune théologien rencontrait au séminaire un ensemble de circons-tances bien faites pour captiver son intelligence et son cœur. Austère et rude par tempérament, il trouvait là de vieux directeurs austères eux-mêmes par nature et rendus plus austères encore par les épreuves de la persécution religieuse ; âme éprise de vertu, il rencontrait des modèles qui, pour mettre en pratique une morale plus serrée, se tenaient sans cesse dans la partie la plus étroite et la plus ardue du chemin qui conduit à la perfection sacerdotale ; caractère entier
facilement porté aux extrêmes, il se plaisait à écouter les leçons, et à imiter les exemples de ces maîtres à qui il s’était livré corps et âme. Il se mit si résolument à l’œuvre de sa sanctification que bientôt ses forces trahirent son courage : des vomissements de sang vinrent le forcer à prendre du repos et lui rappeler que : In medio stat virtus.
Ce repos, heureusement, ne fut pas de longue durée, et, grâce à sa robuste constitution, le jeune lévite ne tarda pas à reprendre le cours de ses études.
Ordonné prêtre le 18 septembre 1847 par Mgr Mathieu, archevêque de Besançon, il reçut, quelques jours plus tard, sa nomination au vicariat de Port-sur-Saône. La paroisse de Port-sur-Saône avait alors une annexe : Chaux-les-Ports, et le vicaire, quoiqu’il habitât avec le curé, était plus particulièrement chargé de la petite paroisse de Chaux. C’était tout ce que pouvait désirer de mieux M. Pernot : il donnerait à Chaux libre cours à son zèle, et son esprit d’initiative, là du moins, ne subirait aucune entrave. Malgré ces avantages, il serait inexact de dire que, pendant ses quatre années de vicariat, il n’y eut pas de petites difficultés au presbytère de Port-sur-Saône. Mais le bon vieux curé savait vite oublier les boutades un peu vives de son vicaire, qu’il voyait si sincèrement dévoué au bien des âmes. Chez M. Per¬not, en effet, la bonté du cœur faisait oublier les saillies du caractère.
A peine chargé de l’annexe de Chaux, M. Pernot sut se concilier tous les cœurs. Il avait connu la pauvreté ; il en avait souffert. Son cœur allait de préférence aux pauvres, et si, au catéchisme, certains enfants étaient plus fréquemment interrogés et récompensés, c’étaient toujours les plus abandonnés. Cette manière de faire fut le point de départ de ses succès, et il ne trada pas à être tout à la fois le maître et le père de toutes ses ouailles. Son œil vigilant remarquait le moindre manquement ; sa parole incisive et sans réplique faisait rentrer tout le monde dans le devoir, et son bon cœur rendait profitable la leçon que sa sévérité croyait devoir infliger. L’union la plus intime et l’affec¬tion la plus sincère régnaient entre le pasteur et les fidèles.
Aussi lorsque, quatre ans après, le jeune vicaire-curé, qui sentait dans son cœur un zèle de plus en plus ardent pour le salut des âmes, fit ses adieux à la paroisse de Chaux pour répondre à l’appel de Dieu et se rendre aux Missions-Étrangères, ce furent des pleurs et des lamentations sans fin. Les paroissiens se cotisèrent pour offrir au mission¬naire une croix en or sur laquelle ils avaient fait graver l’expression de leur amour, de leur reconnaissance et de leurs regrets. Cette croix, M. Pernot la portera toute sa vie, suspendue à son cou ; il la baisera au moment de sa mort, et c’est sur elle qu’il rendra le dernier soupir. De son côté, en quittant Chaux, il inscrivit sur une même liste les noms de tous ses paroissiens; il consacra et confia sa paroisse à Marie. Pendant cinquante-trois ans, il relira cette liste, pour se rappeler le souvenir des âmes qu’il a aimées et dirigées dans le chemin du ciel ; pendant cinquante-trois ans, il fera, le 18 mai, l’anniversaire de cette consécration et passera la journée en prières pour ses anciens paroissiens ; pendant cinquante-trois ans, il gardera précieusement cette liste ; elle le suivra partout, et, après sa mort elle sera retrouvée parmi ses papiers les élus intimes. Peut-on imaginer plus d’affection sacerdotale d’un côté ; plus d’amour filial de l’autre ?
M. Pernot entra au séminaire des Missions-Étrangères le 3 sep¬tembre 1851. Il y passa l’année réglementaire, et quand, sa probation achevée, il fut destiné à la mission de Cochinchine, les directeurs lui donnèrent un témoignage particulier de leur confiance. M. Pernot, en effet, fut détaché du groupe de ses confrères qui devaient partir le 19 septembre 1852, et quitta seul Paris, le 4 du même mois, pour rejoindre au Havre quatre religieuses de Saint-Maur et les accompa¬gner jusqu’à Pinang. L’embarquement eut lieu au Havre sur un petit bâtiment qui allait à Southampton, où se trouvait le Bentick, navire à vapeur qui devait transporter le missionnaire et les Sœurs à Alexan¬drie, en passant par Gibraltar et Malte.
D’Alexandrie au Caire, la route se fit en remontant le Nil sur une cange égyptienne. Du Caire à Suez, on prit une voiture, dans laquelle voyageurs et bagages étaient entassés. A Suez, on trouva un autre navire, l’Indostani, qui, après avoir relâché à Aden, conduisit la petite troupe apostolique à Colombo. Là, le Singapore était prêt à partir pour Pinang. Les voyageurs transbordèrent une quatrième fois, et enfin, le 26 octobre, ils arrivèrent à Pinang, cinquante-deux jours après leur départ du Havre.
La plus grande partie de la route était faite, mais non la plus diffi¬cile et la plus périlleuse, et M. Pernot avait encore à franchir les deux cent cinquante lieues qui le séparaient de la Cochinchine. Aujourd’hui, à bord des paquebots de la Compagnie des Messageries Maritimes, le trajet de Singapore à Saïgon s’effectue en quelques jours, et on se trouve transporté dans la capitale de la Cochinchine sans presque s’en douter ; on descend à terre au grand jour, et le missionnaire a toutes les facilités pour parcourir le pays, apprendre la langue et s’acclimater. Mais en 1852, il en était tout autrement : la persécution battait son plein ; Tu-duc régnait, et non seulement remettait en vigueur les édits de persécution de son père Thieu-tri, ceux de son grand-père Minh-¬mang, appelé à juste titre le Néron annamite, mais y ajoutait encore les siens, non moins sévères, non moins cruels. Pour entrer en Cochinchine, il fallait jouer sa tête ; aussi prenait-on des précautions inouïes pour tromper la surveillance des douaniers et des satellites.
Dès que l’arrivée de M. Pernot à Pinang fut connue, le vieil évêque de Cochinchine, Mgr Lefebvre, affréta une petite jonque de mer qu’il confia à des matelots d’une prudence et d’une discrétion éprouvées et les envoya chercher le nouveau missionnaire. M. Pernot s’embarqua sur cette jonque, non sans avoir fait préalablement sa toilette anna¬mite : turban enroulé autour de la tête, long habit noir à manches étroites, fermé par cinq boutons en cuivre jaune, et large pantalon en toile blanche tombant sur les pieds nus. La traversée dura plus d’un mois, car la jonque devait s’éloigner des côtes le moins possible, et s’arrêter souvent pour renouveler ses provisions ; sauf pendant la der¬nière partie du voyage, où force était de se lancer en pleine mer. Déjà, on apercevait dans le lointain les côtes basses et marécageuses de la Cochinchine, et la barque mettait le cap sur l’endroit désert et isolé qui avait été fixé pour le débarquement. La nuit, favorable à l’intro¬duction du missionnaire, allait arriver et l’entreprise semblait devoir réussir. Mais une tempête, sur laquelle on ne comptait pas, vint déranger tous les plans. Impossible de suivre la route désignée à l’avance. La jonque, poussée par le vent, battue par les flots, est obligée d’entrer dans le Dong-nai, et de passer entre deux postes de douaniers. Avec quelle ferveur nous récitions notre chapelet ! » racontait plus tard M. Pernot.
Heureusement, la nuit noire, nuit de tempête, était venue. Le mis¬sionnaire prend des précautions inouïes pour ne pas être reconnu, quitte la jonque, descend dans une petite barque et pénètre dans l’inté¬rieur du pays, en suivant le cours sinueux de nombreux arroyos. Il monte parfois à terre et se dirige à tâtons le long des sentiers glis¬sants qui séparent les rizières. Il ne voyage que la nuit et reste blotti au fond de sa barque, du matin au soir. Il arrive enfin dans la chré¬tienté de Thi-nghe. C’est là que se tenait caché Mgr Lefebvre. Le vénérable évêque avait déjà confessé la foi à trois reprises diffé¬rentes. Quelle joie dut éprouver M. Pernot en se jetant aux pieds de ce saint vieillard ! L’accueil si paternel qu’il en reçut produisit sur lui une impression qui ne s’effaça jamais de sa mémoire ni de son cœur, et, cinquante ans plus tard, on le sentait encore vivement ému quand il racontait cette première entrevue.
L’évêque retint près de lui son nouveau missionnaire et se chargea lui-même de sa formation apostolique. M. Pernot s’installa donc à Thi-nghe. On lui construisit une petite cabane humide et basse, en bambous et en feuilles : toit en feuilles, murs en feuilles, cloisons en feuilles : autant de nids pour des myriades d’insectes qui chantaient, grinçaient, mordaient et enaient à l’hôte du logis une compagnie rien moins qu’agréable. La terre nue servait de plancher et, dans un coin, deux tréteaux supportant quelques planches recouvertes d’une natte tenaient lieu de lit, de bureau, de table ; en un mot, de tout le mobi¬lier. Comme entrée, une porte basse, presque toujours fermée ; comme fenêtres, de petites ouvertures discrètes pratiquées dans les feuilles ; le tout laissait à peine soupçonner qu’un être humain pût habiter là. Ce fut néanmoins dans cette misérable hutte que M. Pernot apprit la langue, s’initia aux us et coutumes annamites, et commença la pratique du ministère apostolique. Il y passa les années 1853 et 1854 ; puis fut envoyé à Dau-nuoc, dans l’île de Culao-gieng.
Le voyage deThi-nghe à Dau-nuoc s’effectua, comme toujours, en cachette. Tu-Duc faisait observer strictement ses décrets de persécu¬tion, et le missionnaire fut obligé, pour administrer les chrétiens, de s’entourer d’un mystère absolu. Son arrestation, en effet, eût été le signal d’un redoublement de rigueur envers les chrétiens.
M. Pernot demanda l’hospitalité à l’un des chefs de la chrétienté, Emmanuel Le-van-phung. Cet homme, d’un caractère énergique et d’un zèle tout apostolique, instruisait les chrétiens, les soutenait, s’ingéniait, même au péril de sa vie, pour leur procurer les secours de la religion, surtout dans la maladie et à l’article de la mort. C’est à côté de cet homme qui devait plus tard cueillir la palme du martyre, que M. Pernot vécut jusqu’à la fin de 1859.
A Dau-nuoc, l’installation du missionnaire était encore plus simple qu’à Thi-nghe : il n’avait pour tout logement qu’un petit réduit, dissimulé dans le recoin le plus caché de la maison. Obligé de rester invi¬sible tout le jour, il ne pouvait sortir que le soir, à la faveur des ténèbres, pour respirer un peu le grand air pendant quelques instants. C’est là qu’il administrait les sacrements aux fidèles qu’Emmanuel lui amenait secrètement ; c’est là que, la nuit, il célébrait les divins mystères et que parfois, pendant le jour, il devait rester immobile et silen¬cieux, lorsque des satellites ou des espions païens venaient faire une perquisition de l’autre côté de la mince cloison. Plusieurs fois même, il dut fuir en toute hâte, se cacher dans un fourré voisin et y rester des nuits entières, les pieds dans l’eau et exposé à la morsure des mous¬tiques, si terribles dans ces contrées. Le danger passé, on venait le chercher, et il réintégrait sa prison jusqu’à ce qu’une nouvelle alerte l’obligeât à la quitter de nouveau.
Malgré les précautions prises, la présence d’un Européen était soupçonnée, et deux frères païens du village de Tân-duc, dans l’île de Culao-gieng, résolurent de le surprendre. Un soir, ils grimpèrent sur un manguier, derrière la maison d’Emmanuel, et M. Pernot, ne soup-çonnant pas le danger, sortit pour prendre l’air. Il fut immédiatement reconnu, et les deux païens allèrent accuser le Père devant le grand mandarin de Chau-doc, qui retint l’accusation. Appeler le chef de la milice, lui ordonner de préparer une vingtaine de barques montées par des soldats pour opérer une prise importante dans l’île de Culao-gieng, fut l’affaire de quelques instants. Mais des Annamites apprirent bien vite la cause de tout ce remue-ménage et un chrétien s’empressa d’avertir Emmanuel Phung. Celui-ci refusa d’abord d’ajouter foi aux paroles du messager, discuta, et finit par dire : « Non, ce n’est pas possible : le sous-préfet de Culao-gieng, qui m’est tout dévoué, m’aurait informé. » Cependant les barques des satellites arrivaient à force de rames ; elles étaient déjà à la hauteur de Cho-thu, marché situé à six kilomètres de Dau-nuoc. Là, elles ralentirent leur marche pour n’arriver qu’à la nuit close en face de la maison dénoncée comme cachant un Européen.
L’apparition de toute cette petite flotte frappa les chrétiens du village, et l’un d’eux courut chez Emmanuel Phung. Cette fois, il n’y avait plus de doute possible, car déjà on entendait le bruit fait par les avirons qui frappaient l’eau. A la hâte, on cache les objets compromettants, et
M. Pernot, sous la conduite de Gabriel Vi, s’enfonce dans la brousse, non sans avoir recommandé au P. Qui de s’évader, lui aussi. Mais le prêtre indigène se contenta de répondre : « Père, sauvez-vous vite ; pour moi, qui suis Annamite, je me tirerai toujours d’affaire. »
Quelques instants après, les satellites entouraient la maison d’Emma¬nuel Phung, et serraient leurs rangs pour rendre toute évasion impos¬sible. Ils cherchent partout, et visitent les recoins les mieux cachés ; mais, c’est en vain ils ne trouvent absolument rien. L’Européen était parti à temps, et les objets du culte étaient déjà loin. Le chef des satellites, furieux, s’empare du maître de la maison et veut le faire avouer qu’il cache un missionnaire. Peine perdue ; Emmuanuel refuse de parler et de donner aucune indication. La rage du petit mandarin ne connaît plus de bornes. Pour se venger, il fait enchaîner et mettre à la cangue le prêtre Qui, Emmanuel Phung et trente-deux chrétiens qui se trouvent là ; puis, il les emmène à la préfecture de Chau-doc. C’était le 7 janvier 1859. Quelques mois après, le prêtre Qui et Emma¬nuel Phung ayant refusé d’apostasier, furent condamnés à mort et exécutés. Le premier subit le Supplice de la décapitation ; le second fut étranglé. Ces deux martyrs ont été déclarés Vénérables par S.S. Léon XIII le 13 février 1879.
Pendant ce temps, que devenait M. Pernot ? Après être resté caché toute la nuit, il revint le matin à Dau-nuoc, et demanda l’hospitalité à un autre chrétien ; mais à cause des événements de la veille au soir, les notables crurent prudent de ne pas le garder chez eux, et le mis¬sionnaire fut obligé de se blottir au fond d’une barque, de passer le fleuve et de se réfugier à vingt-cinq kilomètres de là, chez les chré¬tiens de Ben-dinh. Ceux-ci, affolés par la peur, refusaient de donner asile au proscrit. Seule une femme courageuse, Anna Thoa, dit à son mari : « Ne crains rien ; recevons le Père chez nous. » Le mari n’y consentit pas tout d’abord. Enfin, sur les instances réitérées de sa femme, il organisa une petite hutte dans un bosquet de bambous, à proximité de la maison qu’il habitait, et c’est là que, sans craindre le danger qui la menaçait, la courageuse Anna portait au prêtre les maigres repas qu’elle lui préparait.
M. Pernot ne put rester que trois jours dans son nouveau refuge. Le préfet de Chau-doc, ne voulant pas lâcher sa proie, faisait perquisi¬tionner partout. Déjà les satellites approchaient de Ben-dinh, et il fallait absolument sauver le missionnaire pendant qu’il en était temps encore. Le cerveau des Annamites est fécond en stratagèmes, et les chrétiens eurent bientôt imaginé le moyen de conduire le Père en lieu sûr. Une barque est rapidement chargée de feuilles de toutes sortes : feuilles pour toits de maison, feuilles pour cloisons, feuilles pour portes, etc. En quelques minutes elle est prête à partir et des soi-disant marchands de feuilles montent à bord. En tassant les feuilles on avait aménagé un trou dans lequel le missionnaire se loge comme il peut. On lève l’ancre et en route pour le marché voisin ; puis, pour le marché suivant ; et, de marché en marché, pour Cai-nhum, chrétienté où M. Pernot pouvait plus facilement rester en sûreté. En effet, les chrétiens de Cai-nhum étaient excellents, et les païens qui les environnaient étaient bons et sympathiques. La chrétienté non seulement avait gardé son couvent de religieuses indigènes, les Amantes de la Croix, mais elle servait de refuge au petit séminaire de la Mission. Ce poste avait donc l’avantage de permettre au missionnaire d’exercer son zèle apostolique, non sans prendre encore de minutieuses précau¬tions.
Le 1er septembre de l’année précédente, 1858, l’amiral Rigault de Genouilly avait bombardé et occupé les forts de Touranne. Quelques mois plus tard il avait dû se retirer, parce que M. de Montigny, ministre plénipotentiaire, n’arrivait pas pour entamer avec la cour de Hué les négociations que nécessitaient la persécution religieuse et la violation des traités. L’inaction forcée dans laquelle se tint l’amiral après la prise de Touranne et son départ furent interprétés par les Annamites comme le signe d’une grande faiblesse. Tu-Duc s’attribua la victoire, et la persécution redoubla d’intensité dans tout le royaume. Mais, dès le mois de février 1859, c’est-à-dire quelques jours après l’arrivée de M. Pernot à Cai-nhum, le bruit se répandit que les vaisseaux de l’amiral Rigault de Genouilly descendaient vers le sud et se dirigeaient sur Saïgon. En effet, le 11 février, on les apercevait au cap Saint-Jacques ; ce fut alors de la stupeur ; puis, une explosion de rage chez les Cochinchinois, surtout chez les mandarins. La tête de Mgr Lefebvre fut mise à prix ; les chrétiens, enfermés dans les prisons de Saïgon, furent transférés à Bien-hoa, afin que les Français ne pussent les déli¬vrer. Seul le prêtre indigène Paul Loc fut décapité au moment où il sortait de la citadelle. Lui aussi, a été déclaré Vénérable par S. S. Léon XIII.
Le 18 février, Saïgon tombait aux mains des Français, et les chrétiens pouvaient espérer une ère de paix et de liberté. Malheureusement, cet espoir ne devait pas se réaliser, car une partie de l’armée française se retira et les troupes laissées à Saïgon ne suffisaient pas pour empêcher une révolte. Bientôt le vide se fit autour des Français, et les soldats annamites, entourant de loin la citadelle, la tinrent bloquée jusqu’en 1861. A cette époque, l’amiral Charner rompit le blocus, s’empara de la Cochinchine et procura aux chrétiens la liberté religieuse.
C’est au milieu de ces complications que M. Pernot exerça son minis¬tère apostolique. Pendant le jour, il s’occupait des religieuses et instruisait les élèves du séminaire ; pendant la nuit, il allait porter, au péril de sa vie, les secours de la religion aux malades et aux mourants. Bien que plus de quarante ans se soient écoulés depuis cette¬ époque, son souvenir vit toujours dans le cœur d’un bon nombre de chrétiens, qui parlent encore de ce Père si sévère, mais si bon, si gai et si résolu devant le danger.
Au commencement de 1860, Mgr Lefebvre avait appelé M. Pernot à Saïgon pour y travailler plus librement sous la protection du drapeau français. Malgré les périls du voyage, le missionnaire avait obéi ; il avait traversé en cachette les lignes des soldats annamites qui bloquaient la ville et était arrivé tout joyeux auprès de son vicaire apostolique. C’était pour lui la liberté, et il était ravi de pouvoir enfin suivre sans entrave les inspirations de son zèle.
Sa joie ne devait pas être de longue durée. En effet, M. Chamaison, ancien missionnaire de Saïgon et député des missions de Cochinchine à Paris, venait de donner sa démission. Il fallait le remplacer. Le choix des évêques et des missionnaires se porta sur M. Pernot. Il lui fallut donc quitter sa chère mission et reprendre le chemin de l’Europe.
Tout vrai missionnaire, obligé par devoir de quitter les âmes qu’il a évangélisées et pour lesquelles il a souffert, ressent en lui-même une telle douleur que le sacrifice qui lui est imposé semble être le plus grand qu’il puisse faire. La chose fut d’autant plus vraie pour notre regretté confrère, que tout dans sa nature le portait vers le ministère actif. Il accepta cependant sa nouvelle destination en considérant que le travail qui l’attendait à Paris, quoique moins conforme à ses goûts, ne serait pas moins utile à la prédication de l’Évangile et au progrès des missions.
M. Pernot arriva à Paris en 1861. Comme il avait des aptitudes spéciales pour l’adminis-tration, le Conseil le chargea de la procure du séminaire, et l’on peut dire que, grâce à son intelligence des affaires, il a rendus pendant près de quarante ans, d’éminents services au séminaire et à la Société des Missions-Étrangères.
Il a encore servi très utilement les intérêts de nos missions comme membre du Conseil de l’Œuvre de la Sainte-Enfance. Cette Œuvre a, en effet, pour règle d’admettre dans son Conseil un représentant de chacune des grandes sociétés qui s’occupent de missions, et c’est M. Pernot qui fut choisi pour y représenter notre séminaire et les missions confiées à notre Société. C’était pour lui un devoir à remplir, et ce devoir il l’a accompli aussi longtemps que le lui ont permis ses forces, c’est-à-dire presque jusqu’à la fin de sa vie.
Indépendamment des charges particulières qu’il a remplies, on peut bien dire que la préoccupation de sa vie entière a été le bien de nos chères missions. Le devoir d’un directeur de notre séminaire est de s’intéresser à toutes nos missions, et M. Pernot n’y a pas failli. C’est avec bonheur qu’il distribuait les aumônes qu’il pouvait recevoir. Combien de missionnaires, non seulement en Cochinchine, mais encore dans toutes nos missions, ont profité de sa sollicitude et de son dévouement et pourraient en rendre témoignage !
Les occupations spéciales de M. Pernot ne lui fournissaient pas l’oc¬casion d’avoir avec les aspirants du séminaire des rapports aussi fré¬quents que la plupart des autres directeurs ; il portait néanmoins le plus grand intérêt à tout ce qui les concernait et ne manquait jamais de leur dire un mot d’édification et d’encouragement. Sa pré¬sence seule, du reste, parlait au cœur des futurs missionnaires. Com¬ment, en effet, ne se seraient-ils pas sentis encouragés, en voyant près d’eux ce beau vieillard qui avait exercé le ministère apostolique au fort de la violente persécution qui ravagea la Cochinchine au milieu du siècle dernier ?
Pour être complet, il serait bon de dire quelque chose des vertus sacerdotales du vénéré défunt ; mais alors il faudrait reproduire le portrait du bon prêtre ; ce serait exposer des lieux communs. Cependant on ne peut passer sous silence une note caractéristique de la piété de M. Pernot : la dévotion au très Saint-Sacrement. Un de ses confrères avait remarqué, quand il était aspirant en 1851-1852, qu’il pas¬sait un temps considérable devant le tabernacle. Cette dévotion si vive, il l’a conservée toute sa vie. Il ne sortait pas de la maison sans entrer à l’église pour y faire quelques minutes d’adoration ; et jusqu’au jour où les infirmités l’ont cloué sur son lit de douleur ; il n’a jamais manqué de faire chaque soir, avant souper, au moins une demi-heure de visite à Jésus-Hostie. C’est là qu’il donnait libre cours à sa piété et aussi aux élans de son cœur.
Chaque jour, il priait à des intentions particulières, consignées dans une espèce de petit calendrier qu’il s’était dressé pour remplir tous ses devoirs de reconnaissance. On y voit apparaître tour à tour ses anni¬versaires de baptême, de première communion, d’ordination ; l’anni¬versaire de la fête et de la mort de sa mère, de quelques amis ou bienfaiteurs, sans oublier le bon M. Duhaut à qui il devait sa vocation. Les missions, le séminaire et les confrères n’étaient à aucun jour oubliés.
Depuis quelques années, la robuste constitution de M. Pernot s’affaiblissait, et tout travail un peu pénible lui était devenu impossible. Extérieurement, il restait ce beau vieillard à la taille élancée et droite, aux yeux vifs et pleins d’énergie, à la parole incisive et sans réplique mais toujours bonne et charitable, au geste nerveux et prompt. La Providence semblait lui avoir épargné, au moins en apparence, les infirmités du grand âge. Cependant, à partir de 1901, il déclina rapidement, et bientôt, pour son entourage, il n’y eut plus de doute possible : M. Pernot était frappé à mort. Mais lui, il espérait toujours et résistait à la maladie avec une énergie extraordinaire. Il arriva quand même un moment où il dut s’avouer vaincu et garder le lit. Il endurait des douleurs très vives, qu’il supportait avec un courage inaltérable, et au sujet desquelles il plaisantait volontiers. L’heure vint néanmoins où le danger de mort parut plus menaçant, et M. Pernot semblait encore ne pas s’en douter. Un confrère se chargea de la triste mission de l’avertir, et comme ce confrère laissait paraître un peu d’émotion, le malade lui fit cette réponse qui le peint au vif : « Oh ! mon pauvre ami, pourquoi vous faire de la peine pour si peu de chose ; après tout on ne fait pas deux vies. » Puis, se recueillant un moment, il ajouta : « Dites-moi ce qu’il faut faire, et je le ferai de grand cœur. »
Il reçut les derniers sacrements avec un esprit de foi admirable et un calme parfait. A partir de ce moment il ne pensa plus qu’à son éternité. Parfois, on l’entendait s’écrier dans sa souffrance : « Mon Dieu, je vous offre mes douleurs ; épargnez-moi le purgatoire » ou encore : « Oh ! quand se lèvera pour moi cette lumière qui ne connaît point de couchant ? Quand apparaîtrai-je devant vous, ô mon Dieu !
Il parlait tranquillement de la mort : elle ne lui faisait pas peur ; il avait tant souffert pour le bon Dieu !
Il rendit doucement sa belle âme à Dieu le 27 février 1904. Avec lui, disparaissait le dernier missionnaire témoin des grandes persécutions de la Cochinchine et du Tonkin, le compagnon et l’ami de plusieurs de ces martyrs qui sont l’honneur de notre Société, et dont l’Église a consacré le glorieux sacrifice, en accordant aux uns le titre de Véné¬rables serviteurs de Dieu et aux autres l’auréole des Bienheureux.
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References
[0632] PERNOT Jean-Claude (1823-1904)
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1871, p. 11 ; 1877, p. 47 ; 1880, p. 94 ; 1883, p. 112 ; 1886, pp. 146, 162 ; 1889, p. 240 ; 1897, p. 274 ; 1898, p. 264. - A. P. F., lxxvi, 1904, p. 318. - A. S.-E., lv, 1904, p. 214. - M. C., xix, 1887, pp. 121, 313 ; xxix, 1894, p. 496 ; xxxvi, 1904, p. 144.
B. O. P., 1897, Ses noces d'or, p. 777. - A. M.-E., 1904, pp. 155 et suiv. - Sem. rel. Besançon, 1897, p. 647. - Sem. rel. Lyon, 1887, 1re part., pp. 575, 752. - Sem. rel. Nantes, 1885, p. 1012 ; 1887, p. 303. - Sem. rel. Verdun, 1886-87, p. 327.
Hist. gén. Soc. M.-E., Tab. alph. - La Coch. rel., ii, pp. 285, 340 et suiv., 354, 359.
Notice nécrologique. - C.-R., 1904, p. 309.
Biographie. - Jean-Claude Pernot, directeur du Séminaire des Missions-Etrangères de Paris (1823-1904) [Par M. Grosjean, même Notice que Notice nécrologique]. - Imprimerie Téqui, 92, rue de Vaugirard, Paris [1904], in-8, pp. 15.
Portrait. - M. C., xxix, 1897, p. 498. - B. O. P., 1897, p. 776.