Paul PUGINIER1835 - 1892
- Status : Vicaire apostolique
- Identifier : 0720
- Bibliography : Consult the catalog
Identity
Birth
Death
Episcopal consecration
Missions
- Country :
- Vietnam
- Mission area :
- 1859 - 1892 (Hanoi)
Biography
[720]. PUGINIER, Paul-François, naquit le 4 juillet 1835 à Saïx (Tarn). Il sortait du petit séminaire de Castres, où il avait fait toutes ses études classiques, quand il entra laïque au Séminaire des M.-E. le 1er juillet 1854. Prêtre le 29 mai 1858, avec dispense d'âge, il partit le 29 août suivant pour le Tonkin occidental. A cause de la persécution, il ne put y pénétrer immédiatement, et resta à Saïgon où il fonda une école de français, qui fournit un certain nombre d'interprètes à l'administration de notre nouvelle colonie. Il s'occupa également de plusieurs chrétientés des environs de Saïgon, particulièrement de Thi-nghe et de Go-vap, et y baptisa des païens qui devinrent plus tard de fervents chrétiens et de solides soutiens de l'influence française.
En 1862, après maintes péripéties, il arriva au Tonkin occidental, d'où son évêque, Jeantet, l'envoya dans le district de Ke-loi. Il y gagna vite les sympathies. Ayant été arrêté par un chef de canton qui voulait le rançonner, ses chrétiens se réunirent aussitôt et le délivrèrent. Nommé directeur de l'œuvre de la Sainte-Enfance, il s'empressa de créer un orphelinat à Ke-loi. En même temps, il faisait réimprimer en annamite les livres détruits pendant la persécution, et graver des planches pour en publier d'autres. Le 4 novembre 1865, il devint provicaire, et fut chargé de la visite des paroisses dans les provinces de Son-tay et de Hung-hoa.
En décembre 1867, Mgr Theurel le choisit pour coadjuteur. Il l'emmena visiter les provinces de Ninh-binh et de Thanh-hoa qui, dans la pensée de l'évêque, devaient bientôt former un vicariat apostolique pour le nouvel élu, ce qui n'eut lieu que 34 ans plus tard. Sacré évêque de Mauricastre à Hoang-nguyen, le 26 janvier 1868, Puginier s'installa à Phuc-nhac et y organisa un petit séminaire. A la fin de cette même année, le 3 novembre, Theurel ayant succombé à la maladie, il prit sa succession et alla se fixer à Ke-so. La mission comptait alors 140 000 chrétiens partagés en 46 paroisses et 800 chrétientés.
Les premiers actes de son épiscopat furent les suivants : donner une retraite aux prêtres tonkinois ; régler, dans un mandement du 18 février 1869, plusieurs points d'administration ; faire instruire canoniquement la cause des nombreux martyrs du Tonkin ; visiter les districts ; réclamer près des mandarins la liberté religieuse promise par le traité conclu avec la France.
L'année 1872 vit commencer son rôle politique et patriotique qui devait être si important. Ce fut d'abord la part qu'il prit dans les démêlés du négociant français Dupuis, désireux de remonter le Fleuve rouge pour commencer avec le Yun-nan, et à qui le gouvernement annamite refusait le passage. Vint ensuite l'expédition de F. Garnier à qui l'évêque donna les renseignements les plus sûrs. Après la mort du chef de l'expédition, il soutint ses lieutenants, et prit part aux négociations qui aboutirent au traité honorable qu'Esmez fit accepter par les mandarins annamites. Enfin, il rendit de si grands services à la cause française, que l'on a pu dire avec raison qu'il fut, pendant le temps écoulé entre la mort de Garnier et l'arrivée de Philastre, le chef et le soutien des Français. Il importe cependant de remarquer qu'en servant les intérêts de la France, il n'oubliait pas ceux de l'Annam ; il mit dès lors en pratique cette parole qu'il a souvent répétée et qui fut la règle de sa conduite : Nous, missionnaires, nous travaillons pour Dieu, pour notre pays, et pour le pays auquel nous nous sommes dévoués. "
Lorsque le gouvernement français abandonna l'œuvre de Garnier, les chrétiens, qui s'étaient montrés les partisans de ce dernier, subirent le contre-coup de cette conduite impolitique. Des milliers de fidèles furent massacrés et de nombreuses paroisses pillées, soit dans le Tonkin occidental, soit dans les missions voisines. L'évêque partit pour Saïgon, afin d'exposer ces désastres au gouverneur, l'amiral Duperré. Il n'obtint pas les secours désirés ; mais il donna des conseils fort sages, dont plusieurs furent suivis, pour la rédaction du traité de 1874.
Cependant la tempête se calma peu à peu, et alors s'ouvrit pour la mission une ère de conversions inconnue jusque-là : 2 385 baptêmes d'adultes en 1877 ; 3 720 en 1878 ; 5 388 en 1879 furent enregistrés. De 1877 à 1882, l'église de Ke-so fut construite (Eglise, grav., Vie de Mgr Puginier, p. 282). En 1878 commença l'évangélisation du Laos, que l'évêque confia à des missionnaires d'élite : Fiot, Pinabel, Perreaux, Gélot, Thoral, etc.
L'expédition Rivière et la conquête du Tonkin par la France ramenèrent les troubles. De terribles épreuves frappèrent de nouveau le vicariat : sept missionnaires et des centaines de chrétiens furent massacrés au Chau-Laos ; de nombreuses stations catholiques dans le Tonkin furent pillées et en partie détruites. Heureusement, les années qui suivirent réparèrent ces désastres. Voici le résumé statistique des conversions : 3 269 en 1887 ; 4 602 en 1888 ; 6 797 en 1889 ; 6 026 en 1890 ; soit un total de 20 694 en quatre ans.
En même temps, l'évêque avait ouvert à Hanoï, le 8 décembre 1884, la première école de français, et construit, dans cette ville, une vaste église (Eglise, grav., Vie de Mgr Puginier, p. 378).
Le clergé indigène, toujours nombreux au Tonkin occidental, augmenta notablement. Pendant la durée de son gouvernement, Puginier ordonna plus de 120 prêtres tonkinois.
Dès les premières années de son épiscopat, il avait voué sa personne et son vicariat à la sainte Vierge, et un peu plus tard il les consacra au Sacré-Cœur et à saint Joseph ; il renouvelait publiquement chaque année ces consécrations. Il institua les mois de Marie, du Rosaire, du Sacré-Cœur et de saint Joseph dans sa mission. Il publia un certain nombre de mandements d'importance pratique. Son esprit de foi très grand était bien caractérisé par la devise qu'il avait choisie : Scio cui credidi.
Son rôle politique ne le céda pas en importance à son influence religieuse. Nous avons dit l'appui qu'il avait apporté à l'expédition F. Garnier. Il avait donné au commandant Rivière des avis de prudence ; il l'avait averti de la trahison qui se tramait ; il continua sans se lasser, sans craindre de paraître quelquefois importun. Il rédigea de 1884 à 1892 toute une série de Notes et d'Observations sur la situation, les fautes à éviter, les abus à prévenir, les moyens les meilleurs à employer pour pacifier promptement le pays et nous rallier sincèrement les populations. Les 17 juillet, 30 juillet et 25 août 1885, il écrivit au général de Courcy pour l'avertir de la perfidie du second régent Tuong. Parmi les autres Lettres ou Notes les plus importantes, citons : Mémoire justificatif, du 20 août 1886 ; Lettre au Résident général, 30 avril 1886 ; Notes sur le mouvement insurrectionnel, septembre 1886 ; Notes sur la question du Laos, 1888 ; Notes et renseignements, septembre 1889. Ces Notes, destinées à des députés et à quelques amis sûrs, forment avec la correspondance administrative de Puginier un cahier in-4 d'environ 800 pages, et renferment des pièces très intéressantes.
Tous les gouverneurs qui se succédèrent au Tonkin, même les anticléricaux, apprécièrent sa sagesse, sa clairvoyance, son patriotique dévouement ; son action religieuse et ses vertus ne furent pas moins admirées des missionnaires et des chrétiens.
En 1889, l'évêque envoya à Paris, pour l'Exposition, des collections de bois du Tonkin qui obtinrent une récompense ; il avait accompagné cet envoi d'un mémoire sur les essences forestières qui fait autorité.
Il fut nommé chevalier de la Légion d'honneur par décret du 6 mai 1884 ; et le 12 juillet 1887, élevé au grade d'officier. Le 17 janvier 1886, il devint officier d'Académie pour sa participation à l'exposition coloniale d'Anvers ; et le 14 juillet de la même année, commandeur de l'ordre impérial du Dragon d'Annam.
Il mourut à Hanoï le 25 avril 1892, et fut inhumé dans l'église de Ke-so.
" Son nom, comme l'a dit avec raison le résident supérieur, Chavassieux, restera éternellement uni aux plus illustres noms dont le Tonkin s'honore et dont il vénère la mémoire. "
Obituary
MGR PAUL-FRANÇOIS PUGINIER
ÉVÊQUE TITULAIRE DE MAURICASTRE
VICAIRE APOSTOLIQUE DU TONKIN OCCIDENTAL
Né le 5 juillet 1835.
Parti le 29août 1858.
Mort le 25 avril 1892.
Le 25 avril dernier, s’éteignait à Hanoi, après trente-quatre ans d’un apostolat plein d’œuvres et de mérites, Sa Grandeur Mgr Pugi¬nier, vicaire apostolique du Tonkin Occidental. Les larmes de ses missionnaires et de ses chrétiens, les regrets de nos compatriotes, et « l’on peut ajouter » du Tonkin tout entier, disent assez haut quelle place occupait le vénéré défunt et quel vide il a laissé en mourant.
Mgr Paul-François Puginier était né à Saix, près de Castres, dans le diocèse d’Albi, le 5 juillet 1835. Il ne connut pas sa mère qui mourut lorsqu’il était encore tout jeune ; mais il avait conservé de son père, vétéran des guerres d’Espagne, un profond souvenir, et il en parlait toujours avec une filiale émotion. Il aimait surtout à rappeler l’affection qu’avait ce vieux soldat pour ses enfants, à qui il ne man¬quait jamais, dans ses voyages, de rapporter un jouet nouveau ou quelques friandises.
Une bonne tante, qui resta célibataire, remplaça la mère auprès des orphelins et les éleva avec un soin et un dévouement vraiment maternels. De son côté, Paul lui avait voué une affection filiale. Malgré son caractère ardent, il lui obéissait en tout et gravait dans sa jeune âme les recommandations pleines de sagesse et de piété qu’il en recevait. Même dans ses dernières années, le nom de cette tante vénérée revenait souvent sur les lèvres de Mgr Puginier, et alors, il y avait dans sa voix une expression de tendresse qui. nous frappait.
Il se plaisait aussi à raconter qu’étant tout jeune, on l’exerçait à vaincre la frayeur naturelle aux enfants. Un fait qui lui arriva, vers l’âge de cinq à six ans, montre quelle était l’efficacité de ces leçons et en même temps l’énergie de son caractère.
Un soir, on l’envoie à la cave chercher le vin pour le souper de la famille. En ouvrant la porte, il aperçoit un point lumineux qui vacil¬lait dans l’ombre. Se figurant voir un fantôme, son premier mouve¬ment est de fuir ; mais se rappelant les recommandations paternelles, il se raidit contre la frayeur qui fait trembler ses membres et se pré¬cipite bravement sur le prétendu fantôme qu’il saisit en criant : « Je te tiens, je te tiens. » C’était un rayon de lune que notre héros serrait si vigoureusement dans ses mains.
Vers l’âge de dix à douze ans, il fut placé au petit séminaire de Castres où il fit toutes ses études. Il y a laissé le souvenir d’un élève intelligent et pieux, quoiqu’un peu bruyant. Toutefois les espiègleries de sa vie d’écolier ne furent jamais graves et ne durèrent pas long-temps. Voici à quelle occasion elles cessèrent pour ne plus revenir.
C’était la veille de la fête patronale de Saix, de la fête votive, comme on dit dans le Midi. Paul brûlait d’envie d’y assister ; il alla deman¬der un jour de congé au supérieur du collège. La demande fut rejetée. Sa résolution est vite prise ; il saute par-dessus le mur, se rend tout droit chez lui et y passe trois jours.
A son retour, il se présente chez M. le Supérieur qui lui demande d’où il vient.
« De Saix. — Et qui vous a permis d’y aller ? — M. le Supérieur je vous ai demandé la permission. — Ah ! oui, la permission que je vous ai refusée ; et vous avez cru que cela suffisait ! — Silence du cou¬pable, qui commence à ne plus plaisanter. — Eh bien ! vous connais¬sez le règlement, puisque vous avez passé trois jours à Saix, vous pouvez y retourner : ces Messieurs ont décidé de vous mettre à la porte. »
Sans répliquer un mot le petit Paul va faire sa malle, puis revient faire ses adieux au supérieur.
Celui-ci qui au fond regrettait vivement de voir compromis peut-être pour toujours l’avenir de cette riche nature, se radoucit un peu et lui dit : « Vous partez, mais où irez-vous ? — Chez mes parents. —Bien, mais après ? — Après, je n’en sais rien. — Mauvaise tête..., et si vous me promettiez de vous corriger ?— Oh ! dit l’enfant attendri, si vous consentez à me garder, je vous le promets. » Ce fut entendu, et il tint parole.
Tous ceux qui ont connu Mgr Puginier retrouveront dans cette phrase de l’enfant la parole vibrante et le ton décisif de l’évêque, qui ne laissaient plus à ses auditeurs le moindre doute quand il avait affirmé quelque chose.
A la fin de ses humanités, Paul passa immédiatement du petit séminaire de Castres au Séminaire des Missions-Étrangères de Paris. Il y remplit les fonctions de réglementaire et se fit remarquer par une piété solide, devenue proverbiale parmi ses confrères. Le P. Chicard, son compagnon de route, n’a-t-il pas rappelé dans ses notes de voyage que « le P. Puginier est un homme de Dieu qui connaît et gagne toutes les indulgences ».
Après quatre années de solides études théologiques, le P. Puginier obtint une dispense d’âge de 18 mois et fut ordonné prêtre, la veille de la Trinité de l’année 1858. Peu de jours après, il reçut sa destination pour le Tonkin Occidental. Il dut tressaillir de joie à cette nouvelle. C’était l’époque de la grande persécution de Tu-Duc, et les missions d’Annam commençaient à envoyer au Ciel de nombreux martyrs. Quel magnifique champ de bataille pour son cœur si ardent !
Le jeune missionnaire, parti de Paris le 29 août 1858, s’embarqua à Bordeaux le 2 septembre, sur le « Singapore », avec 12 autres con¬frères.
Le P. Puginier n’était pas né marin ; un affreux mal de mer, qui ne dura pas moins de 60 jours, le lui prouva dès la sortie du port : mais il supporta vaillamment cette épreuve sans rien perdre de sa piété ni de sa bonne humeur. Cette antipathie pour la mer le suivit toujours, et quand plus tard, en 1874, il dut se rendre à Saïgon pour les intérêts de sa Mission, ce fut un jeûne de près d’une semaine qu’il lui fallut subir à l’aller aussi bien qu’au retour.
Après cinq mois de navigation, les missionnaires touchèrent enfin à Singapore. Quelques jours après, ils se rembarquèrent sur un autre voilier qui, chose étonnante, vu la distance relativement peu consi¬dérable à parcourir, mit près de trois mois pour les mener à Hong--kong. C’était vers le milieu de l’année 1859. Les troupes françaises guerroyaient contre Tu-Duc, et la persécution religieuse sévissait avec une violence extrême dans tout l’empire d’Annam. Les relations entre la procure de Hong-kong et la Mission du Tonkin et de la Cochinchine étaient presque interrompues ; aucune jonque chinoise n’eût osé se charger de transporter les missionnaires et force leur fut d’at¬tendre, à la procure, des jours meilleurs.
Ce temps ne fut pas perdu pour eux ; il y avait alors, à Hong-kong, bon nombre d’Annamites fuyant la persécution, ce qui leur permit de commencer à étudier la langue du pays qu’ils étaient appelés à évangéliser. D’ailleurs l’un d’eux, le P. Desvaux, sachant l’anglais, fut bientôt demandé comme aumônier d’un régiment irlandais, qui allait prendre part à l’expédition de Chine. Le P. Puginier reçut également des ouvertures dans ce sens, non pour être aumônier, mais pour changer de destination et s’agréger à une Mission de la Chine, mais il préféra profiter d’une occasion qui se présenta, en 1860, pour se rendre à Saïgon, espérant y trouver le moyen de passer ensuite au Tonkin.
Le P. Puginier, de taille moyenne, vif, alerte et dévoré de l’amour du travail, trouva en Cochinchine un vaste champ ouvert à son zèle. En dehors des labeurs du ministère paroissial, il fonda à Saïgon une école de français qui devint plus tard le collège d’Adran et travailla aussi avec succès à la conversion des infidèles. Sa plus belle con¬quête fut sans contredit le nommé Phu-ca ou M. Phu, alors chef de canton, qui se montra toujours aussi fidèle à Dieu qu’au gouverne¬ment français, ce qui lui valut plus tard d’être massacré par les païens.
Tant de travaux et de succès ne faisaient point oublier au jeune apôtre la Mission à laquelle il était destiné. Aussitôt après la signa¬ture du traité de paix entre la France et l’Annarn, traité qui stipulait expressément la liberté de conscience, il fréta une jonque annamite et s’embarqua pour le Tonkin, vers le milieu de l’année 1862. La traversée fut heureuse, et au bout de quelques semaines il aborda à Phuong-phap, tout près de la ville actuelle de Haï-phong, sur le littoral du Tonkin oriental.
Il y rencontra Mgr Alcazar, vicaire apostolique de cette mission et un prêtre annamite, curé de la paroisse. L’horizon politique était alors chargé de gros nuages. Le prétendant Minh-Phung, après avoir conquis sept provinces, voyait, il est vrai, pâlir son étoile ; mais malgré ses revers, il tenait encore les mandarins en échec, et ceux-ci recherchaient activement les partisans qui lui restaient dans la contrée. Il ne fallait donc pas songer à suivre la voie de terre pour pénétrer plus avant dans le pays, et comme le village de Phuong-phap n’of¬frait pas toute la sécurité désirable, le P. Puginier après y avoir séjourné quatre mois, résolut de gagner sa mission par mer. Il s’em¬barqua donc en compagnie d’un Père Dominicain espagnol et d’un prêtre indigène. Un autre prêtre annamite fut aussi invité à les suivre ; mais ne croyant pas à la proximité du danger, il préféra rester chez lui. Dès le lendemain, les mandarins venaient s’emparer de son vil¬lage et lui coupaient la tête.
Les missionnaires n’avaient échappé à ce péril que pour tomber dans un autre. Une petite tempête se déclara et leur embarcation secouée par les flots perdit son gouvernail. Obligés de relâcher dans une anse pour y réparer leurs avaries, ils virent bientôt fondre sur eux deux jonques de pirates. Quand les brigands envahirent le bord, ils commencèrent par garrotter le Père annamite. A ce bruit les missionnaires, qui venaient de s’endormir, sont réveillés en sursaut : le P. Puginier songe aussitôt au viatique de se mission dont il est porteur. Prestement il fait disparaître ses piastres dans une jarre pleine d’eau, n’en gardant sur lui qu’une vingtaine, puis il se présente aux assaillants, et d’un ton courroucé : — « Qu’est-ce que cela, dit-il, pourquoi ces violences inutiles ? Si vous avez l’intention de nous piller, nous ne sommes pas en état de vous résister, mais garrotter les gens paisibles qui ne font de mal à personne, ce n’est pas une manière de traiter.» Déconcertés par cette soudaine apparition de figures européennes, les brigands leur font de grandes révérences avec force « lay cu, lay cu, » salut, Père, salut, Père ! C’est alors que les voyant radoucis, il entre en pourparlers, raisonne, leur demande des instruments, couteau ou sabre pour refaire un gouvernail à sa barque. Les brigands ne donnèrent ni sabre ni couteau ; mais le bon Dieu qui veillait sur les siens, permit qu’ils se contentassent des 20 piastres et du turban du missionnaire.
Le P. Puginier atteignit enfin la chrétienté de Binh-sa dans la pro vince de Ninh-binh. Il y trouva le P. Dung, curé annamite de la paroisse de Phat-diem qui, quelques mois plus tard, mourut de faim dans les prisons du chef-lieu de la province et couronna ainsi sa vie par le martyre. De Binh-sa, le missionnaire se rendit clandestinement à Ke-so, afin d’y rencontrer le vénérable Mgr Jeantet, vicaire aposto¬lique du Tonkin occidental.
Ke-so était bien loin d’être alors ce qu’il est devenu depuis : sa belle avenue, sa magnifique cathédrale, sa vaste communauté n’exis¬taient pas encore ; les chrétiens rentraient à peine de l’exil : aucun missionnaire n’osait se montrer pendant le jour ; c’était encore l’ère des catacombes. Le P. Puginier trouva le vieil évêque caché dans la maison d’un sergent chrétien ; à côté dans l’étable à buffles, était installé le grand séminaire.
Son séjour à Ke-so ne fut pas de longue durée, Mgr Jeantet lui ayant assigné le district de Ke-loi, il s’empressa d’aller prendre pos¬session de son poste. Ke-loi est habité par une population laborieuse, brave, ardente, souvent téméraire et parfois un peu rétive ; mais la foi vive, l’intrépidité, l’activité du nouveau pasteur, lui eurent bientôt gagné tous les cœurs.
Un jour que le missionnaire se rendait de Ke-loi à Ke-tru, il fut arrêté par un chef de canton qui le retint prisonnier, espérant sans doute tirer de lui quelque rançon. Un notable qui l’accompagnait s’échappe, accourt à Ké-loi et conte l’affaire. Les hommes, malgré leur caractère déterminé, hésitent ; alors les femmes s’écrient que, si les hommes ont peur, elles iront elles-mêmes délivrer leur Père. Toute discussion cesse et l’expédition est fixée à la nuit suivante. L’heure venue, les jeunes gens s’arment de longs bâtons, partent à travers champs et rizières, arrivent au village où l’on gardait le prisonnier, forcent la barrière d’entrée, enchaînent les gardes de nuit en les menaçant de mort s’ils essaient de donner l’alarme, et pendant qu’une escouade reste là pour protéger la retraite, le gros de la troupe se précipite comme un ouragan chez le chef de canton. Le Père Puginier venait de se coucher ; entendant le tumulte, il devine tout, se lève, prend son bréviaire et se tient prêt. Les assaillants parcourent la maison en criant : « Père, où êtes-vous ? » — « Je suis là, répond le prisonnier, ne faites de mal à personne. » Aussitôt ses libérateurs le chargent sur leurs épaules et l’emportent triomphale¬ment jusqu’à Ke-loi. Toute la population attendait à l’entrée du vil¬lage. Lorsqu’on vit le Père délivré, ce furent des battements de mains, des cris de joie impossibles à décrire.
Pendant son séjour à Ke-loi, le missionnaire s’occupa de la réim¬pression des livres en caractères annamites. La persécution avait détruit presque tous les livres de religion, les planches qui servaient à l’impression avaient même en grande partie disparu. Le P. Puginier en fit graver de nouvelles et édita de nombreux ouvrages qui ont produit le plus grand bien dans la mission.
Nommé par son Évêque directeur de l’Œuvre de la Sainte-Enfance, il remplit cette charge avec son zèle ordinaire et fonda à Ké-loi un orphelinat ; plus tard il transféra cet établissement à Dong-chiem, où il ouvrit aussi une ferme modèle, mais il dut tout abandonner dans la suite à cause de l’insalubrité de ce village trop voisin des montagnes.
Vers la même époque, le 4 novembre 1865, il fut nommé Provicaire de la Mission. Ce titre ne devait pas être pour lui une simple dis¬tinction honorifique. Mgr Jeantet était trop âgé pour pouvoir entre¬prendre des visites pastorales. Mgr Theurel, son coadjuteur, atteint de la dysenterie, avait dû aller chercher sa guérison d’abord à Hong-¬kong, puis en France ; le premier Provicaire, le Père Mathevon, était obligé de s’occuper en même temps de la procure et de la direction du grand séminaire. Ce fut donc le Père Puginier que le vieil évêque envoya avec le Père Lesserteur faire une tournée apostolique sur le haut fleuve Rouge dans les provinces de Son-tay et de Hung-hoa.
Apprenant que Mgr Jeantet était gravement malade à Hoang-nguyen le jeune provicaire s’empressa de regagner la province de Hanoi et assista le vénérable évêque jusqu’à sa mort, qui arriva le 24 juillet 1866.
A son retour au Tonkin, Mgr Theurel fit du P. Puginier son coad¬juteur. Ils allèrent d’abord ensemble visiter les paroisses de Ninh-binh et du Thanh-hoa, et choisirent la grosse chrétienté de Phuc-nhac pour y établir la résidence du futur évêque avec un second petit séminaire.
Mgr Puginier fut sacré évêque de Mauricastre, le 26 janvier 1868, dans la chapelle du collège de Hoang-nguyen. Le 2 février, fête de la Purification, il chanta sa première messe pontificale, après quoi il retourna à Phuc-nhac, afin d’achever l’installation du petit séminaire.
Mgr Theurel étant mort le 3 novembre de la même année, il lui succéda et vint se fixer à la communauté de Ké-so, qui resta pendant longtemps sa résidence habituelle.
Bien que rien ne fît encore prévoir l’avenir, cependant on voit se dessiner ce qui paraît avoir été la mission providentielle du nouveau vicaire apostolique ; la lutte contre les ennemis de la religion chré¬tienne. En 1867, le parti des Lettrés avait déjà promené l’incendie dans plusieurs chrétientés de la province de Narn-dinh. Ce parti, resté puissant jusqu’à la mort de Mgr Puginier, n’a point encore désarmé. C’est à Iui que l’on doit et les massacres de chrétiens qui ont ensanglanté tout le royaume d’Annam et la persécution sourde des Mandarins. Sans colère, mais aussi sans trêve ni relâche, Mgr Pu¬ginier n’a jamais cessé de dénoncer les agissements de cette faction aussi hostile à l’influence du nom français qu’à la propagation de l’Évangile. Quoique ses efforts n’aient pas toujours été couronnés de succès, on ne saurait cependant méconnaître les éminents services rendus par ses conseils et ses écrits à la cause de la Religion et de la Patrie.
D’une foi ardente, d’une confiance sans borne dans la divine Pro¬vidence, d’une persévérance invincible, Mgr Puginier a combattu jusqu’au dernier jour, et s’il est mort épuisé avant l’âge, c’est la lutte qui l’a tué.
Les rebelles chinois se joignaient aux lettrés pour jeter le désordre dans la Mission du Tonkin occidental. Ces rebelles, connus en Chine sous le nom de Thai-ping, avaient mis en danger la couronne même du fils du Ciel. Après avoir été battus et dispersés par les troupes impériales, une partie d’entre eux vint chercher un refuge dans le nord-ouest du Tonkin. Ils étaient divisés en plusieurs légions ou Pavillons, dont les plus célèbres furent bientôt les Pavillons noirs.
Ces brigands sont devenus comme les mauvais génies du Tonkin. Non contents de piller et d’incendier, ils massacraient tout sur leur passage ou bien encore ils emmenaient en esclavage des populations entières qu’ils vendaient pour quelques taëls à leurs compatriotes du Yun-nan et du Kouang-si. On les retrouve à toutes les pages néfastes de notre histoire du Tonkin. Ils tuent Francis Garnier, massacrent le commandant Henri Rivière et combattent nos troupes à Son-tay, Hung-hoa, Tuyen-quang. Maintenant encore, bien que leur principal chef Leou Vinh Phuc ait repassé la frontière, ils restent toujours au Tonkin, disséminés dans toutes ces bandes chinoises qui ne cessent de ravager le pays sans que nos colonnes parviennent à les écraser.
Contre ces ennemis, Mgr Puginier ne pouvait employer aucun moyen humain, Il priait et faisait prier, et quand les chrétiens ruinés venaient se réfugier auprès de lui, il puisait généreusement dans sa bourse afin de les secourir.
Les années qui s’écoulèrent de 1868 à 1873 furent cependant pour le Tonkin occidental une ère de tranquillité relative. Mgr Puginier en profita pour reconstruire et agrandir la communauté de Ké-so. Il y transporta la classe des catéchistes non latinistes, auparavant établie à Hoang-nguyen, et y fonda une lithographie et une imprimerie en caractères latins qui ont déjà publié un grand nombre d’excellents ouvrages.
Il fit également de nombreuses tournées pastorales, toujours fécondes en fruits de salut. Il fallait avoir sa robuste santé pour résister à toutes les fatigues qu’il s’imposait dans ces occasions. Aussitôt après le déjeuner commençaient d’interminables séances au parloir, qui duraient parfois sept ou huit heures. Il y recevait les visi¬teurs, disant un mot aimable à chacun, s’intéressant à leurs affaires, leur donnant de bons conseils, rappelant le souvenir des absents et des morts, dont sa prodigieuse mémoire retenait fidèlement les noms, distribuant des chapelets, des médailles, des scapulaires, et parfois aussi des médicaments, ne laissant jamais paraître ni fatigue, ni ennui et renvoyant chacun, content, consolé, fortifié et béni. Il prêchait souvent, soit le matin, soit le soir, et sa voix vibrante, servie par un excellent organe, se faisait entendre très distinctement à une grande distance. Dans la soirée, il allait parfois faire une petite promenade, au cours de laquelle il lui est arrivé de donner son anneau à baiser à plus d’un millier de personnes. Il se mettait ensuite au confessionnal et y restait jusqu’à une heure avancée de la nuit. Il faisait enfin ses prières ne manquant jamais, suivant la coutume établie au Tonkin pendant la persécution, d’ajouter au chapelet ordinaire celui de Notre-Dame des Sept-Douleurs, puis il allait prendre un court repos, prêt à recommencer le lendemain. C’était principalement dans ses visites pastorales qu’il terminait les diffé¬rends entre les villages, les familles ou les individus et qu’il résolvait une foule de cas difficiles avec une grande science théologique et une rare sûreté de jugement.
La trêve dont jouissaient alors les missions du Tonkin, était trou¬blée par beaucoup de petites tracasseries locales : on s’en conten¬tait pourtant, faute de mieux ; mais elle ne fut pas de longue durée. Vers la fin de l’année 1872, M. Dupuis arrivait au Tonkin, cherchant une route qui lui permît de porter rapidement au Yun-nan un char¬gement d’armes destinées aux Mandarins de cette province. L’admi¬nistration annamite toujours ombrageuse s’effraya de voir pour la première fois des vapeurs européens stationner à Hanoi. Mgr Pugi¬nier fut demandé comme intermédiaire et sut arranger toutes choses au contentement des deux parties.
Un an plus tard, en novembre 1873, M. Francis Garnier venait à son tour mouiller devant Hanoi, et réclamer l’ouverture du fleuve Rouge au commerce. Les difficultés surgissent plus nombreuses encore et les Mandarins aussi bien que M. Garnier prièrent Mgr Puginier de se rendre à Hanoi. Ceux qui ont connu Mgr Puginier, peuvent lui rendre le témoignage qu’il montra dans toutes les négociations une prudence consommée et une rare habileté à ménager les intérêts de la France et ceux de l’Annam.
Les efforts de l’évêque pour obtenir une solution pacifique ayant échoué devant l’obstination du maréchal Nguyen-tri-phuong, vice-roi du Tonkin, M. Garnier se vit dans la nécessité de s’emparer de la citadelle de Hanoi et successivement de plusieurs provinces du Delta. Presque partout les mandarins avaient fui, le pays restait livré à l’anarchie, et ce fut encore Mgr Puginier qui y porta le remède en procurant à M. Garnier le moyen de donner aux provinces conquises de nouveaux chefs capables d’y rétablir l’ordre.
Un mois après, le 21 décembre 1873, M. Garnier tombait sous les coups des Pavillons Noirs, et les Lettrés attaquaient les chrétiens désarmés, brûlaient les villages et massacraient les fidèles. Les mau¬vaises nouvelles pleuvaient sur le pauvre évêque, qui demandait inutilement du secours à M. Philastre. Le cœur navré, mais sans jamais laisser paraître le moindre découragement, Mgr Puginier multipliait les démarches, envoyait des aumônes aux chrétiens, et relevait de son mieux les ruines qu’amoncelaient les ennemis de la Religion. Cette fermeté et ce sang-froid, dans les circonstances en apparence les plus désespérées, ont été toute sa vie l’un des traits saillants de son caractère.
A bout de ressources, Mgr Puginier se décida, en mai 1874, à se rendre à Saïgon pour exposer la situation au gouverneur de la colonie. L’amiral avait sans doute reçu l’ordre de ne rien faire pour le Tonkin, il ne fit rien. Mgr Puginier regagna sa mission et com¬mença seul l’œuvre de réorganisation dans laquelle on refusait de l’aider.
De 1875 à 1882, le vicariat du Tonkin occidental jouit de nouveau d’une certaine tranquillité. Ce fut pendant cette période que commença ce mouvement si remarquable et si consolant de conversions, qui n a fait que grandir jusqu’à ce jour. Mgr Puginier le seconda de tous ses efforts, n’épargnant ni argent, ni peines. Non seulement il allait sou¬vent baptiser et confirmer de sa propre main les néophytes, mais encore (et ce fut pour lui un énorme surcroît de travail) il prenait leur défense et les protégeait contre les menées des mandarins et des païens, qui voyaient de mauvais oeil l’extension de l’influence chré¬tienne.
En 1878, une occasion favorable s’étant présentée de pénétrer dans le Laos tonkinois, Mgr Puginier y envoya le père Fiot, accompagné d’un prêtre indigène et de quelques catéchistes. Comme ces monta¬gnards prêtaient une oreille docile aux enseignements des prédica¬teurs de la Foi, d’autres missionnaires et de nombreux catéchistes ne tardèrent pas à suivre les premiers et réussirent à convertir plusieurs milliers de personnes. Les épreuves ne manquèrent pourtant pas à la chrétienté naissante, mais cette portion de la vigne du Seigneur por¬tait de si beaux fruits que Mgr Puginier, loin de se laisser abattre, continua à remplacer ceux qui tombaient jusqu’à ce qu’enfin, au com¬mencement de 1884, presque tous les missionnaires et les catéchistes ayant succombé sous les coups des persécuteurs, il se vit obligé de renoncer pour un temps à cette belle mission. Une nouvelle tentative faite quelques années plus tard resta infructueuse, à cause des fièvres et des pirates. L’évêque désolé dut se résoudre à attendre des temps meilleurs.
Ce fut aussi à cette époque (1877-1882) qu’il construisit la cathé¬drale de Ke-so, le monument le plus remarquable du Tonkin. Il avait déjà bâti à Hanoi une résidence épiscopale, et il y ajouta bientôt (1884-1886) une vaste et belle église.
En 1882, à la suite de différends survenus entre les mandarins an¬namites et le commandant Henri Rivière, celui-ci s’empara de nouveau de la citadelle de Hanoi. En 1883, il bombarda et prit celle de Nam-dinh. Ces succès excitèrent la rage des mandarins et des lettrés qui soulevèrent des bandes rebelles et les lancèrent contre les chrétiens. Mgr Puginier ne recula devant aucun sacrifice pour venir au secours des Fidèles ainsi éprouvés, et il réussit souvent à empêcher de grands malheurs. Néanmoins en 1884 et 1886, la pro¬vince de Thanh-hoa et la région de Chau-laos furent mises à feu et à sang et plusieurs milliers de chrétiens succombèrent dans cette per¬sécution qui n’épargnait ni âge, ni sexe.
A partir de cette époque, le genre de vie de Mgr Puginier ne changea plus guère. Il administrait sa mission, faisait presque chaque année la visite d’un ou deux districts, présidait la retraite annuelle des missionnaires, des prêtres indigènes, des catéchistes, et tâchait de venir en aide aux chrétiens, continuellement en butte à l’animo¬sité de leurs ennemis. D’ailleurs toute sa vie s’est, pour ainsi dire, passée à rendre service, et il serait impossible de compter le nombre de ses obligés, d’autant plus que, aussi modeste que dévoué, il lais¬sait souvent ignorer, même aux intéressés, les bons offices qu’il leur rendait. Il n’a jamais non plus demandé pour sa mission un avantage quelconque, sans essayer d’en faire profiter toutes.les autres missions annamites.
Malgré ses multiples occupations, Mgr Puginier était extrêmement affable avec ses visiteurs. Accessible à tous, il mettait vite son monde à l’aise par sa simplicité et sa bonne humeur : aussi chacun se retirait-il charmé de son accueil.
Mais que dire de sa bonté, de ses attentions à l’égard des mission¬naires. C’était vraiment un père pour tous. D’une discrétion et d’une prudence rares, il n’avait jamais envers aucun d’eux le moindre mou¬vement de mauvaise humeur. Aussi eut-il la joie de voir j’usqn’à sa mort régner dans sa mission la concorde la plus parfaite et c’était l’un des bienfaits dont il était le plus reconnaissant au bon Dieu. Il traitait en « Benjamins » les nouveaux venus, étudiait leur caractère et leurs aptitudes, leur donnait des conseils pratiques, puis, quand ils avaient acquis une certaine connaissance de la langue, il les envoyait avec les anciens missionnaires qui pouvaient le mieux les former au minis¬tère apostolique. S’agissait-il de leur donner un poste définitif ou d’opérer quelque changement dans le personnel de la Mission, il priait et réfléchissait longtemps, si longtemps même que cela éton¬nait parfois ; mais lorsqu’il faisait connaître sa décision, on s’accor¬dait à reconnaître qu’elle était très sage et très prudente.
Dès le commencement de son épiscopat, il avait voué sa personne et tout son vicariat à la sainte Vierge et un peu plus tard au Sacré-¬cœur et à saint Joseph ; il renouvelait publiquement chaque année cette consécration. Il institua aussi les Mois de Marie, du Sacré-Cœur, de Saint-Joseph et du Rosaire. Son dévouement au Saint-Siège était sans bornes. Dès qu’il eut appris les épreuves du Souverain Pontife, il fit célébrer pour lui un grand nombre de messes et prescrivit dans tout le vicariat des prières que l’on y récite encore entre autres le chant du Miserere au salut du Saint-Sacrement tous les dimanches, tant que le Saint-Père n’aura pas recouvré son indé¬pendance souveraine.
Le vénéré Prélat avait une nature peu expansive et sa piété était plutôt forte que tendre. Ce qui édifiait surtout en lui, c’était cet esprit de foi admirable par lequel il agissait en tout et partout, ne se préoccupant nullement des jugements des hommes. En 1883, après le malheureux combat du 19 mai, où périt le commandant Rivière, tout le pays était en feu, et l’on pouvait craindre pour les chrétiens les plus grands désastres. Mgr Puginier dut quitter Ke-so pour aller demander du secours à Nam-dinh. Au moment où la chaloupe s’éloi¬gnait du bord, ses regards se fixèrent sur l’église dont les deux tours dominaient la contrée : « C’est pour la sainte Vierge, dit-il, que je l’ai construite, c’est à elle de la garder. » Le missionnaire qui l’accompagnait se permit alors de lui dire : « Cependant Votre Grandeur regretterait certainement cette église, si les Lettrés ve¬naient à la détruire ; tout le monde la trouve si belle. » « Oh ! pour cela, répondit-il, je vous avoue que je n’ai pas eu une seule pensée de « vaine gloire en la construisant, c’est uniquement pour la sainte Vierge que j’ai travaillé. »
Il avait une dévotion presque proverbiale aux âmes du Purgatoire. Non content d’avoir prescrit, dans toutes les chrétientés, la récitation du De profundis, à l’heure du couvre-feu, pour leur soulagement, il recourait à elles dans une foule de circonstances, leur promettant, vingt, trente, cinquante et parfois même jusqu’à cent De profundis, si elles l’aidaient à se tirer d’embarras. Sa confiance était rarement déçue et il acquittait scrupuleusement sa dette aussitôt qu’il pouvait le faire. Chaque matin, il terminait son action de grâces, en récitant des prières indulgenciées qu’il appliquait à leur intention. Il avait toujours sur son prie-Dieu l’ouvrage du Père Maurel, et il l’empor¬tait avec lui dans tous ses voyages, afin de pouvoir gagner les indulgences qui y sont indiquées.
Dans le cours de son épiscopat, Mgr Puginier a sacré deux évêques, Mgr Pineau, évêque de Calama, vicaire apostolique du Tonkin méri¬dional, et Mgr Gendreau, évêque de Chrysopolis, son coadjuteur et successeur. Il a ordonné plus de 120 prêtres indigènes, il a vu dou¬bler le nombre de ses catéchistes, et, malgré de sanglants massacres, augmenter d’un tiers le nombre des chrétiens de sa Mission. Pen¬dant ce laps de temps, près de 70.000 païens ont été convertis à notre sainte Religion et un million d’enfants d’infidèles ont reçu le baptême à l’article de la mort.
En 1872, Mgr Puginier eut à souffrir de violentes coliques néphré¬tiques qui inquiétèrent un moment ses missionnaires. Ces douleurs reparurent en automne 1887 ; mais, au bout d’une quinzaine de jours, elles cessèrent complètement. A part ces deux attaques, il avait toujours joui d’une santé robuste, quoique, dans ces dernières années, il ressentit assez fréquemment de petites indispositions. Presque tous les ans, survenaient des rhumes qui paraissaient très légers au début, mais qui finissaient par s’aggraver et duraient parfois fort longtemps. Néanmoins, la santé générale était bonne et rien ne faisait présager que le vénéré prélat dût sitôt nous laisser orphelins.
Au mois de décembre 1891, il fut atteint d’un rhume opiniâtre qui pourtant n’avait rien d’alarmant. Un pénible voyage, accompli en jonque au mois de janvier, pour venir assister à la retraite des mission¬naires à Ke-so, aggrava sensiblement son état. Les confrères de Ha¬noi, voyant sa fatigue, l’avaient supplié de ne pas entreprendre ce voyage ; mais le malade, comme s’il eût prévu que cette retraite devait être la dernière pour lui, répondit à toutes les instances : « Je tiens absolument à faire cette retraite-ci, quoi qu’il puisse arriver. » La retraite terminée, il retourna à Hanoi et continua de vaquer au gouvernement de la Mission, absolument comme s’il eût été bien portant.
Dans le courant de mars 1892, le rhume qui persistait toujours, se compliqua d’une attaque d’influenza. Le malade avait perdu le som¬meil et ne pouvait pl
References
[0720] PUGINIER Paul (1835-1892)
Bibliographie
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(Circulaire sur les Martyrs). - Imprimerie de la mission, Ke-so, 1890.
Toutes les Notes suivantes, excepté Notes explicatives sur les accusations, sont autographiées, in-4 ; elles n'étaient pas destinées à la publicité.
Notes sur la question du Tong-king. - Mars 1884, pp. 7.
Renseignements sur le Nghe-an et le Thanh-hoa. Ordre du Gouverneur du Yun-nan. Lettres adressées au général Millot. - 8 août ; 18 septembre 1884, pp. 1 + 1.
Plan de résistance de la Cour de Hué. Lettre à M. le général Brière de l'Isle. - 6 novembre 1884, pp. 2.
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Tribut exigé des chrétiens ruinés. - Ha-nôi, 10 novembre 1884.
Lettres au Général Brière de l'Isle. - Ha-nôi, 22, 24 novembre 1884 ; 30 mars ; 21 avril 1885.
Réponse du Conseil secret (Co-mat) à M. Lemaire, suivie d'annotations. - 6 juin 1885, pp. 12.
Lettres au Général en chef (M. de Courcy). - Ha-nôi, 8 juin ; 7, 17, 19, 20 juillet ; 1, 2, 25 août 1885.
Lettres à M. le Directeur des affaires civiles et politiques (M. Sylvestre). - Ha-nôi, 23, 24, 25 octobre ; 25 novembre 1885.
Lettre au ministre de l'Intérieur (à Paris). - Ha-nôi, 30 novembre 1885.
Lettres au Général en chef (M. Warnet). - 1er février ; 21 mars ; 17 avril 1886.
Lettres à M. le Résident général (M. P. Bert). - Ha-nôi, 30 avril ; 8, 11, 26 juin ; 7 juillet ; 12, 15, 16, 20 août 1886.
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Suppléments aux notes du 4 décembre 1889. - Ha-nôi, 23 décembre 1889, pp. 8.
Notes et impressions sur la situation d'une partie des provinces de Son-tây et de Hung-hoa... - Ha-nôi, 27 février 1890, pp. 8.
Notes et appréciations sur un point de vue de la situation générale, pour compléter les notes du 27 février dernier, ayant rapport à la situation particulière des provinces de Son-tây et de Hung-hoa. - Ha-nôi, 6 mars 1890, pp. 8.
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Notes sur certains abus qui existent au Tonkin, et sur ce qu'il paraît nécessaire d'établir pour les corriger et les prévenir dans la suite. - Ha-nôi, 19 août 1891, pp. 18.
Quelques notes sur une question importante qui intéresse à un très haut point le Protectorat. - Ke-so, 3 décembre 1891, pp. 16.
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Vie de Mgr Puginier, évêque de Mauricastre, vicaire apostolique du Tonkin occidental [avec portrait], par E. Louvet, missionnaire apostolique de la Société des M.-E. - F. H. Schneider, imprimeur-éditeur, rue du Coton, Hanoï, 1894, in-8, 2 ff. fac-similé + 2 ff. n. ch. + pp. vii-602-vii.
Comp.-rend. : M.C., xxvii, 1895, p. 120. - Quest. act., xxviii, 1895, p. 94.
Mgr Puginier, vicaire apostolique du Tonkin occidental [Etude biographique parue dans la Revue de Lille, 1895, janv.-fév.], par l'abbé Gustave Monteuuis. - Imprimerie A. Taffin-Lefort, Lille, 1895, in-8, pp. 45.
Un apôtre français au Tonkin. Mgr Puginier [avec portrait], par C. d'Allenjoye. - Téqui, libraire-éditeur, 29, rue de Tournon, Paris, 1896, in-16, pp. 246.
Comp.-rend. : L'Univers, 1896, n° du 21 juill.
Mgr Puginier, vicaire apostolique du Tonkin occidental 1835-1892 [avec portrait]. Les Contemporains, n° 14. - 8, rue François Ier, Paris, in-4, pp. 16.
Mgr Puginier, évêque de Mauricastre, vicaire apostolique du Tonkin occidental, par l'abbé Jules Millot. - A. Mame et fils, libraires-éditeurs, Tours, [s. d.] in-8, pp. 192.
Portrait. - A. P. F., lvi, 1884, p. 1 ; lix, 1887, p. 1. - M. C., xiv, 1882, p. 90 ; xxxvii, 1905, p. 549. - Le Tour du Monde, 1890, 1er sem., p. 116. - Quest. act., xiii, 1892, p. 388. - Le culte de N.-D. de Lourd., p. 159. - Les miss. cath. franç., ii, p. 475. - Voir Biographie.