Joseph LAUCAIGNE1838 - 1885
- Status : Évêque coadjuteur
- Identifier : 0820
- Bibliography : Consult the catalog
Identity
Birth
Death
Episcopal consecration
Missions
- Country :
- Japan
- Mission area :
- 1863 - 1880 (Nagasaki)
- 1880 - 1885 (Osaka)
Biography
[820] Joseph-Marie LAUCAIGNE voit le jour le 13 mai 1838 à Gardères (Hautes-Pyrénées). Il fait ses études au petit séminaire de Saint-Pé, et, après une année passée au grand séminaire de son diocèse, il entre laïque au Séminaire des MEP le 4 novembre 1859. Il est ordonné prêtre le 20 décembre 1862.
Japon (1863-1885)
il est envoyé au Japon le 16 mars 1863. Il étudie la langue à Yokohama, puis, au milieu du mois de novembre 1864, il est envoyé à Nagasaki. Après la découverte des chrétiens en 1865, il aide le P. Petitjean à relever les ruines des anciennes chrétientés. Sa prudence lui permet de visiter, malgré les difficultés d'alors, un assez grand nombre de paroisses nouvelles : Sainte-Claire, Notre-Dame de l'Epiphanie, Saint-François-Xavier, dans la vallée d'Urakami ; il voyage, prêche, confesse et célèbre les saints mystères pendant la nuit.
Devenu évêque, Mgr Petitjean le choisit en 1866 pour provicaire, et lui laisse la direction de la mission quand il se rend à Rome en 1869 pour le concile du Vatican.
En 1870, le séminaire se trouve en danger par suite de la persécution qui sévit contre les chrétiens du Japon. Le P. Laucaigne emmène alors quelques élèves à Hong-kong ; l'année suivante, il rentre à Nagasaki et reprend ses travaux.
Deux ans plus tard, choisi comme auxiliaire par Mgr Petitjean, il est nommé, le 3 octobre 1873, évêque d'Apollonie par le bref Quæ catholico (Jus Pont. de Prop. Fid., vi, 2e part., p. 202), et sacré le 22 février 1874 à Nagasaki ; il ajoute alors à son prénom celui de Marie. Il continue sa vie très laborieuse et très mortifiée, mais il ne parait pas avoir les qualités d'un chef de mission. Lors de la division du Japon en 1876, Mgr Petitjean ayant été nommé vicaire apostolique du Japon méridional, le P. Laucaigne demeure son auxiliaire.
En 1880, il se fixe à Osaka et achève d'y user ses forces. A la mort de Mgr Petitjean, le 7 octobre 1884, il devient administrateur de la mission. Quelques mois plus tard, le 18 janvier 1885, il meurt à Osaka, laissant la réputation d'un missionnaire modeste, pieux, austère.
" Ses veilles étaient continuelles, à peine accordait-il à la nature trois heures de repos chaque nuit ; il jeûnait presque tous les jours et consacrait à la prière le temps qui n'était pas absorbé par le travail. "
Ses restes reposent dans l'église d'Osaka.
Obituary
NÉCROLOGE
________
MGR LAUCAIGNE
ÉVÊQUE D’APOLLONIE, ADMINISTRATEUR DU JAPON MÉRIDIONAL
Né le 13 mai 1838.
Parti le 16 mars 1863.
Mort le 18 janvier 1885.
Mgr Joseph Laucaigne naquit le 13 mai 1838, à Gardères, village du diocèse de Tarbes, enclavé dans les Basses-Pyrénées. Ses parents, simples paysans, plus riches des biens du ciel que des biens de la terre, l’élevèrent dans la crainte de Dieu et la pratique de la vertu. Son oncle, M. l’abbé Laucaigne, alors vicaire de Rabastens, lui donna les premières leçons de latin et l’envoya d’abord dans un petit pensionnat à Ossun, ensuite en 1853 au Petit-Séminaire de Saint-Pé. De rapides et brillants succès couronnèrent les travaux infatigables de l’écolier qui, jusqu’à la fin de ses classes, obtint le prix d’Excellence. Pourtant, chose rare à cet âge, Joseph Laucaigne travaillait par devoir et sans attacher d’importance aux premières places ou aux distinctions qu’elles méritaient. Un de ses condisciples le félicitait de ses succès en discours français. « Ce discours français, répondit-il, me sera-t-il donc de quelque secours pour l’enseignement du catéchisme aux enfants du Japon et de la Chine. » Volontiers il se serait dispensé de poursuivre le diplôme de bachelier qu’il obtint sans peine. « Avec de telles dispositions, dit l’intéressant annuaire du Petit-Séminaire de Saint-Pé, on devine ce que devait être sa piété ; c’était une piété franche, fondée sur une profonde humilité ; elle ne donnait dans aucune espèce de singularité, et se manifestait surtout par le recueillement dans le lieu saint, par la modestie que respirait toute sa personne, par la perfection avec laquelle il faisait les actions ordinaires, et par l’amour de l’Eucharistie qu’il était heureux de recevoir.
« Ses qualités morales plus encore que ses qualités intellectuelles, le faisaient respecter et aimer de ses condisciples. Doux et bon envers tous, il savait trouver au besoin une grande énergie pour faire respecter ce qui est bien . Ceux-là le savent qui l’entendirent un jour prendre à partie un condisciple peu respectueux de sentiments qu’il aurait dû partager. »
Il ne passa qu’une année au Grand-Séminaire ; son désir de se consacrer aux Missions-Étrangères était trop ancien et trop sérieusement réfléchi pour que son directeur exigeât une plus longue épreuve. A l’âge de dix ans, le futur évêque d’Apollonie n’avait-il pas entendu le Roi des Apôtres parler à son cœur d’enfant ; il avait écouté et compris le langage divin : « J’ai eu le bonheur de connaître l’abbé Tapie avant son départ, écrira-t-il plus tard ; ce fut même à son occasion que fort jeune encore, je conçus le désir d’être missionnaire . » M. Tapie est aujourd'hui l’un des vétérans de la mission du Su-Tchuen Occidental, où il travaille depuis 1848. Joseph Laucaigne ne devait pas oublier l’appel de Dieu ; son départ pour le Séminaire des Missions n’eut pas lieu sans douleur ; mais ses parents étaient chrétiens ; le 1er novembre, tous étaient réunis à la sainte Table, demandant au Dieu des forts courage et résignation.
Son père le conduisit à la gare de Tarbes ; pas une larme n’attrista leurs derniers adieux. « Tu quittes ton fils pour toujours et tu ne pleures pas ? » demanda l’abbé Laucaigne à son frère. « Je n’ai plus de larmes, répondit celui-ci ; d’ailleurs j’ai donné mon fils à Dieu , et j’ai confiance en sa bonté qui me le fera retrouver un jour. » M. Laucaigne passa trois ans au Séminaire des Missions-Étrangères ; au mois de mai 1862, il fut appelé à la prêtrise. Il demanda un délai de quelques mois. « Je ne suis pas prêt, » disait-il. L’humilité des saints parle ainsi, les hommes tiennent un autre langage. Voici comment un de ses condisciples l’appréciait : « M. l’abbé Laucaigne était réservé jusqu’à la timidité ; il ne s’émouvait jamais, tant il avait le caractère égal. Dans les discussions les plus vives, à peine si une légère rougeur lui montait au visage, qui restait, malgré tout, placide et souriant. Il pratiquait la mortification des sens la plus austère, passant plusieurs jours sans boire, même de l’eau. »
A cette époque, le Supérieur de la mission du Japon, M. Girard, vint en France, il demanda un missionnaire doué de tact et de patience ; on lui donna M. Laucaigne. Avant de quitter l’Europe, le jeune prêtre eut le bonheur d’aller, avec son Supérieur, se prosterner au tombeau des saints Apôtres et de baiser les pieds du Souverain Pontife Pie IX. Sa longue lettre datée du 23 avril 1863, « en la cité du Vicaire de Jésus-Christ », nous a redit ses religieuses émotions. C’est sur l’autel des Martyrs, que de préférence il célébrait le saint Sacrifice, vers le Colisée qu’il dirigeait ses pas, souvent aussi vers l’église de Sainte-Agnès dont « le culte, dit-il, a un charme tout particulier. »
Le 3 juillet 1863, il débarquait à Shang-Haï. Dans cette ville, il n’était alors question que des hostilités avec le Japon ; un vaisseau de guerre français s’apprêtait à partir dès le 4, avec 200 soldats à son bord.
M. Girard monta sur le navire en partance, et M. Laucaigne resta à la procure. L’état de la mission du Japon était alors bien précaire. L’année dernière, en racontant la vie de Mgr Petitjean, le Lettre Commune a donné sur la situation religieuse des détails qu’il nous semble inutile de reproduire.
La situation politique était mauvaise, les rapports du gouvernement japonais avec l’Europe devenaient de plus en plus difficiles. Depuis le traité conclu en 1854, entre les États-Unis et le Japon, les puissances européennes avaient demandé et obtenu certains avantages commerciaux ; trois ports : Yokohama, Hacodaté et Nagasaki avaient été ouverts ; les consuls avaient pu s’y établir et les missionnaires y séjourner. Mais la vieille haine des Japonais contre les Européens était loin d’être éteinte : les missionnaires avaient défense de prêcher l’Évangile ; les représentations des consuls n’étaient point écoutées, et après l’expédition de Péking, on crut que l’armée anglo-française devrait traiter le Japon comme elle avait traité la Chine. La ville de Yokohama fut occupée par des troupes européennes, dans le port stationnèrent douze à quinze navires de guerre ; malgré ce déploiement de forces, plusieurs officiers français et anglais furent assassinés. Ce fut au milieu de toutes ces difficultés que M. Laucaigne, après deux mois de séjour à Shang-Haï, partit pour le Japon.
Il résida quelque temps à Yokohama avec MM. Girard et Mounicou, et se livra avec ardeur à l’étude des langues japonaise et anglaise. Au milieu de novembre 1864, il fut envoyé à Nagasaki où il trouva M. Petitjean. « Dieu en les réunissant avait ses desseins ; l’Église du Japon allait renaître de ses cendres, et ces deux hommes devaient être pour elle les instruments de la miséricorde divine. » M. Laucaigne avait alors 26 ans ; il était petit de taille, mais son air maladif, sa froideur apparente cachaient un zèle infatigable. Depuis plusieurs mois les deux missionnaires travaillaient ensemble dans la retraite à hâter par la pénitence et la prière, le jour du triomphe ; déjà sur la colline qui domine Nagasaki, ils avaient élevé l’église de Saint-Pierre-Baptiste et ses compagnons, lorsque le 17 mars 1865, jour d’ineffaçable souvenir, la Providence donna à M. Petitjean le bonheur de découvrir les premières traces de cette Église Japonaise, si florissante deux siècles auparavant , et que l’on croyait alors complètement anéantie Un cri de joie sorti de tous les cœurs catholiques salua ce grand événement, dont il est encore impossible de prévoir toutes les conséquences.
C’était la première partie de l’œuvre des missionnaires, il en restait maintenant une seconde . « Il fallait en effet, au milieu des difficultés et des périls de toutes sortes, dissiper les doutes des chrétiens, rassurer leur timidité, fixer leurs hésitations, contenir les ardeurs imprudentes, éloigner les dangers d’une persécution menaçante, et préparer les fidèles au combat et au martyre. Tout cela, M. Petitjean l’entreprit et le réalisa avec un rare bonheur. »
Dans cette œuvre M. Laucaigne fut le plus zélé et le plus dévoué de ses collaborateurs. Avec la prudence qu’il portait en toute chose, mais en ces circonstances plus nécessaire que jamais, il parcourait les paroisses nouvelles : Sainte-Claire, Notre-Dame de l’Épiphanie. Saint François-Xavier, dans la vallée d’Ourakami où 4,000 chrétiens avaient conservé la foi des anciens jours. Parfois il restait huit jours dans le même village, baptisant, prêchant, confessant. Lui-même a raconté quelle fut alors sa vie toute semée de misères et pleine de fatigues : « Quand à peu près tout le monde était couché, et qu’il n’y avait pas grande circulation dans les rues, je quittais une soutane que je porte habituellement , je prenais un habit japonais que les chrétiens eux-mêmes m’avaient fabriqué, une perruque qui était aussi un don de l’un d’eux, des souliers de paille, qui, s’il y a de la boue, ne peuvent servir que pour un seul voyage ; une ceinture et un mouchoir autour de ma tête complétaient mon costume.
« Sous ce déguisement, j’arrivais au milieu des chrétiens , conduit par un ou deux jeunes gens qui portaient une lanterne afin d’éclairer la route, et tout ce qu’il fallait pour dire la messe. Quand j’avais à traverser des quartiers chrétiens, j’étais toujours sûr de rencontrer une foule de fidèles qui sortaient de leurs maisons ou allaient dans les champs sur le bord du chemin par lequel ils savaient que je passerais. Aussitôt que j’arrivais près d’eux, il s’agenouillaient en faisant le signe de la croix ; c’était leur manière de saluer et de demander la bénédiction du Père.
« Les chrétiens préparaient pour recevoir le Père de petites cachettes dans les endroits les plus reculés de leurs maisons. Quelquefois c’était au fond d’une grange qui à l’extérieur avait tout l’air d’une vraie cabane de berger, que je dressais un petit autel pour dire la messe.
« Je célébrais toujours au milieu de la nuit, tout était fini avant l’aube ; ceux qui avaient entendu la messe rentraient aussitôt chez eux, il ne restait avec moi que quelques personnes, autant que je pouvais en confesser dans la journée. Il va sans dire que je me gardais bien de sortir pendant le jour, de peur d’être reconnu par les païens ; c’était pendant la nuit seulement que j’allais visiter les malades ou que je changais de résidence.
« Je ne restais guère plus d’une semaine de suite dans le même endroit : c’est ainsi que s’est écoulée une grande partie de mon temps durant près de six mois ; ce furent les moments les plus heureux de ma vie. Plaise à Dieu qu’il me soit bientôt permis de recommencer ! »
Cependant , malgré la plus extrême réserve, les réunions de chrétiens ne pouvaient longtemps rester secrètes. Dans le cours de l’année 1866, deux incidents donnèrent l’alerte aux missionnaires de Nagasaki. Une barque chargée de chrétiens fut arrêtée, on emprisonna ceux qui la montaient ; d’autres chrétiens reçurent d’un officier l’ordre de ne plus fréquenter « la bonzerie européenne »; mais la persécution n’éclata point encore. Dieu voulait sans doute laisser à cette Église naissante le temps de se fortifier dans la foi avant de lui envoyer de nouvelles épreuves.
C’est à ce moment que Mgr Petitjean fut nommé évêque de Myriophite et Vicaire Apostolique du Japon ; il associa M. Laucaigne au gouvernement de la mission et le choisit pour Provicaire. « Puis, tandis que le nouvel évêque allait plaider à Rome la cause des « persécutés et défendre les intérêts de sa mission en péril, M. Laucaigne, toujours au milieu « de ses chrétiens , assistait, sans pouvoir les conjurer, aux désastres de l’Église qu’il avait « formée aux prix de tant de sueurs et de fatigues, consolant prisonniers pour Jésus-Christ et « les encourageant à demeurer fidèles. »
Au mois de juillet 1867, en effet, la persécution avait commencé ; soixante-cinq chrétiens de la paroisse Notre-Dame de l’Épiphanie avaient été arrêtés ; M. Laucaigne lui-même avait failli être pris ; il était, depuis un jour seulement , arrivé dans une des stations de la vallée d’Ourakami, et il allait se préparer à célébrer la sainte Messe , lorsqu’un chrétien, qui avait trompé la surveillance des satellites, accourut l’avertir du danger; accompagné d’un catéchiste, le missionnaire s’était aussitôt réfugié dans les bois où il avait passé toute la journée.
Les représentants des puissances européennes s’étaient vivement intéressés au sort des chrétiens , et, à force d’instances, avaient obtenu la liberté d’un certain nombre, mais la persécution n’en avait pas moins continué, ardente et cruelle ; bientôt même elle s’était étendue dans une grande partie du Japon.
Les néophytes furent en butte à des vexations de toutes sortes, des milliers d’hommes et de femmes furent emprisonnés ou exilés, plusieurs centaines moururent de misère, et le 25 février, M. Laucaigne écrivait à son évêque ces paroles désolées : « Je n’ai plus rien à vous dire de Nagasaki, il n’y a là que la mort et le désert. » Parlant ensuite des promesses faites par les ministres japonais, il ajoutait : « Promettre de traiter humainement les chrétiens exilés et de leur laisser pratiquer librement leur religion dans l’exil !…Mais pourquoi donc les cent et quelques prisonniers de Hidaro sont-ils plongés dans l’eau glacée jusqu’à ce qu’il aient apostasié ? Pourquoi les prisons de Goto et d’Omoura ne s’ouvrent-elles pas ? Pourquoi les quatre ou cinq cents femmes ou enfants d’Ourakami sont-ils emprisonnés ? La douloureuse comédie continue. » Hélas ! oui, elle continuait, et pour soustraire aux persécuteurs les soutiens fidèles que l’avenir réservait à l’Église du Japon, M. Laucaigne quitta Nagasaki avec les élèves du Séminaire ; il se retira d’abord à Shang-Haï et ensuite à Hong-Kong, où le Préfet Apostolique de Canton, Mgr Guillemin, mit une maison à sa disposition. Il avait emmené avec lui treize séminaristes, un lettré japonais pour leur enseigner la langue et cinq ouvriers pour imprimer des livres de doctrine chrétienne.
C’est dans cette laborieuse retraite que la maladie vint le saisir : « J’ai été atteint, écrit-il à son oncle, d’une espèce de fièvre cérébrale, qui, dit-on, a failli m’envoyer ad patres. Le fait est que quoiqu’elle n’ait duré que quelques jours , les suites en ont été très longues. J’ai perdu l’ouïe, la parole et la mémoire pendant asez longtemps , au point que je ne trouvais plus les mots pour m’exprimer en aucune langue. Aujourd'hui, j’ai recouvré en partie la mémoire ; je ne souffre point, mais je conserve toujours une sorte de paralysie de la langue et des mains, en sorte que j’ai beaucoup de difficulté à parler et à tenir la plume. Il y a cependant un petit mieux de ce côté depuis l’hiver ou ce qu’on appelle hiver ici. »
Pour comble d’infortune, tous les élèves avaient été atteints de la fièvre, quatre étaient morts, les autres ne guérissaient que lentement. Enfin Dieu eut pitié de son serviteur; en 1871, M. Laucaigne rentrait à Nagasaki ; il y reprit aussitôt ses occupations avec cette régularité qui était un des côtés saillants de son caractère. Lui-même nous a donné l’ordre de sa journée : « Le matin, à six heures un quart, messe suivie de confessions et de catéchisme jusqu’à dix heures. A dix heures nous déjeûnons tous ensemble ; actuellement nous sommes cinq missionnaires à Nagasaki. Depuis le déjeûner jusqu’à midi, c’est le temps de la récréation, souvent aussi occupé que le reste de la journée.
« A midi je recommence soit à confesser, soit à examiner les personnes qui se sont présentées comme assez instruites pour recevoir les sacrements. J’ai aussi une heure de catéchisme tous les jours après midi. Cette besogne dure jusqu’à quatre ou cinq heures . J’ai le reste de la journée pour dire mon bréviaire et recevoir les chrétiens qui viennent consulter le Père sur différentes affaires. » Cette vie si pleine d’activité acheva d’épuiser la santé déjà profondément ébranlée du saint missionnaire. A diverses reprises il crut devoir demander d’être déchargé du travail d’administration et envoyé dans un poste moins laborieux « afin, disait-il, de se préparer à la mort » Mais Mgr Petitjean, loin de consentir à se priver « de ce collaborateur infatigable, de ce conseiller fidèle, de ce confident dévoué, » le proposa pour l’épiscopat.
Nommé évêque le 3 octobre 1873, M. Laucaigne fut préconisé avec le titre d’évêque d’Apollonie le 22 décembre et sacré le 22 février 1874, à Nagasaki.
Au nom de Joseph qui lui avait été donné au baptême, il ajouta alors celui de Marie ; dans ses armes se dressa la croix triomphante, sur son lit de mort il en donnera la raison : c’est, dira-t-il, afin de réparer l’outrage public fait à l’instrument de notre Rédemption lorsqu’on obligeait les chrétiens à le fouler aux pieds. Mais bientôt , son humilité s’effraya des félicitations que sa nouvelle dignité lui attirait et il écrivit à l’un de ses oncles : « Il me « semblait que de la part d’un oncle prêtre, qui me connaît depuis longtemps , j’aurais dû « recevoir moins de félicitations ; il faudrait plutôt me plaindre….J’aurais bien mieux aimé « qu’il n’eût pas été fait mention de moi dans la Revue Catholique de Tarbes. Notre devoir « demeure d’être toujours petits aux yeux de tous. Je dis ceci sans la moindre intention de « vous faire de la peine, mais uniquement pour vous exprimer mon désir de ne pas paraître « plus que par le passé. »
Ce que Mgr Laucaigne avait été simple missionnaire , il le fut après son élévation à l’épiscopat, peut-être même ajouta-t-il quelque chose à ses actes de pénitence ordinaire. « Pour ceux qui vécurent dans son intimité, sa vie fut incompréhensible; il était difficile de s’expliquer comment ce tempérament si frêle pouvait résister et aux labeurs d’un ministère pénible et aux austérités d’une vie toute mortifiée. Ses veilles étaient continuelles, à peine accordait-il à la nature défaillante trois heures de repos ; son jeûne dura autant que sa vie, et tout le temps qui n’était pas absorbé par le travail, il le consacrait à la prière. C’est ainsi que vécut l’évêque d’Apollonie pendant les vingt et un ans que dura son apostolat, et si un pareil régime exerça à la longue sur son tempérament une influence fâcheuse, il n’ébranla jamais sa constance, et on peut dire que jusqu’à la fin, sa vie fut un acte de pénitence perpétuelle. »
Toutes ces mortifications, hélas ! usaient sa vie. En 1879, il fut obligé d’aller se reposer au Sanatorium de Hong-Kong ; il y resta onze mois. De retour au Japon, il s’établit à Osaka pendant que Mgr Petitjean fixait sa résidence à Nagasaki.
Le changement était comple t; à Nagasaki, tout était dans un état prospère ; à Osaka, tout était à créer. Pour subvenir aux besoins de ce nouveau poste, Mgr Laucaigne devait être continuellement en voyage. « Du reste, disait-il joyeusement , routes, voitures, chemins de fer, bateaux à vapeur, il y a dans cette partie du Japon toutes les facilités qu’on rencontre en Europe. On ne trouve pas toujours toutes les perfections de la France, et parfois nos Japonais ressemblent quelque peu à de grands enfants qui jouent à la nation civilisée ; mais n’importe, on est heureux de monter sur leurs bateaux à vapeur, comptant plus sur la protection de l’Ange gardien que sur l’habileté du mécanicien ou du capitaine. Il arrive bien de temps à autre des accidents : le feu prend au bateau au milieu de la mer. Et les passagers se noient en fuyant l’incendie. Une autre fois, un missionnaire s’apercevant que la chaudière est toute rouge, avertit le capitaine qu’il n’y a plus d’eau. Celui-ci examine tranquillement sa machine. « Oh ! Soyez tranquille, dit-il, nous avons le temps d’arriver avant que cela éclate. » En effet la machine n’éclata point ; l’ange de la mission veillait sur le bateau. »
C’est au milieu de ces occupations multipliées que le télégraphe apporta au pieux Évêque la nouvelle de la maladie de Mgr Petitjean ; il partit aussitôt , et pendant près de cinquante jours , il prit pour lui seul presque toute la charge de garde-malade . Après avoir présidé aux funérailles de son Évêque et lui avoir payé le tribut de sa piété filiale, en écrivant le récit de ses derniers moments, il repartit pour Osaka. Mais son rôle était fini. Mgr Laucaigne devait mourir presque en même temps que celui dont il avait été le collabolateur. « Dieu qui avait uni ces deux existences dans la vie allait les unir dans la mort. »
Ce fut d’abord une forte fièvre rendue plus dangereuse par la faiblesse extrême du malade ; bientôt un érésypèle envahit successivement plusieurs parties du corps et un énorme abcès se forma sous le bras droit.
Dès le début de sa maladie , il sembla avoir le pressentiment de sa fin prochaine : « Je ne croyais pas, disait-il un jour, que mes épreuves dussent finir si tôt. J’étais, je crois,bien disposé à accepter toutes celles que l’avenir me réservait; peut-être que le bon Dieu se contente de ma bonne volonté, je l’en remercie. » Une autre fois, à son provicaire, M. Cousin, qui lui demandait s’il avait prié Dieu de le rappeler à lui, il répondait: « Non, je n’ai rien demandé, je ne demanderai rien : que le bon Dieu fasse de moi ce qu’il voudra. » A la proposition de célébrer la messe dans sa chambre : « Oh ! Dit-il, l’Église permet cela aux Évêques qui ont un palais à offrir à Notre-Seigneur , mais un missionnaire n’y doit pas songer. »
On lui suggéra la pensée de faire un vœu à Notre-Dame de Lourdes et de demander sa guérison. « Un miracle pour moi, s’écria-t-il, à quoi bon ? D’ailleurs, pour obtenir des miracles, il faut les avoir mérités. » Cependant la confiance l’emporta sur l’humilité, et le 8 décembre, en présence de Notre-Seigneur qu’il allait recevoir, il formula publiquement le vœu de célébrer neuf messes en l’honneur de l’Immaculée-Conception et de faire tous ses efforts pour lui élever un sanctuaire digne d’elle. «Tous ceux qui étaient présents furent étonnés du ton de conviction et de la facilité d’élocution qui marquèrent cette scène attendrissante, et personne, ce jour-là, ne douta du miracle ; il ne se fit pas cependant . Seul, le malade n’en fut ni troublé ni mécontent. »
Le 23 décembre, le vénérable prélat sentit que la faiblesse augmentait; il demanda qu’on récitât près de lui les prières des agonisants. Lorsqu’elles furent achevées : «C’est le moment de se quitter, prononça-t-il à voix basse, adieu. » Il embrassa tous ceux qui étaient présents, bénit en leur personne les missionnaires et les chrétiens , et voulut qu’on le laissât seul avec Dieu . Ce n’était qu’une fausse alerte ; le lendemain , un mieux sensible se déclara ; un instant, on crut que Notre-Dame de Lourdes exaucerait l’enfant des montagnes qu’elle s’est plu à visiter : espérances bientôt déçues ! La maladie reprit son cours avec une nouvelle violence. « Mon Dieu , Mon Dieu , répétait souvent le pieux évêque , ayez pitié de moi ; oh ! que je souffre ! C’est bien , oui ,que votre volonté soit faite ! »
« Le 17 janvier, écrit M. Cousin dans l’édifiant récit qu’il nous a envoyé des derniers instants de Mgr Laucaigne, le malade nous fit tous appeler près de lui. «Cette fois, dit-il, c’est bien la fin ; veuillez me lire les prières des agonisants et recommander ma pauvre âme au bon Dieu . » Au moment où on allait commencer, il fit signe de lui découvrir la tête et de lui mettre le crucifix entre les mains ; puis, d’une voix mourante, il demanda pardon à ceux qui étaient présents et à ceux qui étaient absents des torts qu’il avait pu avoir envers eux ; il ajouta qu’il pardonnait de bon cœur à tous ceux qui croiraient avoir quelque chose à se reprocher envers lui. On lui parla ensuite de la fête du Saint Nom de Jésus. Il demanda aussitôt : « Quand est-elle ? – C’est maintenant , Monseigneur , nous en avons déjà dit les premières « vêpres.– Oh ! tant mieux, dit-il, je vais aller au ciel pour la fête du Saint Nom de Jésus. » Dès que minuit fut passé, on essaya de lui faire prendre une hostie non consacrée afin de lui apporter la sainte communion tout de suite , au cas où la chose serait possible. Tous ses efforts furent inutiles, et il lui fallut ajouter à tant d’autres le sacrifice de ne point recevoir l’Eucharistie. « Alors, murmura-t-il, il n’y a plus qu’une chose à faire. C’est d’aller « communier dans le ciel avant la fin de la fêt ; priez pour que je meure aujourd'hui .»
Toute la journée se passa ainsi dans des angoisses continuelles ; chaque minute pouvait être la dernière. Après minuit, le calme succéda à l’agitation, et la souffrance parut cesser. M. Luneau renouvela l’absolution au malade , M. Cousin récita les litanies des agonisants ; avant qu’il eût achevé, le véréné prélat s’était endormi dans la paix du Seigneur. C’était le 19 janvier, à 5 heures du matin. « Alors, continue M. Cousin, avec un pieux respect, je découvris un peu le haut du corps du côté gauche, et montrai à ceux qui étaient là ce que j’avais déjà aperçu une fois durant la maladie : les initiales en grandes majuscules des Saints Noms de Jésus, Marie, Joseph, imprimées sur la poitrine. L’impression datait de loin, mais elle était encore très visible. Toute la vie de Monseigneur d’Apollonie a prouvé qu’il portait ces trois noms gravés dans son cœur encore plus profondément que dans sa chair. »
« Le corps, revêtu de tous les ornements pontificaux, fut dès le matin porté à l’église et exposé dans une chapelle ardente où, pendant deux jours , tous les chrétiens des environs sont venus tour à tour considérer une dernière fois ces traits vénérés qui gardaient la trace de longues souffrances. Les funérailles eurent lieu le mercredi. Presque tous les missionnaires du centre étaient réunis, et nos confrères du Nord avaient bien voulu députer M. Évrard pour prendre part à notre deuil, et donner au regretté prélat une suprême marque de sympathie.
« Malgré des difficultés qui paraissaient insurmontables et grâce à l’intervention bienveillante du ministre de France, le gouvernement japonais nous accorda de déposer ses restes précieux dans notre église d’Osaka. C’est là que Monseigneur repose au pied de la statue de saint Joseph, son Patron, auquel il avait une si filiale dévotion, devant la croix dont il avait fait son palladium, auprès de l’Eucharistie devant laquelle il a passé tant d’heures de sa vie en adoration.
« Pendant tout le temps qu’il a vécu à Osaka, jamais il n’a manqué de se trouver en présence du Saint-Sacrement de onze heures à minuit ; et chaque matin, de quatre à sept heures , il était encore là comme un soldat infatigable, toujours montant la garde auprès du Roi immortel des siècles. Maintenant que la mort l’a relevé de cette faction terrestre, il est entré dans la joie même de son Seigneur, et c’est pour l’éternité. Je vous l’avoue, chaque fois que j’entre dans cette église où il attend la résurrection glorieuse, je ne puis retenir cette parole qui d’elle-même s’échappe de mon cœur : «Monseigneur , priez pour moi ! »
References
[0820] LAUCAIGNE Joseph (1838-1885)
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1874, p. 42 ; 1875, p. 7 ; 1884, pp. 175, 204. - A. P. F., xl, 1868, p. 287 ; xli, 1869, p. 442 ; xlii, 1870, pp. 226, 308, 355 ; xlvi, 1874, p. 68 ; lvii, 1885, p. 263. - M. C., ii, 1869, Persécution, pp. 281, 297, 389 ; iii, 1870, p. 9 ; Ib., Enlèvement des chrétiens d'Ourakami, p. 75 ; Ib., pp. 129, 136 ; Ib., Persécution, pp. 139, 176 ; iv, 1871-72, p. 297 ; v, 1873, pp. 314, 555 ; vi, 1874, p. 3 ; vii, 1875, pp. 2, 3, 97 ; xvii, 1885, pp. 59, 82. - Rev. cath. Tarbes, 1873, pp. 877, 897 ; 1885, p. 56. - Annuair. petit sém. Saint-Pé, 1884, p. 57 ; 1885, p. 172 ; 1886, pp. 216, 264, 330, 332 ; 1887, p. 213.
Le culte de N.-D. de Lourd., pp. 29, 30, 32. - Hist. gén. Soc. M.-E., Tab. alph. - La Rel. de Jésus, i, pp. 401, 413, 457 et suiv., 477, 492 et suiv., 518, 530 et suiv., 557, 566 et suiv., 582, 583, 621 ; ii, pp. 8, 28, 56 et suiv., 67, 72, 94, 125 et suiv., 148, 166, 173, 177, 193, 202 et suiv., 260, 272 et suiv., 328, 330, 331 et suiv., 358 et suiv., 425, 428, 477 et suiv., 496 et suiv., 515. - Les miss. cath. franç., iii, pp. 445, 447, 459. - Arm. des Prél. franç., p. 162.
Collect., 2 avril 1884 : n° 1996.
Notice nécrologique. - C.-R., 1885, p. 145.
Portrait. - M. C., xvii, 1885, p. 82. - La rel. de Jésus, ii, p. 272.