François GUÉGO1855 - 1918
- Status : Prêtre
- Identifier : 1428
- Bibliography : Consult the catalog
Identity
Birth
Death
Biography
[1428] GUEGO François, Marie, Xavier est né à Lanfains (Côtes d'Armor), au diocèse de Saint-Brieuc, le 19 avril 1855. Son père meurt cette même année et il sera plus tard recueilli par un oncle maternel, M. Lebarbu, curé de Jeufosse, au diocèse de Versailles qui l'orientera vers le sacerdoce comme il l'avait déjà fait pour son frère. Il entre au Séminaire des Missions Etrangères le 12 septembre 1876. Ordonné prêtre le 20 septembre 1879, il part pour la Mission du Siam, le 29 octobre suivant.
Il commence l'étude du siamois à Bangkok. Quand Mgr. Vey veut ouvrir l'apostolat en territoire laotien, il pense aux Pères Prodhomme et Guégo. Le 1er janvier 1881, ils se mettent en route et arrivent à Ubon le 24 avril 1881. Les premiers catéchumènes ne sont que des esclaves rachetés mais le Père Guégo se donne complètement à la tâche de façonner cette nouvelle communauté naissante, observant, surveillant, soulageant les misères des âmes et des corps, se donnant à tous. En 1884, c'est à Sakhon Nakhon que le Père Guégo va se trouver et d'où il va transférer son groupe de chrétiens à Tharae. Il est ensuite à Khamkheum, laissant à chaque transfert le soin de la chrétienté à un confrère plus jeune et continuant ses fondations. Le siège de la Mission du Laos va s'établir à 300 kms au Nord d'Ubon, à Nongseng. Et dès 1899, ce sera le siège d'un nouveau vicariat : celui du Laos, dont Mgr. Cuaz sera le premier vicaire apostolique.
Pendant la guerre de 1914-1918, le Père Guégo doit s'occuper des postes laissés vacants par les 16 confrères mobilisés, mais le 20 mars 1918, le Père Guégo ressent les premières attaques de la peste pulmonaire. Transporté à Nongseng par ses chrétiens, il meurt le Vendredi-Saint 29 mars 1918.
Son corps repose au cimetière de Nongseng près de celui de son compagnon, Mgr. Prodhomme.
Obituary
Mgr PRODHOMME et M. GUÉGO
Au cimetière de Nongseng reposent l’un près de l’autre les deux fondateurs de la Mission du Laos : Mgr Constant-Jean Prodhomme et M. François-Marie-Xavier Guégo.
Pendant près de 40 ans ils ont vécu la même vie apostolique, partagé les mêmes travaux, connu les mêmes souffrances, mis en commun leurs efforts et leurs peines, les yeux fixés sur le même idéal et le même but à atteindre : la conquête du Laos à l’Evangile. Ensemble, peut-on dire, ils sont tombés sur le même champ d’honneur de l’Apostolat. Il est donc logique et il est juste, de leur consacrer une même notice, et de leur appliquer ce que la légende du bréviaire nous fait lire des sept Fondateurs Servites : Quos unus verae fraternitatis ac religionis amor in vita sociaverat, unum pariter demortuos contexit sepulcrum, unaque populi veneratio consecuta est.
Constant-Jean Prodhomme naquit à Gorron, diocèse de Laval, le 23 janvier 1849, d’une de ces familles patriarcales qui sont la richesse d’un diocèse et la force d’un pays. Il fût l’aîné de 13 enfants. Un de ses frères, Jean, fut missionnaire en Cochinchine Occidentale pendant près de 10 ans et mourut en 1887 ; un autre, Louis, est missionnaire au Cambodge ; une de ses sœurs est religieuse ; une de ses tantes est morte au Carmel.
Cela suffit pour nous faire entrevoir ce que dût être l’influence de cette première école, la plus importante de toutes, l’école de la famille, sur l’éducation de notre futur missionnaire. C’est là que les premiers exemples et les premières expériences de la vie durent se graver dans sa mémoire. Sa qualité d’aîné dût le faire participer de bonne heure aux soucis et aux charges de la famille, et c’est dans l’exercice de ses devoirs d’aînesse qu’il faut chercher les germes vigoureux de cet esprit d’initiative, de ce sens pratique des choses, de cette endurance et des autres qualités naturelles, qui devaient trouver, un développement si merveilleux sur le vaste champ de son apostolat.
Afin de rester dans les limites tracées à cette courte notice, il paraît nécessaire d’omettre la genèse et les progrès de sa vocation durant les années de collège et de Séminaire, pour arriver, sans autre transition, aux travaux apostoliques qui donnent à Mgr Constant Prodhomme une place à part dans la galerie des grands missionnaires de la Société.
Il arriva au Siam dans la première quinzaine d’août 1874. L’année 1875 s’écoule pour lui dans l’étude opiniâtre de la langue siamoise, à la procure de la Mission, durant les premiers mois ; au Séminaire ensuite, où il est envoyé comme professeur. Sans doute, l’enseignement dût avoir pour lui peu de charmes et sûrement il n’avait jamais été l’objet de ses rêves. Dès 1876, il est envoyé en district à Jutthia, sous la direction de M. Perraux. C’est là qu’il va prendre son premier élan vers ce Laos que la Providence lui fait entrevoir à l’horizon lointain, au-delà des immenses forêts qui l’en séparent.
Au Nord-Est de Jutthia, jusqu’à 50 kilomètres au delà, dans la direction de Khorat, centre important de commerce au Laos, se trouvent des chrétiens dispersés, brebis plus ou moins errantes et égarées. C’est vers elles que M. Prodhomme va exercer son zèle, et ses premières sollicitudes seront celles du Bon Pasteur de l’Evangile. Elles le conduisent jusqu’à la lisière du Dongphajafai « la forêt du prince du feu », comme l’appellent les Siamois, avec ce titre de « phaja » qu’ils donnent aux grands mandarins et à tout ce qu’ils redoutent. C’est qu’elle recèle un ennemi encore plus redoutable que le tigre : la fièvre, et la fièvre pernicieuse entre toutes, la fièvre des bois comme on l’appelle au Siam.
Là, au pied du contrefort qui sépare la vallée du Ménam du haut Plateau du Laos proprement dit, M. Prodhomme parcourt les villages ¬laotiens, inscrit des catéchumènes, prêche, instruit, baptise ; il réunit ses convertis autour de la petite église qu’il élève pour eux, église ¬pauvre, comme les pauvres ressources dont il dispose. Huakeng est le nom de ce premier poste, le premier jalon planté sur cette route qui le conduira plus tard au cœur même du Laos.
Cette première conquête assurée, il en entreprend une autre plus difficile. Il pénètre dans la forêt et va planter un second jalon, 50 kilomètres plus loin, à Khokkitun, où il n’est qu’à une quarantaine de kilomètres de Korat. Les difficultés sont inouïes, mais dans cette œuvre qui est la réalisation de tous ses rêves d’aspirant, il se jette à « corps perdu » et jamais expression ne fut plus juste. Au début de 1880, autour ¬de ces trois postes, 2 à 300 néophytes sont groupés, mais le missionnaire, tel un soldat blessé, doit regagner Bangkok, le corps épuisé, exsangue, à tel point que le docteur le déclare perdu et ne lui donne que quelques mois de vie.
Le médecin du corps ignorait les ressources de cette âme à l’énergie ¬de fer et maîtresse du corps qu’elle domine. Notre malade se retire à Chanthabun, résolu à ne pas mourir, « selon la formule ». Il se constitue son propre médecin. Ses ordonnances ne sont pas compliquées : émétique à quinine, quinine et émétique. Laissons-le pendant quelques mois à cette villégia-ture relative de Chanthabun, jusqu’au jour où, de retour à Bangkok, le médecin qui l’avait condamné ne veut pas le reconnaître et finalement le déclare guéri.
A Bangkok, venait d’arriver un jeune missionnaire précédé de sa réputation d’aspirant modèle : M. Xavier Guégo
François-Marie-Xavier Guégo était né à Lanfains, diocèse de Saint-Brieuc le 19 avril 1855. Cette année même son père mourait. Son oncle maternel, M. Lebarbu, curé de Jeufosse au diocèse de Versailles, lui donna les premières leçons de latin et le dirigea vers le sacerdoce comme il avait dirigé son frère Mathurin dont les exploits apostoliques sont demeurés légendaires au Siam. (Mathurin mourut à Bangkok le 1er octobre 1897, après plus de 30 ans de labeurs excessifs). Une sœur des deux missionnaires Agathe, est religieuse de Saint-Paut de Chartres¬ au Japon. Il appartenait donc aussi, comme Mgr Prodhomme, à une de ces familles chrétiennes sur lesquelles l’Esprit de Dieu fait entendre ses divins appels.
Xavier Guégo qu’on n’appela plus que le Père Xavier pour le distinguer de son aîné, arriva à Bangkok en décembre 1879. Dès les premiers jours, chez son frère Mathurin, à Huaphai, il put prendre un avant-goût des charmes de la vie active. Un mois après, quand il revint à Bangkok, enthousiaste et ravi par cette première vision de la vie de missionnaire, il se mit avec une ténacité toute bretonne à l’étude de la langue siamoise, et dès la fin de 1880, il pouvait être jugé apte à entrer en campagne.
La maladie de M. Prodhomme aurait pu faire croire à l’échec de son entreprise sur le Laos. Cet échec n’était qu’apparent et il était providentiel. Il avait amené Mgr Vey, homme pratique et de grande expérience, à cette conclusion : que vouloir entreprendre l’évangélisation du Laos par ces régions limitrophes, insalubres et peu habitées, c’était vouer ses missionnaires à une mort à peu près certaine et pour des résultats précaires ne répondant pas aux sacrifices imposés. Un plan plus hardi et plus sûr devait être adopté. Cette immense région laotienne qui faisait partie du Vicariat apostolique du Siam, mesure plus de 600 kilomètres de l’Ouest à l’Est et 900 du Nord au Sud. Elle est arrosée par un grand fleuve le Mékong et par de nombreux affluents. C’est sur ces rives plus salubres que sont agglomérés des villages lao-tiens réunis en provinces ayant à leur tête un gouvernement. N’est-ce pas là qu’il faut choisir le centre de l’évangélisation ? Le grand mérite de Mgr Vey dans la fondation de la Mission du Laos aura été d’avoir conçu ou adopté ce plan.
A cette date, 1880, le moment n’est-il pas venu de le réaliser ? Les Annales de la Propagation de la Foi relatent les succès de M. Fiot dans le Laos Tonkinois et les heureuses dispositions de ces peuplades laotiennes. Entre temps, un prince laotien d’Oubone venu à Bangkok pour traiter des affaires de sa province, donne à Mgr Yey, les renseignements les plus utiles qui confirment ses espoirs de succès. C’est à Oubone même, à plus de 500 kilomètres de Bangkok que les missionnaires iront d’abord planter la Croix. Mais où trouver ces missionnaires de choix ?
L’esprit rempli de ces projets, Mgr Vey, en décembre de cette même année 1880, fait un voyage à Chanthabun, et le Père Xavier l’accompagne. ¬Quelle n’est pas leur surprise à la vue de M. Prodhomme, non pas convalescent, mais guéri, vigoureux et florissant de santé ? La Providence aplanit les obstacles : le premier apôtre du Laos ne peut être que M. Prodhomme. On se concerte ; le plan de Monseigneur est exposé et les décisions sont prises. M. Prodhomme accepte, le cœur débordant de joie, et le Père Xavier sera son compagnon. Aussi-tôt après les fêtes de Noël, Monseigneur rentre à Bangkok avec ses deux missionnaires et le 1er janvier 1881, ceux-ci se jettent aux pieds de leur évêque qui les bénit, et se mettent en route. Les préparatifs n’ont duré que quatre ou cinq jours.
Les faits parlent d’eux-mêmes : les œuvres de Dieu sont modestes dans leurs commen-cements. M. Prodhomrne ne pouvait pas ne pas prévoir les difficultés nombreuses qu’il devait rencontrer. La pensée lui ¬vint, il le dit dans les notes qu’il a laissées, de la faiblesse de ses ressources…. Le Père Xavier était plein d’ardeur, certes, mais c’était encore un conscrit, dépourvu de toute accoutumance à la fatigue, à la langue, et surtout au climat. Ne serait-il pas, au cours de ce voyage dans l’inconnu, moins un aide qu’une cause de soucis ? Mais chez M. Prodhomme aucune hésitation n’était possible, aucun obstacle n’était insurmontable, aucune crainte n’était fondée, lorsque dans la ferveur de ses méditations et de ses prières il pouvait évoquer cette parole, créatrice des grands dévouements : Dieu le veut !
Plus riches de bénédictions que de secours humains, nos deux messagers de la bonne nouvelle remontent le Mënam sur une petite barque siamoise et arrivent après huit jours de navigation à cette première étape que nous connaissons déjà : Huakeng. Le bonheur des chrétiens qui revoient leur Père est de courte durée et les larmes succèdent à la joie quand ils voient la caravane qui s’organise pour un si long voyage. M. Prodhomme loue quelques bœufs qui seront chargés des objets les plus indispensables. Il équipe deux chevaux pour le Père Xavier et pour lui, deux autres pour les domestiques. Les voies de communication qu’ils vont suivre dans la forêt ne sont que des pistes de piétons ou de chevaux. A Korat, sur le haut du plateau, où les chars ont tracé aussi des pistes, il achètera trois ou quatre bœufs attelés à ces petits chars laotiens qui peuvent être démontés et portés à dos d’hommes dans les passes plus difficiles.
Après mille aventures pleines d’intérêt, mais qui n’entrent pas dans le cadre de cette notice, la caravane arrive au but qui lui est assigné, à Oubone, le dimanche de Quasimodo, 24 avril 1881.
Cette date est importante. Elle marque la prise de possession par le laboureur du champ sur lequel il doit jeter ses semailles. Avec l’autorisation du gouverneur, nos missionnaires s’installent dans une sorte de hangar public, commun à tous les voyageurs. Dans un coin, un autel de fortune est élevé pour le Saint-Sacrifice. Dans cette nouvelle crèche de Bethléem, des bergers fidèles ne viennent pas ; mais la curiosité attire les habitants, grands et petits, riches et pauvres. M. Prodhomme, plus expérimenté dans cette langue siamoise dont il connaît toutes les nuances, et qui est la langue officielle du pays, leur jette à pleines mains la divine semence.
Les événements allaient le lancer dans une lutte dont l’issue devait établir sa renommée et donner les premières recrues à cette église naissante. A l’époque où nous sommes, des bandes de Birmans, porteurs d’écrits signés de l’autorité anglaise pour le commerce des bœufs et des chevaux, se livraient au commerce plus lucratif connu sous le nom de « traite des esclaves ». Armés jusqu’aux dents, ils parcouraient les provinces éloignées sur les limites alors peu déterminées du Tonkin et du Laos, enlevaient des villages entiers ou se faisaient les entremet-teurs des gouverneurs laotiens de ces provinces qui exerçaient eux-mêmes ces brigandages. Ils venaient ensuite vendre leur butin dans les gros centres du Laos. Une famille de 18 personnes, victime de ces razzias, était vendue à Oubone même, quelques jours après l’arrivée des missionnaires.
Un mandarin pratique et roué, prétextant de l’illégalité de ce commerce, exigeait à son profit, sans bourse délier, la livraison de l’une de ces victimes. Le Birman eut l’audace de se réclamer de la protection de M. Prodhomme. A cette nouvelle, celui-ci bondit, court au marché, flétrit de ses accents les plus incisifs et les plus indignés ce commerce de brigands réprouvé par Dieu et défendu par la loi. Il exige des sanctions et demande aux mandarins, représentant du roi et gardiens de la loi dans leurs provinces, que cette famille de 18 per-sonnes soit laissée libre de s’installer où bon lui semblera. Cette demande ainsi formulée ne pouvait pas ne pas être accordée. Cette famille dépaysée et redoutant de nouvelles embûches vint s’installer sous la protection de ses libérateurs. Tels furent les premiers catéchumènes qui vinrent peupler le berceau de l’Eglise du Laos.
Cet événement fut comme le premier coup de bistouri qui délivra le Laos de cette plaie de l’esclavage. Mais il fut le prélude d’une lutte ouverte avec les Birmans qui voyaient à brève échéance leur triste comm¬erce anéanti, et d’une lutte sourde et plus redoutable avec les man-darins qui voyaient dans les missionnaires des témoins gênants de leurs actes. Les uns et les autres s’employèrent à les intimider. Les Birmans par des menaces, les mandarins par la calomnie. Des menaces, M. Prodhomme que la peur n’ébranla jamais, en eût raison. Dans¬ cette lutte d’intimidation, sans coup férir, les Birmans perdirent courage les premiers et ils abandonnèrent la partie. Les calomnies furent plus tenaces ; mais des juges furent envoyés de Bangkok, et les plaidoieries de M. Prodhomme mirent à mal ses accusateurs.
Cependant la renommée des missionnaires s’étendait de village en village. Les catéchumènes ne tardèrent pas à affluer. Le hangar public qui servait d’abri provisoire ne pouvait plus suffire. Les missionnaires demandèrent au gouvernement d’Oubone de vouloir bien fixer un endroit où ils pourraient s’installer eux et leurs catéchumènes. La demande fut accordée avec un empressement qui cachait un piège.
Aux abords de la ville se trouvait un terrain marécageux, funeste à tous ceux qui avaient cherché à y fixer leur demeure. La rumeur publique le disait hanté par toutes les classes des génies malfaisants. C’est ce terrain du diable que les mandarins offrirent aux missionnaires, dans le secret espoir que fièvre et choléra accompliraient leur œuvre. Sans hésitation, on se met immédiatement au travail. On défriche, on draîne, on nivèle le terrain ; on élève une très modeste chapelle et un presbytère plus modeste encore, et tout autour les familles viennent installer. L’Eglise d’Oubone est désormais fondée et l’influence des missionnaires s’accroît de leur puissance sur les mauvais génies. C’est un succès important dans un pays où le bouddhisme tourne pratiquement au fétichisme.
C’est ici que commence le véritable rôle de M. Xavier Guégo ; rôle essentiel à la fécondité de l’œuvre dont M. Prodhomme est le principal artisan. Constant Prodhomme fut la tête qui dirige, qui choisit les matériaux et, les amène à pied d’œuvre. Xavier Guégo fut l’ouvrier qui façonne, qui polit, dispose ces divers matériaux pour en former l’assise solide de la Mission. Dans une famille, la père est la tête qui gouverne ; la mère est le cœur qui a aussi sa part de gouvernement et dont l’influence est capitale dans cette fonction qui assure la prospérité du foyer : l’éducation des enfants. Tel fut le rôle de ces deux grands missionnaires, et dans l’histoire de la fondation de la Mission du Laos, leurs noms sont inséparables comme le furent leurs travaux.
Les premiers enfants de I’Eglise naissante du Laos réunis autour du presbytère d’Oubone n’étaient donc que de pauvres esclaves, tout imprégnés de ce paganisme qui n’inspire qu’un sentiment : la crainte, incapable de susciter une idée du Créateur dans l’intelligence et une affection dans le cœur. Il fallait ouvrir leurs yeux aux premières lueurs de la foi, affermir cette foi par un enseignement solide et les amener à peu à la pratique des vertus chrétiennes. A cette œuvre, le P. Xavier voua toutes les ressources de son zèle, la ferveur de ses prières, les mérites de ses mortifications et les qualités merveilleuses de catéchiste dont il était doué. Tous les jours, à Oubone, il faisait trois ou quatre catéchismes, présidait aux prières en commun, observait, surveillait, soulageait toutes les misères et des âmes et des corps, se donnait tout à tous, en un mot, comme une mère se donne à ses enfants. Si parfois M. Prodhomme, au retour d’une randonnée, devait administrer à un délinquant un médicament un peu amer, le Père Xavier y ajoutait le sucre qui en facilite l’absorption et en assure l’effet.
Nous sommes en novembre de cette année de 1881. Les finances et les vivres s’épuisent. Il faut d’ailleurs retourner à Bangkok pour rendre compte à Mgr Vey des résultats acquis. Tous les deux devraient effectuer ce retour selon les instructions de leur évêque. Mais les loups entourent la bergerie. Les marchands d’esclaves n’ont pas encore abandonné la partie. Que vont devenir les brebis pendant l’absence des deux pasteurs ? Le Père Xavier n’hésite pas : il restera. Cette solitude, qu’aucun règlement ne peut éviter dans les périodes de persécution ou dans des circonstances exceptionnelles comme celle-ci, il l’accepte volontairement car M. Prodhomme ne veut pas la lui imposer. Cette épreuve, quoique volontaire, ne fut pas moins pénible.
Tandis que M. Prodhomme, voyageur infatigable, reprend plein d’inquiétude le chemin de Bangkok, le Père Xavier continue seul l’œuvre de fondation. La bourse dont il dispose ne contient plus que 180 francs. « Mon ordinaire n’était pas trop succulent, écrit-il à cette « époque. Je le rognai encore pour pouvoir donner un peu de ragoût à mes nouveaux venus. Je « me suis mis complètement au régime laotien... Les premières bouchées descendaient « difficilement, mais je fermais les yeux pour ne rien voir… A la guerre comme à la guerre, « me disais-je, pour m’encourager. Une fois mon curé de retour de Bangkok, eh bien ! on « améliorera le menu… Mais les « confitures » laotiennes ne passaient pas. J’avais la fièvre « intermittente : elle a duré un mois…Grâce à ces économies, j’ai pu nourrir tous mes « pauvres, et quand M. Prodhomme est arrivé, il me restait 15 francs. » Et il terminait cette lettre, qu’il faudrait citer tout entière, par le refrain de Mgr Retord : « Vive la joie quand même ! »
De retour de Bangkok avec un prêtre indigène et quelques res¬sources pécuniaires, M. Prodhomme fixa une règle qu’il avait eu le temps de méditer durant le voyage. Il voulut qu’on donnât au poste d’Oubone un fondement solide, afin de servir de modèle aux fondations qui s’annonçaient nombreuses. Les catéchumènes ne seraient admis au baptême, que munis d’une instruction religieuse proportionnée sans doute à leur âge et à leurs facultés, mais solide et bien constatée, et donnant surtout par une vie déjà chrétienne des gages de leur persévérance. Aussi les premiers baptêmes ; au nombre de 15, ne furent-ils administrés, croyons-nous, que le 1er novembre 1882.
Cette exquisse des premiers débuts du Christianisme au Laos permet d’abréger l’histoire de sa progression, désormais constante et sûre. Ce sont, mais accrus par le nombre des postes et des chrétiens, les mêmes soucis, les mêmes luttes, les mêmes voyages, les mêmes privations, et aussi cette note bien française, caractéristique des tempéraments généreux : la même gaîté ; gaîté simple, charmante souvent de naïveté aux épanouissements plus faciles chez le Père Xavier. Elle fut pour tous les deux la sauvegarde de leurs espoirs dans les moments plus difficiles « gallo canente spes redit », et l’assaisonnement habituel de leurs repas de famine.
Chaque année, vers le mois de décembre, M. Prodlhomme, ou le Père Xavier, ou plus tard un autre missionnaire, se met à la tête de la caravane chargée d’aller chercher le ravitaillement à Bangkok. Il en revient avec un missionnaire nouvellement arrivé de France, rarement deux. La plus grande épreuve de M. Prodhomme, celle qui lui a fait verser des larmes, les seules peut-être qu’il ait versées, ce fut la faiblesse des ressources qui lui étaient octroyées en vue des espoirs certains à réaliser. Il se demandait un jour, ses notes le disent, s’il n’eût pas mieux valu ne pas entreprendre une œuvre, dont l’échec serait décourageant et néfaste, pour la conversion d’un peuple actuellement si bien disposé. Mais chez M. Prodhomme, le découragement, ou plutôt la lassitude était de courte durée, et avait pour résultat de décupler son énergie, en lui inspirant la mise en pratique de cette parole d’un sage : « Quand on a plus rien à espérer il ne faut désespérer de rien » Alors, mais alors seulement, quand la réserve des moyens hu¬mains s’épuisait, il mettait en jeu le ressort le plus puissant de son activité : la confiance en la divine Providence, confiance raisonnée qu’il conditionnait sagement par le proverbe : « Aide-toi, le Ciel t’aidera. » C’est dans sa piété et sa confiance en Dieu qu’il faut chercher le secret de sa hardiesse et de l’équilibre qu’il sut toujours garder entre un optimisme infécond et un pessimisme plus stérile encore.
En 1884 commence l’essaimage de la chrétienté d’Oubone. Les voies ont été préparées par un long voyage de M. Prodhomme le long du Mékong qu’il remonte jusqu’à Vienchan, ancienne capitale du Laos. Au retour il visite les villages disposés à recevoir l’Evangile. Il découvre à Lakhon quelques familles chrétiennes venues du Tonkin à l’époque de la persécution et réfugiées au Laos depuis une vingtaine d’années. Elles le supplient de leur envoyer un missionnaire.
Tandis que M. Dabin, venu récemment de Bangkok et possédant suffisamment la langue va maintenir les positions conquises à Oubone, M. Prodhomme et le P. Xavier vont établir des postes avancés plus au Nord : le premier à Lakhon, le second à Sakon. Les catéchumènes ne tardent pas à affluer. En 1885, un nouveau missionnaire vient rejoindre le P. Xavier à Tharë où le poste de Sakon a été transplanté. Bientôt catéchistes et instructeurs ayant accompli leur œuvre, le nouveau Père maintiendra encore cette position conquise et le P. Xavier ira à Khamkom fonder un nouveau poste. Ainsi l’arrivée de chaque nouveau missionnaire marque une nouvelle avance méthodique et sûre dans les villages païens où la croix est plantée. Durant l’année 1887, 617 baptêmes d’adultes ont été administrés au Laos et la population chrétienne atteint le chiffre de 1.396.
Cependant, M. Prodhomme qui vient d’être nommé Provicaire par Mgr Vey, multiplie ses voyages d’un poste à l’autre. Il dirige le mouvement, impose ses méthodes, surveille l’instruction, maintient la liaison et l’unité sur ce vaste front qui s’étend ou va s’étendre bientôt sur une longueur de 500 kilomètres. Il semble que la fatigue n’a pas de prise sur lui. Missionnaire et supérieur ambulant il n’a pas de¬ demeure fixe. Sa demeure est celle de ses missionnaires.
En 1896, ceux-ci réunis à Khamkom pour la retraite annuelle lui démontrent la nécessité de construire une maison convenable sinon pour lui, du moins pour la bonne ordonnance de ces réunions de missionnaires. Chacun lui offrit le denier de sa pauvreté et la maison provicariale fut élevée près de la petite annexe de Nongseng, qui devint ainsi le centre de la Mission et bientôt le siège de l’évêché. A la fin de 1897, le Laos comptait près de 8.000 chrétiens ; le Séminaire que M. Prodhomme avait fondé en 1890 pour être une pépinière de prêtres indigènes, si possible, ou du moins de catéchistes instruits, comptait une centaine d’élèves.
Tout était prêt pour l’érection du Laos en Mission distincte. Mgr Vey, qui, en raison de sa mauvaise santé ne pouvait pas visiter ces brebis éloignées, demanda lui-même cette érection, et le 24 mai 1899, S. S. Léon XIII érigeait le Vicariat Apostolique du Laos et lui donnait comme premier pasteur Mgr Joseph-Marie Cuaz, missionnaire à Chanthabun depuis 14 ans. Avec les souhaits de bienvenue de toute la Mission, M. Prodhomme pouvait offrir au nouvel évêque une liste de 9.262 chrétiens répartis en une dizaine de districts, et, comme résultat de l’année qui prenait fin, 679 baptêmes de païens adultes et 1.761 catéchumènes. En même temps il mettait à son service toutes les richesses de son dévouement et de son expérience. Mgr Cuaz y puisa largement. Il nomma M. Prodhomme son Provicaire.
La nécessité d’abréger nous oblige de passer sur cette période qui ne fut pas la moins intéressante, ni la moins féconde de la vie de notre missionnaire. Signalons toutefois, qu’en 1905, il allait encore, de concert avec un jeune confrère, fonder le poste de Khorat, qui fut le lieu de sa première étape à son entrée au Laos en 1881.
En 1912, Mgr Cuaz, miné par la maladie, crut devoir se démettre de sa charge. Le Saint-Siège, par bref du 2 juin 1913, nommait M. Prodhomme évêque de Gerra et Vicaire Apostolique du Laos. Le 14 septembre il était sacré à Saïgon par son cousin Mgr Quinton. Evêque, il reprend aussitôt ses courses apostoliques. L’allégresse est générale. Dans chaque poste, les chrétiens se pressent en foule sous sa main bénissante. Il préside aux examens sur la doctrine ; il prêche et passe de longues heures au confessionnal.
Puis, viennent les années de la grande guerre, années d’épreuves terribles pour la mission du Laos. Seize missionnaires sont mobilisés. Beaucoup de postes vont être privés de pasteurs. Mgr Prodhomme fait appel à ses vétérans qui restent sur la brèche. Comme autrefois, comme toujours, le sentiment du danger va redoubler ses forces et rallumer ses énergies. Mais lorsque de longs travaux ont doublé le poids des ans et accentué les atteintes de la vieillesse, les énergies rallumées ne font pas feu qui dure. Elle est longue cette guerre et les absents ne reviennent pas.
Le Père Xavier allait le premier succomber à la tâche. Au district qu’il administrait il avait ajouté deux districts voisins que la guerre privait de leurs pasteurs. La visite assidue de ces postes n’était pas au-dessus de son zèle, ni peut-être de ses forces. Mais dans les premiers mois de l’année 1918, la peste pulmonaire fit son apparition dans le Nord de la Mission. Le 20 mars, M. Guégo en ressentit les premières atteintes. Le lendemain, on vint le prévenir qu’une chrétienne se mourait dans le petit village de Pongkin, à quatre heures de cheval. Dès lors M. Guégo oublie son propre mal. Il fait seller aussitôt un cheval, se met en route et arrive chez la malade, moins malade que lui. Il la confesse et lui donne l’Extrême-Onction. Le lendemain, après une nuit agitée, il s’efforce de dire la sainte messe qui devait être pour lui la dernière. Il porte le Saint Viatique à sa malade, puis regagne à cheval son presbytère. Là, il se couche, tel un chêne abattu par l’orage, et ne peut plus se relever. Les chrétiens le décidèrent à se laisser transporter à Nongseng. Ils le placèrent sur une pirogue et à force de rames, après une nuit de voyage, ils arrivèrent à deux heures du matin à l’évêché. Tous les soins furent inutiles. Après avoir reçu le Saint Viatique et l’Extrême-Onction avec la piété d’un enfant, le Vendredi Saint 29 mars 1918, le bon pasteur donnait sa vie pour ses brebis.
Cette mort affecta beaucoup Mgr Prodhomme. Il chercha dans la visite et l’administration des chrétientés du Nord une diversion à la tritesse dont il sentait l’emprise. Au retour de ce long voyage à cheval il présida la retraite annuelle de ses confrères, à Nongseng. Ce fut comme une revue de sa « vieille garde », car les jeunes étaient toujours absents et la mort avait fauché, ainsi que le Père Xavier, deux de ses missionnaires, en France, sur les champs de bataille, et au Laos, deux de ses prêtres indigènes. La constatation de tous ces vides qui n’étaient pas comblés lui donna-t-il le pressentiment trop justifié d’une détresse prochaine ? Pendant cette retraite, les confrères constatèrent des ravages encore imprécis, mais certains, dans cette constitution jusque-là si vigoureuse.
Saint François d’Assise appelait son corps « mon frère l’âne » ; Mgr Prodhomme eût pu appeler le sien « mon frère le cheval ». Sur son corps en effet, nerveux et bien musclé, sa volonté avait la même maîtrise que sa main de fer sur le cheval le plus rétif. Il traitait l’un vec autant de soin, peut-être, mais non avec plus d’indulgence que l’autre.
Après la retraite, le vieil évêque voulut encore visiter et administrer les chrétientés du Sud, et surtout ce poste de prédilection, Oubone, son premier-né, l’objet de ses premières sollicitudes. Il fit à cheval ce long et pénible voyage, et revint à son évêché le corps épuisé, comme un coursier fourbu après une course trop longue, et que l’éperon ne peut plus stimuler. C’était en février 1919. Quelques mois après dans un soubresaut d’énergie il montait encore, péniblement cette fois, sur son vieux cheval, pour aller présider la fête du Patronage de Saint-Joseph à Khamkom. Au retour, sur les instances de ses missionnaires, il consentit à se rendre à Saïgon pour se livrer, inutilement d’ailleurs, aux médecins et à leurs remèdes. Il revint au bout de deux mois et le 18 septembre il était atteint presque subitement d’une paralysie cérébrale.
Dès lors, il semble que dans ce corps ruiné par la fatigue, il reste une volonté luttant encore, comme autrefois à Chanthabun, contre les atteintes de la mort. Ce ne fut que onze mois après, le 20 août 1920 que cette vie d’apôtre jeta sa dernière lueur. Ainsi mourut, entouré de dix de ses missionnaires ou prêtres indigènes, Mgr Constant-Jean Prodhomme, évêque de Gerra et premier fondateur de la Mission du Laos.
~~~~~~~
References
[1428] GUÉGO François (1855-1918)
Références biographiques
AME 1891 p. 402. 1896 p. 458. 1906 p. 243A. 353. 1910 p. 236. 237. 1911 p. 141 sq. 143. 144. 1913 p. 195 sq. 1914 p. 207. 1917-18 p. 362. 1919-20 p. 224. 228. 231. 234. 242. 248. 251 sq. 254. 255. 258. 260. 322. 323. 327. 337 sq. 347. 356. 1923 p. 63. 66 sq. 70. 72. 100. 204. 1924 p. 60. 1936 p. 43. 1937 p. 105. CR 1879 p. 75. 1881 p. 85. 1882 p. 79. 1883 p. 94. 1884 p. 123. 1885 p. 107. 1890 p. 266. 1896 p. 252. 1899 p. 237. 345. 1900 p. 210. 211. 214. 1901 p. 223. 224. 1902 p. 361. 1903 p. 247. 1904 p. 241. 1905 p. 236. 237. 1906 p. 219 sq. 1907 p. 256 sq. 264. 1910 p. 251. 1911 p. 377. 1912 p. 228. 229. 1914 p. 120. 1915 p. 137. 1916 p. 159. 1918 p. 107. 109. 198. 1920 p. 104. 1922 p. 136. 140. 1926 p. 224. 227. 1929 p. 199. 1931 p. 234. 235. 1934 p. 153. 1939 p. 268 sq. 1947 p. 149. 1952 p. 56. 1980-82 p. 149. BME 1922 p. 671. 1923 p. 61. 1924 p. 364. 429. 501. 565. 1934 p. 143. 590. 1938 p. 516. 1941 p. 697. 1954 p. 229 sq. 236. 335. 336. 339. 525. 527. 748. 753. 1956 p. 306. 711. 900. 901. 1094. 1958 p. 789. R.MEP N° 123P7. Enc. PdM. 7P2. Eglise d'Asie N°25/10.