Jean-Baptiste GUÉBRIANT (Budes de)1860 - 1935
- Status : Supérieur général
- Identifier : 1655
- Bibliography : Consult the catalog
- Archives : Papiers de gouvernance de Mgr de Guébriant
Identity
Birth
Death
Episcopal consecration
Status
Other informations
Missions
- Country :
- China
- Mission area :
- 1885 - 1917 (Yibin [Suifu])
- 1917 - 1921 (Guangzhou [Canton])
Biography
Jean-Baptiste de Guébriant est né le 11 décembre 1860 à Paris, paroisse St Thomas d'Aquin, au n°14 de la rue Saint Guillaume. Ses parents sont originaires de St Pol de Léon (Finistère). Il est baptisé en l'église St Thomas d'Aquin et fait sa première communion dans cette même paroisse le 5 mai 1872. Il fait ses études secondaires au Collège Stanislas. Désirant être prêtre, il entre, au mois d'octobre 1881, au séminaire St Sulpice, à Issy-les-Moulineaux, puis aux MEP le 13 septembre 1883.
Il est ordonné prêtre le 5 juillet 1885 et part le 11 octobre pour le Setchuen méridional.
Chine (1885-1921)
La carrière apostolique de Mgr. de Guébriant au Setchuen peut se diviser en trois périodes.
La première comprend ses débuts comme jeune missionnaire, avec ses premiers travaux dans le district de Kuin-lin ; sa première prise de contact avec le Kientchang (1886-1898), la seconde, va de 1898 à 1907 ; elle est plus mouvementée et marquée par de multiples changements de postes ; enfin, en 1907, il retourne au Kientchang où il se dépense pendant dix ans avec beaucoup de zèle.
. Débuts à Kuin-lin
Pour étudier le chinois, on l'envoie dans la petite ville de Tchao-boa-tchen. Il éprouve beaucoup de difficulté, au début, à apprendre cette langue difficile, mais le succès vient cependant et, à la fin de l'année, on lui donne la charge du district de Kuin-lin, qui compte environ 800 chrétiens dispersés dans une vaste paroisse.
Après sept ans de ministère, en 1893, il s'offre à aller travailler dans une partie de la mission plus difficile, le Kientchang. C'est une vaste région où se trouvent quelques 400 chrétiens dispersés, à d'énormes distances, en quinze ou vingt groupes différents. Avec son compagnon, le P. Uzureau, ils veulent entreprendre des voyages pour visiter les chrétiens, mais l'été qui fait fondre la neige des montagnes, les retient trois mois à Lou-kou, en raison des crues. Finalement, au bout d'un an d'apostolat, le P. de Guébriant tombe malade de la fièvre typhoïde. Son confrère le soigne et le malade recouvre la santé. Mais ce confrère finit lui-même par contracter la maladie et expire le 12 août 1894.
Après ce deuil, c’est la persécution... 1895 est pour le Kientchang une année terrible. La guerre sino-japonaise n'épargne pas ce coin reculé de la mission : des oratoires sont démolis, des écoles et orphelinats fermés, des maisons de chrétiens brûlées, et les missionnaires sont obligés de fuir, pour aller se réfugier à Yunnan-sen. L'orage apaisé, les missionnaires reprennent leur travail, obtenant des résultats encourageants.
En 1898, une décision épiscopale vient enlever le P. de Guébriant à son oeuvre, quand il est nommé provicaire de toute la mission, avec résidence à Yatchéou.
. Provicaire de la mission
Cette deuxième partie de sa vie missionnaire va être assez mouvementée. On l'envoie d'abord à Pékin pour traiter de la difficile question des réparations dues à la mission pour le pillage de l'année précédente. Puis il va à Shanghai et jusqu'au Japon, en attendant les résultats des négociations de Pékin, qui s’avèrent d'ailleurs favorables ; le Père retourne à Suifu en 1900. Au début de 1900, il s'établit au Séminaire de Ho-ti-kéou, et passe là quelque temps dans le calme et le réconfort de la communauté du séminaire.
Mais voilà maintenant l'insurrection des Boxers. Son évêque l'envoie à Shanghai, d'où il part pour l'Europe pour accompagner Mgr. Favier, vicaire apostolique de Pékin qui revient au milieu de 1901 à Suifu. Le 14 septembre, Mgr. Chatagnon partant pour Hongkong et la France, confie au Père provicaire l'administration provisoire du vicariat. L'intérim dure 18 mois, au cours desquels il installe le Collège des Pères Maristes et accueille les Franciscaines Missionnaires de Marie.
Après le retour de son évêque, le Père s'installe à Wang-ta-tsoui, au début de 1904. Il réussit à faire jusqu'à 200 baptêmes d'adultes, mais il est loin de jouir du calme; en effet, en 1905, une nouvelle explosion du boxerisme sévit dans la région avec des incursions de brigands. Le Père reçoit alors une nouvelle nomination pour le Kientchang. Il allait pouvoir s'y dévouer sans relâche pendant dix années.
. Kientchang
En 1907, il part explorer le pays Lolo. En 1908, il visite cette région plus grande que dix diocèses de France. En 1910, le Kientchang est érigé en mission distincte, et le P. de Guébriant en est nommé le premier vicaire apostolique. Il est sacré le 29 novembre 1910 à Suifu. En 1911, après un rapide voyage en France, il apprend, à son arrivée à Hanoi, le 14 novembre, que le Kientchang est en révolution et que son provicaire, le P. Castanet, a été massacré par les brigands. Arrivé à Nyingiuangfu, il apprend qu'un missionnaire et 25 chrétiens ont été massacrés, plusieurs centaines de fidèles dispersés après avoir été traqués ou pillés. C'est un vrai désastre.
Au cours d'une période d'accalmie, on essaie de réparer les dégâts, mais la grande guerre est déclarée en 1914, et huit missionnaires sur douze sont mobilisés. Toutefois, au bout de quelques mois, sept d'entre eux reviennent à leur ministère. Alors l'horizon s'éclaircit pour le vicaire apostolique, qui compte, en 1915, 6.500 chrétiens dans son vicariat, 77 écoles, un séminaire avec 40 séminaristes. Mgr de Guébriant ordonne son premier prêtre chinois, le P. Damien Tchang ; le nombre des baptêmes de païens s'élève jusqu'à 200.
. Canton
Cependant, le 2 avril 1916, il est nommé par Rome vicaire apostolique de Canton. Il quitte Ningiuanfu le 8 janvier 1917.
Il ne reste à Canton qu'à peine 4 ans. Il travaille immédiatement à la division de son immense vicariat, et à la création des vicariats apostoliques de Pakhoi et de Shluchow. Il cède la région de Kong-moon aux pères américains de Maryknoll. Le 22 juillet 1919, le Pape Benoît XV le charge de la visite apostolique des vicariats de Chine. En 1920, il va à Rome prendre part aux travaux d'adaptation du Règlement des MEP au nouveau droit canon. Le 21 mars 1921, à l'Assemblée générale des MEP, il est élu supérieur général. Il arrive à Paris le 9 octobre 1921 pour commencer son supériorat, qui devait durer 14 ans.
Mgr. de Guébriant fut un zélé missionnaire en Chine, un courageux archevêque et un brillant supérieur général.
. Supérieur général des MEP (1921-1935)
Dans la période difficile d'adaptation au nouveau droit canon, il négocie habilement à Rome pour que soit préservé le statut de société de prêtres séculiers. En effet, cela permet de travailler à la promotion du clergé indigène, premier but des MEP. Il s'intéresse toujours aux travaux et aux efforts entrepris dans les Missions pour céder au clergé indigène les régions où la foi est déjà solidement implantée.
Il se réjouit de la nomination des premiers évêques chinois, proposés à Rome par d'autres missionnaires. Quant à lui, il a le bonheur de voir en 1927 la division du diocèse de Nagasaki, dont la portion principale est confiée au premier évêque japonais, Mgr. Hayasaka. Puis c’est le tour des Missions du Setchuen en 1929 : trois vicariats indigènes (Chungking, Wanhsien et Yachow). Dans le sud de l'Inde, vient la cession du nouveau diocèse de Kumbakonam en 1930, avec la nomination d'un évêque indien, Mgr. Peter Francis. Au Tonkin, le 11 juin 1933 Mgr. Tong est sacré évêque en la Basilique Vaticane par S.S Pie XI pour Phatdiem. En 1935, enfin, (année de la mort de Mgr. de Guébriant) une nouvelle préfecture apostolique est érigée, détachée du Yunnan, avec comme premier préfet le P. Damien Tchang, qui avait été ordonné prêtre au Kientchang par lui...
Apôtre avant tout, Mgr. de Guébriant cherche d'autres collaborateurs. C’est le cas pour l'île de Hainan, qui est confiée aux Picpuciens ; un territoire taillé dans le vicariat de Yunnanfu est confié aux Pères de Betharam ; au Japon, Hakodate échoit aux Dominicains canadiens. Ce sont ensuite Franciscains et Salésiens qui s'établissent au Japon, et au Siam, les missionnaires suisses de Bethlehem, ceux de Maryknoll, les Oblats de Marie, les Pères Rédemptoristes, les chanoines réguliers du Grand St Bernard, ceux de St Maurice en Valais. Enfin, les Sulpiciens, grâce à la générosité du futur Cardinal Verdier, viennent diriger le grand séminaire de Hanoi, et un peu plus tard celui de Yunnanfu.
Du côté des Frères, il n'obtient que de maigres résultats, mais il réussit à envoyer des religieuses en Asie : les Soeurs de St Vincent de Paul à Saigon et au Japon, les Salésiennes Missionnaires à Pakhoi et Fort Bayard, les Soeurs de Charité de St Anthide Thouret au Laos, les Franciscaines Servantes de Marie de Blois à Salem en Inde, les Franciscaines Missionnaires de Marie à Quinhon, à Kirin, au Tibet, les Chanoinesses de St Augustin en Cochinchine. Toutes ces fondations sont dues aux efforts de Mgr. de Guébriant.
Mais s'il cherche et accueille les collaborateurs du dehors, il ne néglige jamais le recrutement aux MEP. Il s'entoure de propagandistes pour faire connaître les missions d'Asie, et lui-même va souvent faire des conférences dans les séminaires et maisons d'éducation. Il s'intéresse personnellement aux candidats qui désirent entrer aux MEP et correspond souvent avec eux.
Une de ses préoccupations est de répondre à certains articles dans la presse catholique de « missiologues en chambre », selon ses termes, qui méconnaissent l'oeuvre des missionnaires, en particulier pour le développement, la formation et la promotion du clergé indigène.
La spiritualité et la piété de Mgr. de Guébriant est solide et profonde. Il s'inspire beaucoup de St Paul dans ses lectures spirituelles aux aspirants de Paris et de Bièvre et les encourage à devenir des missionnaires zélés dans une simplicité de vie exemplaire. Il dit souvent :
« Chers amis, si j'avais à recommencer aujourd'hui ma vie missionnaire, je le ferai de tout cœur. »
Le dernier voyage de Mgr. de Guébriant, le départ pour l'éternité, est simple et rapide, simple comme sa vie missionnaire durant 50 années au service de l'Église.
Le lundi 4 mars 1935, il rentre de Bretagne à Paris et, se sentant à bout de forces, il s'alite. Dans la nuit du 5 au 6 une hémorragie se produit. À 2 heures du matin, une autre hémorragie est suivie d'une autre à l'aube du 6 mars. Le P. Robert lui donne l'Extrême Onction. Dans la matinée, il reçoit les visites du Cardinal Verdier et de Mgr. Maglicone, nonce apostolique, de Mgr. Boucher, Mgr. Olichon et Mgr. Mério. Vers 10 heures du matin, Mgr. de Guébriant exprime le désir de revoir tous les aspirants, les pères et frères MEP de la maison. Il donne à chacun sa bénédiction, avec un sourire péniblement esquissé. À 3 heures de l'après-midi, il s'éteint paisiblement. Mgr. Maglicone, revenu une deuxième fois pour le voir, récite le Subvenite, l'adieu suprême de la liturgie.
C'était le mercredi des Cendres.
Obituary
Notices Nécrologiques
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Mgr de GUÉBRIANT
SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DE LA SOCIÉTÉ DES MISSIONS-ÉTRANGÈRES
Mgr BUDES DE GUÉBRIANT (Jean-Baptiste-Marie), né le 11 décembre 1860 à Paris. Entré minoré au Séminaire des Missions-Étrangères le 13 septembre 1883. Prêtre le 5 juillet 1885. Parti pour le Setchoan Méridional le 7 octobre 1885. Évêque d’Eurée et 1er Vicaire-Apostolique du Kientchang le 12 août 1910. Vicaire-Apostolique de Canton le 28 avril 1916. Elu Supérieur Général de la Société des Missions-Étrangères le 21 mars 1921. Archevêque de Marcianopolis le 10 décembre 1921. Assistant au trône pontifical le 15 janvier 1922. Mort à Paris le 6 mars 1935.
Bien qu’une brochure spéciale ait déjà fixé dans ses grandes lignes la vie toute d’action et de dévouement de Mgr de Guébriant, il est juste que le compte rendu annuel de la Société où sont conservées les notices biographiques de nos confrères défunts, évoque la mémoire du grand missionnaire qui a porté, le premier, le titre de Supérieur Général des Missions-Étrangères de Paris. Forcément, nous serons courts et ne pourrons que tracer rapidement les étapes de ses cinquante années d’apostolat, souligner les qualités du chef que nous pleurons, esquisser quelques traits de sa belle physionomie, noter quelques souvenirs que nos confrères seront heureux de se remémorer avec nous.
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Né à Paris le 11 décembre 1860, 14, rue Saint-Guillaume, Jean de Guébriant fut baptisé en l’église Saint-Thomas-d’Aquin deux jours après ; et c’est dans cette même paroisse qu’il fit le 5 mai 1872 sa première communion. Il fit ses études secondaires au collège Stanislas d’une façon brillante et c’est là qu’il s’ouvrit à Mgr d’Hulst de son désir d’être prêtre et missionnaire. Au sortir du collège, alors qu’il s’agissait d’orienter sa vie vers le monde ou l’apostolat, fort de l’approbation de son directeur, il annonça à sa famille qu’il voulait être prêtre, mais à sa mère seule il confia qu’il voulait être prêtre-missionnaire. Profondément chrétienne, celle-ci s’inclina devant ce qu’elle comprit être la volonté de Dieu, et accepta généreusement le sacrifice qui lui était demandé, tout en conseillant à son enfant de passer d’abord par le Séminaire de Saint- Sulpice. Jean y consentit et au mois d’octobre 1881, il entrait à Issy où il devait rester deux ans et recevoir la Tonsure et les Ordres Mineurs.
Le Bulletin des Anciens Élèves de Saint- Sulpice ( no 143 du 15 novembre 1935) a publié sur le séjour du jeune clerc au Séminaire d’Issy des notes intéressantes rédigées par son ami intime, l’abbé Vianey. De ces notes je ne veux extraire que le jugement porté par M. Icard, en pleine lecture spirituelle, sur le missionnaire peu après son départ pour la Chine. Le vénérable supérieur disait quelle puissance peuvent avoir pour le bien, l’exemple et la conversation d’un bon séminariste : « C’est, ajouta-t-il comme ce bon M. de Guébriant que plusieurs d’entre « vous ont connu. Je puis le nommer car il est maintenant en pleine mer, loin d’ici. Ce cher « enfant était tellement rempli de l’esprit du bon Dieu ; qu’il était comme un baume. Chacun « aurait voulu être avec lui.». Qu’on rapproche cette déclaration de la note où au moment de son admission aux Missions-Étrangères, il était présenté comme « un aspirant de grand nom, « de grand talent, de grande fortune, mais de modestie, de piété, de vertus encore plus « grandes », et on saura l’estime qu’il avait acquise auprès de ses Directeurs de Saint- Sulpice.
M. le Comte de Guébriant ne soupçonnait pas les projets de son fils et lorsqu’en 1883 celui-ci se décida, à parler et à dévoiler ses aspirations vers l’apostolat en pays infidèle, à cette révélation inattendue, le père pâlit sous le coup d’une émotion profonde et demeura un instant sans parole ; mais fervent chrétien comme sa noble épouse, il s’inclina lui aussi devant la volonté de Dieu et donna son consentement. Deux ans plus tard, plus que résigné, il disait à son fils le jour de sa première messe : « Je suis bien content de ta vocation ».
Le 13 septembre 1883, l’abbé de Guébriant entrait à la rue du Bac. Ordonné sous-diacre le 20 septembre 1884, diacre six mois après, il reçut la prêtrise le 5 juillet 1885 des mains de Mgr Laouenan, Vicaire Apostolique de Pondichéry ; et le soir du même jour il apprenait qu’il était destiné à la mission du Setchoan Méridional.
La cérémonie du départ eut lieu le 7 octobre et le dimanche suivant 11 octobre, avec neuf de ses confrères, le P. de Guébriant s’embarquait à Marseille pour la Chine. Lui-même a raconté plus tard la tentation qui se présenta à lui au moment où le paquebot s’éloignait des côtes de France. Son âme fut soudain envahie par une horrible impression de solitude, d’angoisse, d’obscurité : « A quoi bon partir ? que ferai-je ? quel avenir pour moi ? Je passai « un moment atroce ! …Hors de moi, j’ouvris l’Imitation et mes yeux tombèrent sur ce « passage : Celui qui me suit, ne marche pas dans les ténèbres. Ce fut comme une révélation ; « la lumière se fit dans mon âme et jamais depuis lors, je n’ai ressenti les angoisses de ce « moment du départ.» Non, jamais ! et cinquante ans plus tard, le jour de sa mort, le jeune partant de 1885 devenu un vétéran de l’apostolat dira à Mgr Olichon : « On meurt heureux quand on a donné toute sa vie aux Missions ! »
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La carrière apostolique de Mgr de Guébriant au Setchoan peut se distinguer en trois périodes. La première comprend ses débuts comme jeune missionnaire, ses premiers travaux dans le district de Kuin-Lin et enfin sa première prise de contact avec le Kientchang (1886-1898) ; la seconde qui va de 1898 à 1907 est plus mouvementée et marquée par de multiples changements de postes et de fonctions ; enfin en 1907 il retourne au Kientchang où il se dépensera dix années durant avec une ardeur inlassable.
Pour étudier la langue chinoise il fut envoyé par le Provicaire (Mgr Lepley, Vicaire Apostolique, était parti malade à Hongkong) dans la petite ville de Tchao-hoa-tchen. « J’avance avec une extrême lenteur dans l’étude du chinois, lisons-nous dans une de ses « lettres de juin 1886. On me disait en France, et Dieu sait comme j’y croyais volontiers, que « l’étude des langues serait pour moi un jeu. Je vois maintenant ce qu’il en faut penser et ce « que vaut cette facilité dont j’étais si convaincu sans le paraître. Après quatre mois d’un « travail très sérieux, je n’arrive que bien rarement à comprendre ou à être compris même sur « les choses les plus simples. Puisse cette leçon me profiter !…»
Le succès vint cependant et sur la fin de cette même année, ses supérieurs le jugeaient capable de prendre charge du district de Kuin-Lin, avec sept ou huit cents chrétiens dispersés, dit-il lui-même, aux quatre vents du ciel. « J’y suis bien heureux, écrira-t-il en juin 1888. « L’extrême variété de mon ministère, ministère de la prédication, du catéchisme, des « confessions presque quotidiennes, ministère auprès des catéchumènes, ministère tout « sulpicien, auprès de trois jeunes gens se préparant de loin aux saints ordres, administration, « de l’œuvre ici fort développée de Sainte-Enfance, tout cela et ce que j’oublie fait un « ensemble bien attachant pour le cœur. Les petites misères d’un climat fatigant, des voyages « incommodes, des gîtes misérables y mêlent leur saveur. »
Nous sommes en 1893. Depuis sept ans environ, le P. de Guébriant se dépensait à Kuin-Lin. Il commençait à y recueillir quelques consolations, il voyait grandir toutes les petites chrétientés et, dans des régions jusque-là déshéritées, en surgir de nouvelles comme par enchantement, lorsque pour tirer d’embarras son évêque, il s’offrit à aller travailler dans une partie de la mission qui ne ressemblait pas du tout aux autres, le Kientchang, pays inconnu entre tous (ce sont ses propres termes) et qui est aux riches provinces de la Chine Méridionale ce qu’est la Mongolie à celles du Nord ou le Sahara à l’Algérie. Comme population catholique, quelque quatre cents chrétiens dispersés à d’énormes distances en quinze ou vingt groupes différents. Comme personnel, trois missionnaires, dont le doyen le P. Gourdin, qui avait ses trente ans révolus de séjour en Chine, et peinait depuis 1876 dans cette région perdue où plusieurs fois il avait vu sa vie en danger. « Nous restons deux pour composer l’armée « active mon compagnon est le P. Usureau entré rue du Bac huit jours avant moi, qui avait fait « avec moi le voyage de Chine. C’est un saint auquel je ne sais quelle vertu souhaiter. L’été « qui fait fendre les neiges et gonfle les moindres ruisseaux nous bloque à Lou-Kou pour trois « mois en coupant toutes les routes. Aussitôt après, nous essaierons d’un petit plan de « campagne moitié vieux, moitié neuf, dont le bon Dieu tirera ce qu’il voudra. »
Le bon Dieu voulut autre chose. Un an ne s’était pas écoulé que le P. Guébriant tomba malade de la fièvre typhoïde : il guérit, mais son confrère et ami qui s’était fait son dévoué infirmier, contracta le terrible mal à son chevet et expira entre ses bras le 12 août 1894. « En « venant au Kientchang au commencement de l’année dernière, j’avais prévu et accepté tous « les sacrifices, excepté celui-là. Obmutui quoniam tu fecisti. Je ne suis ni abattu ni découragé, « mais quel crève-cœur ! »
Après les deuils, la persécution ! 1895 fut pour le Kientchang une année terrible. La tourmente déclenchée au Sutchuen à la suite de guerre sino-japonaise s’étendit rapide et sauvage à cette partie reculée de la province : oratoires abattus ou fermés, écoles, orphelinats supprimés, maisons de chrétiens brûlées, fidèles dispersés, les missionnaires obligés de fuir et de se réfugier à Yun-nan-sen. Matériellement, le P. Guébriant y perdait tout ce qu’il avait « y « compris, dit-il, ma petite bibliothèque à laquelle je tenais un peu ; je suis sûr d’être pauvre « au moins une année de mon existence, et ce sera de bon cœur. »
L’orage apaisé, les ouvriers reprirent leur travail qui se poursuivit sinon sans fatigue et sans souci, du moins dans un calme relatif et avec des résultats encourageants. En dépit de Confucius et de ses adeptes, le bien se faisait ; aidé de jeunes confrères pleins d’allant, le provicaire entrevoyait de consolants succès dans ce Kientchang jadis réputé réfractaire à l’Evangile, lorsqu’une décision épiscopale vint l’enlever à ses œuvres et à ses chrétiens en le nommant provicaire de toute la mission avec résidence à Yatcheou. C’était en 1898.
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Nous arrivons à l’époque la plus mouvementée, la plus fertile en changements de la vie du P. de Guébriant au Sutchuen. On va en juger :
Il a à peine pris possession de son nouveau district que Mgr Chatagnon l’envoie à Pékin pour traiter la difficile question des réparations dues à la Mission pour les pillages de l’année précédente. Comme il fallait s’y attendre, les affaires traînèrent en longueur : il en profita pour faire le voyage de Shanghai et du Japon puis, les négociations de Pékin ayant eu une issue favorable, il retourna à Suifu. Au début de 1900, il se trouve au Séminaire de Ho-Ti-Keou, dont le P. Gire est Supérieur ; du nord de la mission, il a passé au Sud, de Yatcheou aux environs du Fleuve Bleu. « Après la vie active et les perpétuelles chevauchées, ce sont les « habitudes calmes et sédentaires de la vie de communauté. » Pas pour longtemps, car l’insurrection des Boxers a eu son contre-coup au Sutchuen. Le soir de l’Assomption, notre confrère reçoit de son évêque l’ordre imprévu de se joindre à un groupe de sept missionnaires malades ou expulsés de leurs postes et de descendre avec eux à Shanghai. Il eut l’explication de cet ordre lorsqu’il sut que Mgr Favier, Vicaire Apostolique de Pékin, devant retourner en Europe pour exposer à Rome et à Paris la situation dans sa lamentable réalité, l’avait demandé pour l’accompagner à titre de secrétaire. En novembre 1900, il voguait vers la France.
Vers le milieu de 1901, il était de retour à Suifu, et le 14 septembre, Mgr Chatagnon partant pour Hongkong lui confiait avec l’administration provisoire du Vicariat, le soin particulier de la principale paroisse de la capitale. Cet intérim devait durer dix-huit mois. C’est alors qu’il eut à s’occuper de l’installation du collège des Frères Maristes à Suifu, puis de la venue des Franciscaines Missionnaires de Marie. En mars 1903, le Vicaire Apostolique rentre de France, et au début de 1904 le P. de Guébriant s’installe à Wang-Ta-Tsoui, région qui n’avait pas encore été évangélisée. Il y eut comme catéchiste et directeur d’école un jeune séminariste qui s’appelait Mathieu Ly, le futur Vicaire Apostolique de Yachow. Dès la première année, il recueille 158 baptêmes, l’année suivante, il arrive à deux cents. Et pourtant il est loin de jouir du calme. Une nouvelle explosion de boxerisme sévit dans la région. Dans un village écarté, c’était en mars 1905, il célébrait la messe à minuit afin de partir à l’aurore vers une autre station. Il en était au Kyrie eleison, lorsque soudain retentit un cri : « Voilà les brigands » . Sans lui laisser le temps d’ôter les vêtements sacerdotaux ses chrétiens l’arrachent de l’autel et l’entraînent hors du village loin du péril dont ils se croyaient enveloppés et qui était encore à plus de dix kilomètres.
Des aventures de ce genre lui faisaient aimer le pays qu’il évangélisait et la vie dangereuse qui était la sienne. Il n’en fut pas moins heureux lorsqu’en 1905 son évêque lui demanda de retourner au Kientchang. Cette fois il allait pouvoir s’y dévouer sans relâche pendant dix années.
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Un confrère du Kientchang a publié dans le Bulletin de la Société (juin 1935) des pages intéressantes sur ce que fut l’action de Mgr de Guébriant dans cette province. Contentons-nous de relever les principaux événements de cette période.
En 1907, il guide lui-même la mission l’Ollonne à travers le pays lolo.
En 1908, il tient à explorer avec deux de ses missionnaires tout le pays soumis à sa juridiction, plus grand que dix diocèses de France, tournée qu’il qualifie lui-même comme matériellement fort pénible, mais en même temps heureuse et utile, dans les stations les plus difficiles d’accès.
En 1910, c’est l’érection du Kientchang en mission distincte, et la nomination du P. de Guébriant comme Vicaire Apostolique. Il fut sacré le 20 novembre 1910 à Suifu par Mgr Chouvellon, Vicaire Apostolique de Chungking. Les huit missionnaires et les trois prêtres indigènes qui travaillaient alors dans le Kientchang furent laissés libres d’opter pour la Mission de Suifu. Aucun ne voulut user de cette autorisation et cet acte de générosité et d’attachement fut la première joie du nouvel évêque.
En 1911, après un rapide voyage en France, où il voulait susciter des sympathies et trouver si possible de l’aide pour le jeune Vicariat, il rentre en l’Extrême-Orient. Hélas ! c’est pour y apprendre le 14 novembre à Hanoï que le Kientchang est en révolution et que son provicaire, le P. Castanet, a été massacré par les brigands. Vite, il se rapproche de sa mission en montant à Yunnan-Sen et de là, sitôt que la route de retour semble praticable, il se remet en chemin. Le 23 décembre il était à Ningyuanfu où il pouvait faire le bilan de la tourmente : « Un « missionnaire et vingt-cinq chrétiens massacrés, une dizaine d’établissements détruits au « moins partiellement, plusieurs centaines de fidèles dispersés après avoir été traqués ou « pillés. Pour le Kientchang c’est un désastre. Dieu aidant, il sera réparé.»
1912 et 1913 se passent sinon dans une paix profonde, du moins dans un calme relatif et une tranquillité suffisante grâce à quoi il est remédié au dégât matériel et moral ; on reprend la marche en avant. Mais en 1914, c’est la grande guerre qui commence : huit missionnaires sur douze sont mobilisés. La situation redevient douloureuse et angoissante. Heureusement qu’au bout de quelques mois sept d’entre eux sont rendus à leur ministère et l’évêque peut respirer. Il voit se développer toutes les œuvres : son vicariat compte 6.500 chrétiens, 77 écoles avec 1.800 élèves, le nombre de baptêmes de païens en 1915 est de 800, il a dans son séminaire quarante séminaristes, il a ordonné son premier prêtre indigène, le P.Damien Tcheng. C’est à ce moment qu’il reçoit inopinément la nouvelle de son transfert du Vicariat Apostolique du Kientchang à celui de Canton. Si la désolation des chrétiens et des missionnaires fut grande, grand aussi sera le serrement le cœur du prélat en quittant le 8 janvier 1917 Ningyuanfu et en disant adieu à une Mission d’autant plus aimée, qu’elle avait été pour lui féconde en sacrifices et en épreuves. Du moins pouvait-il se rendre ce témoignage que du bon travail avait été fait.
Le séjour de Mgr de Guébriant à Canton fut en définitive très court : quatre ans à peine. Frappé dès son arrivée de l’immense étendue du territoire à lui confié, il envisagea immédiatement la possibilité de le diviser et d’en céder une partie à d’autres Sociétés. Ses démarches aboutirent à la création des Vicariats Apostoliques de Pakhoi et de Shiuchow, ce dernier confié aux Salésiens de Dom Bosco. En même temps, il signait avec le fondateur de la jeune Société des Missions-Étrangères américaines de Maryknoll un projet de cession de la région appelée de Kong-moon, projet qui reçut l’approbation de la S. C. de la Propagande. Ce fut la principale initiative de son épiscopat à Canton.
Le 22 juillet 1919, le Pape Benoît XV le chargeait de la Visite Apostolique des Vicariats de Chine. En 1920, il était à Rome pour rendre compte de sa mission et prendre part aux travaux d’adaptation de notre Règlement au nouveau Code de Droit Canonique. A la fin de cette même année, il était de retour à Canton, et le 21 mars 1921 à l’Assemblée Générale de la Société tenue à Hongkong, il était élu Supérieur de la Société des Missions-Étrangères.
Sa vie proprement missionnaire touchait à son terme : toutefois avant de quitter l’Extrême-Orient, il dut encore, sur des ordres de Rome, procéder à la Visite Apostolique de Sibérie.
Le 9 octobre 1921, Mgr de Guébriant arrivait au Séminaire de la rue du Bac pour commencer un Supériorat qui devait durer quelque quatorze ans. Quelle fut son action durant cette ultime période de sa vie, quel fut le but de son travail et de ses efforts, la dernière partie de cette notice où nous allons tâcher d’esquisser quelques traits de sa physionomie, le donnera suffisamment à entendre.
Le trait dominant et cette grande figure fut l’amour de Dieu et des âmes. Mgr de Guébriant ne vivait que pour les Missions : en activer sans cesse le développement, élargir toujours les frontières du royaume du Christ, travailler à implanter la foi d’une manière de plus en plus intense dans le pays où peinent nos missionnaires, tel était l’objet de ses pensées et le mobile de ses actes. Se penchant sur la carte d’Extrême-Orient, il contemplait les points, trop nombreux, hélas ! où le vrai Dieu n’avait pas encore été annoncé, cherchait à susciter des initiatives hardies pour commencer le défrichement de parties encore incultes. Quelle joie pour lui lorsqu’il apprenait qu’une nouvelle poussée était faite, qu’un Vicaire Apostolique faisait une tentative dans une direction nouvelle, qu’un missionnaire entreprenant s’installait sur un nouveau territoire ! Ses encouragements, son aide positive autant qu’il le pouvait, ne manquaient pas. Il se rappelait sans doute le temps où lui-même était parti, si on peut dire, à la conquête du Kientchang. Et, lors de sa visite en Extrême-Orient (1931-1932), ce fut un bonheur pour lui de se rendre compte de visu des efforts et des travaux entrepris dans les jeunes missions de Salem et de Fukuoka, dans le district de Xiengmai au nord du Siam. Pour lui le missionnaire devait être un défricheur, un conquérant : confier dès que possible au clergé indigène les régions dans lesquelles la foi était déjà sérieusement et solidement implantée et aller plus loin, là où tout était à recommencer, c’est ainsi qu’il comprenait notre rôle.
Fut-il un des promoteurs de la création d’évêchés indigènes ? Dans son rapport à Rome, après sa visite Apostolique en Chine, appuya-t-il d’une manière spéciale sur l’opportunité et l’actualité de cette mesure ? je ne l’ai jamais su positivement, mais je serais très enclin à le croire.
Toujours est-il qu’il se réjouit de la nomination des premiers évêques chinois, tout en regrettant peut-être au fond du cœur qu’il n’y en eût pas dans les vieilles missions de la Société des Missions-Étrangères. Il ne devait pas tarder à avoir satisfaction. Grâce en grande partie à lui, ce fut d’abord en 1927 la division du diocèse de Nagasaki : le département de Nagasaki avec 54.000 chrétiens était confié au premier évêque japonais, Mgr Hayasaka, et nos confrères se rabattaient sur Fukuoka où ils n’avaient que 8.000 catholiques ; c’était bien dans l’ordre. Puis ce fut le tour des missions du Sutchuen en 1929 ; trois nouveaux vicariats indigènes : Shunking, 18.000 chrétiens ; Wanhsien, 20.000 chrétiens ; Yachow, 7.000 chrétiens. Dans le sud de l’Inde, son attention fut attirée sur le diocèse de Kumbakonam, détaché de Pondichéry en 1899 : 100.000 catholiques environ. N’y avait-il pas là aussi quelque chose à faire ? Pressenti par lui, l’évêque, Mgr Chapuis, répondit immédiatement qu’il se conformerait volontiers aux désirs de Rome et la question fut de suite soumise à la Propagande, pour aboutir finalement en 1930. Au Tonkin, Mgr Marcou songeait à remettre sa belle mission de Phat-Diem et ses cent mille fidèles au clergé annamite ; il eut vite l’approbation de Mgr de Guébriant : le 11 juin 1933, Mgr Tong coadjuteur avec future succession du Vicaire Apostolique de Phat-Diem, était sacré en la basilique vaticane par S.S. Pie XI. En 1935, enfin, ce sera l’érection d’une nouvelle préfecture apostolique détachée du Yunnan avec, comme premier supérieur le P. Damien Tcheng, le premier prêtre qu’avait ordonné au Kientchang Mgr de Guébriant.
Celui-ci pensait à d’autres projets du même genre. Sans hâte ni impatience, il examinait les possibilités de nouvelles érections, faisant des propositions, provoquant d’utiles suggestions, soupesant les avantages et les difficultés, bref, préparant l’avenir, en se réservant d’agir lorsque le moment favorable serait venu.
Par ailleurs, apôtre avant tout, Mgr de Guébriant ne considérait pas que le terrain où travaillaient ses missionnaires fut un champ clos sur lequel il n’aurait été permis qu’à eux de se dévouer. D’autres collaborateurs, il les souhaitait, bien plus il les cherchait et les sollicitait. On a lu plus haut ce qu’il fit à Canton. Sous son supériorat, l’île de Haïnan fut confiée aux Picpuciens ; les missionnaires de Bétharram acceptèrent avec courage un territoire taillé dans le vaste Vicariat de Yunnanfu ; Hakodaté échut aux Dominicains Canadiens. Les Salésiens et les Franciscains venaient au Japon, les missionnaires suisses de Bethléem, les missionnaires des Missions-Étrangères de Québec en Mandchourie suivis bientôt par ceux de Maryknoll, les Salésiens encore au Siam, les Oblats au Laos. Les Rédemptoristes et les Franciscains fondaient des œuvres en Indo-Chine : les chanoines réguliers du Grand Saint-Bernard étaient orientés vers le Thibet, ceux de Saint-Maurice vers le Sikkim. Et puis, grand bonheur pour notre Supérieur ; les Fils de M. Olier acceptaient la direction d’un grand Séminaire à Hanoï en attendant d’y joindre plus tard celle du Séminaire de Yunnanfu. Oh ! qu’il paraissait heureux le jour où il put nous apprendre que le Conseil de Saint-Sulpice avait dit oui ; et quelle reconnaissance il garda toujours de cet acte à celui qui devait être le Cardinal Verdier, archevêque de Paris !
De l’aide, de l’aide pour les Missions ! Ce cri, il le poussait aussi en se tournant vers les Congrégations de Frères. La question de l’enseignement catholique n’est-elle pas vitale à cette heure où l’instruction se développe de plus en plus en Extrême-Orient ? Hélas ! de ce côté-là il fut moins heureux, et le constatait avec tristesse. Certes la bonne volonté ne manquait pas, le désir de répondre à des appels si motivés non plus : mais les Sociétés françaises anémiées par des lois funestes, encore appauvries en sujets par suite de la guerre, ne se sentaient pas de force à entreprendre de nouvelles fondations.
Du côté des Instituts de religieuses, il eut plus de succès. Arrivée des Sœurs de Saint- Vincent de Paul à Saïgon et au Japon, des Catéchistes Missionnaires de Marie à Pakhoï et Fort Bayard, des Sœurs de charité de Saint- Anthide Thouret au Laos, des Franciscaines Servantes de Marie de Blois à Salem, nouvelles fondations des Franciscaines Missionnaires de Marie à Quinhon, à Kirin, au Thibet, venue des Chanoinesses de Saint-Augustin en Cochinchine, pour ne citer que celles-là, ce furent pour lui autant d’événement heureux, qu’ils aient été le résultat de ses démarches personnelles ou de celles des Supérieurs de Missions.
Dans cet ordre d’idées, je dois signaler les efforts qu’il a prodigués pendant plusieurs années pour la fondation du collège de la Providence à Hué. Cette œuvre lui tenait à cœur ; lettres, démarches, visites, il n’épargna rien pour trouver le personnel enseignant nécessaire à ce collège : déçu d’un côté, il recommençait d’un autre, sans se lasser ni perdre espoir. Lorsque Mgr Chabanon se décida finalement à lancer cette œuvre avec le seul concours qu’il pouvait trouver sur place parmi ses missionnaires : Dieu vous bénira, lui dit notre Supérieur, puisque vous avez confiance en Lui !
Mais si Mgr de Guébriant cherchait et accueillait avec empressement les collaborateurs du dehors, il ne négligeait point pour autant, au contraire, il regardait comme un des premiers devoirs de sa charge le recrutement de notre Société. La propagande pour susciter des vocations apostoliques était sa préoccupation de tous les jours. Il stimulait et encourageait ceux de nos confrères qui se dévouent à cette œuvre importante mais délicate. Lui-même donnait de sa personne, toutes les fois qu’il en trouvait l’occasion ne reculant devant aucun déplacement aux quatre coins de la France pour faire des conférences dans les Séminaires ou autres maisons d’éducation, parler dans les journées de mission sur les besoins de l’apostolat, la pénurie d’ouvriers. Sans chercher à solliciter la jeunesse par l’attrait de l’inconnu, sans peindre sous des couleurs uniquement séduisantes le travail apostolique, il se contenait de donner des chiffres, d’expliquer l’étendue des territoires où Dieu n’est pas adoré, de rappeler les millions de païens qui attendent encore de bonne nouvelle ; et il laissait à son auditoire le soin de conclure. Messis quidem multa, operarii autem pauci.
Sa satisfaction était grande chaque fois qu’il recevait une demande d’admission ou qu’un jeune homme s’ouvrait à lui de son idée d’être missionnaire. Il se réservait volontiers le soin de répondre, d’entretenir une correspondance parfois longue avec le candidat. Faut-il le dire ? il se laissait étrangement tromper quelquefois, prenant pour sérieux ce qui n’était que velléité de surface, ne semblant pas apporter une attention suffisante aux critériums défavorables, bref, plus enclin à ne retenir que les notes avantageuses et à minimiser les objections apportées contre son protégé. On aurait dit qu’en ces circonstances il oubliait l’ordre de la relativité qui doit exister entre la quantité et la qualité. Ce fut une des faiblesses de ce noble caractère qui croyait trouver chez tous la valeur et la générosité que Dieu lui avait départies.
Missionnaire, il était tout naturel que Mgr de Guébriant s’intéressât aux Œuvres qui ont pour but de venir en aide aux Missions et de développer l’idée missionnaire. Il aimait à rencontrer, à inviter au séminaire les Directeurs de la Propagation de la Foi, de la Sainte- Enfance, de l’Œuvre Apostolique, de l’Union Missionnaire du Clergé, heureux de converser avec des hommes dévoués à l’œuvre de sa vie, d’encourager leurs efforts, d’appuyer leurs initiatives, les documentant et les renseignant de son mieux et s’efforçant de leur témoigner d’une façon tangible la reconnaissance que leur doit l’Apostolat catholique. Lorsque Mgr Olichon songea à publier la vie du P. Six puis celle du célèbre prêtre chinois André Ly, il l’encouragea fort et s’employa à lui faciliter ce travail. Il en usa de même avec le distingué supérieur du grand Séminaire de Tours, M. Beaudiment, pour la vie de Mgr Pallu.
Par contre il goûtait moins le travail de certaines écoles missiologiques et souriait silencieusement lorsqu’on évoquait devant lui les articles de certains écrivains plus remplis de bonne volonté que munis d’une documentation sérieuse qui s’en allaient critiquant ex cathedra ceux qui travaillent et peinent, ébauchant des plans merveilleux susceptibles de donner un élan nouveau et définitif à la conversion des païens. Il n’hésita pas, à plusieurs reprises, à prendre la plume pour réfuter des allégations erronées et à réclamer en haut lieu contre des revues qui méconnaissaient l’œuvre des missionnaires en particulier pour le développement et la formation du clergé indigène. L’erreur redressée et la vérité mise en évidence, l’incident était clos pour lui et il n’en parlait plus.
Ce n’est pas à dire que Mgr de Guébriant fut sans réserve laudator proeteriti temporis et qu’il n’admit pas que les méthodes d’apostolat ne puissent et ne doivent varier suivant les circonstances de temps et de lieux. Sans prétendre qu’il ait eu un système d’évangélisation à lui propre, on doit constater qu’il ne voulait pas demeurer l’esclave de formules trop rigides ou trop sévères. Pour l’admission des néophytes au catéchuménat et au baptême, il se montrait étant missionnaire d’une largeur d’esprit que d’aucuns ont trouvé excessive. Il avait probablement fait sienne cette réflexion d’un ancien Directeur du Séminaire de Paris, le P. Péan : N’attendez pas que vos convertis soient des chrétiens absolument exemplaires pour les baptiser et soyez satisfaits si vous réussissez à conduire à la porte du Purgatoire vos néophytes de la première génération ; une fois là, ils se tireront d’affaire tout seuls.
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Parlant de la piété de Mgr de Guébriant, un confrère du Kientchang a dit très justement que sérieuse, profonde et animatrice de toute sa vie, elle était discrète et ne s’affichait pas. En fait, il fallait un certain temps d’observation pour l’apprécier à sa juste valeur. Mais pourtant si on étudiait quelque peu, on se trouvait vite édifié. Il suffisait pour cela par exemple de le voir réciter son office à la chapelle, lorsque le temps incertain l’empêchait de le dire en se promenant lentement dans une allée du jardin. Indifférent à tout ce qui se passait autour de lui, il ne bougeait pas plus qu’une statue, ne levant les yeux de temps à autre que pour porter un instant son regard vers le tabernacle. La récitation du bréviaire terminée, c’était le moment qu’il choisissait de préférence pour prolonger son adoration devant le Saint Sacrement. Chaque matin après son déjeuner, avant de monter à son bureau pour commencer son travail, il était régulier à faire une courte visite à la chapelle, geste de piété et d’amour qu’il renouvelait le soir après le souper, avant d’aller prendre son repos.
Tous ceux qui l’ont vu officier solennellement se rappelleront la gravité, la dignité et le recueillement avec lesquels il pontifiait, sans lenteur comme sans précipitation, avec une connaissance imperturbable des rubriques. Tel il se montrait alors, tel il était déjà au jour de sa première messe : « Jean, a écrit de lui l’abbé Vianey dans ses souvenirs, célébra sa « première messe avec beaucoup de ferveur. Mais ce qui me frappa le plus ce jour-là, ce que « j’ai aussi toujours remarqué en lui, c’est l’extrême simplicité de toute sa personne en de « telles circonstances. Il savait très bien toutes les cérémonies, célébra sans la moindre « hésitation, avec un recueillement parfait sans émotion apparente. Seulement les larmes se « firent sentir dans sa voix lorsqu’il lut dans l’Evangile (Octave des SS. Pierre et Paul) : « Domine, jube me ad te venire super aquas. Ce fut tout. »
De dévotions spéciales, il ne semblait pas en avoir et n’était pas amateur de pèlerinages, à part évidemment comme il se doit pour tout vrai breton celui de Saint-Anne d’Auray. Lorsqu’il allait à Rome, uniquement occupé des affaires qui l’amenaient en la Ville Eternelle, il ne manifestait pas le désir d’aller visiter quelqu’un des nombreux sanctuaires qui sollicitent la piété des pèlerins. J’ai noté cependant la ferveur particulière avec laquelle il prolongea son oraison à la Confession de Saint Pierre, lors de sa visite à Basilique Vaticane pour gagner le jubilé de 1933. L’évêque missionnaire avait certainement bien des choses à recommander au Prince des Apôtres. Il nous avoua un jour, dans un de ses rares moments d’abandon, qu’il n’était pas attiré par les pèlerinages : « Il n’y en a qu’un que j’aime à faire lorsque j’ai un peu « de loisir : aller prier devant la statue de la Vierge, à Notre-Dame de Paris .»
Humilité et simplicité, mortification et austérité, ces vertus avaient frappé ses condisciples dès sa première année de Saint-Sulpice. Effectivement Mgr de Guébriant était très simple et très humble. Quelqu’un qui sans le connaître, l’aurait rencontré en rue s’en allant seul, une petite valise à la main, revêtu d’une douillette à la couleur passée et plutôt verdâtre, qui l’aurait considéré montant allègrement dans un compartiment de troisième classe de la ligne Paris-Palaiseau, celui-là ne se serait pas douté qu’il avait devant lui en archevêque portant un des beaux noms de France, auréolé par 35 ans d’apostolat au fond de la Chine, supérieur d’une célèbre société de missionnaires. Pas plus dans son habillement que dans sa conversation, il ne cherche à se faire valoir, et il fallut quelque peu de diplomatie au maître de cérémonie du Séminaire pour lui faire admettre que le port de la soutane violette aux offices pontificaux du saint jour de Pâques serait plus en harmonie avec la solennité de cette fête que la simple soutane noire. Officier de la Légion d’honneur, Commandeur de l’Ordre de la Couronne de Belgique, Commandeur de l’Ordre du Dragon d’Annam, il ne portait qu’une minuscule rosette rouge. Lorsque le Pape Benoît XV l’éleva en 1921 à la dignité d’Archevêque titulaire de Marcianopolis, il eut ce mot charmant : « Marcianopolis ! ce sera « bien long à écrire. J’aimais mieux mon titre d’Eurée : c’était plus court »
Son esprit de mortification s’était manifesté dès le début de son séminaire : « Je le voyais, « dit l’abbé Vianey, résister au froid avec un courage que j’admirais, il sortait sans camail. » Bref à cette époque il se montrait déjà dur à lui-même et ennemi de ses aises, dispositions qu’il gardera jusqu’à la fin de sa vie. Longueur des voyages, incommodités de la route, rien ne semblait l’effrayer, il ne s’en plaignait pas et il ne fallait pas lui demander au retour : Monseigneur, êtes-vous fatigué ? — Ah ! cette question ! vous rétorquait-il vivement. — Si dans ses lettres il fait allusion au manque de confort des auberges chinoises, c’est parce qu’il ne peut facilement y écrire ou lire ; quant à la question nourriture, il ne paraît pas en prendre grand souci. Et pourtant !… on parle encore au Sutchuen d’un plantureux dîner qu’il fit dans une de ces auberges avec un de ses confrères , à raison de treize sapèques pour les deux convives : le menu devait être bien relevé et varié ! Lors de ses déplacements en France, nous connaissions par cœur le détail de son viatique pour la route : un ou deux sandwichs, une pomme, un petit bâton de chocolat, et ce sera très suffisant, disait-il. De la boisson, inutile d’en parler.
A table, il était extrêmement rare qu’il se permit une réflexion sur le menu et dans les dernières années de sa vie, alors que son estomac réclamait un traitement plus délicat, l’économe dut employer beaucoup de persuasion pour le lui faire accepter. Jamais il ne se plaignait : il dissimulait le plus possible la fatigue ou les malaises qu’il ressentait, et il fallait beaucoup d’attention pour s’aperçoit qu’il fut souffrant.
Les premiers hivers qui suivirent son retour à Paris comme supérieur, alors que le chauffage central n’était pas encore installé au Séminaire, il ne consentit jamais à ce qu’on fit du feu dans son bureau ou dans sa chambre. Lorsqu’après plusieurs heures de travail à sa table il se sentait trop engourdi, une petite sortie dans le corridor ou une visite chez un confrère lui servait de réaction : Il fait bon chez vous, disait-il gentiment en entrant, et un moment ses mains bleuies par le froid caressaient avec satisfaction le fourneau.
N’était pas aussi cet esprit de mortification et d’austérité qui lui faisaient supprimer certaines satisfactions que le cœur aurait pu désirer. Lorsqu’il partit en Mission en 1885, il ne voulut pas que sa famille l’accompagnât à la gare : le dernier adieu à la chapelle, sous le regard de Notre-Seigneur, et puis ce fut fini. Il en fut de même pour son dernier voyage en Extrême-Orient.
Et pourtant Monseigneur avait le cœur sensible et affectueux. Pour s’en convaincre, il n’y qu’à relire les ligne émues qu’il a écrites lors de la mort de son père et de sa mère, de son frère tant aimé, le Compte Alain de Guébriant, celles encore qu’il traçait après le décès du P. Usureau, son ami de Kientchang.
Sobre de remarques avec ses collaborateurs, il n’était pas non plus prodigue de compliments. Mais quel bon sourire nous accueillait au retour d’une absence un peu longue ! quel souci de nos santés ! Dès qu’il apprenait que l’un de nous fut tant soit peu souffrant, vite il venait nous voir, s’enquérait de l’opinion du médecin, voulant souvent l’interroger lui-même pour connaître son sentiment sur la gravité ou non de la maladie, allant visiter aussi fréquemment que possible le patient, s’il était à l’hôpital, sollicitude qu’il manifestait à un égal degré, hâtons-nous de le dire à l’égard de ses chers Aspirants.
Au physique, Mgr de Guébriant, plutôt petit de taille, n’en imposait pas au premier abord. Sa démarche était un peu oscillante, irrégulière, parfois précipitée, ce qui lui attira à plusieurs reprises quelques accidents, heureusement sans gravité, dans les rues de Paris ; il allait rapidement son chemin sans prendre garde aux voitures, et fut deux ou trois fois heurté et même renversé par des automobilistes. La tête était forte, le front bien découvert, les cheveux ramené en arrière sans aucune prétention. Les yeux petits étaient vifs, et lorsque son regard vous fixait au cours d’un entretien, on sentait que cet homme cherchait à lire dans votre pensée, et à deviner à l’avance ce que vous alliez lui dire. La voix était un peu faible, sourde, pour le grand malheur des auditeurs inattentifs ou à l’oreille un peu dure. Que de fois n’avons-nous pas été témoins de l’incident suivant : Un confrère nouvellement arrivé de Mission et se trouvant à un bout de la table questionné à l’improviste par Monseigneur ; d’abord l’interpellé n’entendait pas ; averti par un charitable voisin, il se troublait, n’osait pas faire répéter une troisième fois la question, et il fallait qu’un habitué de la maison vienne à son aide et serve d’agent de liaison entre les deux interlocuteurs.
Car en conversation comme ailleurs, Mgr de Guébriant n’aimait pas beaucoup attendre ni perdre de temps. Quelle différence par exemple entre lui et le bon P. Delpech lorsque, sans avoir été annoncé, on venait frapper plus ou moins timidement à la porte du bureau du Supérieur ! L’ « entrez » du P. Delpech, grave et tranquille, semblait vous dire : Venez, cher ami, je vous attendais. L’ « entrez » de Mgr Guébriant, surtout s’il avait dû être répété, vous disait : Soyez bref et expliquez-moi vite le but de votre visite. Mais il se ressaisissait rapidement de cette apparente impatience et vous écoutait ensuite attentivement tout le temps nécessaire pour l’affaire dont vous veniez l’entretenir.
Mgr de Guébriant avait un défaut que lui-même avouait déjà lorsqu’il écrivait en 1882 à l’abbé Vianey. « Toujours cette espèce de discrétion craintive et sauvage que vous me « connaissez et que je me reproche sans la corriger ». Il n’était pas causeur. Lui qui avait tant voyagé, vu tant d’hommes et de choses, qui avait été mêlé à tant d’événements, semblait n’avoir rien à raconter et rarement il animait de ses récits une conversation. Autour d’un voyage, d’une cérémonie, on cherchait à l’interroger et, par des questions plus ou moins adroites, à le mettre pour ainsi dire en verve : il était rare que le procédé obtint grand succès. Nous le regrettions tous, car il nous était avis qu’il aurait eu à nous communiquer, tout en gardant la discrétion voulue par sa haute situation, bien des choses intéressantes et instructives. Mais il fallait en faire notre deuil.
Sur un point pourtant il se départissait plus volontiers de sa réserve habituelle, à savoir sur les questions de géographie. Là il prenait sa revanche et volontiers se donnait le plaisir de quelque offensive malicieuse. Tant pis pour celui qui, mal avisé, se lançait imprudemment sur ce terrain dangereux sans être bien sûr de son fait : bien vite il séchait sous le feu des interrogations de son interlocuteur, au grand amusement de l’auditoire qui connaissait d’avance le résultat de la joûte. Il faut reconnaître que Monseigneur avait une aptitude spéciale pour la géographie (pas celle de la banlieue de Paris pourtant) et une facilité extraordinaire pour retenir les noms de la ville ou de localités même peu importantes, en fixer la position avec une justesse de mémoire surprenant. Je me souviens qu’un jour, lors du voyage de Mgr Prunier en Europe l’année 1933, les deux Prélats évoquaient ensemble la visite faite par Mgr le Supérieur à travers la mission de Salem quelque quinze mois plus tôt : c’était plaisir et étonnement pour moi d’entendre Mgr de Guébriant citer sans hésitation les divers postes et chrétientés où il était allé et dont les noms à consonance indienne sont, même pour les habitués, difficiles à prononcer et plus difficiles encore à retenir.
Une autre fois, c’était un missionnaire du Saint-Esprit qui se trouvait à notre table. Monseigneur, qui avait été informé de sa présence une demi-heure à peine avant le repas, se plut à l’interroger sur les pays d’Afrique où il avait travaillé, donnant des noms de rivières, de villes ou d’agglomérations de cette contrée à nous tous parfaitement inconnus. Pour un peu on aurait cru que lui-même y avait missionné autrefois. Notre hôte d’occasion en était ébahi.
Mgr de Guébriant avait une réelle passion pour la géographie. Je j’ai trouvé quelquefois le matin, lorsqu’il avait un instant de loisir avant l’arrivée du courrier, penché sur un atlas avec l’attention que d’autres mettent à lire un ouvrage captivant. Don précieux dont nous sentions l’avantage au Conseil lorsqu’il était question de missions à diviser ou à céder, de territoires à délimiter. Mgr avait presque toujours une carte du pays à nous présenter ou nous donnait de mémoire des explications claires et précises qui projetaient la pleine lumière sur le point en discussion.
Je viens de prononcer le nom du Conseil et ceci m’amène tout naturellement à évoquer la facilité et l’élégance avec lesquelles notre regretté Supérieur savait rédiger les correspondances même les plus épineuses, en un style pur et coulant, conforme aux meilleures règles de la langue française. Parfois il lui arrivait de nous soumettre ce qu’il appelait d’une façon originale « l’avant-brouillon » d’un projet de lettre : « Ce n’est même pas un brouillon, « disait-il modestement, mais quelques idées que j’ai jetées rapidement sur le papier. » J’avoue qu’à part moi, j’ai trouvé à maintes reprises que ces fameux avant-brouillons n’avaient pas besoin d’une grande toilette pour revêtir leur forme définitive. Il s’agissait un jour de rédiger une lettre touchant une question délicate et en raison du fond même de l’affaire et en raison du destinataire auquel elle devait être envoyée ; il y avait des choses à dire, d’autre à passer sous silence de telle façon cependant que l’intéressé put lire entre les lignes et deviner ce qu’on ne pouvait lui exposer ouvertement : « Ce ne sera pas très facile ! » dit son Excellence. — « Oh ! Monseigneur, repartit un membre du Conseil avec cette familiarité qu’autorisait la simplicité de Sa Grandeur, vous saurez bien arranger cela ! » Huit jours après, lorsqu’il nous lut sa rédaction, un franc éclat de rire secoua tous les assistants. Lui-même ne put s’empêcher de s’y associer par un aimable sourire. La difficulté avait été vaincue splendidement.
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Mgr de Guébriant, qui avait beaucoup voyagé étant missionnaire, se déplaçait très fréquemment en France. Ses itinéraires étaient préparés d’avance avec grand soin, dans le but de faire le plus de chemin possible dans le minimum de temps, car il aimait à procéder rapidement. Aussi ses séjours dans nos maisons communes d’Europe, que ce fut à Bièvres ou à Montbeton, à Marseille ou à Rome, étaient bien courts, trop courts parfois, avouons-le. On y aurait pourtant aimé à jouir de sa présence un peu plus longuement. Ne se doutait-il pas, le saint vieillard, que cette présence même apparemment inactive et sans objets précis, pouvait avoir de grands avantages, lui permettre de mieux se rendre compte de la marche de la maison, donner aux confrères plus de facilité pour l’entretenir et recevoir ses conseils et encouragements, enfin pour lui être l’occasion de se faire encore mieux connaître, respecter et aimer ?
Comme aussi j’ai maintes fois regretté que durant ses promenades quotidiennes dans le jardin du séminaire, au moment des récréations, il ne sut pas profiter de l’occasion pour causer avec les aspirants et continuer ainsi par des conversations familières et paternelles l’œuvre bienfaisante de ses lectures spirituelles, tout en lui procurant le moyen de mieux connaître le caractère de ses jeunes auditeurs dans le laisser aller d’un entretien plus intime. Avait-il oublié l’exemple de ses anciens et toujours chers directeurs de Saint- Sulpice ?
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Le dernier voyage de Mgr de Guébriant, le départ pour l’Eternité, revêtit le caractère de simplicité et de rapidité de tous ceux qu’il avait accomplis durant les cinquante années de sa vie apostolique. Mon Dieu, que ce fut vite fait !
Le lundi 4 mars, vers onze heures du soir, il rentrait de Bretagne, où il était allé assister aux obsèques, à l’abbaye de Langonnet, de son parent Mgr Durfort. Cette fois il était à bout de forces, et son dévoué secrétaire, M. Chabagno, qui était allé à sa rencontre à la gare, dut l’aider à monter l’escalier du séminaire. « Je crois, dit-il en se couchant, que je ne pourrai « dire la messe demain. » De fait, il ne devait plus avoir la joie de monter au saint Autel. La journée du mardi fut calme, et le docteur ne put dans deux visites successives formuler un diagnostic positif. Par mesure de précaution, un infirmier fut retenu pour le veiller pendant la nuit. Par précaution, disions-nous : mais en réalité, une angoisse indéfinissable nous étreignait le cœur à tous, sans qu’aucun osa l’avouer explicitement.
Et, la nuit du 5 au 6, une hémorragie se produisit soudain, laissant le malade tellement affaibli que, se sentant mourir, il demanda l’extrême-onction ; elle lui fut administrée par M. Robert et il la reçut avec une admirable sérénité. A 2 heures du matin, nouvelle hémorragie suivie d’une troisième à l’aube du jour. Vers 7 heures du matin, il put recevoir le saint Viatique.
Une consultation des docteurs Hallé et Courcoux ne put que confirmer l’état désespéré du malade, l’issue fatale était imminente. Lui-même s’attendait à ce verdict : « Après la visite des médecins, vous me direz si c’est pour aujourd’hui », avait-il murmuré doucement à son professeur. Il l’accepta avec une résignation presque joyeuse.
Calme et tranquille en dépit d’une faiblesse toujours croissante, il reçut les visites de S. Em. le Cardinal Verdier, de S. Exc le Nonce Mgr Maglione, de NN. SS. Boucher, Olichon, Mério, qui avaient été avertis dès la première heure de la gravité de son état. Sa famille aussi était là et demeura jusqu’à la fin au chevet du malade. Vers 10 heures du matin, il exprima le désir de revoir tous les aspirants et les frères, et, dans un long défilé, chacun s’agenouillant à son tour devant le lit du moribond et déclinant son nom, reçut une suprême bénédiction avec un sourire péniblement esquissé.
L’agonie douce et tranquille commença vers midi. A 3 heures 2 minutes, Mgr de Guébriant s’éteignait paisiblement, et Mgr Maglione venu une deuxième fois pour le voir, récitait, d’une voix étouffée par l’émotion, l’adieu suprême la liturgie : Subvenite, sancti Dei.
C’était le mercredi des Cendres !
References
[1655] GUEBRIANT (Budes de) Jean-Baptiste (1860-1935)
Références biographiques
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