Paul MARTIN1873 - 1932
- Status : Prêtre
- Identifier : 2269
Identity
Birth
Death
Other informations
Biography
[2269] Paul, Joseph, Marie MARTIN naquit le 23 janvier 1873, à Avranches, diocèse de Coutances, département de la Manche. Il fut baptisé le surlendemain de sa naissance, dans l'église de Saint Saturnin, à Avranches. Son père Armand et sa mère Elisabeth Boutelou tenaient un commerce de tapisserie et d'ameublement. Ils eurent quatre enfants dont deux devinrent prêtres, l'un, Paul, au service des missions, l'autre, Henry, dans son diocèse. Armand et Elisabeth fondèrent deux foyers: le premier donna un missionnaire, Martin Paul, Marie, Joseph, parti le 28 avril 1930 pour Bangklok, le second un religieux capucin. Un oncle, frère de sa mère, le P. Boutelou, missionnaire en Amérique, vint en France au moment où Paul Joseph fit sa première communion..
Paul, Joseph, Marie fit ses études primaires chez les Frères des Ecoles Chrétiennes. Il prit des leçons de latin chez l'abbé Rabec, vicaire à Saint Saturnin, et en octobre 1886, il entra en cinquième au petit séminaire de l'Abbaye Blanche, à Mortain. Excellent élève, en 1891, il en sortit bachelier. En octobre de cette même année, il se dirigea vers le grand séminaire de Coutances où Mgr.Grente, futur évêque du Mans fut son condisciple. Sa première année de séminaire terminée, il devança l'appel pour le service militaire et s'engagea à Granville. En octobre 1893, il commença sa première année de théologie à Coutances; il rencontra un membre de la Société des Missions Etrangères de passage au séminaire diocésain, puis, le 29 juin 1894, il reçut la tonsure.
Le 14 septembre 1894, il entra au séminaire des Missions Etrangères. Minoré le 21 septembre 1895, sous-diacre le 29 février 1896, diacre le 28 juin 1896, il fut ordonné prêtre le 27 septembre 1896 par Mgr.Jourdan de la Passardière. Le jour même, il reçut sa destination pour le vicariat apostolique du Cambodge (Phnompenh) qu'il partit rejoindre le 18 novembre 1896.
Mgr. Grosgeorge, nommé vicaire apostolique du Cambodge le 28 janvier l896, et sacré évêque le 24 mai suivant envoya M.Paul Martin apprendre la langue viêtnamienne à Banam, chez M. Henri Pianet, chef de ce district. Grâce à son travail et à sa ténacité, le nouveau missionnaire arriva très vite à parler le viêtnamien d'une façon distinguée et très claire.
En octobre 1897, Mgr. Grosgeorge confia à M. Paul Martin l'importante chrétienté de Xom-Biên, en cambodgien Chrui-Changwar, située dans une presqu'île en face de Phnompenh. A cette époque, cette communauté d'environ 1500 chrétiens d'origine viêtnamienne, se composait, pour moitié de charpentiers et constructeurs de jonques et pour moitié de pêcheurs qui se rendaient au Tonlé-Sap (Grand Lac), pendant les six mois des basses eaux. Pendant huit ans, M.Paul Martin visita régulièremnt ces campements de pêcheurs installés sur des radeaux de bambous; puis, un autre missionnaire fut spécialement chargé du district du Tonlé-Sap.
En 1902-1903,il construisit une nouvelle église à Xom-Biên. Il développa la chrétienté de Chruey-krabau; en 1901, il fonda celle de Pre-kan-chanh, en 1905, celle de Péam-Phoca-Moréch, en 1906, celle de Prek-Kahe, en 1908, celle de Péam-Chikang. Trois fois par an, il en assurait l'administration spirituelle. En 1904, il fit celle de Pursat. Après vingt-trois ans d'un tel labeur, il prit un congé en France où il fêta ses noces d'argent sacerdotales.
Le 10 novembre 1922, il regagna sa mission. Sur sa demande, déchargé de la chrétienté de Xom-Biên, il ne conserva que les chrétientés situées sur le Grand Fleuve (Mékong) auxquelles il adjoignit quatre groupes de chrétiens tonkinois. employés dans les plantations d'hévéa de la province de Kompong-Cham. Après la mort de M.J.B Vauzelle, le 4 mars 1926, il prit en charge le poste de Meàt-Krésar, devenu vacant, ce qui porta le nombre de ses chrétientés à une bonne douzaine, échelonnées sur les deux rives du Mékong et sur une longueur de plus de cent kilomètres.
En 1929, il partit en France espérant refaire sa santé. De retour dans sa mission, en janvier 1931, il reprit ses activités. Mais au bout de quelques mois, de fortes douleurs intestinales l'obligèrent à quitter son poste, et à se rendre à Phnompenh. Le docteur diagnostiqua une crise d'appendicite compliquée d'occlusion intestinale et de péritonite. Le mardi 28 juin 1932, M. Paul Joseph Marie Martin demanda les derniers sacrements. Son neveu M.Martin Paul, Marie, Joseph, missionnaire à Bangkok, averti par télégramme, put passer deux jours et demi au chevet de son oncle. Le dimanche 3 juillet 1932, en quelques minutes, M.Paul Joseph Marie Martin rendit son âme à Dieu, assisté de MM.Lozey et Martin, son neveu.
Son corps fut exposé, le dimanche, dans le salon du presbytère du Sacré-Coeur, puis mis en bière et transporté dans le salon de l'Evêché. Ses obsèques furent présidées par son neveu, le mardi 5 juillet 1932, en l'église cathédrale, puis sa dépouille mortelle fut transportée sur un bac aménagé jusqu'à l'église de Xom-Biên où une absoute fut encore donnée. Enfin, l'inhumation eût lieu au pied de la croix du cimetière paroissial.de Xom-Biên.
Obituary
M. MARTIN
MISSIONNAIRE DE PHNOMPENH.
M. MARTIN (Paul-Joseph-Marie) né le 23 janvier 1873 à Avranches (Coutances, Manche). Entré tonsuré au Séminaire des Missions-Etrangères le 14 septembre 1894. Prêtre le 27 septembre 1896. Parti pour le Cambodge le 18 novembre 1896. Mort à Phnompenh le 3 juillet 1932.
C’est à Avranches, ce nid d’aigle fièrement campé en face du Mont Saint-Michel, auquel il fait pendant sans trop souffrir de l’illustre voisinage, que naquit, le 23 janvier 1873, Paul Joseph Marie Martin. L’aile de l’Archange dut ombrager son berceau et marquer du signe des conquérants divins celui qui devait un jour, sur les terres païennes, mener de dures campagnes contre l’éternel ennemi de Dieu. Ce qui est certain c’est qu’une affection vigilante et très chrétienne veilla sur le nouveau-né pour le faire baptiser dès le surlendemain de sa naissance, dans l’église de Saint-Saturnin et pour guider ses premiers pas dans la voie de la piété et des croyances religieuses.
Son père, Amand-Aimé Martin, et sa mère Elisabeth Boutelou, étaient de ces chrétiens exemplaires, à la foi robuste comme le granit, ainsi qu’il s’en rencontre encore beaucoup, grâce à Dieu, au pays Normand. Ils exerçaient un commerce de tapisserie et d’ameublement qui leur procurait une honnête aisance et les moyens d’élever convenablement les quatre enfants que la Providence leur envoya. Mais leur premier souci fut toujours d’inculquer à ceux-ci des principes chrétiens. Aussi tous leurs enfants furent leur joie et leur honneur. Deux devinrent prêtres : le missionnaire dont nous portons le deuil, et M. l’Abbé Henry Martin, actuellement curé de Marcey, près d’Avranches. Les deux autres, Armand et Elisabeth, restés dans le monde, fondèrent deux foyers aussi chrétiens que celui de leurs parents, deux foyers féconds et visiblement bénis de Dieu, puisque le premier a fourni un missionnaire au Siam, le second un religieux capucin. Si je donne tous ces détails c’est que M. Paul Martin aimait beaucoup sa famille et resta jusqu’à sa mort en correspondance suivie avec elle.
Dès que le petit Paul eut l’âge suffisant pour aller en classe, il fut confié aux Frères des Ecoles Chrétiennes. Il garda toute sa vie à ses premiers maîtres une affection émue et reconnaissante. Un mois avant de mourir, il redisait avec bonheur à un Frère de¬ Phnompenh les chers souvenirs de sa petite école paroissiale.
Au moment de sa première communion, la venue en France de son oncle le R. P. Boutelou, missionnaire en Amérique, jointe aux impulsions de la grâce divine, fit germer en lui le désir d’être lui-même missionnaire, désir qui devint bientôt une volonté iné¬branlable.
Après avoir reçu des leçons de latin de M. l’abbé Rabec, vicaire à Saint-Saturnin, il entra, en octobre 1886, en cinquième au petit Séminaire de l’Abbaye Blanche, à Mortain. Il s’y montra excellent élève et en sortit muni de son diplôme de bachelier.
En 1891, il entrait au grand Séminaire de Coutances, où il eut comme confrères de cours Mgr Grente, Evêque du Mans et M. Voi¬sin, curé de Sainte-Croix à Saint-Lô. Il avait toujours la volonté d’être prêtre et missionnaire, mais déjà avide de certitude, tel que nous l’avons connu plus tard, il désira éprouver sa vocation. C’est pourquoi, après une année passée à Coutances, il devança l’appel du service militaire et s’engagea à Granville. C’est au refuge de la maison des Eudistes à Donville, qu’il connut Mgr Jourdan de la Passardière qui devait l’ordonner prêtre quelques an¬nées plus tard.
En Octobre 1893, il revint à Coutances pour commencer sa première année de théologie. Il ne savait trop vers quelle congrégation missionnaire diriger ses pas. Au cours d’une fervente neuvaine entreprise pour obtenir les lumières du Bon Dieu sur ce point si important, voici qu’un membre de la Société des Missions-Etrangères vint à passer au Séminaire de Coutances. C’était là « un vrai coup de la Providence » suivant l’expression favorite qu’il répétera si souvent tout au long de sa carrière apostolique, voulant indiquer ainsi l’intervention du Ciel dans la conduite de ses affaires ou des événements.
Aussitôt il envoya sa demande d’admission au Supérieur du Séminaire de la rue du Bac. Elle fut agréée, et au mois de sep¬tembre 1894, il devenait aspirant missionnaire. Il fut ordonné
prêtre le 27 septembre 1896, et le même jour apprit sa destination pour la Mission du Cam-bodge. Il passa les quinze jours de permission règlementaire dans sa famille à Avranches, où le 1er dimanche d’octobre il célébra sa première messe solennelle dans l’église de Saint-Saturnin. C’est durant ce court séjour qu’il fêta les noçes d’argent de ses parents dans une bien touchante cérémonie. Hélas ! il ne devait plus revoir en ce monde ni son frère Armand décédé au début de la guerre, ni son père mort le 14 juin 1918. Le 18 novembre il s’embarquait à Marseille.
Six semaines plus tard il arrivait au Cambodge. Il fut placé à Banam, pour y étudier l’annamite, auprès de M. Henri Pianet, un missionnaire presque toujours malade, plusieurs fois con¬damné par les médecins, mais homme d’une volonté et d’une énergie rares qui, malgré ses grandes souffrances, dirigeait magistralement son vaste district et accomplissait sa besogne avec un courage et une persévérance au-dessus de tout éloge. M. Martin était à bonne école et lui aussi fut toute sa vie un homme de vo¬lonté et d’énergie.
Afin d’apprendre plus vite la langue annamite, M. Martin ne craignait pas d’aller s’asseoir sur les bancs de l’école paroissiale pour épeler les lettres et les mots du syllabaire avec les petits enfants. Souvent aussi il partait par les chemins et les sentiers suivi d’une troupe d’enfants et de jeunes gens, qui devaient lui dire le nom annamite de tous les objets qu’il leur montrait. Il récompensait les plus fidèles en leur donnant des médailles, des chapelets ou quelque autre petit cadeau. Par cette méthode et sa grande ténacité M. Martin arriva très vite à parler l’annamite d’une façon distinguée et très claire.
Aussi, en octobre 1897 quand M. Misner malade dut rentrer en France, Mgr Grosgeorge n’hésita pas à confier au jeune M. Martin, qui n’avait que 9 mois de Mission, l’important district de Xom-Biên, en Cambodgien Chrui-Changwar. Xom-Biên, situé dans une presqu’île en face de Phnompenh, doit ses origines à des chrétiens fugitifs de Ponhéalü détruit en 1867 par les rebelles. Ils demeurèrent d’abord en barques, puis peu à peu se fixèrent sur la berge du fleuve. Ils étaient 1200 quand M. Martin prit possession du poste. La moitié environ étaient charpentiers et constructeurs de jonques, l’autre moitié pendant les six mois de basses eaux, allaient faire la pêche au Grand Lac ; de juillet à Noël tous se trouvaient réunis au bercail. C’est alors que l’instruction battait son plein, tous les maîtres d’école disponibles étaient mobilisés, des retraites prêchées étaient données à la jeunesse et aux grandes personnes.
La petite église aux colonnes en quinconce, à la coupole by¬zantine, construite vers 1880 par M. Misner devint bientôt insuffi¬sante devant le nombre sans cesse croissant des chrétiens. Dès son arrivée à Xom-Biên le jeune missionnaire se préoccupa de quêter auprès de ses amis de France et de sa famille, ainsi qu’auprès de ses chrétiens et des pêcheurs du Lac qui se montrèrent tous généreux. Il demanda à M. Pianet, son mentor de Banam, de lui dresser des plans, et en 1902-1903, il put construire une belle église gothique toute en briques, vaste et spacieuse, qui force l’admiration par ses harmonieuses proportions, ses beaux vitraux à la française et ses deux superbes tours au sommet desquelles brille fièrement dans le ciel cambodgien, dominant toutes les pagodes, la Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Les occupations matérielles ne faisaient pas négliger à M. Martin les travaux spirituels de beaucoup plus importants. Sa vie, non monotone mais assez uniforme, était aussi régulière que celle d’un séminariste. Chacune de ses journées commençait à 4 h. ½ pour se terminer vers 21 h. 30. Les exercices de piété comme les obligations de son ministère avaient leur moment déterminé à l’avance. La matinée était absorbée par les longues séances du confessionnal, où ses conseils et directions étaient très appréciés des chrétiens. Les heures libres de l’après-midi étaient employées à régler les affaires, quand il y en avait, puis... encore à l’audition des confessions. A cause de son assiduité au tribunal de la pénitence, ses confrères l’avaient surnommé « Martin le confesseur », plaisanterie sans malice et tout à son éloge. A l’approche de la nuit le Père récitait ce qu’il appelait « ses 4 nocturnes », c’est-à-dire les deux premiers nocturnes avant le dîner, le troisième et les laudes après le repas. Ils étaient suivis de la récitation du chapelet et de la prière du soir. Après quoi il pouvait prendre un repos bien gagné.
M. Martin apportait également ses soins à l’enseignement dans les écoles. Il les visitait souvent, et faisait passer fréquemment aux élèves des examens d’instruction religieuse revêtus d’un grand apparat, qui frappait ces jeunes imaginations et excitait l’émulation. Souvent la présence d’un ou deux confrères de passage ne donnait que plus d’éclat à ces tournois. A la fin de l’épreuve un bel ange aux ailes dorées venait chercher les vainqueurs pour les intro-duire en paradis, tandis qu’un noir démon entraînait les vaincus en enfer, un enfer sans flammes mais non dépourvu de pleurs et de lamentations.
Toutefois si la portion du troupeau demeurée à Xom-Biên semblait privilégiée, elle n’absorbait pas toute la sollicitude de M. Martin, elle ne lui faisait pas oublier ses ouailles dispersées au Grand Lac ni ses chrétiens du Grand Fleuve.
Pendant huit ans, jusqu’à ce qu’un missionnaire fut spécialement chargé du district du Tonlé-Sap et de ses pêcheurs, M. Mar¬tin visita fidèlement, deux fois chaque saison de pêche, ses chrétiens sevrés des secours religieux. Chaque voyage durait un mois envi¬ron. Le mission-naire partait avec quatre ou cinq rameurs, et un gamin décoré du titre de cuisinier. Au milieu de la barque s’élevait un modeste toit en feuilles, long de deux mètres sur un mètre trente environ, destiné à protéger tant bien que mal de la pluie et du soleil ; c’était pendant un mois l’habitation du Père. C’est là qu’il priait, lisait, faisait sa correspondance, c’est là qu’il prenait ses repas, c’est là qu’il travaillait et dormait durant les longues journées et les longues nuits qui peu à peu le rapprochaient du Lac. Cela peut paraître pittoresque et plaisant pendant un jour ou deux, mais tout un mois ! Quelle mine de mortifications et de mérites !
Pour pénétrer dans le Lac, la passe était difficile et souvent manquait d’eau. Pendant plusieurs kilomètres il fallait traîner la barque sur la vase ; missionnaire et sampaniers pataugeaient alors dans la boue qui leur venait aux genoux.
Les campements des pêcheurs, installés sur des radeaux de bambous, étaient nombreux ; le missionnaire les visitait successivement. Son arrivée était annoncée par le gros tam-tam du maître de pêche, un pavillon orné de la croix était hissé sur la barque principale. Ainsi les chrétiens étaient avertis qu’au retour du travail ils allaient pouvoir se confesser, ce qui avait lieu jusque fort tard dans la nuit. Le lendemain une messe matinale célébrée sur le radeau séchoir, leur permettait de communier et de remplir leur devoir pascal... Puis le missionnaire s’en allait vers un autre campement porter la joie de sa visite et les secours de son ministère sacré. Chez les grands maîtres de pêche les radeaux étaient assez vastes et offraient moins de difficultés qu’ailleurs. M. Martin écrit dans son Journal : « Les bambous des séchoirs sont « faibles, à un moment ils cèdent sous mon poids, emprisonnent et déchirent ma jambe. Je « m’installe pour confesser dans une petite cuisine basse où le vent circule en courant d’air. « Une couverture tendue en travers d’une porte me sert de confessionnal où je siège quatre « heures de temps au milieu des jarres de nuoc-mam, de sel, de graisse, aux parfums « sui « generis ». Non loin de moi un joli petit goret rose prend ses ébats parfois trop bruyants pour « le recueillement des chrétiens… Le lendemain je dis la messe dans une paillotte de 4 mètres « de large sur 3 ou 4 de profondeur. Ma tête touche presque le toit de feuilles, l’autel est étroit « et incommode. Les chrétiens assistent nombreux au saint sacrifice de l’extérieur, ou de la « cuisine. Après la messe je fais deux baptêmes d’enfants, etc... »
Sur le grand Fleuve le district s’étendait jusqu’à Kompong-Chàm, à environ 150 kilomètres de Phnompenh. Il comprenait six chrétientés principales, toutes fondées par M. Martin, sauf une dont M. Lazard avait jeté les premiers jalons, et peu à peu munies d’églises couvertes en tuiles et d’écoles. Trois fois chaque année M. Martin les visitait pour en faire l’administration spirituelle et apporter à ses chrétiens le réconfort de sa présence. Ces tournées apostoliques se faisaient parfois à cheval ou en charrette à bœufs dépourvue de ressorts, à bicyclette, voire même à pied : un jour il fit ainsi 27 kilomètres sous un soleil de feu ; mais le plus souvent, comme pour les tournées au Lac, sa barque était mobilisée, « sa marmite » comme il l’appelait, car si elle était parfois ballotée copieusement, elle résistait merveilleuse-ment aux vents et aux flots de l’immense fleuve aux jours de tempête. Sa barque était pour M. Martin une seconde demeure dont il s’accommodait très bien malgré son étroitesse. Il y installait sa malle d’ornements nécessaires pour célébrer la sainte messe, une caisse de livres et de registres avec des vêtements de rechange, la natte et la moustiquaire pour le sommeil de la nuit, un sac de riz et quelques provisions pour lui-même et ses rameurs : la nourriture du missionnaire et de son personnel était surtout le riz et le poisson sec. Parfois il arrivait au soir dans une chrétienté où se trouvait un oratoire dont la sacristie lui servait d’habitation. Mais le plus souvent il prenait le repos de la nuit dans sa barque amarrée à la berge du fleuve.
Dès l’arrivée du missionnaire dans une chrétienté, les notables qui le suppléent pendant son absence, et président aux prières à l’église, venaient le saluer en grande cérémonie suivis de tous les chrétiens, et lui rendre compte des derniers événements petits ou grands. Le missionnaire jugeait les affaires, distribuait la louange et le blâme avec une impartialité digne de tout éloge, étudiait attentivement les cas de conscience à la solution desquelles il apportait toute la pénétration de son esprit et la délicatesse de sa conscience ; si des doutes ou des obscurités subsistaient il attendait pour se prononcer d’avoir pu consulter un ou plusieurs con-frères. Les jours suivants étaient employés à finir d’instruire et à examiner les catéchumènes, à les baptiser, à suppléer les cérémonies du baptême aux petits enfants ondoyés par les nota-bles, à con¬soler et soigner les malades, à visiter les païens du voisinage, sur¬tout à prêcher et à confesser les chrétiens qui profitaient de l’occasion pour venir chaque jour à la messe et s’approcher des sacrements. L’administration durait deux, trois, quatre jours, voire davantage suivant l’importance du groupe, elle se terminait par une communion solennelle de toute la paroisse. Puis le missionnaire donnait aux dignitaires ses derniers conseils avec une direction générale. Et il partait, au milieu des remerciements et des regrets de la population, recommencer ailleurs le même ministère bienfaisant. Vingt-trois années consécutives d’un pareil labeur finirent par avoir raison de sa robuste santé, et le forcèrent à venir demander à la mère-patrie des forces et une ardeur nouvelle.
C’est durant ce séjour qu’il fêta ses noces d’argent sacerdotales, dans l’intimité et sans apparat, à cause de la mort de son oncle missionnaire récemment survenu en Amérique.
En 1922 il disait adieu à sa vénérable mère qu’il ne devait plus revoir ici-bas, et rentrait au Cambodge. Sur sa demande expresse il fut déchargé de la grande chrétienté de Xom-Biên, devenue trop importante et trop lourde pour ses épaules, pensait-il. Il ne conserva que les chrétientés situées sur le grand Fleuve (Mékong) auxquelles s’adjoignirent, il est vrai, quatre groupes de chrétiens tonkinois engagés comme coolies dans les plantations d’hévéas de la province de Kompong-Cham. Ces chrétiens tonkinois lui causèrent beaucoup de soucis, par la difficulté de comprendre leur dur langage et par l’impossibilité trop fréquente de rémédier à leur situation morale ou matrimoniale plus ou moins embrouillée. Son ancienne vie de dévouement et de privations recommença, avec des sorties hors de son poste principal encore plus fréquentes qu’auparavant. Rarement il célébrait la messe deux dimanches de suite dans la même chrétienté. Connaissant le prix du temps, il voulait en employer tous les instants au service de Dieu et des âmes. Je lis dans son Journal, 2 mars 1931, cette phrase admirable : « Ouf ! journée de repos relatif. Un peu plus j’avais des loisirs ! Aussi ai-je consacré la matinée à inspecter et à mesurer les terrains du bas du village pour de prochaines installations de chrétiens. L’après-midi j’ai examiné et instruit les catéchumènes... » Il paraissait inlassable, rien ne l’arrêtait, ni la pluie, ni le vent, ni la chaleur étouffante ; poursuivant sa tâche, il devait tomber sur la brèche comme un vrai soldat du Christ.
Une seconde cure en France, en 1929, ne rétablit pas sa santé. Néanmoins il revint à ses œuvres d’apostolat.
Au cours de 1931, plusieurs accès de fortes douleurs intestinales vinrent l’avertir que l’organisme s’usait et demandait des ménagements. Il luttait quand même avec courage, jusqu’au jour où épuisé, malade, ses forces le trahirent et le forcèrent à quitter son poste pour venir se réfugier au domicile d’un confrère ami, à Phnompenh. Une crise aigüe d’appendicite s’était déclarée, compliquée d’occlusion intestinale et d’un commencement de péritonite. Pendant huit jours un médecin dévoué employa toutes les ressources de la science moderne pour vaincre la maladie. Hélas ! celle-ci triompha .M. Martin vit venir la mort avec calme. Le mardi 28 juin il demanda lui-même les derniers sacrements et communia en viatique le matin du 29, fête de son saint Patron, avec une fois vive et une humilité admirable.
Son neveu, missionnaire au Siam, prévenu par télégramme, avait eu le temps d’accourir, et put passer deux jours et demi avec son oncle, lui parler de la famille lointaine et recevoir ses recommandations avant de recueillir son dernier soupir.
Dans la soirée du samedi 2 juillet l’état du malade s’aggrava subitement, et le dimanche 3 juillet à minuit, en quelques minutes, il rendait sa belle âme à Dieu, assisté de MM. Lozey et Martin, son neveu, en présence de M. Bernard, Provicaire, Raballand et Fuma du grand Séminaire et des Frères de l’Ecole Miche.
Revêtu des ornements sacerdotaux, le corps fut exposé toute la journée du dimanche dans le selon du presbytère du Sacré-Cœur, puis mis en bière et transporté dans le salon de l’Evêché. Les chrétiens se succédèrent nuit et jour pour réciter le chapelet et la prière des morts.
Les obsèques furent célébrées le mardi 5 juillet en l’église cathédrale, par le jeune M. Martin, accompagné à l’autel de MM. Poinel et Raballand, en présence de seize missionnaires, de trois prêtres indigènes, de toutes les autorités civiles, de la population française et des catholiques de la ville, spécialement de ceux de Chrui-Changvar venus en grand nombre apporter leur dernier hommage à celui qui fut 23 ans leur pasteur, et escorter sa dépouille mortelle qu’ils avaient réclamée.
Après l’absoute tous les assistants défilèrent devant le cercueil, qui fut ensuite transporté sur un bac spécialement aménagé, où prirent place le clergé et de nombreux fidèles français et annamites. Une foule de barques suivaient et c’est au milieu d’un cortège de plus de deux mille personnes que M. Martin fit le dernier parcours de la cathédrale à Xom-Biên.
Une absoute fut encore donnée dans « son église », et l’inhumation eut lieu au cimetière paroissial, à quelques pas de là. Les restes de M. Martin reposent au pied de la croix, au milieu des tombes des chrétiens qu’il a baptisés, prêchés, envoyés au ciel, et qui au jour de la résurrection se lèveront en même temps que lui pour former sa couronne immortelle.
Pour répondre au désir de plusieurs Français, absents ou prévenus trop tard du jour des funérailles, un nouveau service funèbre pour le repos de l’âme du défunt fut célébré par M. Lozey en l’église du Sacré-Cœur, le mardi 12 juillet ; l’assistance remplissait l’église.
En France, à Saint-Saturnin d’Avranches, l’église de son baptême, de sa première communion et de sa première messe, un service fut célébré le vendredi 8 juillet. La messe fut dite par M. le Chanoine Lescalier, qui avait été professeur du défunt à l’Abbaye Blanche et était resté son ami ; les fonctions de diacre et de sous-diacre avaient été réservées à deux prêtres du cours : MM. Lechoisne ¬curé de Virey, et Leret aumônier de l’hospice. Cinquante prêtres, dont de nombreux dignitaires, assistaient à la cérémonie. Ainsi sa famille et ses amis peuvent puiser un sentiment de réconfort et de religieuse fierté en cette sympathie générale, qui, aussi bien en Occident qu’en Extrême-Orient, s’est manifestée autour de celui qui fut jusqu’à la fin un bon serviteur du Christ et de l’Eglise. Au Cambodge en particulier, il laisse d’unanimes regrets. C’était un homme de grande intelligence, un prêtre de haute vertu, un excellent confrère ; c’était un pasteur profondément pénétré du sentiment du devoir, animé d’un grand zèle pour le salut des âmes et d’un entier dévouement pour ses ouailles ; c’était « un mission¬naire » dans toute la force du terme. Aussi son souvenir restera-t-il longtemps vivant parmi les missionnaires et les chrétiens du Cambodge.
~~~~~~~
References
[2269] MARTIN Paul (1873-1932)
Références bibliographiques
AME 1896 p. 623. 1913 p. 256. 257. 260. 1932 p. 246. CR 1896 p. 332. 1898 p. 184. 1903 p. 210. 211. 212. 1904 p. 203. 1906 p. 185. 1908 p. 202. 1910 p. 201. 1911 p. 184. 1912 p. 224. 1913 p. 243. 1917 p. 103. 1928 p. 123. 124. 1932 p. 221. 222. 312. 392. 1933 p. 344. BME 1922 p. 427. 1923 p. 59. 65. 129. 1926 p. 450. 1931 p. 85. 161. 1932 p. 629. EC1 N° 7. 16. 26. 176. 179. 197. 208. 209. 248.