Edmond PIERCHON1882 - 1964
- Status : Prêtre
- Identifier : 2959
Identity
Birth
Death
Other informations
Missions
- Country :
- Vietnam
- Mission area :
- 1907 - 1950 (Hung Hoa)
Biography
[2959] Edmond, Joseph, Gustave, Louis, Edouard (J -B) PIERCHON naquit le 13 août 1882, à Halluin, alors diocèse de Cambrai, aujourd'hui diocèse de Lille, département du Nord. Il appartenait à une famille de onze enfants. Son père était médecin des tissages. Ses études primaires achevées à Halluin, il poursuivit le cycle secondaire à Tourcoing, puis en octobre 1901, il entra au grand séminaire de Cambrai où il reçut la tonsure le 29 juin 1903.
Le 4 octobre 1904, il arriva au séminaire des Missions Etrangères. Le gouvernement de M. Émile Combes, fortement anticlérical, se proposant d'imposer la loi du service militaire à tous les séminaristes, les directeurs du séminaire des Missions Etrangères envoyèrent tous les aspirants en dernière année de séminaire, au Collège Général de Penang; ainsi, le 6 décembre 1906, M. Pierchon s'embarqua pour la Malaisie. Minoré le 9 mars 1907, sous-diacre le lendemain,10 mars 1907, diacre le 25 mai 1907, il fut ordonné prêtre le 7 juillet 1907, et reçut sa destination pour le Vicariat Apostolique du Haut-Tonkin, qu'il partit rejoindre le 10 juillet 1907.
Il commença l'étude de la langue viêtnamienne dans l'importante chrétienté de Hoang-Xa, au bord de la Rivière Noire, non loin du Mont Ba-Vi. En 1909, Mgr. Ramond l'envoya à Vinh-Tuy, à environ 80 kms en amont de Tuyên-Quang, pour aider M.Savina, linguiste distingué qui devint son maitre dans le parler populaire viêtnamien. En 1912, il partit seconder M. Girod, titulaire du poste de Phu-Yên-Binh sur le Song-Chay. En 1914, il prit du service comme réserviste, et, en tant que sergent-brancardier-interpète-aumônier", accompagna en France, les soldats viêtnamiens
En 1919, de retour dans sa mission, envoyé parmi les populations de la basse Rivière Noire, il établit sa résidence à Tông-Thai. En 1926, sur la rive opposée de la Rivière Noire, avec M. Hue, il travailla dans les nouvelles chrétientés du district de Phu-Nghia, à une vingtaine de kms de Sontay. La Mission ayant décidé de bâtir un petit hôpital à Tuyên-Quang, M Pierchon proposa de s'en charger, et s'en tira fort bien.
.En 1928, Mgr. Ramond fit appel à lui pour la construction de son Petit Séminaire, sur la colline de Hà-Tach. M.Pierchon réalisa le plan conçu pour recevoir 150 élèves environ; au début d'avril 1929, un bâtiment central de cent quinze mètres de façade et ses deux ailes étaient achevés quant à la maçonnerie; en novembre 1929, il laissa à M. Fleury le soin des petits travaux de finition; en février 1930, 54 latinistes quittèrent leurs vieilles paillotes pour habiter les nouveaux bâtiments.
Au début de 1930, M. Pierchon fut chargé de l'important camp militaire de Tong, prévu pour recevoir environ cinq mille hommes, venant de toutes les armes et situé à cinq kms de SonTay. Après avoir obtenu un terrain à proximité du camp, il s'y installa, construisit une petite chapelle inaugurée le 21 décembre 1930 et dont Mgr Ramond bénit la cloche de 600 kgs le 15 mai 1932; il fit une école, essaya d'organiser un cercle militaire, se mit à parcourir les villages autour de ce centre pour créer des nouvelles chrétientés et plaça le tout sous le patronage de Ste Thérèse de Lisieux..
Le 14 juin 1932, il célébra à Tong ses noces d'argent sacerdotales; ce fut l'occasion pour un confrère de célébrer en quinze strophes le bon caractère du jubilaire, ses talents de caricaturiste, son habileté de constructeur autodidacte, son élégance relative, son art consommé pour le plain-chant, sa science culinaire, son tact et son amabilité. Mais, M. Pierchon avec qui il était difficile d'avoir une conversation sérieuse, connaissait ses talents et savait ses limites. Aussi, une fois par mois, invitait il un prédicateur extraordinaire.
En 1933, il entreprit la construction à Tong d'une "basilique" en l'honneur de Ste Thérèse, en commençant par un clocher, haut de 27 mètres, réduction du campanile de Montmartre. A Noël 1940, Mgr. Vandaele inaugura cette belle église presque terminée, en y célébrant la messe de minuit. En septembre 1940, M.Pierchon céda sa résidence aux Soeurs de St.Paul de Chartres venues de Hanoï pour diriger son école.
Suite aux fêtes solennelles du 4 décembre 1938, à Sontay, à la mémoire des Martyrs morts pour la foi en cette ville de 1837 à 1862, on décida d'élever,sur le lieu de leur exécution, un monument en leur honneur; celui-ci fut béni le dimanche 26 novembre 1939 par Mgr.Drapier,délégué apostolique. M. Pierchon en avait élaboré le plan, et assuré la réalisation. Mgr. Vandaele le chargea également d'édifier sur les pentes du mont Bavi, une maison de repos pour les missionnaires.
Au mois d'août 1945, M. Pierchon dût se résigner à rejoindre Hanoï, en raison des évènements politiques, et il devint aumônier militaire. Cité pendant la première guerre mondiale, cité à Tong, en 1945, pour son dévouement auprès des blessés, cité encore une fois en 1947, alors qu'il était aumônier militaire à Gia-Lam, il fut fait chevalier de la Légion d'Honneur, en mars 1949. Rendu à la mission à la fin de 1948, il réussit à s'envoler pour Lao-Kay, le 24 avril 1949. De retour à Hanoï, le 24 octobre 1949, il repartit pour son poste de Tong où tout avait été annéanti; seuls ses bâtiments et son église avaient échappé à la destruction, mais pas à l'occupation de l'armée. Son église lui fut rendue en mars 1950.
En septembre 1951, il acheva la construction d'une chapelle à Tay-Vi bénite par Mgr. Mazé le 15 novembre 1951.; puis ce fut au tour de celle de Nhan-Ly que Mgr. bénit le 26 mai 1952; il en bâtit encore une troisième à Kim-Dai en août 1952. En Juillet 1954, à la suite des accords de Genève, il resta dans sa paroisse où malgré des difficultés multiples, il entreprit d'importantes réparations à son église. Le 7 juillet 1957, il célébra à Tong ses noces d'or sacerdotales dans une église archicomble. Ses chrétiens étaient venus lui dire leur attachement. La cérémonie terminée, M.Pierchon fut contraint à donner quelques "explications" au Comité révolutionnaire, au sujet de ce rassemblement. En 1960, invité à quitter les lieux, il arriva en France le 6 mars 1960.
Après avoir refait sa santé durant un mois, à l'hôpital Pasteur à Paris où il se montrait gai et amusant, il prit sa retraite à Voreppe. C'est là qu'il mourut le 12 février 1964
Obituary
LE PÈRE EDMOND PIERCHON
1882 - 1964
missionnaire de Hung-Hoa (Vietnam)
Lorsqu’on lit sur sa liche qu’Edmond PIERCHON est né à Halluin au bord de la Lys le 13 août 1882, qu’il fit ses études secondaires à Tourcoing et la moitié de son grand séminaire à Cambrai, on réalise immédiatement qu’on a affaire à un vrai « gars de ch’Nord ». On en était encore plus convaincu, si possible, lorsqu’on l’entendait parler. Mais en considérant le milieu familial au milieu duquel se passa l’enfance de notre héros, c’est du cent pour cent de septentrionalité qu’on est forcé de lui reconnaître.
Sa famille, en effet, était le type même de ces familles du Nord, nombreuses et chrétiennes en proportion. Onze enfants. Le père, médecin des tissages, faisait payer ses consultations un franc symbolique... et laissait souvent deux francs en s’en allant. On comprend qu’il fut vénéré de tous. La mère était aussi dévouée à sa maisonnée que le père à ses malades. Elle était grande admiratrice de Corot, qui était un ami de sa famille, et était douée elle-même d’un beau talent de peintre. Pendant les bombardements de la guerre 14-18, elle passait son temps à dessiner des anges sur les murs de la cave où les siens descendaient se réfugier. Ces détails sont à retenir...
« On pourrait croire que le jeune Edmond devait hériter de cet atavisme si chrétien. Mais quelquefois, on naît imprégné des défauts de ses ascendants. Aussi, le fils n’était pas aussi vertueux que ses parents exemplaires. Piété plutôt mystique ; sans doute rêvant de missions lointaines, d’apostolat conquérant un peu teinté d’aventures religieuses, mais aimables quand même... » – Qui écrit cela ? C’est le « jeune Edmond » lui-même ; en fait, le vieil Edmond, puisqu’il l’écrivit à quatre-vingts ans passés. Mais son caractère resta jusqu’au bout si jeune qu’on éprouve vraiment de la peine à parler de vieil Edmond. Et le pourquoi de cette confession ? C’est que son évêque, Mgr MAZÉ, demandait à tous ses missionnaires d’écrire leur propre curriculum vitae pour aider celui qui serait chargé de rédiger leur notice nécrologique... – Et que penser de cette confession ? Amateur ? Peut-être. Mais qui dit « amateur » dit, par définition, qui aime le travail qu’il fait. Et si l’amateur continue d’aimer son travail pendant cinquante-trois ans, alors, vivent les amateurs !
En attendant, Edmond PIERCHON poursuit ses études secondaires à Tourcoing, et y remporte habituellement des prix assez spéciaux : déclamation, peinture... Une fois, pourtant, il récolta un accessit de thème grec, « ce qui l’étonna un peu », écrit-il dans son curriculum. On a envie de rectifier : « ... ce qui l’inquiéta... »
Les extrêmes se touchent, dit-on. Il n’y a pas un unique type de nordiste, ni un type unique de méridional. Certains Provençaux surprennent par leur réserve ; certains gars du Nord étonnent par leur faconde et le brillant de leur imagination… encore qu’ils ne cherchent à tromper personne !… C’est certes à cette dernière catégorie qu’appartenait Edmond PIERCHON ; et tel il demeurera jusqu’à la fin de ses jours. Mais sa « piété plutôt mystique » (j’imagine qu’il faut comprendre : intuitive et peu conformiste) ne l’entraîne pas moins au grand séminaire de Cambrai en 1901. Ce n’est qu’un lieu de passage. Le voilà dans son élément au séminaire des Missions Etrangères en 1904. Il n’y restera pas longtemps non plus. On est alors en pleine crise anticléricale. Et comme le gouvernement d’Emile Combes se propose d’envoyer tous les séminaristes à la caserne, les directeurs du séminaire des Missions Etrangères se hâtent d’expédier tout le cours final au Collège général de Penang, où le Père PIERCHON est ordonné prêtre en 1906. De là, il gagne la mission à laquelle il est destiné, celle qui demeura longtemps la plus enviée de toutes : le Tonkin.
C’est à la partie montagneuse, Hung-Hoa, qu’il est affecté. Tout de suite il aime le pays, les habitants et ses confrères. Comme tous les jeunes missionnaires, il se fait à la vie et à la langue tonkinoises sous la direction d’un ancien. Le P. SAVINA, son Mentor, est un extraordinaire linguiste, beaucoup plus empirique que scientifique d’ailleurs. Cela fait tout à fait l’affaire du jeune P. PIERCHON qui, d’instinct, emploie exactement les mêmes méthodes. Ni livres, ni carnets de notes. Il circule partout, regarde, interroge... Son don d’imitation, si cocasse, et son excellente mémoire font le reste. Evidemment, son vietnamien ne sera jamais celui des lettrés, mais la savoureuse et verte langue populaire. Après le P. SAVINA, il va seconder le P. GIROD, qui lui donne ses premières responsa-bilités.
Et voici 1914. Je le cite : « Il prend du service comme réserviste. Mgr l’Evêque de Hanoï le « nomme volontaire » pour accompagner les soldats vietnamiens en France. Il est nommé caporal une nuit, et sergent-brancardier-interprète-aumônier le lendemain. » Rappelons qu’il n’avait pas fait de service militaire ; et précisons, ce qu’il oublie de dire, qu’il fut cité... Nous n’en savons pas plus.
En 1919, il est de retour dans sa mission du Haut-Tonkin (vicariat apostolique de Hung-Hoa), qui a été détachée du Tonkin Occidental (vicariat apostolique de Hanoï). Il est d’abord envoyé parmi les populations de la basse Rivière Noire. Mais maintenant va commencer pour lui une carrière imprévue qui devait en faire une manière de célébrité.
La mission projetant de bâtir un petit hôpital à Tuyên-Quang, le P. PIERCHON proposa de s’en charger. Il s’agissait sans doute de bâtiments simples ; mais l’architecte amateur s’en tira fort bien. Du coup, en 1925, Mgr RAMOND fit appel à lui en vue d’une réalisation d’une toute autre importance : le petit séminaire de Hà-Thach, et le P. PIERCHON, mis en veine, accepta. Mais là, les choses ne devaient pas aller toutes seules. Mgr RAMOND, homme du XIXe siècle, ne croyant qu’aux méthodes de construction éprouvées, ne voulait pas entendre parler de ciment armé. Le P. PIERCHON, qui croyait ferme que ses connaissances dans le bâtiment valaient mieux que celles de son évêque, commença avec celui-ci (dont, fort heureusement, la vue était basse), une véritable partie de cache-cache pour lui faire prendre le ciment pour de la pierre, et les barres de fer pour du bambou... Tout est bien qui finit bien. Le séminaire termine, avec ses cent-quinze mètres de noble façade dominant toute la région de Phu-Tho, rallia tous les suffrages... et Mgr RAMOND de trouver là une nouvelle preuve des vieilles techniques éprouvées par les siècles !
En 1930, le P. PIERCHON reçoit sa dernière destination, où il devait passer près de trente ans. Le curé et sa nouvelle paroisse étaient heureusement assortis. Cette paroisse, c’était le grand camp militaire de Tong : huit mille hommes de troupe et, bien entendu, toute la ville qui vivait de la garnison. Cette garnison était aussi variée que haute en couleurs ; et, de fait, on y trouvait des soldats de toutes les couleurs. Du point de vue religieux, il n’y manquait qu’une chose : une église… bien entendu ! Le P. Pierchon n’a pas besoin d’explications supplémentaires pour comprendre, et se met immédiatement à l’édification du chef-d’œuvre de sa vie : l’église Sainte-Thérèse de Tong. On a parfois critiqué les missionnaires qui jouaient les architectes... Cette critique ne vaut rien pour les époques où il n’y avait pas d’architectes : on se débrouillait comme on pouvait avec des connaissances approximatives et les moyens du bord. Mais, par la suite, elle se justifia plus d’une fois. Comment le P. PIERCHON se juge-t-il à ce point de vue ? Citons encore son propre curriculum : « Il n’est pas architecte – mot dont on abuse – mais un tâcheron distingué, pourrait-on dire... » – Là, c’est lui qui abuse ! Il fut bien plus qu’un tâcheron, même distingué. Architecte autodidacte, tant qu’on voudra. Mais il reste certain que l’église de Tong est bel et bien l’œuvre d’un architecte authentique.
Evidemment, même en cette matière, il restait semblable à lui-même : intuitif, et parfois fantaisiste...
– Pourriez-vous nous montrer vos plans ?
– Un plan ? Pourquoi faire ? Tu prends une photo quand c’est fini. C’est bien mieux !
– Mais... si en cours de construction vous vous apercevez que ça ne colle pas ?
– Eh bien, tu fiches par terre, et tu recommences autrement !
… Ce qu’il fit, effectivement, une ou deux fois !!
Il avait, d’ailleurs, des idées absolument géniales. Toute la ville de Tong, tant militaire que civile, était impatiente de posséder son église, et le P. PIERCHON n’avait pas de peine à démontrer à ses paroissiens que, plus ils lui donneraient les moyens de poursuivre les travaux, plus vite l’église serait achevée. C’était clair, et, somme toute, militaires et commerçants avaient la main assez large. Cependant, d’aucuns furent assez étonnés de voir s’élever tout d’abord, solitaire comme un phare de haute mer dominant toute la plaine de Sön-Tây, ... le clocher.
– C’est pourtant facile à comprendre ! les gens payent pour avoir leur église. Quand elle est finie, c’est connu : il faut attendre des années avant de les convaincre de recommencer à cracher pour construire le clocher. Tandis que comme ça, ils sont bien obligés de continuer s’ils veulent leur église ; et l’église a son clocher !
Simple... Il fallait y penser !
Enfin, en 1940, le bel édifice, inspiré du romano-byzantin est pratiquement achevé. Le très vaste espace intérieur, la haute coupole ajourée font l’admiration de tous. Sainte-Thérèse de Tong est sans conteste la plus belle église moderne de tout le Nord-Vietnam. Le P. PIERCHON peut être heureux et fier... Mais la guerre est déjà commencée en Europe ; et au Tonkin, c’est la défaite des armes françaises à Lang-son et l’occupation de l’Indochine par les Japonais.
Grâce à l’habileté de l’administration de l’amiral Decoux, gouverneur général, cette occupation demeura relativement bénigne jusqu’en 1945 ; aussi la vie à Tong continua-t-elle presque normalement durant cinq ans. Pour cette ville qui était, nous l’avons dit, assez spéciale, le P. PIERCHON était l’homme de la situation et jouissait d’une grande popularité. Une belle nuit, il s’entend appeler à grands cris. Il se lève pour voir de quoi il s’agit, et trouve un groupe de légionnaires complètement saouls… et en larmes : « Mon Père, vous êtes trop bon, on vous aime trop... On vous apporte du « rab de fayots ! » Lui, bien sûr, ne s’étonnait jamais de rien...
Il était pratiquement impossible d’avoir une conversation sérieuse avec lui. Qu’il soit question de n’importe quel sujet, il partait aussitôt dans une série d’histoires sans queue ni tête qu’il débitait avec une irrésistible drôlerie. Connaissant ses talents, tout aussi conscient de ses limites, et soucieux de tous ses paroissiens, il se rendait parfaitement compte que sa prédication ne pouvait satisfaire les auditeurs difficiles ; or il n’en manquait pas parmi les officiers et leurs familles. Aussi faisait-il venir une fois par mois un « prédicateur extraordinaire » pour ce genre d’auditoire. Ainsi, grâce au réalisme et à la modestie du Père, tous les paroissiens de long trouvaient leur compte.
Si on avait dit au P. PIERCHON qu’il était un ascète, cela aurait sans doute provoqué chez lui une crise de fou rire inextinguible. Pourtant, c’était pratiquement exact. Mais voilà : il faisait de l’ascétisme comme M. Jourdain faisait de la prose. En fait, il était trop occupé par sa paroisse et ses constructions : car il n’y avait pas que l’église Sainte-Thérèse. Il y avait encore le presbytère de Tong. Puis, Mgr VANDAELE le chargea d’édifier sur les pentes du mont Bavi une maison de repos pour les missionnaires. A quoi il faut ajouter les petites chapelles de chrétientés annexes auxquelles il apportait autant de soin qu’à ses grandes réalisations. Dès lors, il ne lui restait guère de temps pour s’occuper de sa cuisine, et il était capable de manger à peu près n’importe quoi.
Le Père SEITZ arrive un jour à Tong sur le coup de midi :
– Avez-vous un petit casse-croûte pour moi, Père PIERCHON ?
– Attendez... Oui, vous avez de la chance ! On m’a apporté quelque chose hier. Il me semble que c’était du riz au lait. Je n’ai pas eu le temps de le manger ; c’est le chat qui en a profité, mais je crois qu’il en a laissé.
Le P. SEITZ rit de bon cœur, croyant à une bonne blague bien dans le style de son hôte. Mais le P. PIERCHON revient avec une assiette qui contenait, de fait, quelque chose qui ressemblait à du riz au lait. C’était entamé, et, effectivement, cela semblait bien avoir été entamé par un chat...
Fort heureusement pour lui, les paroissiens invitaient assez fréquemment leur curé à déjeuner, et là, le P. PIERCHON se rattrapait sans fausse honte...
Ainsi allèrent les choses, assez calmement, somme toute, jusqu’au 9 mars 1945, où, à cinq mois de la bombe d’Hiroshima, les Japonais mirent fin brutalement et sans explication au régime de demi-faveur dont jouissait l’Indochine parmi les pays qu’ils occupaient. Tong étant une ville totalement militaire, les soldats du Mikado s’y montrèrent particulièrement pointilleux. Le brave P. PIERCHON s’employa, parfois avec un certain succès, à mettre un peu d’huile dans les rouages... Mais au mois d’août, avec la prise du pouvoir par le gouvernement du Viêt-Minh, les missionnaires de Hung-Hoa devaient se résigner à rejoindre Hanoï. Le P. PIERCHON est alors nommé aumônier militaire et... sous-lieutenant à soixante-sept ans. Décidément, tout ce qui lui arrivait comportait inévitablement un côté savoureux... Cependant, sans oublier sa citation de la guerre de 14-18, signalons qu’il est cité une deuxième fois en 1946 pour son courage lors de l’occupation de Tong par les Japonais, une troisième fois en 1947 pour son dévouement comme aumônier de la garnison de Hanoï, et qu’il reçoit enfin la Légion d’honneur en 1948.
Mais un sujet de fierté bien plus grand l’attendait, malgré le drame de la guerre d’Indochine, qui avait débuté à Hanoï le 19 décembre 1946. Deux ans après, les troupes de l’Union française reprennent Tong, et le P. PIERCHON accourt. Là comme partout, les Viêt-Minh ont appliqué la technique de la terre brûlée. Mais seule, encore embellie par le contraste avec le désolant champ de ruines qui l’entoure, l’église Sainte Thérèse, respectée par les Viêts, se dresse intacte... Autour du sanctuaire la vie se réorganise peu à peu à Tong. C’est un sursis de sept ans. Car en 1954, c’est le désastre de Diên-Biên-Phu, ce sont les accords de Genève qui appliquent au Viêt-Nam la désolante formule coréenne : la moitié nord aux communistes, la moitié sud aux autres... Et c’est le grand exode du nord vers le sud.
Mais le P. PIERCHON, malgré ses soixante-douze ans, reste dans sa paroisse, et se hâte d’achever les deux ou trois chapelles de chrétientés encore en chantier ! Après quoi, il n’y a plus qu’à attendre... Et c’est encore un nouveau sursis de cinq ans. Lui qui dans son enfance rêvait d’un apostolat conquérant « un peu teinté d’aventures religieuses », peut s’estimer exaucé !
« Un peu teinté d’aventures religieuses… mais aimables quand même », ajoutait-il. 1956 : ce sont les noces d’or sacerdotales du P. PIERCHON. De très bon matin, à pas feutrés et par tous petits groupes, les chrétiens viennent des villages environnants, et la grande église de Tong est bondée comme aux plus beaux jours. C’est un triomphe ! Sitôt la cérémonie terminée, le P. PIERCHON est convoqué par le Comité révolutionnaire.
– Qu’est-ce que ce rassemblement ?
– C’est mes noces d’or ! Vous savez, les noces d’or, c’est quand... (suivent de longues explications fort embrouillées...).
– Ta ! Ta ! Vous savez parfaitement que les rassemblements sont interdits sans autorisation spéciale du comité révolutionnaire. Or de quel droit... ?
– C’est pas ma faute, c’est les gens ! Ils ne m’avaient pas demandé la permission... Et puis ça, c’est rien du tout ! Vous verrez, dans dix ans pour les noces de diamant : ce sera encore bien plus formidable !
Bref, l’interrogatoire tourne au vaudeville, et les assistants commencent à se tordre de rire, ce qu’il faut éviter à tout prix dans ces régimes désespérément sérieux. Aussi, le délinquant fut promptement mis à la porte de la salle du comité avant que le fou rire ne tourne à la catastrophe !
Ce fut sans doute la dernière grande joie du P. PIERCHON. En 1959, il était invité poliment à quitter les lieux ainsi que ses confrères les plus âgés, et regagnait la France...
A l’hôpital Pasteur, où on tente de lui rendre ce qui est encore possible en fait de santé, ceux qui viennent le voir s’émerveillent de le retrouver toujours aussi gai, aussi amusant. Au milieu de leur travail souvent pénible, les religieuses ou les infirmières qui sentaient le besoin d’une bonne diversion allaient bavarder quelques minutes avec le P. PIERCHON.
Enfin, c’est la retraite, et le départ pour Voreppe. Curieux phénomène... Innocent petit moyen pour recréer, à défaut de mieux, une certaine ambiance gustative et olfactive du pays qui a été toute sa vie, au point qu’il n’avait jamais pris de congé ? Toujours est-il que, lui qui s’était si peu soucié de cuisine sa vie durant, amène à chaque repas des petits flacons de condiments vietnamiens dont il assaisonne généreusement ce qu’on lui sert...
Cette ambiance, il va avoir le bonheur de la recréer mieux encore lors de la visite que vint lui faire son vieux compagnon de mission, le P. GAUTIER, qui était de quatre ans son cadet. Que de souvenirs furent alors remués par les deux vétérans, on le conçoit sans peine : deux fois cinquante ans de mission, et cinquante ans marqués de quels événements...
Il mourut à Voreppe le 12 février 1964.
A Dieu, brave vieux Père PIERCHON. Je ne sais si beaucoup de confrères peuvent se vanter de vous avoir jamais entendu parler sérieusement. Je sais seulement que vous avez travaillé sérieusement et longtemps, dans des circonstances qui étaient tout juste le contraire de la sécurité. Je sais que Dieu vous avait donné un beau talent, et que ce talent, vous l’avez fait largement fructifier, pour Lui et pour vos chrétiens qui, du coup, se souviendront longtemps de vous. Je sais enfin que Dieu vous avait fait un don infiniment précieux, et que ce don, vous l’avez conservé de votre enfance jusqu’à votre extrême vieillesse : la joie.
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References
[2959] PIERCHON Edmond (1882-1964)
Références bibliographiques
AME
1907 p. 381.
CR
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EPI
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ECM
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MDA
1949 p. 128. 158. 1950 p. 159. 1951 p. 127. 1957 p. 143.
EC1
N° 564. 619. 647. 670. 675. 740.
Mémorial PIERCHON Edmond,Joseph, Gustave, Louis,Edouard page 1