Charles MONTILLON1910 - 1991
- Status : Prêtre
- Identifier : 3517
Identity
Birth
Death
Other informations
Missions
- Country :
- China
- Mission area :
- 1934 - 1949 (Yibin [Suifu])
Biography
[3517] Charles, Abel, Georges MONTILLON naquit dans une famille bourgeoise non pratiquante, le 12 janvier 1910, à Corbigny, diocèse de Nevers, département de la Nièvre. Il fut incardiné au diocèse d'Orléans. Il fit ses études secondaires à l'Institution Saint François de Sales de Gien (Loiret). Après ses deux bacs, il monta à Paris, obtint ses diplômes d'ingénieur en électricité, entra à la faculté de Droit où obtint le diplôme de la première partie. Vu ses nombreuses qualités naturelles, sa facilité d'assimiler rapidement de nouvelles connaissances, et selon le désir de sa famille, un avenir brillant s'ouvrait devant lui. Son père travaillant à la SNCF lui obtint une place d'employé à la gare de Lyon d'emblée à l'échelle 7. Un cousin éloigné lui réservait une place de choix dans l'administration de l'Assemblée Nationale. Enfin une carrière musicale s'offrait à cet excellent violoniste.
Alors qu'il était en classe de seconde, un Père des Missions Africaines de Lyon fit une conférence dans son collège. Ce fut pour lui un "coup de foudre". Quand discrètement il fit part aux siens de son projet de devenir prêtre et missionnaire, il y eut levée de boucliers ! Malgré tout, en 1928, M. Montillon se présenta à la rue du bac pour avoir des renseignements. Peu au fait du vocabulaire de la maison, quelqu'un, un "barbu" le dirigea vers M. Depierre qui le conduisit à Mgr de Guébriant qui le confia à M. Marie Antime Lefèvre.
Après une visite à sa famille où larmes, colère, ironie, moqueries ne lui furent pas épargnées, le 21 octobre 1929, il entra laïque au séminaire des Missions Étrangères à Bièvres, où il alla de surprise en surprise. Des pressions s'exercèrent pour le convaincre de rentrer à la maison. Mais il se roda à la vie de communauté, parcourut le cycle normal des études ecclésiastiques, et fut organiste jusqu'à son départ en mission. Tonsuré le 20 décembre 1930, il reçut les premiers ordres mineurs, le 24 juin 1931, et les seconds le 29 juin 1932. Sous-diacre le 23 septembre 1933, diacre le 23 décembre 1933, ordonné prêtre par Mgr de Guébriant, le 1 juillet 1934, il reçut le soir même sa destination pour le vicariat apostolique de Suifu (Yibin), qu'il partit rejoindre le 16 septembre 1934; il s'embarqua à Marseille, le 21 septembre 1934, sur le "Chenonceaux"
Le 14 octobre 1934, MM. Perriot-Comte, Caset et Montillon arrivèrent à Chungking. Le 3 décembre 1934, ce dernier, en vers français et latins alternés, exprima à Mgr Jantzen qui fêtait ses vingt-cinq ans de sacerdoce, ce que chacun sentait et n'aurait su si bien dire. Le dimanche 9 décembre 1934, vers le 7h30 du matin, le vieux "Chou-T'ong" à bord duquel avaient pris passage à Chungking MM. Lebreton et Montillon abordait au port de Sui-fu. Mgr Renault donna à M. Montillon le nom chinois de "Mong-tee-iong" et un mois après son arrivée, le confia à M. Jouve, chef du district de Kian-gan pour l'étude de la langue et sa formation missionnaire.
En mars 1936, M. Montillon fut nommé à Che-houi-ki (Shihuiqi), près de Fushun, sur le bord du Luho, affluent du fleuve Bleu, à une journée de chaise de M. Jouve et à une petite journée de chez M. Morge. C'était un district de chrétiens de vieille souche. M. Montillon resta dans ce poste jusqu'en janvier 1942. A son travail ordinaire, à la visite des stations, aux soins des écoles et de la Ste Enfance, il ajouta des activités médicales, des constructions, et le professorat. En mars 1937, en accord avec Mgr Renault, M. Morge, curé de Lan-ki (Nan-ki), lui demanda de prendre en main la construction de l'église de ce centre missionnaire, dédiée à Ste Thérèse de l'Enfant-Jésus, et qui fut bénite en 1938. A Che-houi-ki, M. Montillon subit le passage des communistes, connut les bombardements japonais, l'incendie de la ville voisine de Luxian.
En janvier 1942, envoyé à Neikiang (Neijiang), grande ville au centre de la route entre Chungking (Chongqing [Chungking]) et Chengtu (Chengdu) il eut à sa charge, pendant ces années de guerre et de famine, dix-sept orphelins. Il donna des concerts, fonda une école de musique et de danse avec des professionnels chinois, composa de la musique. Vite connu et apprécié grâce à ses activités culturelles et à son dispensaire ; il noua des relations d'amitié avec le mandarin local. La dernière année, il ouvrit une école de doctrine. Mais les difficultés ne lui manquèrent pas dans le cadre de l'administration des biens de la mission. En ce temps de guerre, Il subit les méfaits des soldats nationalistes, communistes, provinciaux, et les exactions du fisc.
En avril 1946, Mgr Boisguérin demanda à M. Montillon de s'installer à Yibin [Suifu], comme "administrateur" chargé de tout le côté matériel de la mission. Grâce à ses leçons d'anglais, et à ses talents de musicien, ce dernier devint l'ami du mandarin de Yibin, et du général commandant la région. Il construisit un nouvel hôpital avec maternité, dispensaire, jardin d'enfants à la "Porte Sud" de la ville. Il organisa au jardin public de Yibin, des spectacles avec danses, sketches, chants, musique.
En février 1949, peu avant l'arrivée des communistes, M. Montillon partit en congé en France. Arrivé à Hong-Kong le 13 février 1949, il s'envola, le 1 mars 1949, pour Paris où il atterrit le 5 mars 1949. Le régime communiste s'installa à Yibin ; M. Montillon y fut jugé "en effigie". Peu après en France, il reçut une lettre de là-bas le priant de "revenir pour être jugé plus correctement".
En France, M. Montillon fut nommé délégué régional aux œuvres pontificales missionnaires, d'abord à Lyon, puis à Paris. Il travailla en sinologie avec M. le professeur Démiéville. En relation avec l'équipe linguistique des Pères Jésuites de Formose, il mit sa connaissance de la culture chinoise au service du CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique) pour la rédaction d'un grand dictionnaire Chinois-Français. La mort a interrompu son travail.
Rentré à la clinique des Diaconesses, à Paris, c'est là que M. Montillon rendit son âme à Dieu, le 4 janvier 1991. Ses funérailles furent présidées dans la chapelle des Missions Étrangères, par Mgr Boisguérin, son ancien évêque de Chine.
Obituary
Georges MONTILLON
1910 - 1991
MONTILLON Charles, Georges, Abel
Né le 12 janvier 1910 à Corbigny (Nièvre), diocèse de Nevers
Entré au séminaire des Missions Étrangères le 21 octobre 1929
Ordonne prêtre le 1er juillet 1934
Parti pour le vicariat apostolique de Yibin [Suifu] le 16 septembre 1934
Sorti de Chine le 13 février 1949
Décédé à Paris le 4 janvier 1991
Le P. Georges Montillon a profité de sa retraite pour mettre au point quelques notes biographiques qui nous sont précieuses au moment de rédiger sa notice. Nous emprunterons de larges extraits à sa rédaction.
Nous lui donnons la parole.
« Ma vie se divise tout naturellement en quatre périodes, très nettement différenciées :
1) l’enfance et l’adolescence jusqu’à la classe de seconde ;
2) la période transitoire entre ma “conversion” inattendue et mon entrée aux Missions Étrangères ;
3) la période à Bièvres, à Paris, puis en mission ;
4) la période entre mon retour en France et... la fin ! »
Première partie : enfance et adolescence…
« Je suis né le 12 janvier 1910, et j’eus un frère trois ans après... Voici quelques mots sur mes parents. Du côté paternel, une très longue lignée anticléricale, parfois très agressive. Un de mes arrière, arrière-grands-pères a fait partie du commando qui a fermé l’église de son pays dans le Cher. Mon père, beau¬coup plus modéré, est pourtant resté indifférent et a toujours refusé d’entrer dans une église, sauf sur sa fin où Dieu a eu la bonté de permettre qu’il change complètement son opinion intransigeante et fasse une très belle mort. La même chose pour ma mère, ce qui a été moins surprenant ! Elle avait une foi peu éclairée et une pratique religieuse de routine, ce qui lui a tout de même permis d’obtenir de mon père la liberté de nous faire baptiser, faire notre première communion, recevoir la confirmation et d’aller faire des études à l’Institution Saint-François de Sales de Gien. Elle a préparé ainsi, involontairement, le terrain pour ma vocation, qu’elle a combattue comme tout le monde au début, mais apprécié par la suite !
« Pendant toute cette période, je n’ai eu en moi aucun sentiment religieux très net. J’ai subi, pas toujours avec bonne volonté, les sacrements imposés, les messes du dimanche, les prières obligatoires au collège. »
Deuxième partie : entre ma « conversion » et l’entrée aux Missions Étrangères
« J’étais donc en seconde quand un père des Missions Africaines de Lyon est venu faire une conférence. Ce fut immédiatement le “coup de foudre” incompréhensible ! Un violent désir de partir m’est tombé dessus sans que je sache rien des activités missionnaires, sans comprendre qu’il faudrait que je sois prêtre. Ce fut là ma première grande surprise le jour de mon entrée au séminaire de Bièvres !.... Et il y en eut bien d’autres, parfois d’énormes difficultés, toutes imprévues, qui n’ont pourtant jamais mis en échec l’appel de Dieu, ni même seulement en doute !... Aujourd’hui encore, je serais prêt à recommencer !
« C’est l’exemple, je crois, le plus parfait d’une vocation tardive, d’un appel venu du ciel, avec un environnement peu favorable et sans intervention humaine : la conférence missionnaire ne semble avoir été que le “déclencheur”.
« Rapidement, j’ai discrètement laissé entrevoir mon projet. Cela a été une levée de boucliers générale dans la famille et chez les amis. Une seule personne m’a approuvé et soutenu depuis le début ; c’est elle qui m’a offert le missel de ma première messe et qui a décidé de prier pour moi toute sa vie.
« Jusqu’à mon entrée à Bièvres, ma vie a été très difficile et semée d’embûches. Après mes deux bacs, j’ai dû monter à Paris. Mon père, cheminot, comme du reste ma mère, me fit obtenir une place d’employé à la gare de Lyon, d’emblée à l’échelle 7, ce qui m’ouvrait la voie sur une belle carrière, le rêve de ma famille… pas le mien !... En même temps, un cousin éloigné sans enfant, qui me présentait à tout le monde comme son fils adoptif, me réservait une place de choix dans l’administration de l’Assemblée Nationale, poste que je pourrais obtenir infailliblement, grâce à un concours truqué : il suffisait que j’entre à la faculté de Droit ; ce que je fis, en me disant que cela pourrait toujours m’être utile, mais, en moi-même, bien sûr, je ne voulais pas de la place. Une troisième voie très tentante s’offrait encore à moi : la musique. Je mentionne ici seulement une situation dangereuse pour ma vocation : des amis de ma famille avaient une fille, Madeleine, pianiste ; les deux familles se sont entendues pour me laisser seul avec elle, le plus souvent et le plus longtemps possible, sous prétexte l’un comme l’autre de se perfectionner, elle au piano et moi au violon. En fait, nous avons fait ensemble beaucoup de musique. Elle n’a pas compris mon départ, mais m’a souvent rendu visite à la rue du Bac ; elle m’a accompagné à la gare : là nous nous sommes embrassés pour la première et... la dernière fois ! »
Troisième partie : mon entrée aux Missions Étrangères et mon temps de mission
« En 1928, devant ces trois tentations extrêmement troublantes, je fis pris de peur panique de ne plus pouvoir bientôt échapper à l’une d’elles au moins – choix d’ailleurs très difficile – et de perdre à jamais tout espoir de réaliser mon rêve missionnaire.
« J’avais alors l’adresse du 128, rue du Bac, Missions Étrangères de Paris, écrite au crayon dans la marge du premier numéro du nouveau journal, L’Ami du Peuple, que je désirais connaître. Je n’ai jamais su d’où venait cette adresse... Encore le doigt de Dieu comme tant de fois dans ma vie...
« Pourtant, mon premier pas a bien failli être le dernier. À la porterie, j’ai été très mal reçu par la sœur Pamphile parce que j’avais eu l’excusable maladresse de demander à voir le “Directeur”. Elle me dit d’un ton brusque : “Lequel ? Ils sont cinq”. J’ignorais qu’il eût fallu dire “Supérieur”. Avec un tel accueil, j’ai bien failli repartir. La vocation fut plus forte que la peur et le désarroi, si bien que je répondis timidement : “N’importe ! C’est pour des renseignements.” La sœur m’a envoyé au parloir où j’ai attendu plus d’une heure, jusqu’à la sortie du souper ; un “barbu”, évidemment un “partant” dont je n’ai jamais su le nom, vint me dépanner. Je l’ai reçu comme un “Directeur” et lui ai tout raconté ; il a fini par m’avouer qu’il n’était qu’un “aspirant”, encore une dénomination inconnue de moi, et m’a donné le moyen de joindre le P. Depierre, alors recruteur. Dès ma visite à ce dernier, il me conduisit à Mgr de Guébriant qui m’adopta et s’occupa de moi jusqu’au départ. Ne pouvant me voir régulièrement, il me confia à un directeur de conscience, le P. Lefèvre.
« Au bout d’un an, celui-ci m’obligea à aller voir ma famille, d’abord, avant de couper tous les ponts. J’ai obéi... mais ce fut dur. J’ai déclenché partout des larmes, des colères, des ironies ou des moqueries.
« Le 21 octobre, j’étais enfin aspirant à Bièvres. Là, inévitablement, comme je ne savais rien de rien, j’allai de surprise en surprise. J’admis et subis tous les imprévus. Il fallait m’incliner. Ma nomination pour tenir l’harmonium m’a redonné le sens du réel. Et puis je jouais du violon : le P. Lefèvre m’avait interdit d’abandonner. Quelle sage interdiction pour alors et pour plus tard !
« Une seule anecdote entre bien d’autres. Un jour, j’ai reçu la visite de gendarmes pour essayer de me convaincre de rentrer à la maison ; ils étaient plutôt gênés et ils repartirent bredouilles... Un peu plus tard, c’est un oncle qui est venu me chercher pour une simple promenade ; j’ai bien fait de me méfier, car très rapidement, je me suis rendu compte que la promenade était bel et bien un enlèvement. Heureusement, j’ai pu me sauver ; comme j’avais un peu d’argent de poche, j’ai pris un billet de train pour me ramener à Bièvres...
« À la rue du Bac, j’étais bien rodé à la vie de communauté, bien que ne l’aimant pas beaucoup. Mes études se poursuivirent normalement. Je fus orga¬niste jusqu’à mon départ... Je fus ordonné diacre le 23 décembre 1933.
« Le 1er juillet 1934, je recevais enfin la prêtrise et, le soir même, comme de coutume, Mgr de Guébriant donnait les destinations attendues avec émotion. L’affiche des pronostics des aspirants me désignait pour l’Inde, à cause de ma connaissance de l’anglais. En fait, ce fut “Suifu”. Mgr de Guébriant m’a avoué que c’est lui qui était intervenu pour modifier ma destination, qui en effet était l’Inde, parce qu’il voulait que je lui succède dans sa propre mission. Encore le doigt de Dieu ! Je ne pouvais rêver mieux, la Chine et surtout la Chine de l’Ouest.
« Je suis parti le 16 septembre de Paris, et le 21 de Marseille avec vingt autres partants sur Le Chenonceaux. Il devait semer les partants les uns après les autres tout le long de sa route. Il en restait trois pour remonter le fleuve Bleu jusqu’au Sichuan, et j’arrivai aux pieds de Mgr Renault pour prêter le serment habituel le 9 janvier 1935, après quatre mois de voyage... »
De Kiangan à Shihuiqi
« Un mois après mon arrivée, Monseigneur me confiait au P. Jouve, à Kiangan, pour commencer d’apprendre la langue et m’habituer au travail en district. J’avais un “latiniste” à ma disposition qui pouvait guider mon étude grâce au latin. Mais c’est surtout la fille du portier, Hoang, qui parlait un chinois très pur et très clair, qui m’a permis de faire des progrès très rapides. Un an après mon arrivée là, je pouvais “voler de mes propres ailes” et j’étais nommé à Shihuiqi, près de Fushun, sur le bord du Luho, affluent du fleuve Bleu.
« Je suis resté dans ce poste de mars 1936 à janvier 1942.
« Comme presque partout ailleurs, la base du travail apostolique, c’est le service de la communauté locale et la visite des stations de la campagne environnante, ainsi que le soin des écoles et des filles de la “Sainte-Enfance”, et certaines autres activités qui se présentent, et les charismes de chacun... Pour moi, il y eut des activités médicales, des constructions et le professorat.
« C’est en cet endroit que j’ai subi le passage des communistes et que la guerre japonaise a été la plus menaçante ; d’importantes escadrilles passaient souvent, jetant des bombes un peu partout pour effrayer la population ; elles ont même mis le feu à la ville voisine de Luxian, revenant un peu plus tard arroser de tonnes de gros cailloux la tête des gens revenus pour essayer de sauver leurs biens du feu. »
Neijiang
« Puis je fus changé et envoyé dans un district plus au nord, à Neijiang. J’y arrivais totalement inconnu et ne connaissant personne. La France était encore occupée, et l’insulte courante dans les rues, “wang guolu” – esclave du pays vaincu ! –, me faisait amèrement regretter ma situation précédente. Je suis resté à Neijiang de janvier 1942 à avril 1946. Là encore, Dieu ne m’a pas abandonné !
« J’avais amené avec moi des orphelins de guerre – dix-sept – que j’avais adoptés, pris dans l’énorme bande conduite par une missionnaire protestante devant l’avancée japonaise ; son épopée a été célébrée par un livre et un film, L’Auberge du 6e Bonheur. Seulement, avec la guerre mondiale, nous ne recevions plus aucun subside et il fallait faire avec les maigres moyens de la mission et la débrouille personnelle. Ce qui supposait beaucoup de restrictions ; heureusement, une bonne dizaine d’orphelins fut placée ou se sauva. Avec les autres, nous mangions ensemble un bol de nouilles à l’eau par jour, pendant un an. Un litre de vin de messe, cette année-là ! Pas de cuisinier ; pas d’école, donc pas de maître d’école ; pas de portier. Petro, mon factotum, faisait tout. Quand il sortait pour aller aux courses, je gardais la porte et voyais les malades juste dans une pièce à l’entrée.
« C’est alors que les. événements se précipitèrent... En présence d’une superstition notoire, j’avais l’habitude de la contrer ostensiblement pour prouver qu’elle ne porte pas malheur. Ayant reçu une “chaîne de bonheur” du directeur de la Banque de Chine locale, je la mis au panier et écrivis une lettre explicative assez ironique au directeur qui avait cru bien faire de me l’envoyer. Rapidement il vint me voir. Devant une tasse de thé l’explication au sujet de la “chaîne” fut vite donnée et admise. Puis voyant que j’écrivais de la musique, il me dit :
– Vous êtes musicien ?
– Oui, je joue un peu de violon et de flûte, et je fais un peu de composition.
– Alors, il faut donner un concert ici !
– Ce serait bien maigre !
– Pas du tout ; ce serait exceptionnel ; ici nous n’avons jamais rien !
« Le concert a eu lieu avec un succès surprenant ; ensuite, ce fut l’engrenage providentiel que je résume : fondation d’une école de musique et de danse avec des professionnels chinois, bien sûr. D’autres concerts. Des compositions dont une “Les Chats noirs” est restée curieusement dans le folklore et chantée dans toute la Chine ; elle a été ensuite traduite en français et publiée en France. Le nom chinois et le style caractéristique de la musique ont trompé tout le monde !
« Une terrible épidémie de choléra a accéléré la marche de mon dispensaire. Je devins très connu et apprécié.
« Après l’armistice, un nouveau consul vint dans la province et dès sa première visite à Neijiang, il se brouilla avec moi parce que je n’avais pas mis de drapeaux français en ville à ma porte. Je lui fis remarquer qu’on était en Chine et pas en France. Le mandarin local a appris cet incident, il m’a approuvé ; il m’a invité chez lui et nous sommes devenus très amis. Toutes les portes désormais m’étaient ouvertes et j’étais bien protégé partout.
« La dernière année a été merveilleuse. Nous pouvions manger à peu près normalement. Les relations publiques étaient au mieux. Le dispensaire marchait bien. J’ai pu enfin ouvrir une école de doctrine avec une maîtresse. Je pouvais payer une cuisinière.
« Pour la vérité historique, je dois ajouter que dans mes différents postes, les ennuis et les difficultés ne m’ont pas manqué, surtout dans le cadre de l’administration des biens de la mission. Difficiles les transactions avec les fermiers. Il y a eu les méfaits des soldats, nationalistes, communistes ou provinciaux. Il y a eu les exactions du fisc : des records battus, puisque j’ai payé des avances d’impôts jusqu’en cette année 1990, l’année où j’écris ce récit. Il y a eu une dévaluation galopante à cause de la guerre, puis de l’avance des communistes : une boîte d’allumettes de quelques centimes en était arrivée à plusieurs centaines de dollars chinois... »
Yibin
« En 1946, une nouvelle tuile allait m’obliger à quitter Neijiang pour me jeter dans l’inconnu et recommencer dans un centre encore plus important et difficile, mon quatrième et dernier poste : Yibin.
« En effet, plusieurs mois après la mort de Mgr Renault, le P. Boisguérin fut désigné pour lui succéder. Sa première démarche fut de venir me voir, de passer une nuit blanche pour arriver à me convaincre de venir avec lui pour le seconder. J’ai beaucoup hésité, puis j’ai tout de même senti que je ne pouvais pas refuser. Aujourd’hui, en 1990, nous sommes les deux seuls survivants de la mission et toujours inséparables, bien que séparés par des activités différentes.
« Je m’installai définitivement à Yibin comme “administrateur”, titre non canonique qui me chargeait de tout le côté matériel de la mission : gestion des biens, direction générale de toutes les œuvres, écoles, dispensaires, hôpitaux, relations publiques...
« J’ai eu d’énormes difficultés à surmonter, mais, comme d’habitude, Dieu m’a de toute évidence aidé, inspiré, me permettant de devenir connu, et peut-être apprécié.
« Je suis devenu l’ami intime du mandarin – le préfet – grâce à celui de Neijiang ; je lui donnais des leçons d’anglais. Un jour il m’a nommé chef des services culturels, m’a demandé de fonder et de diriger une fanfare municipale, etc., ce qui lui valut d’être fusillé à l’arrivée des communistes “pour amitié anormale avec un étranger”.
« Je suis aussi devenu l’ami du général commandant la région auquel j’ai aussi donné des leçons d’anglais. J’ai fait des funérailles extraordinaires à sa femme qui s’était fait baptiser. Lui n’a pas été fusillé, car il s’est rendu aux communistes.
« Mon œuvre la plus importante à Yibin a été la construction du nouvel hôpital avec maternité, dispensaire et jardin d’enfants à la “Porte Sud”.
« À l’approche des communistes, j’ai été chargé par le mandarin de donner des spectacles au jardin public pour distraire et calmer la population inquiète. Des milliers de personnes assistaient à ces séances avec danses, sketches, gags, musique, chants... avec beaucoup d’enthousiasme... Le plus triste, c’est que sur cette même estrade d’où j’amusais la foule, Mgr Boisguérin un peu plus tard a subi un terrible jugement populaire, commencement d’un long et pénible “lavage de cerveau”...
« Quant à moi, je suis parti pour la France en février 1949, peu avant l’arrivée des communistes, si bien que j’ai été jugé seulement “en effigie”. J’ajoute l’invraisemblable détail suivant : en France, j’ai reçu une lettre de là-bas me demandant de “revenir pour être jugé plus correctement” ! Quelle naïveté ou inconscience ! Que pouvait-on me reprocher ? D’avoir construit un hôpital ? D’avoir soigné des milliers de malades ? D’avoir fait de la musique et animé des soirées récréatives ?... »
Quatrième partie : en France
Rentré en France en 1949, le P. Georges Montillon utilisa ses connaissances sinologiques pour travailler avec le Professeur Démiéville. Il conservait son esprit missionnaire et fut nommé délégué régional des Œuvres pontificales missionnaires. Fatigué, il finit par se retirer de toute activité pastorale.
Le Seigneur le rappela à Lui à Paris, à la clinique des Diaconnesses, le 4 janvier 1991, et ses funérailles furent présidées dans la chapelle des Missions Étrangères par Mgr Boisguérin, son ancien évêque de Chine, qui donna l’homélie en retraçant rapidement sa vie missionnaire.
Paul RICHARD
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References
[3517] MONTILLON Charles (1910-1991)
Références biographiques
AME 1934 p. 187. photo p. 282. CR 1934 p. 233. 1940 p. 133. 1948 p. 28. 31. 1949 p. 41. 1968 p. 57. BME 1934 p. 659. 660. 813. 892. 1935 p. 46. 115. 117. 118. 1936 p. 279. 1937 p. 248. 584. 585. 1938 p. 251. 1940 p. 689. 1949 p. 231. 375. 1956 p. 476. 1959 p. 278. R.MEP n°135 p. 79. ECM 1946 p. 133. 134. Hir n°139 p. 4. - 147 p. 3. - 264. EC1 N° 186. 293. 468. 654. NS. 1P15. 181/60. Zhong n° 21 p4ss. 30p5. 32p15. 34p26ss. 35p8. 36p22. 37p22ss. 38p20ss. 39p2ss. 41p24. 43p02.