François DUFAY1916 - 2004
- Status : Prêtre
- Identifier : 3717
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Identity
Birth
Death
Other informations
Missions
- Country :
- China
- Mission area :
- 1946 - 1951 (Chengdu)
- 1951 - 1961 (Chengdu)
- Country :
- Malaysia - Singapore
- Mission area :
- 1964 - 2004 (Malacca)
Biography
[3717] DUFAY François est né le 22 septembre 1916 à Tinchebray (Orne).
Ordonné prêtre aux MEP le 30 juillet 1944, il part le 23 mars 1946 pour la mission de Chengdu (Chine).
Il étudie le chinois à l’évêché de Chengdu, puis il est chargé du poste de Kal Ken Tse (1947-1951).
Expulsé de Chine en 1951, il est nommé directeur du Bulletin des MEP à Hong Kong, puis directeur de la maison de repos Béthanie (1952-1961).
En 1964, il reçoit une nouvelle affectation pour la mission de Singapour.
Il est d’abord envoyé à Serangoon puis à Katong (1965-1966). Il est aumônier de l’école professionnelle de Boys Town (1966-1973), puis vicaire à Siglap Hill. Il est ensuite nommé responsable de la maison régionale des MEP (1975) et économe régional des MEP pour le groupe de Singapour (1978).
En 1994, il se retire à la maison de retraite des prêtres âgés de St-Theresa’s Home.
Il meurt le 8 juillet 2004.
Il est l’auteur d’un livre célèbre, intitulé En Chine : l’étoile contre la croix (Paris, 1954).
Obituary
Père François DUFAY
Il a fière allure. La barbe bien taillée, une pipe à la bouche, qu’il rallume après quelques bouffées, un nuage fleurant le tabac local, fort et âpre que lui seul peut fumer, la chemise jamais boutonnée sur un tricot de peau sans manches, il nous accueille d’un “Mon Révérend” lancé d’une voix tonitruante – une voix de sourd. Et si on le pousse un peu dans les discussions, alors ce sont des “Oui, messieurs” qui ponctuent ses tirades, surtout s’il se veut être le défenseur de l’orthodoxie lorsque nous l’énervons par nos critiques fantaisistes sur l’autorité. “Oui, Rome, ne vous en déplaise, dernier refuge de l’intelligence!” Et on est heureux, on a réussi à le sortir de son calme dilettante, car François Dufay “s’économise” comme il dit, son béret bien vissé sur un crâne chauve.
Lui, “le penseur du parti”, surnommé ainsi après la parution de son livre “L’Etoile contre la Croix”, sait être à la fois un débatteur hargneux, un économe aux comptes précis, un hôte accueillant qui sait passer du temps avec ses visiteurs, les écouter et les régaler avec ses souvenirs de Chine ou ses démélés de Hongkong, un confesseur et conseiller très apprécié et un auxiliaire de paroisse fort disponible. Venu sur le tard à Singapour et peu doué pour le parler des langues Asiatiques, après plusieurs remplacements en paroisse, il trouve sa niche comme aumônier de l’école technique des Frères de Saint-Gabriel, puis comme économe régional et responsable de notre maison de Société. Lui, qui jusqu’à la fin dira “Chez nous, en Chine”, a passé 41 ans à Singapour.
En famille, au séminaire, prisonnier de guerre.
Né à Tinchebray le 22 Septembre 1916, il est le cinquième de huit enfants, trois frères et cinq sœurs. Ses parents exploitent une petite ferme, “deux vaches et deux cents poulets…” Elève de l’école libre, il arrête ses études à 11 ans, son père, atteint de la tuberculose des os, ne pouvant plus travailler. “Oui, messieurs, aucun diplôme académique, et j’en suis fier!” A onze ans, il travaille à la maison et commence son apprentissage de typographe dans une imprimerie locale, où il reste jusqu’à dix-huit ans.
Dès l’âge de sept ans, il pense aux missions. Un livre du Père Bertreux, ancien missionnaire au Kientchang, “Au Pays des Dragons”, le passionne et sa décision est “Missions Etrangères”. Lorsque finalement, il parle de sa vocation, sa famille accepte de suite. Son père lui dit “Eh bien, vas-y”
Ainsi le P. Thibault, directeur des postulants, l’envoie directement au séminaire pour vocations tardives à Changis, à 10km de Meaux, où il se trouve avec R. Chevalier, R. Venet et Paul Petitdemange. En 1937, bénéficiant d’un sursis d’incorporation, il rentre à Bièvres et y passe deux ans.
En Septembre 1939, il est mobilisé et bientôt verse dans la D.C.A. au Ballon d’Alsace. C’est là qu’il sera fait prisonnier le 20 Mai 1940. A nous qui le taquinions, il rétorquait: “Non, nous n’avons pas reculé. Nous avons tenu nos positions!” Envoyé en Août dans un Stalag près d’Eylau – “la grande victoire de Napoléon”… – il va ensuite en Prusse Orientale en commando de travail sur un chantier de chemin de fer le long de la frontière lithuanienne, puis dans un dépôt de munitions dans une carrière, et finalement dans une ferme où il remplace les fils qui se battent sur le front de Russie. Atteint de furonculose, puis d’une endocardite, dont il avait souffert déjà à Bièvres, un docteur allemand “très humain” le renvoie en France et il est démobilisé le 3 Mars 1942. En Avril, il est à la rue du Bac.
Ordination, ministère en France, en route pour la Chine.
Ordonné diacre en “urgence” le 4 Juin 1944, il quitte Paris le lendemain avec les lettres dimissoriales pour se faire ordonner à Sées. Il est en compagnie de J. Ciatti, M. Gauchet et H. Fontaine. Leur train est bombardé, c’est le débarquement, et il rentre chez lui à pied, parcourant 75km en deux jours. Le 30 Juillet, il est ordonné prêtre avec un diacre du diocèse, dans une ville de Sées évacuée. Avec quelques prêtres du diocèse, seuls J. Ciatti et une de ses sœurs venue à bicyclette, assistent à la cérémonie.
La premiére Messe à Tinchebray était prévue pour le 6 Août, mais dans la nuit, bombardement américain – car les troupes alliées avançaient: trente-six morts. Il célébre une Messe basse avec environ quatre-vingts personnes. Le soir même, ordre d’évacuer Tinchebray, où il ne reviendra que mi-Août, après le déminage des villages.
De retour à Paris le 15 Novembre, le voilà doyen du séminaire. Il en est pour présenter les vœux au Père L. Robert, qui dira:”Que voilà un compliment bien tourné!” Il en reste fier jusqu’à la fin de sa vie, lui sans diplôme académique! En Février il reçoit sa destination pour Chengtu et, en attendant le départ, est vicaire à Sainte-Lucie des Moulineaux, au pied du viaduct de Meudon.
Il quitte Marseille le 23 Mars 1946, sur le Maréchal Joffre, alors transport de troupes. Ils sont dix-huit MEP à bord, dont P. Richard, J. Guennou, A. Lesouef, L. Egaña, R. Sylvestre, E. Giraud… Ils passent par Madagascar et une grève des marins leur vaut huit jours à Tamatave. De là, ils vont droit sur Saïgon - ils ont trois mille soldats à bord – il y passe trois semaines. Ils gagnent Hongkong sur un bateau chinois et, sans attendre, partent pour Shanghai où les attendant les accueillant les P. Fournier et Amiotte. Attente de huit jours, puis deux semaines pour remonter le Yang Tse, avec panne de bateau, Chungking avec un séjour de quinze jours et enfin Chengtu le 23 Juillet: quatre mois de voyage.
A Chengtu, il est le premier arrivant après la guerre. Il sera bientôt suivi de J. Jacquemin, L. Diffon, L. Grange, A. Mabboux.
En Chine: Kao Ken Tse, 1947 – 1951.
Après un an d’étude de chinois à l’évêché – il nous parlera souvent de Mgr. Rouchouse et du P. Poisson – ayant été mis sous la protection du chef des bandits de la région, il part pour Kao Keng Tse – “haute rive” en français – paroisse de vieux Chrétiens, le P. Parmentier en fut le curé! – à 60 km au Sud-Est de Chengtu, sur la route de Ya’an, Kangting et Lhassa, le piedmont setchouannais. Son voisin et doyen est Jean Jacquemin.
Avec précision, il explique: 1058 Chrétiens, autour de 300 au centre, huit stations secondaires, dont une de 200 paroissiens, tout le reste n’étant que des groupes de 10 à 20 personnes, éparpillés dans un district de 20km x 40. Tous des paysans, la plupart illettrés – trois seulement savaient lire le chinois classique – partout des rizières… et concluant: “les plus belles années de ma vie!” Pays d’insécurité: la veille de Noël, ils sont venus à la Messe avec leurs fusils – paroisse difficile, sous interdit de l’évêque pendant six mois, où s’étaient succédés sept prêtres en cinq ans… Il y est un pasteur apprécié, passant beaucoup de temps à visiter ses fidèles éparpillés et revenant couvert de vermine dans ses habits de soie. “Oui, messieurs, chez nous en Chine, je n’ai porté que de la soie!” Et il avait d’intéressantes anecdotes sur la fécondation des vers à soie.
Les communistes prennent le pouvoir à Noël 1949. Au début, tout continue comme d’habitude. Mais il n’a pas d’illusions et s’attend au pire. De fait, l’état policier prend le dessus, les gens sont contrôlés dans leurs mouvements et leur vie quotidienne. Lui-même est emmené à Chengtu pour y être juge. Accusation: avoir fomenté une révolte des Chrétiens contre le gouvernement en répandant des rumeurs. Ça mérite la peine capitale. Pas de jugement populaire mais le tribunal militaire, car habitant une zone opérationnelle vers le Thibet. En résidence surveillée à l’évêché pendant deux semaines, il doit aller à la police des étrangers tous les jours pour se reconnaître coupable. Il discute pied à pied pendant des heures et finalement signe que “le criminel Liuh Fang Tse – son nom chinois – reconnaît avoir commis ces crimes contre le gouvernement populaire à cause de ses convictions religieuses”. Ce motif-là - convictions religieuses - n’était jamais mentionné. Son interrogateur, aussi fatigué que lui, l’a laissé passer. Les autorités réaliseront leur erreur et, dans le journal, la condamnation fut publiée d’une manière ambigüe.
“Convictions religieuses”, Dufay le missionnaire se laisse volontiers condamner pour cela. Condamné à quitter la Chine pour toujours. Alors qu’on lui enlève tout ce qu’il a, il réussit à ramener à Hongkong le journal qui publiait les accusations contre lui, en s’en servant pour envelopper ses sandales de paille. Il a plus d’un tour dans son sac et le document est aux Archives à Paris. Le jour de son départ de Chengtu, 8 Mars 1951, son catéchiste et trois ou quatre Chrétiens ont été fusillés; une dizaine d’autres, envoyés en camp de concentration, ont disparus.
Il va de Chengtu à Chungking en présentant à la police, à chaque étape, son jugement et sa lettre d’expulsion qui lui servent de laisser-passer. A son arrivée, il rencontre “Arthurine” à la police des étrangers. Il attend quatre semaines en résidence forcée à l’évêché, car cette dame, qui lui répond toujours “Pas de questions!”, essaie de refaire son procès et de le condamner pour des crimes politiques. On va interroger ses gens à Kao Keng Tse, mais personne ne l’accuse; ils disent même qu’il leur a conseillé de ne pas se révolter et qu’il soignait les blessés sans distinction de camps.
Il quitte le Setchuan début Avril, par bateau et sous escorte, et sort de Chine avec son pantalon, sa soutane, son Bréviaire et ses vieilles sandales de paille enveloppées dans le précieux journal. Il est le troisième expulsé des Confrères de la Société.
Hongkong: Nazareth, Béthanie, 1951 – 1961
Quelques semaines de repos et le voilà nommé “chanoine de Nazareth”, comme on surnommait les Confrères chargés de l’imprimerie de la Société et qui assuraient en même temps une prière en commun. Il y est comme directeur du Bulletin des Missions Etrangères. Il remplace le P. Lehmann. Dans la maison dirigée par le P. F. Billaud, il se trouve en compagnie des Pères Roussel, A. Garreau, Feresini, Montagne, Kermarec, Marchand, Trivière… Ensemble ils modernisent et développent cette vieille institution qui a imprimé des Bibles, des dictionnaires, des ouvrages de piété et de culture dans tant de langues d’Asie, y compris le Thibétain. Le nombre des ouvriers passe de vingt à trente-sept. Aussi lorsque les Supérieurs, sans consultation des intéressés, décident de fermer Nazareth début 1953, c’est pour tous une profonde blessure. Ayant envoyé son rapport à Paris, il choisit de ne plus en parler.
La responsabilité du Bulletin lui reste. Il traverse la route pour s’installer à Béthanie. Le P. Trivière l’aide pour la rédaction, mais lui tient à avoir un ministère paroissial à Notre-Dame de Lourdes de Pokfulum et auprès des Sœurs des Missions Etrangères. Le nouveau Conseil décide alors de ramener le Bulletin à Paris, le confiant au P. Trivière. Le P. Dufay reçoit en Décembre 1960 une nouvelle destination pour Singapour, avec la mission de terminer à Hongkong en Décembre 1961.
Dix ans à Hongkong, c’est du Dufay grand cru. Tout d’abord il écrit “L’Etoile contre la Croix”, un petit livre, bientôt traduit en neuf langues, qui fait du bruit. Une analyse des méthodes communistes, basée sur une expérience vécue, lucide, documentée, démasquant les dangers du régime. Ce n’est pas du goût de certains qui fleurtent avec l’idéologie communiste et les attaques sont nombreuses. On essaie de le faire passer pour un obscurantiste. Avec fougue, il monte au créneau et défend son point de vue. Il peut s’avérer redoutable polémiste et ceux qui ensuite évoquent la mentalité “coloniale” des missionnaires imposant l’Occident avec l’Evangile sont mis à mal dans des mises au point qui ne laissent rien passer. Le Bulletin est sa plateforme et les missions de Chine ont en lui un connaisseur et un défenseur. Est-il d’un autre âge? Des années après, il regardait avec tendresse, sur un rayon de sa Bibliothèque, ses “neuf filles”, toutes les traductions de son livre. “Oui, ne vous en déplaise, on s’en sert à Moscou pour la formation des cadres du parti!” Qui dit mieux? Et les Confrères de le déclarer dès le début le “penseur du parti”.
Suit alors un interlude de deux ans et demie. Mgr. Olçomendy lui demande de peaufiner son cantonnais - il passe donc neuf mois à Notre-Dame de Lourdes – et d’apprendre le hokkien – il étudie un an à Hsinchu. Il lui aurait été plus utile de débrouiller son Anglais, car à Singapour, c’est l’outil essentiel de l’apostolat, et jusqu’à la fin il battaillera avec la langue d’Albion. Un long congé en France et il rejoint son nouveau champ d’apostolat en Juillet 1964, ayant quitté Hongkong “où j’ai laissé mon cœur.”
Singapour, 1964 – 2004
Pour un temps, il fait des remplacements de quelques mois dans plusieurs paroisses: la Nativité, N-D de la Paix, la Sainte-Famille. D’Août 1966 à Juillet 1972, il est aumônier de l’école industrielle animée par les Frères de Saint-Gabriel de la province du Canada. Il y fait un bon travail, tant auprès des élèves que des religieux, toujours disponible pour écouter, conseiller, encourager. Il y noue de solides amitiés. Un ancien élève lui manifestera sa reconnaissance jusqu’à ses deniers jours, venant le visiter depuis l’Irlande… Pendant le week-end, il aide à la paroisse N-D Etoile de la Mer à Sembawang, dont le curé, le P. Fortier, est son contemporain, et à la chapelle St-Antoine de Mandai, une communauté chinoise rurale qui n’a pas de curé résidant. On peut toujours compter sur lui. Il continue à lire beaucoup et fait réfléchir les Confrères à l’occasion des Assemblés Générales, écrivant des mémoires précis et incisifs. Le “penseur” continue…
Mais sa santé n’est pas bonne. Ses nerfs sont fatigués, il fait de la dépression, il a besoin d’un suivi medical: il trouve difficile de célébrer la Messe dans une église bien remplie, comme c’est le cas à Singapour. Un remplacement de cinq mois à Sembawang et, fin 1973, il est prêtre en résidence à Notre-Dame du Perpétuel Secours. Il s’y trouve à l’aise car on ne lui demande ni de prêcher ni de célébrer le dimanche. Il confesse, enseigne le catéchisme, visite les malades et se sent bien accepté par les prêtres et les paroissiens.
En Janvier 1975, il accepte de devenir économe régional et responsible de la maison MEP, qui jouxte la paroisse. En étant au service des confrères, il continue son apostolat et bientôt deviendra le conseiller très équilibré et très demandé du renouveau charismatique au plan local et même en Malaisie. Le “penseur du parti” charismatique, l’homme aux raisonnements bien charpentés priant en langues, voilà qui en étonne beaucoup! Et pourtant c’est vraiment pour lui un renouveau, d’autant qu’il fréquente les autres groupes chrétiens et devient l’ami de l’évêque Anglican.
Tous les lundis, à la maison MEP de Siglap, c’est “open house” pour les confrères. La maison est accueillante, au service de tous et, même s’il ne faut pas être trop regardant sur l’ordre et la propreté, nous nous y trouvons à l’aise, vraiment chez nous. Il est l’hôte discret qui sait offrir son temps aux visiteurs, écouter et, à l’occasion, raconter avec brio ses expériences en Chine. Il a le charisme de l’hospitalité, tout en restant très précis pour les comptes. Dès que la balance du mois tombe juste, il se récompense de son travail avec une bière bien fraîche.
Il n’a pas de voiture et se déplace sans problèmes en taxi ou en bus, rendant de nombreux services aux confrères nouvellement installés en Indonésie, et toujours prêt à aller à l’aéroport. Dans le calme du soir, il lit de nombreuses revues et reste toujours intéressé au cosmos et au rapport science et foi.
Lentement, sa santé se détérioré le cœur, la tension artérielle, de légères hémorragies cérébrales. Il est sous médication, tout en continuant ses occupations, mais il fatigue. Ses oreilles, déjà paresseuses, deviennent de moins en moins “entendantes”. Quelques alertes plus sérieuses: en 1992, pontage et régulateur cardiaque. Les séjours à l’hôpital se font plus frequents. Il est toutefois en bonne forme pour recevoir sa décoration de l’Ordre National du Mérite, qui lui est remise à la maison régionale.
En 1994, ayant besoin de suivi médical, il décide de se retirer chez les Petites Sœurs des Pauvres, à Béthanie, maison spécialement bâtie pour les prêtres âgés et handicapés. Il a 78 ans. Petit à petit, il s’habitue à une vie plus casanière encore, avec, autour de lui, les P. Brygier, Berthold, Fortier, l’aumônier de la maison, spécialement le P. Barreteau, et d’autres prêtres locaux ou religieux. Mais il aime faire des sorties en voiture et dit découvrir Singapour. Il apprécie les visites et, à l’occasion, un repas au restaurant. Lorsqu’il ne peut plus manger qu’avec difficulté, à cause d’une paralysie partielle de la gorge, il se régale encore avec une soupe à l’oignon et une omelette baveuse. Il va passer quelques jours à Hongkong pour dire au revoir à la Chine et, plus tard, sur chaise roulante, il fait une croisière de trois jours passant des heures à contempler la mer en silence. Dans toute la mesure du possible, il se joint aux réunions de confrères et, bien que mal entendant et mal parlant, donne encore son opinion. C’est du solide et du positif.
Très entouré, car devenant vite dépendant, il fera de ses docteurs des amis qui seront présents à ses soixante ans de sacerdoce. Il était à l’hôpital pour trouble pulmonaire, mais il a insisté pour célébrer cet anniversaire dès le 19 Juin, au lieu d’attendre jusqu’au 16 Juillet. Il tenait à le faire avant que le P. Grégoire, Supérieur Régional, et moi-même ne partions pour l’Assemblée Générale. Huit membres de sa famille, dont sa sœur, sont présents pour lui témoigner leur affection et combien il est heureux de les avoir auprès de lui.. Sorti de l’hôpital pour quelques heures, il prend part à la Messe présidée par l’Archevêque accompagné de nombreux prêtres. Il partage le repas: il a insisté pour avoir un gâteau d’anniversaire - lui qui n’aime pas les sucreries – visiblement heureux au milieu de ses amis, et très distingue avec un béret tout neuf!
Quelques semaines plus tard, il sort de l’hôpital, bien mais faible. On le sent en bout de course. Il s’éteint doucement. Le Seigneur le rappelle à Lui le 8 Juillet, douze jours avant son anniversaire d’ordination.
On attend jusqu’au Lundi pour les funérailles présidées par l’Archevêque, avec plus de 70 prêtres, dans la chapelle de St. Theresa’s Home. Nombreux sont ceux qui viennent prier et se recueillir. Il avait pas mal de non-Chrétiens parmi ses connaissances. La dame qui se dévouait auprès de lui depuis des années règle la célébration avec doigté. Ses cendres reposent maintenant au Columbarium de l’église Ste Thérèse, près de la mer, dans la niche choisie par sa famille. Une nièce était revenue apporter la prière de la famille, et les amis de “Tonton François” ont apprécié sa presence.
Dufay: le panache et la réalité, la légende et l’histoire.
“Avec Arro et Arotçarena, ce n’est pas ma vie qu’on racontera, mais ma légende. Alors, attention!” Il est parfois difficile de discerner entre vie et légende…
Il a du panache et il s’y complaît. Il aime les formules originales et bien frappées. Il sait trouver des mots-clés, des mots-crochets, qui font rebondir la conversation. Il s’exprime en phrases bien équilibrées, avec moult propositions relatives ou conditionnelles. Dix, douze lignes pour une seule phrase, pourquoi pas? Et les formules ronflantes… Ainsi décrit-il ses Chrétiens de Chine: “des hommes vrais, aux passions rugissantes mais aux vertus d’acier!” Et nous d’applaudir et de le chahuter.
Il se dit, malgré son manque de cheveux, descendant des Vikings et il se pare volontiers de la gloire de Guillaume le Conquérant, “appelé chez nous le bâtard!” Il est Normand!
Quant aux années de Chine, il sait raconter et tenir son auditoire en suspens… Mgr. Rouchouse, un grand seigneur, magnifiquement “chinoisé”, qui se mouchait un doigt sur le côté de la narine... ”des mèches comme ça, messieurs, droit dans le crachoir!”… Et les fillettes de sa paroisse qui distinguent sans erreur les mâles et les femelles dans les poussins d’un jour. Il a bien essayé de savoir comment, mais il s’est fait dire “Père, ce n’est pas pour toi!”… Quant à la copulation des vers à soie, c’est toute une épopée, surveillée par les vierges et les orphelines. “De la soie de première qualité, de la soutane au caleçon!”... ”Alors, tu étais un pète-en-soie?”…”Vous n’y connaissez rien, car chez nous, en Chine…”… Il y a aussi la navigation sur le fleuve, les crues, les gorges, les tourbillons… ou les sorties en traineau en Prusse Orientale, pour aller chercher les filles du fermier venant en permission. “On appelait cela un sabot… et l’hiver, il fallait une couverture…”Ah, sous la couverture avec une fraulein! … Allez, parlez toujours! L’hiver en Prusse, venez-y!”
Le panache cache-t-il la réalité? En Chine, il est en charge d’une des paroisses les plus difficiles, et ceux qui l’y ont connu disent qu’il y a magnifiquement réussi. Lui, le conteur de talent, doit vivre en acceptant son manque de maîtrise des langues. Il apparaît calme, maître de lui-même, mais il peut avoir de violentes colères qui le laissent découragé: il n’a pas su se maîtriser. Et alors qu’il raisonne avec précision, qu’il analyse une situation avec acuité, ses nerfs parfois le lâchent et il déprime. Il est fragile, lui qui n’hésite pas à ferrailler avec ceux qui osent caricaturer la mission.
Son désir de s’exprimer s’accompagne d’une grande disponibilité d’écoute. Dans son apostolat, il sait faire place aux malades, aux personnes en difficulté, et, en même temps – comment s’y prend-il? – il a porte ouverte chez le P. Yves Congar ou le Cardinal Suenens, sans compter des personnes en poste dans la Curie romaine: Cardinal Caprio ou Cardinal Riberi, qui lui écrivent “Cher Père Dufay…”
Bien enraciné dans sa famille et en Normandie, il reste près des siens et apprécie l’unité familiale qui reste bien réelle malgré la distance. Jusqu’au dernier moment, il se sent entouré et apprécié. Ses congés en France sont importants pour lui. Il les prépare, il sait rassembler la famille et voyage pour visiter “son monde.” Il sait partager sa vie, tout en restant discret sur lui-même. “Chacun de ses retours était un événement et une fête, écrivent ses nieces. Il séjournait longtemps, ce qui permettait de vraies rencontres. Le contenu des discussions s’était élargi avec les neveux, pas toujours d’accord avec lui. Mais il vivait au bout du monde, dans un univers différent, et nous appréciions ce regard critique qui élargissait le débat. Il jouissait, chez la plupart de ses frères et sœurs d’une grande autorité. On le consultait avant de prendre une décision importante. Il écrivait beaucoup. L’éloignement géographique ne l’a jamais mis à l’écart de tout ce qui se passait en famille. Pendant ses congés, assis dans son fauteuil, la pipe à la main, il observait, questionnait chacun. Il était sans doute le mieux informé de tout ce qui concernait la famille. Il apportait des cadeaux pour chacun. Ce geste d’affection fut pour beaucoup d’entre nous une première ouverture sur un autre monde… Je le vois toujours arpenter l’allée centrale du jardin en lisant son Bréviaire. Un jour, entre deux pieuses lectures, il se mit à siffler “Auprès de ma blonde”, ce qui a eu le don de provoquer l’indignation de tante Thérèse, “Mais enfin, François, tu te rends comptes de ce que tu siffles?”… Mais il trouvait la musique entrainante et agréable et n’avait que faire des paroles qu’il disait ne pas connaître. Mais nous savions que sa vie était avec les Chinois. Nous savions aussi qu’un jour il ne pourrait plus faire le voyage et qu’il mourrait là-bas. Son arrivée en congé était annoncé à l’avance à Tinchebray. Il célébrait des messes, donnait des conférences et. Conclut une de ses nieces, “J’étais fière d’être sa nièce et d’être une Dufay.”
Les Missions Etrangères, il y tient beaucoup. Il s’y sent chez lui. Il contribue de toutes ses forces à sa vie, à son zéle missionnaire. Il l’admire et la critique en même temps. Le lien entre les confrères est pour lui très important et il n’hésite pas à se déplacer pour les rencontrer. Les Assemblées Générales sont des événements qui le passionnent. Quant à la Chine et à Hongkong, ses deux expériences restent présentes jusqu’à la fin et son “Chez nous en Chine” exprime ce qu’il resent au plus profound de lui-même. Ailleurs, tout en servant fidèlement, il s’y sent de passage.
Pour nous, à Singapour-Malaisie, il est un confrère agréable, serviable et surtout “tonique”. Lui qui a bien des épreuves sait parler de confiance et d’espoir et, malgré ses années de mauvaise santé, il reste jusqu’à son dernier soufflé un vivant qui s’abandonne au Seigneur dans la joie.
Adieu, Dufay, tu as bien tenu ta place dans l’Eglise et dans nos vies. Merci et porte-nous dans ta prière.
Michel Arro