Paul MUNIER1919 - 1999
- Status : Prêtre
- Identifier : 3744
Identity
Birth
Death
Other informations
Missions
- Country :
- China
- Mission area :
- 1946 - 1952 (Shantou [Swatow])
- Country :
- Malaysia - Singapore
- Mission area :
- 1953 - 1999 (Malacca)
Biography
[3744] MUNIER Paul est né en 1942 à Dommartin-sous-Amance (Meurthe-et-Moselle).
Il entre aux MEP en 1937. Ordonné prêtre le 29 juin 1946, il part le 15 octobre suivant pour Swatow (Chine).
Il étudie le hakka à Taiyong, puis il est envoyé à Nienyong.
Expulsé de Chine en 1952, il reçoit une nouvelle affectation pour la mission de Malaisie-Singapour.
Il exerce d’abord son ministère en Malaisie, où il est curé de la paroisse chinoise de Kluang (1953), puis il est nommé dans différentes paroisses à Singapour : Katong (1957), Saint-François-Xavier (1966), Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours (1973), la Sainte-Famille (1980) et Saint-Étienne (1982). En 1986, il devient prêtre résident à la cathédrale.
Il meurt le 19 septembre 1999 à Reims, pendant un congé en France.
Obituary
Le Père Paul Munier, 1919-1999
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Munier la mémoire, Munier toujours bien informé, Munier l’Histoire, les archives, une encyclopédie… Son professeur au petit séminaire de Bosserville remarquait: “Munier, il connaît tous les buissons de Waterloo derrière lesquels se sont soulagés les grenadiers de Napoléon!” Le code d’Hammourabi et les trouvailles d’Hérodote sur les peoples de l’Asie, les empereurs romains et les dynasties chinoises, les millésimes des grands crus et les cognacs haut de gamme, la géographie et les cartes routières, la Bourse et les placements à ne pas manquer, les résultats du tournoi des cinq nations et les paris du football anglo-saxon…et ce qu’il pretend ne pas connaître: les nouvelles méthodes catéchètiques, le cinéma et les orientations de la F.A.B.C. Il sait expliquer que ça n’en vaut pas la peine… Pour bien commencer une journée, le mieux n’est-il pas, après le petit-déjeuner, de savourer un chapitre d’Histoire de l’Eglise de Fliche et Martin…qu’il essayera de faire partager aux confrères, sans toujours y réussir… Mais l’approche est toujours originale et le point de vue inattendu. Aussi s’y laisse-t-on prendre. “Quand j’écoute Munier, j’apprends toujours quelque chose” disait un confrère, et on aimait bien s’exclamer devant ce qu’un autre appelait “des connaissances inutiles”, remarques qui ne faisaient qu’ augmenter la satisfaction qu’avait “l’oncle Paul” à nous étonner…
Né à la ferme de Monteux, à Dommartin-sous-Amance, à une dizaine de kilomètres de Nancy, le 19 juin 1919, il aime dire qu’il est un fruit de la fin de la guerre. Ses parents sont agriculteurs et il est le sixième de trois frères et sœurs. Il étudie d’abord à l’école du village, puis à dix ans, va en Belgique, à Hachy, chez les Frères des Ecoles Chrétiennes. L’institution avait été fondée dans le diocèse de Nancy, mais était partie de l’autre côté de la frontière lors de la Séparation. C’est là qu’il commence à développer sa mémoire exceptionnelle et célébre communion privée, communion solennelle et confirmation, cérémonies présidées par l’évêque de Namur, comme il tient à le préciser.
De 1932 à 1937, il suit les cours du petit séminaire de Bosserville et y obtient la première partie du baccalauréat. Sans hésiter, il décide d’entrer aux Missions Etrangères. “Je ne voulais pas être religieux et un frère des Ecoles Chrétiennes, ancien directeur de l’institution Saint-Paul à Rangoon, m’avait fait découvrir l’Asie. Alors, c’est la rue du Bac.“ La lettre de présentation du supérieur est élogieuse: “C’est un excellent élève que vous allez recevoir dans la personne de Paul Munier, d’une intelligence plutôt au-dessus de la moyenne, observateur, érudit, bien doué au point de vue scientifique. Il vient de passer son baccalauréat avec succès (mention assez bien). Jugement droit, parfois légérement critique, piété sérieuse et profonde, heureux de se consacrer à Dieu et à l’apostolat, excellent travail. Bref, un de ces sujets qu’on laisserait partir avec peine si on ne savait où il va…” Et l’intéressé a pu récupérer, avant son expulsion de Chine, les diplômes successifs qu’il avait emportés en mission et qui ont été remis à sa famille: certificat d’études primaires, puis secondaires, et plus spécialement une deuxième mention en mathématiques, classe de première, obtenu au concours général des établissements secondaires libres, organisé par l’Institut Catholique, document signé par le Cardinal Baudrillart. Eh oui, on est content de retrouver tout cela.
Il est à Bièvres de 1937 à 1939. Il nous parle souvent du P. Montagut – nous racontant dans le détail le voyage de retour de ce dernier par le transsibérien, comme si lui Munier l’avait fait – du P. Hamon, son directeur de conscience, et du P. Anoge qu’il appréciait beaucoup comme professeur, précis et distingué. Sa mémoire émerveille et agace: “Tu finiras aux archives!” lui disent ses condisciples. Sans hésiter, cinquante ans plus tard, il rappelle à l’un d’eux: “J’étais à côté de toi en juin 1938 pour ton sous-diaconat; j’étais porte-livre”, et d’ajouter “Nous avons perdu notre temps, puisque le sous-diaconat n’existe plus!”
Mobilisé fin novembre 1939 dans l’infanterie, à Auxerre, il est élève aspirant au camp de La Courtine, en mai 1940. Il va passer les mois suivants en décrochages et retraites précipitées pour se retrouver à Montpellier dans un régiment commandé par de Lattre de Tassigny. On a trouvé dans ses papiers personnels, une carte adressée au sergent Munier et signée du général, à l’occasion de la démobilisation en Septembre 1942.
Il rentre immédiatement au séminaire et y continue sa formation. Il est fier des charges qu’il a remplies: trois ans comme sacristain, puis diacre des Martyrs et diacre de Monseigneur, de Mgr. Feuga, précise-t-il. Paul Munier et la Liturgie, ou plutôt Munier et les Rubriques… Quant à ses études, elles ne lui causent aucune difficulté. C’est plutôt lui qui intimide certains jeunes professeurs. “Ne mettez pas Munier dans ma classe d’Histoire de l’Eglise, demandait le P. Belleville, il connaît trop de details...” Et lui n’hésitait pas à proclamer: “Exégèse avec le P. Tessier, oui; mais gardez loin de moi le P. Lobez: il étudie les décrets de la Commission Biblique!” Quarante ans après, lors de vacances à Cameron Highlands, Belleville, Lobez et Munier rappelaient et savouraient ces souvenirs. Une seule ombre au tableau: malgré des années de pratique, il chante toujours aussi faux, et il en sera ainsi jusqu’au bout; mais ça ne l’empêche pas de couvrir la voix des autres! Pour les fausses notes, il n’a guère d’égal: cela, avec un oncle et une tante dans l’Ordre Bénédictin, et le “Liber Usualis” qu’il gardera précieusement et qu’il nous a légué.
Les ordinations se succèdent; il en a conservé tous les certificats. C’est Mgr. Touzé, évêque auxiliaire de Paris, qui lui impose les mains le 29 juin 1946 dans la chapelle du séminaire. Le même soir, il reçoit sa destination pour la mission de Swatow, située à l’est de la province de Canton, au nord de Hongkong.
La Chine, 1946 – 1951
Le 15 octobre 1946, il embarque sur l’André Lebon, un vieux sabot qui ne fait pas d’excès de vitesse et qui lui donne une semaine de villégiature à Colombo, pour panne de machines. Escale à Singapour que, plus tard, il fêtait tous les ans, le 16 novembre. Et il arrive à destination pour la Saint Nicolas, le 6 décembre.
Deux et même trois dialectes chinois sont parlés dans le diocèse, et plus spécialement le teochew et le hakka. C’est ce dernier dialecte qui lui échoie. Il l’étudie à Taiyong, sous la conduite du P. Ginestet – un maître remarquable – en compagnie de R. Dugast et de M. Saldubehere, jusqu’en décembre 1947. Là encore, il est desservi par son manque d’oreille et, s’il apprend la langue, il la parle sans en distinguer les tons. Le weekend, il se rend à Nienyong, district de montagne, au nord-ouest de la mission, à trois jours de marche de Swatow. Il en devient le curé courant 48 et y restera jusqu’en décembre 1950. C’est une chrétienté éparpillée en huit centres, entre lesquels il voyage à pied et qui regroupe près de 1000 Chrétiens, cultivant du riz de montagne. “Pas de véhicules ni de routes dans la région” disait-il. Des collines, des sentiers; par certaines réflexions, on sent qu’il a eu du mal à s’adapter. Les pères de Maryknoll, qui sont ses voisins, l’épaulent pas mal et il gardera de l’admiration pour leur zèle missionnaire. Après un temps, il se sent chez lui, mais, en décembre 1950, il lui est interdit de réunir ses paroissiens; la campagne de répartition des terres devient très active. Mis aux arrêts au petit séminaire de Kityang (Jieyang), puis au presbytère, en compagnie du P. J. Le Corre, déjà bien âgé, le 1 janvier 1951, il est autorisé, le 24 décembre, à aller prendre quelques affaires dans sa paroisse; ainsi peut-il emporter documents et souvenirs de famille. Il est expulsé sur Hongkong le 12 janvier 1952: il voyage comme passager de pont, sans un sou en poche.
Il n’a jamais parlé des sévices qu’il dut subir alors. Mais ces souvenirs surgiront à nouveau pendant son séjour à l’hôpital de Reims, quelque cinquante ans après. Il se croyait à Canton, torturé par les communistes… Il aimait nous dire que la lecture de “L’Ami du Clergé – une collection de plus de quarante ans – l’avait soutenu dans cette traversée du désert. C’est alors qu’il promet de faire un pélerinage à pied en l’honneur de la Vierge, à qui il demande de retrouver sain et sauf la Lorraine et sa famille.
Il reste à Nazareth jusqu’au 30 avril, heureux d’y trouver le P. P. Destombes et d’y rencontrer les autres confrères expulsés, auxquels il rend bien des services. On lui propose un nouveau champ d’apostolat en Thaïlande, mais il insiste pour aller dans un pays de langue anglaise, et c’est alors Malacca. Il arrive à Singapour le 6 mai 1952. Il va y missionner jusqu’en mai 1999.
Premières années en Malaisie, 1952 – 1956
Il lui faut d’abord se mettre à l’anglais; il séjourne quelques mois à la Cathédrale de Singapour auprès des PP. M. Bonamy et Ph. Meissonnier. Le diocèse, à ce moment-là, s’étend jusqu’à la frontière de Thaïlande. Mgr. Olçomendy accueille volontiers les anciens de Chine: plus de 50 confrères trouvent ainsi un nouveau champ d’apostolat dans la mission de Malacca, ainsi que des prêtres originaires de Chine et d’autres religieux expulsés.
Dès octobre, le P. Munier est affecté à Kulai, puis à Johor Bahru, dans le sud de la péninsule, En juin 1953, il s’installe à Kluang, y succédant au P. Mourgue. Il est chargé de la communauté chinoise de langue hakka de cette ville; résidant avec lui, un prêtre eurasien est curé des Indiens. Bientôt viendra s’ajouter la desserte de Batu Pahat, ce qui lui fera dire: "Ma paroisse va de la mer de Chine au golfe du Bengale!” Il fait ses premières armes au volant de sa voiture - tous deux sont en rodage – s’initie à l’histoire et à la géographie du pays, assiste à la division du diocèse en 1955 et prend volontiers un congé de onze mois d’août 1956 à juillet 1957. Fidèle à sa promesse, il fera alors son pélerinage à la Vierge.
A Singapour, le décès soudain du P. M. Bonamy, curé de la Cathédrale, pose des problèmes de personnel. L’archevêque demande à notre confrère d’écourter un peu son séjour en France et il le nomme curé de la Sainte-Famille, à Katong, à environ six kilomètres à l’est du centre de la ville, une des plus anciennes banlieues de Singapour. Le P. Ph. Carriquiry, qui occupait ce poste, est nommé à la Cathédrale.
La Sainte-Famille, 1957 – 1965
C’est donc en juillet 1957 que débute, pour “l’oncle Paul”, son apostolat à Singapour. Il a alors 38 ans. On peut dire qu’à la Sainte-Famille et Katong, ce sont ses grandes années. On en est encore aux paroisses ethniques et linguistiques. La Sainte-Famille est chargée des Eurasiens, qui parlent anglais. Sur le même territoire, la paroisse Notre Dame de la Paix, alors en pleine croissance avec le P. O. Dupoirieux, curé fondateur, puis le P. C. Huc et ses vicaires, veille sur les Chinois, et la paroisse Notre Dame de Lourdes sur les Indiens. Quant aux chrétiens baptisés à l’église Saint-Joseph, qui dépend du diocèse de Macao – n’oublions pas le Padroado – ils sont précieusement gardés par les Pères portugais et leurs adjoints.
Le P. Munier est à l’aise parmi ces descendants de métis malais et portugais, ou hollandais ou anglais ou même français, qui tracent leurs racines jusqu’au XVIème siècle à Malacca… les de Silva, de Souza, Pereira, Fernandez, Gomes, Nonis, Carrier et d’autres… Il démêle les mariages, recueille les anecdotes et bientôt informe les intéressés sur un passé qu’ils ont oublié. Il est le pasteur de 3 à 4000 chrétiens pratiquants et la vie sacramentelle – plus de 2000 confessions par mois – prend beaucoup de son temps. Il y a aussi l’école des Dames de Saint-Maur et Saint-Patrick, l’école des Frères, avec quelque 3000 élèves au total, des catéchismes, des confessions… Aidé de ses vicaires – souvent des jeunes qui font dans la paroisse leur première expérience de langue anglaise: M. Arro, J-J. Troquier, C. Barreteau, ou des chevronnés anciens de Chine, V. Leroux, L. Danion – il prend tout cela dans sa foulée. Les paroissiens apprécient sa disponibilité, son doigté pastoral et sa présence pleine d’attention dans les moments difficiles, même s’ils ont du mal à comprendre son anglais; là encore, il est desservi par son manque d’oreille. Il vit pauvrement, mais il sait montrer sa reconnaissance en rassemblant les aides volontaires pour un repas détendu et original – grâce à ses commentaires et un cognac de choix qu’il tient à partager. Il en est de même avec les confrères prêtres, car il croit à la convivialité. Il noue au cours de ces années des amitiés fidèles.
Mais il y a un projet qui traîne depuis des années et que Mgr. Olçomendy lui demande de mener à bonne fin: construire un nouvel ensemble paroissial dans le quartier de Siglap. Il déniche un terrain bien placé, l’achète, rassemble des fonds et, en octobre 1961, il a la joie de faire bénir l’église de Notre-Dame du Perpétuel Secours et de l’offrir à son vicaire, le P. Amiotte; lui préfère rester en terrain connu. Sans hésiter, il a choisi un jeune architecte, qui avait déjà fait ses preuves avec deux autres églises, et qui bâtit là une belle nef en forme de vaste éventail, qui peut contenir jusqu’à mille personnes. En l’an 2000, on est en train de l’agrandir… Salles de réunion et de catéchisme, église au niveau de la route, presbytère au sous-sol au niveau du parc à autos derrière: c’est une structure nouvelle, qui sera plusieurs fois reprise dans le futur.
Avec l’ouverture d’une nouvelle paroisse, la division ethnique et culturelle est abolie. Le curé est responsible de tous les Chrétiens, Eurasiens, Chinois, Indiens, etc… présents sur son territoire. Les baptêmes d’adultes deviennent nombreux à la Sainte-Famille, 70 à 80 en 1965. Le catéchiste qu’est le P. Munier enseigne patiemment, selon une méthode bien à lui, qui mélange et harmonise Bible, histoire de l’Eglise, histoire universelle, culture asiatique… Même s’ils ne comprennent pas toujours, beaucoup de catéchumènes admirent cette érudition et l’Esprit Saint les guide pour trouver ce don’t ils ont besoin… Ces dernières années, son docteur habituel était un de ces anciens catéchumènes devenu un Chrétien convaincu et un ami, qui l’appréciait et le consultait. Munier l’érudit, Munier l’incollable…
C’est au cours de ces années qu’il assimile les traditions des Eurasiens, nombreux à Katong. Sources portugaises, hollandaises ou autres, il connaît les généalogies, les officielles et les parallèles… les cousins partis pour l’Australie… Il est patient avec ceux qui ne fréquentent l’église qu’à certaines occasions et très disponible auprès des malades, “Portons leur le Seigneur dans leur vieillesse, surtout s’ils l’ont oublié dans leur jeunesse!” Et tout ce qu’il connaît sur le passé et l’occupation japonaise lui ouvre bien des portes et des cœurs. Munier à Katong, c’est Munier à cent pour cent. Ayant préparé la place pour son successeur, le P. J. Bourcart, il part en congé en 1965… après avoir étudié les cartes routières de France. Comme toujours, il est bien informé!
Saint-François-Xavier, 1966 – 1973
A son retour, Mgr. Olçomendy le nomme à la paroisse St. François Xavier, crée en 1959 et dotée d’une belle église, dont le P. Meissonnier a été le bâtisseur. Il y succède au premier curé, le P. Challet, ayant comme voisin son cher et remuant ami, le P. Saussard..
C’est un quartier neuf, aux maisons avec jardinets fleuris et portails souvent cadenassés. Beaucoup de fonctionnaires, enseignants, employés de banque, et aussi à ce moment-là, beaucoup de familles de militaires anglais au service de Singapore qui n’a pas encore d’armée. “Mes paroissiens s’occupent avec leurs orchidées et leurs poissons rouges; leurs chiens font fuir les visiteurs” Le P. Munier, qui n’a pas le charisme de visiter les familles, occupe ses soirées avec l’enseignement de catéchumènes et des lectures.
Les organisations paroissiales sont bien rodées. Avec modération, le curé introduit les réformes conciliaires. Des changements, oui, mais pas trop n’en faut; il y a une chorale traditionnelle qui continue avec quelques airs latins. La vie va son train, les vicaires ne sont pas trop dérangeants et les Sœurs de Saint Maur, dont le couvent et l’école sont tout à-côté, apprécient leur pasteur dévoué et discret. Des années bien remplies, certes, sans histoire ni événements majeurs, qui le mènent à un autre congé.
De ci, de là: Bouche-trou? Homme aux talents multiples? 1973 –1986
De retour en novembre 73, le voici en résidence à Notre-Dame du Perpétuel Secours, avec la mission de préparer la fondation d’une nouvelle paroisse à l’extrémité nord-est de l’île. La messe y est célébrée tous les dimanches dans ce qui était la chapelle catholique pour les troupes britanniques. Il y a eu des promesses de terrain et des essais de comité du temps du P. Amiotte, mais tout cela n’a pas dépassé le stade de l’ébauche. “L’oncle Paul”, habitué aux choses précises, est mal à l’aise et déçu. Il aide à la paroisse, célébre le dimanche dans les prisons de Changi, s’entend fort bien avec les autres prêtres mais se sent sous-utilisé. Aussi accepte-t-il un interim de six mois à Sainte-Bernadette. Retour à la case départ. Le projet d’une nouvelle église étant impossible à cause du démarrage d’une ville satellite à Tampines, qui change tout le quartier, il est à plein temps à Notre-Dame du Perpétuel Secours jusqu’en avril 1979.
Le nouvel archevêque, Mgr. G. Yong, se rappelle alors ses dons de bâtisseur et le choisit comme maître d’œuvre de l’église de la Sainte-Croix, dans un quartier en pleine croissance, tout près de la nouvelle université. En un an, tout est terminé: un bâtiment vaste, fonctionnel, avec des possibilités d’amélioration pour le futur. Il remet l’ensemble, clés en main, au premier curé: il avait bien précisé qu’il ne serait que le bâtisseur. D’avril à novembre 1980, il est en congé en France.
C’est son ancienne paroisse de la Sainte-Famille qui l’accueille à son retour. On y a besoin d’un prêtre d’expérience. Le P. Munier y retrouve de nombreux amis et, comme il a de multiples charismes, tout au long de ces années, il sert au Tribunal des Mariages et comme membre de la commission financière archidiocèsaine. Il est celui qu’on consulte volontiers, car, dans toutes les situations difficiles, il sait offrir des approches pastorales pleines de compassion et d’élégance.. A Katong, il est “dans ses terres”.
Mais la paroisse voisine de Saint-Etienne a besoin d’un pasteur avisé et détaché, qui accepte une situation plutôt confuse et une balance financière déficitaire. Pendant quatre ans, il aura le temps de reprendre les choses en main et léguera à son successeur des paroissiens paisibles, des structures qui fonctionnent et une caisse qui ne sonne pas le creux…. A-t-il été bouche-trou ou homme de tous les dévouements? Il en laisse l’appréciation au Seigneur. Pour ses confrères, c’est clair: il a répondu oui, s’engageant avec générosité dans des situations que d’autres préféraient éviter. Et en route de nouveau pour la Lorraine; il est temps de revoir sa famille, dont il reste très proche.
La Cathédrale, 1986 – 1999
Le P. Munier est de retour à Singapour pour accueillir le Pape le 20 novembre 1986. Il devient prêtre en résidence à la Cathédrale du Bon Pasteur. Le recteur – car la Cathédrale n’est plus une paroisse – est une vieille connaissance, séminariste à la Sainte-Famille en 1957, et le P. Munier sait l’apprécier et le seconder. Y a-t-il besoin d’un autre prêtre à l’église-mère? Cela peut se discuter. L’archevêque connaît le doigté de son missionnaire chevronné. Il sait faire bien des choses qui paraîssent secondaires et sont pourtant importantes.
Il est là pour accueillir les visiteurs, Singapouriens et autres, Catholiques ou non, qui viennent se renseigner sur l’Eglise ou plus simplement désirent rencontrer un prêtre. “L’oncle Paul”, bavard et érudit, sait écouter, conseiller et … apprendre: des arrière-petits neveux d’évêques ou de missionnaires demandent des précisions familiales, des Catholiques du monde entier recherchent leurs ancêtres et leurs racines. Le Musée le consulte sur certains objets de culte récupérés au couvent que les Dames de Saint-Maur n’occupent plus: burettes, grémial, mules épiscopales, buste de Pie IX… Il éclaire, il éblouit même et se frotte les mains de plaisir: ses connaissances ne sont pas toujours superflues!!
Il est l’homme discret, dans une situation qui demande de la diplomatie. Il concélébre le matin avec son archevêque ou éventuellement le remplace. Tel les chanoines du Chapitre, il est plein de respect et a son franc-parler, rappelant détails liturgiques et règles canoniques. Il célébre les Messes du samedi et du dimanche soir, il est toujours disponible pour les confessions et. malgré un tremblement des mains qui s’accentue avec l’âge, il tient à aider pour la communion. Doué d’une bonne mémoire, il reconnait facilement les gens. Chaque semaine, il assiste aux réunions d’un groupe de Légion de Marie et d’une conférence de St. Vincent de Paul. De multiples manières, il rend service. Il tient la résidence, alors que le recteur, enseignant dans une école, est absent presque toute la journée. Il apprécie le voisinage, et quelquefois la compagnie à table, des PP. Charbonnier et Barreteau, qui, à l’occasion, le prennent en voiture, car il ne conduit plus.
Les années passent. C’est maintenant au tour du P. Munier de célébrer ses cinquante ans de Sacerdoce. Lui, qui se rappelle et qui tient à proclamer les anniversaires des confrères – au point parfois de les agacer – montre quelque timidité. Mais le recteur et les fidèles de la Cathédrale tiennent à le fêter, et ses amis sont nombreux au rendez-vous. Il est ému et ravi en ce dimanche 23 juin 1996. Le lendemain, c’est une réunion plus intime et plus détendue entre nous, ses confrères des Missions Etrangères. Il se réserve le privilège d’améliorer le menu et d’offrir quelques bonnes bouteilles; il a bon goût…
Depuis des années, il parle de Montbeton, de Lauris… La vieillesse semble l’inquièter. Sa santé se maintient, il est libre de ses mouvements. N’ayant pas de cuisinière, il prend ses repas dans les restaurants populaires des alentours. Cela lui permet de satisfaire ses goûts très simples et de rencontrer des gens. Il parle de prendre sa retraite en France, lorsqu’il arrivera à 80 ans. Une des raisons données: partir avant le changement d’archevêque, qui pourrait avoir lieu en 2000. Raison réelle: Dieu seul la connaît. Car il n’est pas l’homme qui livre son moi intime… Il nous amuse, les raisons données étant toujours inattendues. C’est du Munier… que d’aucuns décrivent comme celui qui a le tournevis pour aller dans les coins…
En 1999, il arrive à 80 ans. Action de grâces entre amis et en famille, temps de prière… et de gastronomie, d’autant plus que l’appétit reste bon. Il commence bien à Singapour, mais deux semaines avant son départ en congé, une mauvaise grippe – c’est le diagnostic donné à ce moment-là – le fait hospitaliser pour quelques jours. Il est intenable et veut prouver qu’il peut voyager… Après avoir tant parlé de retour définitif en France, il achète un billet aller-retour à prix réduit et précise que dans deux ou trois mois, il sera à nouveau parmi nous. Le jour du départ, il paraît en bonne forme physique et, au moral, il est radieux. A l’aéroport, accompagné par un avocat, fidèle de la Cathédrale, qui est aux petits soins pour lui, il brille et pétille: c’est le Munier des grands jours. En nous quittant, il nous dit joyeusement “A bientôt!”
Retour en congé, congé sans retour, juin – septembre 1999
Se trouvant bien à Paris et dans sa famille, il visite et célébre. Et pourtant, sa sœur, ses neveux et nièces, le trouvent parfois perdu, ne s’intéressant guère à ce qui se passe autour de lui et parlant surtout de son retour à Singapour. Il consulte les médecins: oui, il faudra penser à quelques interventions chirurgicales de routine… mais plus tard, pas en France.
Sur le point de partir, il fait ses adieux. Tandis qu’il se trouve chez une nièce, à Reims, alors qu’il lit le journal dans le jardin, il est victime d’une hémorragie cérébrale. Immédiatement hospitalisé, il est clair que, si sa mobilité n’est pas affectée, c’est la mémoire qui a été touchée. Il se croit en Chine, sous le régime communiste, et à Canton, où il n’est jamais allé… Malade toujours difficile, il ne parle que de Singapour et, alors que l’on poursuit examens et traitements en vue d’une intervention chirurgicale, il meurt dans son sommeil, le 19 septembre au soir.
Les obsèques ont lieu à Delme, diocèse de Metz, où réside sa sœur, chez qui il passait ses congés, avant d’aller reposer auprès de ses parents à Dommartin-sous-Amance, près de Nancy. Les PP. G. Mansuy, J. Charbonnier, G. Wittwer et R. Sylvestre son vieil ami de Swatow, y prennent part. A Singapour, une messe à sa mémoire est célébrée à la Cathédrale par l’archevêque et de nombreux prêtres. Durant le weekend, sa photo souriante le rend présent aux célébrations qu’il assura pendant treize ans. Le bon terrien qu’il était resté est de retour dans ses terres!
La personnalité Munier
On serait tenté de dire qu’il sait tout. Il n’hésite jamais à partager ses connaissances et à faire connaître ses sources. L’histoire de l’Eglise et du monde – avec un penchant pour les histoires de l’Histoire – c’est sa spécialité. Cela nous amuse souvent et ça nous agace aussi un peu quelquefois. Car s’il peut disserter sur de nombreux sujets, il y en a un qu’il n’aborde jamais: lui-même. Ce qu’il pense et, bien plus, ce qu’il sent, il le garde pour lui, ne le laissant pas même deviner, sauf en de très rares circonstances où il se trouve surpris. Informations, cartes… autant et plus qu’on en veut; opinions personnelles, non. Etait-ce par pudeur, timidité, peur peut-être d’être maladroit ou brutal dans sa façon de s’exprimer?
Et pourtant, quel entrain il apporte à nos rencontres! Lui, si économe des deniers paroissiaux, nous invite bien volontiers. Il aime nous réunir à table, ouvrir des bouteilles qu’il a gardées pour cette occasion, même si parfois elles ont passé l’âge du buvable…
Intelligent comme il l’est, il souffre de ne pas pouvoir maîtriser les langues. La musique n’étant pas son don, les tons chinois n’ont jamais existé pour lui. Il parle le chinois comme le français. Quant à l’anglais, la prononciation correcte ne fait pas partie de son bagage. Il a un vocabulaire très étendu, et même recherché – fruit de ses inlassables lectures. Mais quel mot prononce-t-il, c’est souvent une devinette…Lorsqu’on arrive à dépasser les mots, on est à même d’apprécier le message, message qui réveille et qui encourage.
En tant que pasteur, il fait confiance et insiste toujours sur ce qu’il y a de positif chez quelqu’un ou dans une situation. Il ne condamne personne et sait encourager. Dans les cas difficiles ou pénibles, il est plein de délicatesse. Il se fait l’avocat de celui qu’on aurait trop tendance à ignorer. Aussi a-t-il de nombreux amis qui l’entourent de leur reconnaissance. Autant il peut apparaître brusque et absolu dans son allure et ses paroles, autant il laisse le grain de sénevé grandir. Il prie, une prière simple et traditionnelle, fidèle et sans fioritures: la lecture de la Bible, le bréviaire, le chapelet récités si possible près du Saint Sacrement, des pélerinages à Jérusalem, Rome, Lourdes… A des paroissiens insistant pour avoir une messe de mariage le dimanche, il répond: “Non, après avoir célébré deux messes, je n’ai plus de piété pour une troisième. La Messe, on ne la dit pas, on la prie!” Le message est accepté et en dit long sur son union au Seigneur. Beaucoup apprécient en lui le confesseur toujours disponible, délicat et humble, le conseiller qui sait respecter les autres et guider sans imposer.
Les belles années ont été à la paroisse de la Sainte-Famille. Après avoir bâti l’église de Notre-Dame du Perpétuel Secours, il s’est vraiment enraciné à Katong, dans ce milieu d’Eurasiens et de Chinois d’éducation anglaise. Ses connaissances de l’histoire et des anecdotes de la communauté chrétienne étonnent les paroissiens.. La visite des familles n’est pas dans sa pastorale: il est le prêtre au presbytère. Il connaît sa paroisse d’après les adresses et les plans, sans être pour autant allé dans les maisons. Son sens de la géographie, de Singapour et du monde… L’homme des cartes et des atlas, des documents et des archives… Souvent taquiné mais combien utile!
Lui, qui aime la précision et les dates, les calendriers et les montres, garde son bureau dans un rare désordre; il n’y a pas un coin de libre où il pourrait écrire. Il inscrit les baptêmes, le grand régistre sur ses genoux… et se plaint qu’il écrit mal. Mais dans ce désordre, il retrouve tout: le menu du repas de mariage de ses parents, son Livret Militaire, son permis de séjour en Chine, les comptes détaillés des églises qu’il a construites, des photos d’ordination…
Et que dire des charismes variés qui font de lui une personnalité hors du commun. Il n’a pas fait d’études universitaires mais il peut rivaliser avec des confrères aux diplômes officiels. Juge ou Défenseur du Lien selon les besoins, il est pendant des années un membre actif du tribunal matrimonial. Astucieux et pastoral, il propose des solutions inattendues et adéquates. Il aime rencontrer les pasteurs et les fidèles des autres communautés chrétiennes. Il a une bonne connaissance de leur histoire et de leurs traditions et sait leur témoigner son appréciation. Voyant son archevêque tous les jours, il aime lui dire, avec la familiarité que donne l’âge, dans le style des paraboles, ce que d’autres pensaient et gardaient pour eux. Quant à l’histoire et aux histoires de la Société, il est dans son élément, sachant toutefois que les personnes passent avant les structures et gardant bien vivant le souvenir des confrères.
Au revoir, Père Munier. Continuez votre présence parmi nous. Vous avez encore beaucoup de choses à nous apprendre, maintenant que vous avez découvert tous les détails que vous ignoriez!
P. Michel Arro
Singa