Pierre ABRIAL1922 - 1990
- Status : Prêtre
- Identifier : 3746
Identity
Birth
Death
Other informations
Missions
- Country :
- China
- Mission area :
- 1947 - 1951 (Chongqing [Chungking])
- Country :
- Malaysia - Singapore
- Mission area :
- 1951 - 1990 (Malacca)
Biography
[3746] Pierre, Auguste ABRIAL a été missionnaire en Chine, en Malaisie et à Singapour où il repose en paix.
Il naît le 11 avril 1922, à Sumène, quartier de Saint-Julien-Chapdeuil, diocèse du Puy-en-Velay, département de la Haute-Loire. Fils d'agriculteur, il est l'ainé de trois garçons. Il reçoit sa première formation à l'école des Sœurs de Saint-Joseph, puis chez les Frères des Écoles Chrétiennes. De 1934 à 1939, il fait ses études secondaires au petit séminaire de la Chartreuse. En octobre 1939, il se dirige vers le grand séminaire du Puy-en-Velay. Pondant qu'il effectue ses huit mois de service aux Chantiers de la Jeunesse, de février à octobre 1942, à Saint-Pons, dans l'Hérault, il fait part à sa famille de "son intention de se faire missionnaire, à l'exemple du P. Roubin, son grand-oncle paternel, missionnaire en Mandchourie, rentré malade en 1928.
Le 11 décembre 1942, il entre au séminaire des MEP. Mais c'est l'occupation en France et le temps du service du travail obligatoire (STO) en Allemagne. Il se cache pendant un temps dans sa famille. Recherché, il se fait, sous fausse identité, enseignant, dans un collège près de Lyon.
À la libération, il regagna le séminaire des Missions Étrangères. Sous-diacre le 17 décembre 1945, diacre le 26 mars 1946, prêtre le 29 juin 1946, il reçoit sa destination pour le vicariat apostolique de Chongqing (Chungking). Agrégé à la Société des MEP, le 15 septembre 1946, il part le 15 octobre 1946, sur l'"André Lebon" accompagné d'un "ancien", le P. Joseph Bourgeois de la même mission. Tous deux remontent le Yangtsé en bateau depuis Shanghai jusqu'à Chongqing (Chungking), car il faut convoyer les bagages. Enfin, ils arrivent à destination le 10 janvier 1947.
Chine (1947-1951)
Le 18 janvier 1947, une douzaine de nouveaux missionnaires destinés aux missions de Chine quittent Chongqing (Chungking) en autobus pour se rendre à Guiyang (Kweiyang) et commencer, autour du P. J.-B. Etchevery et avec l'aide de deux prêtres chinois, l'étude de la langue chinoise. Cette école de langue, située en pleine campagne, à une dizaine de kilomètres de Guiyang (Kweiyang), porte le nom de "École des Maréchaux" en souvenir des 12 maréchaux de l'Empire, et, au dire du P. Abrial, "tout le monde travaillait d'arrache-pied ; il fallait ingurgiter dix caractères par jour et pouvoir les écrire au tableau". Mais il est difficile de grouper en ce lieu suffisamment de maitres et répétiteurs.
En juin 1947, Mgr Jantzen rappelle à Chongqing ses jeunes missionnaires. M. Joseph Bourgeois y ouvre, à son tour, son école de langue dite "École des Amiraux", en raison de sa position au bord du fleuve. En septembre 1947, s'y retrouvent sept jeunes missionnaires dont le P. Abrial. A la fin de l'année 1947, celui-ci est "envoyé au district lointain de Miaoyutsao remplacer le P. Perriot-Comte rappelé au Séminaire de Paris". Il visite les familles, ouvre un dispensaire. En août 1949, le P. Paul Decroix le rejoint.
Le 29 novembre 1949, les troupes communistes entrent à Chongqing. Le 16 février 1950, le P. Abrial doit céder son église aux nouveaux maitres, et est l'objet d'une surveillance particulière. Ne pouvant sortir de chez lui, il occupe son temps à casser du bois et à faire son jardin. A la fin de l'année 1950, on fait comprendre aux deux missionnaires qu'il serait préférable de quitter le pays. Le 28 mars 1951, ce fut pour eux l'heure du "jugement populaire". Enfermés et séparés pendant deux jours dans un grenier, puis transférés à la sous-préfecture, ils sont internés à la prison centrale de Chongqing où ils passent quatre mois et demi. Enfin le 12 août 1951, ils arrivent à la Procure de Hong Kong. Affectés à la mission de Malacca, ils s'embarquent pour leur nouvelle destination, le 26 octobre 1951.
Malaisie-Singapour (1951-1990)
Le 12 novembre 1951, le P. Abrial est envoyé à Kuala-Lumpur, à l'église Saint-John chez le P. Noël Maury, pour y étudier l'anglais. Vers le milieu de l'année 1952, il est nommé à Singapour, vicaire du P. E. Bécheras, à la paroisse chinoise mère, Saints-Pierre-et-Paul. Il s'occupe du catéchisme d'adultes, de l'aumônerie de la "Catholic High School", visite les familles, enracine la Légion de Marie, dans la paroisse, tout en apprenant le "Tiechiu", dialecte principal de la paroisse qu’il parle couramment. Le 19 avril 1956, il rentre en France pour son congé. Et le 11 décembre 1956, il s'embarque sur le paquebot "Cambodge" pour regagner sa mission.
Le 24 mai 1957, le P. Bécheras prend l'avion pour la France. Le P. Abrial devenu curé intérimaire, remplace le presbytère vétuste par un ensemble simple et spacieux. Le P. Béchéras meurt le 7 octobre 1957, sur le bateau qui le ramène de France. Le P. Abrial organise des funérailles solennelles pour son curé défunt. Il reçoit alors non la succession au poste, mais la charge de construire à River Valley Road, une nouvelle église dédiée à sainte Bernadette, bénie en 1959. Il fait du nouveau, du solide, du beau. Pendant neuf ans, curé de cette paroisse, bien que se sentant parfois mal à l'aise d'avoir à travailler avec des vicaires, il s'efforce de faire des chrétiens instruits et solides, encourageant l'action catholique sous toutes ses formes.et s'intéressant au renouveau liturgique et catéchétique de Vatican II. En 1963, il bâtit une grande école confiée aux Dames de Saint Maur. Du 19 mars au 8 décembre 1965, il prend un congé en France.
En 1968, le P. Abrial est chargé de la paroisse Saint-Michel, mais une ville satellite, Toa Payoh, prévue pour plus de 300.000 habitants est en train de sortir de terre. Il se remet à construire un seul bâtiment englobant église climatisée, presbytère, salle de réunion. Il organise sa paroisse, donne une place importante à la liturgie, aidé par une chorale de réputation internationale qu'il accompagnera en Californie pour une tournée de récitals. Il est élu conseiller régional MEP, et membre du conseil épiscopal. En 1983, avant de rentrer en France, pour un congé, il fait un voyage en Chine, dans sa première mission, à Wanshien, où il retrouve son évêque chinois, quelques prêtres et la religieuse qui travaillait au dispensaire de la paroisse où il œuvra. Il est frappé par leur foi et leur confiance en Dieu.
De retour à Singapour en octobre 1983, il choisit de devenir vicaire à la paroisse nouvelle de la Sainte Croix et fait équipe avec trois prêtres du clergé local. Spécialiste de l'apostolat en mandarin, il s'initie au renouveau charismatique, anime et travaille avec les groupes de quartiers. En 1986, il est nommé curé de la paroisse Saint-François-Xavier, située dans un quartier de bungalows, de maisons privées, et composée de gens très anglicisés. Au bout de quelques temps, ceux-ci découvrent son cœur d'or, l'appréciant tel qu'il est, une personnalité aux multiples facettes, solide et rugueux comme le basalte du Velay. Ses chrétiens d'expression chinoise disaient : " Le vieux tigre, il rugit, mais n'ayez pas peur, il n'est pas dangereux, il a du cœur !"
Le 13 octobre 1990 au matin, il est hospitalisé d'urgence pour un infarctus. Les radios révélèrent un caillot dans le cœur. Grâce aux soins intensifs, et au repos, il se remet lentement. Le 30 octobre 1990, il veut rentrer chez lui. Le lendemain, vers 18h30, ne le voyant pas descendre pour célébrer la messe, son vicaire entre dans sa chambre et le trouve étendu sans vie sur son lit.
Le samedi 3 novembre 1990, à 14h30, ses funérailles furent présidées par Mgr Young, archevêque de Singapour, entouré d'une soixantaine de prêtres, en présence d'une foule très nombreuse. L'inhumation a lieu au cimetière de Chua-Chu-Kang. Le P. Abrial repose à côté de son vieil ami le P. Bouttaz, lui aussi ancien missionnaire du Sichuan.
Obituary
[3746] ABRIAL Pierre (1922-1990)
Notice nécrologique
Pierre Abrial et ses carnets d’adresses !... Car ils sont nombreux ceux qui, à Singapore et dans le monde, peuvent dire avec fierté : « C’est le P. Abrial qui m’a baptisé ! » Et ces gens qu’il a instruits, il les visite, correspond avec eux fidèlement, reste leur pasteur de fait, sinon de droit. « Abrial, c’est le label de qualité ! »
Il prépare les catéchumènes avec soin, leur donne une bonne formation biblique et liturgique, leur fait goûter la prière et les oriente au service des autres. Il est patient et persévérant, mais gare aux fantaisistes trop souvent absents ! La Légion de Marie part sur leurs traces... Les églises, les presbytères qu’il bâtit, c’est du solide, du fonctionnel, pas de fioritures mais ici et là une touche artistique pour célébrer le Seigneur de toute beauté et de toute majesté. Les architectes et entrepreneurs doivent compter parmi les meilleurs, bâtir dans les délais prévus et selon les normes car l’œil du maître surveille de près le chantier...
Cérémonies liturgiques soignées, chants enlevés, enfants de chœur stylés, curé qui « préside » vraiment, aussi le lecteur qui prononce mal ou le commentateur donnant la mauvaise page s’attirent un regard réprobateur.
Finances administrées avec sagesse et utilisées à bon escient. Pas d’excès dans les dépenses et, au conseil paroissial, qu’on ne s’avise pas de dire : « L’église a de l’argent », car arrive la réponse, sèche : « Qu’en savez-vous ? » Le pasteur, et lui seul, sait ce qu’il y a dans la caisse, mais il donne généreusement à d’autres ce qu’il a économisé. Et s’il a collecté pour bâtir, il n’a jamais fait de dettes.
Les gens l’apprécient tel qu’il est, solide et rugueux basalte du Velay. « Le P. Abrial ? Pas commode, coléreux, mais toujours là quand on a besoin de lui », disent ses paroissiens de langue anglaise. Ceux d’expression chinoise font écho : « Le vieux tigre, il rugit mais n’ayez pas peur, il n’est pas dangereux, il a du cœur. » Il faut du temps pour le connaître, ou plutôt il faut qu’il soit en confiance pour se laisser connaître, et alors on découvre sa bonté, apprécie son zèle. « Le Père Abrial, mais c’est un amour ! (he is a darling) » disaient d’élégantes paroissiennes... exactement le genre de compliment qui le met mal à l’aise, car ce timide qu’il est ne sait comment les recevoir. Il grogne, bougonne... et au fond ça lui fait du bien.
Né à Sumène le 11 avril 1922, quartier de Saint-Julien-Chapteuil, en Haute-Loire, il est l’aîné de trois garçons, de parents agriculteurs dans ce village à 800 m d’altitude. Il y reçoit sa première formation à l’école des Sœurs de Saint-Joseph puis des Frères des Écoles chrétiennes, jusqu’à l’âge de onze ans. Il a déjà décidé de devenir prêtre et en a fait part à ses parents. Il étudie au petit séminaire de la Chartreuse jusqu’en philosophie. Grand séminaire du Puy en 1939. Il y reste deux ans, ce qui lui permettra de connaître beaucoup de prêtres du diocèse avec lesquels il gardera contact sa vie durant. Un de ces condisciples raconte cette petite aventure qui donne déjà un aperçu de son caractère : Pierre le volontaire !
« Le parc du séminaire entoure le rocher volcanique sur lequel est érigée la statue monumentale de Notre-Dame de France. Ce rocher s’élève à pic : une paroi de 40 à 50 mètres verticale, faite de basalte lisse. Avec Pierre Abrial et un autre séminariste nous avions décidé, sans autorisation du supérieur, d’en faire l’ascension, à mains nues... Un jeudi matin, la soutane autour des reins (car il était interdit de la quitter), peu confortable comme tenue d’escalade, on l’a essayé en varappe... On a failli « dévisser » plusieurs fois... Et aux quatre cinquièmes de l’escalade il a fallu redescendre, impossible de passer... Je l’entends encore nous dire : « Jeudi prochain on recommence, il faut qu’on trouve le passage et qu’on y arrive ! » Jeudi suivant il est passé en tête et nous avons réussi, non sans efforts et sueurs froides. Cette volonté d’arriver sans bruit mais efficacement c’était lui, et je crois qu’il l’a gardée toute sa vie. »
Le même correspondant ajoute : « Je retiens de lui que c’était un garçon sans bruit, effacé même, mais studieux, travailleur acharné, tenace, peu causant, à l’amitié franche et solide ; un vrai copain, sans détour, et un élève bien noté. »
Chantiers de jeunesse durant huit mois à Saint-Pons dans l’Hérault. C’est de là qu’il écrit à ses parents son intention d’entrer aux Missions Étrangères. L’ambiance chrétienne de la famille l’y préparait. Son grand-oncle paternel, le P. Henri Roubin, missionnaire de qualité exceptionnelle en Mandchourie, rentré malade en 1928, avait fait de longs Séjours à Saint-Julien. Le jeune Pierre l’avait bien connu et avait même accompagné à la maison familiale le P. Paul Yupin, futur archevêque et cardinal alors étudiant à Rome, venu voir celui qui l’avait baptisé et envoyé au séminaire. Quelques années plus tard, il sera à nouveau près du vicaire apostolique de Nankin venu prier sur la tombe de son mentor, décédé en 1935 et enterré dans le caveau familial.
Le 29 août 1942, bien à sa manière, Pierre annonce ce qu’il pense être la volonté de Dieu : « Pour moi, le moment est venu de prendre une décision. Sachez bien que ce que je vais vous dire, je l’ai depuis longtemps mûrement réfléchi. J’aurais voulu vous en entretenir de vive voix lors de ma dernière permission ; hélas, une permission c’est bien court et puis, je le dis franchement, j’ai manqué de courage, je ne voulais pas faire de peine autour de moi. Je viens aujourd’hui solliciter une permission. En octobre prochain je n’ai pas l’intention de rentrer au séminaire du Puy. J’ai pris conseil auprès d’un prêtre éclairé. Je lui ai parlé de mon intention de me faire missionnaire à l’exemple du Père Roubin. Il m’a dit que j’étais fait pour cela, que là je serai vraiment à ma place. Ce désir n’est pas un pur caprice. Il y a longtemps que j’y avais pensé, à vrai dire tout au cours de mon collège à partir de la quatrième. Cette pensée m’avait soutenu au milieu de mes difficultés : cette idée de porter un jour la lumière du Christ à d’autres âmes... Pour moi le seul but est celui-là : être missionnaire. Au cours de mes Chantiers, Dieu m’a fait cette grâce de me faire connaître ma voie. Mais, en fils obéissant et soumis, je viens aujourd’hui vous demander votre avis là-dessus avant de faire ma demande pour entrer aux Missions Étrangères de Paris... Je sais que la séparation sera dure, plus peut-être pour moi que pour vous ; mais c’est la volonté de Dieu... Cette lettre fera couler des larmes... Peut-être apportera-t-elle une grande joie parce que vraiment chrétiens... Si oui, je ferais le nécessaire pour pouvoir prendre mes études en novembre à Paris. Je pourrai passer avec vous le mois d’octobre. »
Le 11 décembre 1942 Pierre entre en théologie à Paris. Mais c’est l’occupation, le STO. Pas question pour lui de s’y laisser prendre. Pour un temps il se cache dans sa famille puis, recherché, il change de nom et sous fausse identité enseigne dans un collège près de Lyon.
Il regagne le séminaire à la libération. Calme, tranquille, il y trace son sillon droit et profond. Pas de vagues, pas d’éclats... Ses condisciples l’évoquent comme quelque peu bourru, mais aussi avec de l’humour, jouant au basket, avec modération, sérieux dans le travail. Le formateur qui le marque et qu’il admire c’est le P. Dedeban, son professeur et directeur spirituel. Lors de ses congés il se fera un devoir et une joie d’aller le visiter à Paris ou à Montbeton.
Pendant les vacances il travaille à la ferme familiale, fenaison, moisson, arrachage des pommes de terre ; il s’occupe aussi de camps de jeunes. Sous-diaconat en décembre 1945, en présence de son père, mais c’est la maman qui assiste à l’ordination sacerdotale le 29 juin 1946. Le même jour – sa fête patronale – il reçoit sa destination pour Chungking, la Chine devient sa terre promise. Il part pour le Sichuan le 15 octobre et y arrive le 10 janvier 1947. Ce n’était pas encore très rapide !...
VERS LA CHINE
Sur l’André-Lebon, bien connu pour sa vétusté et sa lenteur, s’embarquent huit jeunes accompagnés de plusieurs anciens, dont le P. Bourgeois qui rentre à Chungking. Le voyage n’en finit pas. À Colombe il faut changer un arbre d’hélice, huit jours d’escale, apprentissage de la chaleur tropicale. 17 novembre, Singapore et une réunion un peu bousculée à la procure. Ce n’est qu’un premier passage. Pierre Abrial ne soupçonne pas que bien des années plus tard un de ses compagnons allant en Chine du sud lui ferait célébrer annuellement cette première rencontre avec l’île qui deviendrait leur second champ d’apostolat... Saigon... Hongkong... Les confrères se dispersent... Ceux du Sichuan passent à Shanghai où le jeune P. Amiotte s’occupe fort bien d’eux, puis prennent l’avion à l’exception des PP. Bourgeois et Abrial qui convoient les bagages par bateau : attelage assez boîteux, le jeune désirant apprendre et observer à loisir, l’ancien pensant beaucoup connaître et tendant à « coiffer ». Cependant voyage profitable dont Pierre racontera souvent quelque épisode haut en couleur. Car entrer en Chine par la voie royale du Yangtse, ses marins, bateliers et dockers au long des quelque 2000 km qui séparent Shangai de Chungking, c’est plonger la tête la première dans un maelström d’humanité tour à tour ou à la fois débonnaire et cruelle, amusante et inquiétante, paisible et querelleuse, s’adonnant au farniente ou croulant sous d’incroyables fardeaux, hostile ou bienveillante, jamais neutre ni indifférente. Cacophonie de cris ; rires, appels, commandements, disputes, chants, composent un fond sonore qui bruisse jour et nuit. Et les odeurs... Comédie humaine, oui, mais la tragédie n’est jamais loin, témoin ces nombreux cadavres qui passent au fil de l’eau... Bref, navigation pleine d’imprévus, le fleuve est en basses eaux, on s’échoue pour six jours sur un banc de sable : comme le bateau a de la gîte la vie de bord perd son agrément. Tous les matins on pousse les chaudières au maximum, chaque capitaine tente de se dégager... sans succès... sous les lazzi et les rires des autres équipages tout aussi malchanceux. Car personne ne veut venir au secours d’un concurrent. On devra donc attendre un bateau frère de la même compagnie pour se faire tirer hors du sable...
Arrivés à destination vers le 10 janvier, dès le 18 les nouveaux partent en autobus pour Kweiyang où, autour du P. Etcheverry et avec l’aide de deux prêtres chinois, une douzaine de jeunes confrères étudient la langue mandarine à ce qui est appelé avec une pointe d’humour l’École des Maréchaux. « Travail très intense avec étude et écriture des caractères chinois. Il n’y avait pas de temps à perdre dans ce prépetit séminaire en pleine campagne. Tout le monde travaillait d’arrache-pied, il fallait ingurgiter dix caractères par jour et pouvoir les écrire au tableau. »
Mais en juin Mgr Jantzen rappelait ses jeunes à Chungking. Le Père Bourgeois voulait les avoir sous sa direction et avait réussi à établir sa propre école de langue, « l’Ecole des Amiraux » (on est au bord du fleuve). Dès septembre s’y retrouvent les Pères A. Danion, Presse, Abrial, Pecoraro, Kerouanton et Barbier. « Là encore travail acharné : écriture, composition de petits textes sur tel ou tel sujet. Exercices d’écriture au pinceau. Cela ne dura pas longtemps car le P. Abrial protesta vigoureusement. ces exercices retardant notre apostolat futur : il fallait étudier rapidement l’essentiel du chinois pour pouvoir faire du catéchisme. La calligraphie fut abandonnée malgré les protestations énergiques du P. Bourgeois ! » Il est amusant et révélateur de lire sous la plume du chroniqueur de Chungking dans le Bulletin de juillet 1948 : « Les trois anciens y sont allés, m’a-t-on dit, de leur premier sermon, dans l’église de l’hôpital. Les chrétiens auraient dit que c’était très bien, comme composition et comme élocution. Mais le directeur de l’école, interrogé dit n’avoir rien su de ces sermons.., les intéressés n’ayant nullement jugé bon de l’avertir de leur volonté de pousser en haute mer. Soupçonnant dans ses paroles quelque susceptibilité mal réprimée, j’ajoutai : « Allons, M. le directeur, un peu de patience. C’est jeune et ça ne sait pas. Mais bien qu’en cachette de vous, vos jeunes continueront de faire honneur à votre école ! »
Lors de l’examen de fin d’année la performance du P. Abrial est déclarée satisfaisante. Il est « envoyé au district lointain de Miaoyutsao remplacer le P. Perriot-Comte rappelé au séminaire de Paris ». Le voici donc immédiatement laissé à lui-même, ce qui n’est pas pour lui déplaire.
Miaoyutsao, ce sera le seul poste qu’il aura connu en Chine de 1948 à 1951, aux confins du diocèse, tout près de la province de Hupeh, dans un district où travaillaient déjà quelques Pères dominicains polonais auxquels on céderait éventuellement cette partie de la mission. C’est une petite communauté de vieux chrétiens au pied de la montagne et nombre de familles éparpillées sur les hauteurs. Deux jours de bateau de Chungking à Wanshein, siège d’un autre évêché et étape obligatoire (Mgr Tuan, sacré en 1948, encore actif aujourd’hui, et ses prêtres sont pour Pierre des amis chez qui il s’arrête volontiers), puis un jour de marche pour traverser la ligne côtière. L’axe de tout cela : le Yangtse, formidable, sauvage et imprévisible en cette région où il se ramasse pour percer les fameuses gorges et se ruer sur l’immense plaine de la Chine centrale. Pierre évoquera souvent cette voie « navigable », ses crues (qui peuvent dépasser trente mètres au-dessus du niveau de référence) avec un courant de 18 à 20 nœuds, ses tourbillons féroces ou ses contre-courants plus dangereux que tout le reste et raison majeure d’un étrange spectacle en période de basses eaux : épaves de barques, jonques et même petits steamers accrochées aux rochers de la rive à dix ou vingt mètres au-dessus de l’eau. Les basses eaux ? Là c’est le slalom entre les rochers qui émergent ou affleurent et les bancs de sable en perpétuelle mouvance. Mais les épaves de la saison, la prochaine crue n’en laissera pas trace
À Miaoyutsao le P. Abrial règne. Il est enfin chez lui, pasteur de plein droit. Conditions matérielles difficiles, chrétiens plutôt frustes, longues marches en montagne, rien ne l’arrête, au contraire : c’est ce qu’il pensait trouver. Aussi, il fonce ! Il visite ses familles, couche dans leurs huttes, s’adapte à leur ordinaire plus que simple. Il est heureux !
La Mission donne sur l’unique rue du village. Il ouvre un dispensaire, très fréquenté surtout les jours de marché. Il distribue des médicaments mais peut aussi faire des piqûres et panser des plaies profondes, aidé en cela par. une religieuse chinoise. Pierre voit dans ce service un moyen privilégié d’approcher les non-chrétiens. Quand la situation politique devient menaçante, il cache ses médicaments dans le plafond de l’église avec l’espoir de les utiliser plus tard !
Mgr Jantzen s’inquiète de son missionnaire seul alors qu’approche la tourmente communiste. En août 1949 il lui adjoint le P. Paul Decroix. Ce dernier n’avait jamais pu arriver à sa première destination, la Mandchourie, et après des études de langue qui l’avaient mené à Pékin, Shanghai et Macao, il avait été affecté « temporairement » au Sichuan ! Ils sont donc deux maintenant qui, selon le Bulletin en novembre 1950, « continuent avec le même zèle et le même succès le redressement commencé par leur prédécesseur, le P. Perriot-Comte ».
Surprenant optimisme de ce chroniqueur !
Car dès le 5 novembre 1949 – un an auparavant ! – Pierre écrivait à ses parents : « Depuis hier nous attendons les communistes. L’armée nationale cède la place sans combat. Beaucoup de gens, les riches, ont fait leur baluchon pour chercher refuge dans les fermes isolées Deux chrétiens sont venus de nuit nous réveiller, le P. Decroix, les religieuses et moi, nous disant de faire nos bagages. J’ai écouté les nouvelles et suis allé me recoucher. Ce matin rien de nouveau. J’ai mis en sûreté les objets les plus précieux, ceux de l’église et les miens personnels. Les gens s’étonnent que nous restions sur place. Je pense qu’il y aura tout de même moyen de faire bon ménage avec eux. Le dispensaire peut sauver peut-être bien des choses et m’éviter des ennuis... Des ennuis, on en aura certainement. Priez pour nous et pour tous les missionnaires de Chine. Que notre souffrance soit utile au salut de la masse païenne. Je pense qu’il sera encore possible de correspondre, je tâcherai de le faire au début de chaque mois. Ne vous faites pas trop de souci à mon sujet. En Chine on s’arrange toujours à l’amiable… »
Optimiste comme son chroniqueur, le Pierre, avec l’excuse d’écrire un an plus tôt ! L’ « amiable » ne se réalisera pas. Déjà, le 16 février 1950, dernière lettre reçue de lui, il s’exprime à la troisième personne, s’appelant le Pierrou – forme familière qui sent bon la langue d’oc : « Du pays libéré où flotte le drapeau rouge... Le jour de l’apparition de la Vierge à Lourdes le Pierrou eut la visite d’un monsieur en uniforme – c’est un ancien ami du Pierrou mais il a tourné sa veste – qui après bien des hésitations finit par demander au nom du chef du peuple la grande maison où le Pierrou enseigne une fois par semaine à son petit troupeau la parole de Vérité. Le Pierrou indigné refuse. Quelques minutes après, le grand chef le fit appeler. C’est un fait, le Pierrou n’a pas peur mais il ne met pas assez de forme dans ses paroles... Pour le moment il est encore maître de sa maison et le Maître du Ciel habite encore la sienne. Mais pour combien de temps ?... Le Pierrou est de la part des occupants objet de spéciale attention. Deux fois par jour on vient voir ce qu’il fait. Heureusement Pierrou sait casser le bois et faire son jardin, il a même reçu des graines de France. Pierrou sourit et continue de rendre service, soignant les rouges aussi bien que les blancs. Cependant il se rend très bien compte qu’il devient indésirable et qu’on voudrait bien l’expulser »...
De fait, en fin d’année 1950 les communistes font savoir aux deux Pères qu’ils feraient bien de quitter le pays de leur propre gré, sinon il pourrait leur en coûter cher. À cette époque d’exécutions sommaires, des rumeurs parlaient d’une sentence de mort contre l’un des deux missionnaires. Directement visé, le P. Abrial ne se laisse guère impressionner et continue ses travaux de jardin, puisqu’il est devenu impossible de contacter les gens, ou même de sortir de la maison.
Les choses se précipitent. « Le mercredi saint 1951, écrit le P. Decroix, nous sommes convoqués à la sous-préfecture, Wusan, où on nous donne la défense formelle de prêcher la religion en dehors de l’église. Nous passons donc les jeudi et vendredi saints sur les sentiers de montagne le long des gorges du Fleuve Bleu. De retour le samedi saint au soir, nous entendons les confessions de quelques chrétiens qui profitent de la nuit pour pénétrer dans l’église. Une bien triste fête de Pâques...
Le mercredi de Pâques (28 mars 1951), ce que nous craignions arrive avec la venue d’un commissaire du peuple ; c’est l’heure du « jugement populaire ». À l’école du village on nous fait monter sur une estrade et agenouiller les mains liées derrière le dos, face à un juge et ses deux greffiers. Parmi ceux qui nous accusent nous reconnaissons deux de nos chrétiens qui avaient été forcés de le faire. Ils montent l’estrade plus morts que vifs si bien qu’ils ne peuvent parler clairement. Le P. Abrial lance à l’un d’eux : « Tu as mal appris ta leçon ! » Aussitôt un garde lui fait baisser la tète et lui rappelle qu’il n’a pas le droit de parler. Déclarés « criminels et ennemis du peuple chinois », nous sommes incarcérés dans un vieux grenier à grains, le P. Abrial à l’étage et moi au rez-de-chaussée en compagnie de deux fumeurs d’opium. Avant la tombée de la nuit, alors qu’on entend fusiller les condamnés à mort dans la cour, nous nous donnons mutuellement l’absolution générale, demain pourrait être notre tour. Mais non, après deux jours nous sommes transférés à la sous-préfecture. En route, couchant dans un petit village, nous sommes enfermés dans une pièce qui ressemble fort à une cage à lions, enchaînés aux parois par des fers aux pieds et aux poignets. Finalement transfert à la prison centrale de Chungking où nous passons quatre mois et demi.
Avec huit détenus chinois, dans une petite cellule, nous devons rester assis toute la journée avec interdiction formelle de parler. À tour de rôle nous comparaissons devant un fonctionnaire qui nous demande de nous reconnaître coupables : le peuple nous a jugés, le peuple ne peut pas se tromper ! Refuser de reconnaître ses torts est une attitude impérialiste ! Finalement nous devons écrire une « confession » et après avoir argué ligne à ligne, nous nous reconnaissons ennemis du peuple et suppôts des impérialistes. Le chef de camp fait écrire au P. Abrial une note pour Mgr Jantzen lui demandant l’argent nécessaire aux frais de notre voyage et au riz mangé en prison ! Notre archevêque fut heureux de recevoir cette note car il croyait que nous étions exécutés. Le 3 août nous franchissons les portes de la prison… et le 12 nous étions accueillis à Hongkong par le P. Destombes et d’autres amis venus nous attendre au poste frontière.
On trouve dans le Bulletin de la Société (septembre 1951) : « Le 12 août arrivaient à la Procure deux autres expulsés, les PP. Abrial et Decroix. Incarcérés le mercredi de Pâques sous plusieurs chefs d’accusation, ils avaient passé de prison en prison jusqu’à Chungking. Ils y ont connu les interminables et épuisantes journées en position accroupie, sans pouvoir même remuer tant soit peu pour la recherche des poux et autres vermines. Condamnés comme les autres à l’exil hors du paradis démocratique et populaire... Ils se reposent à Béthanie. Leur arrivée fut pour nous tous un soulagement car elle brise la chape de silence qui s’était abattue sur eux depuis la date de leur incarcération. Malheureusement la joie du retour a été assombrie pour le Père Abrial par l’annonce de la mort de son père. »
Au vert jusqu’en octobre, les deux confrères récupèrent. Mais Pierre Abrial trouve le temps long, témoin cette note : « Plus de deux mois que je suis sorti du bagne. Cette vie de Hongkong est peu enrichissante du point de vue spirituel. Comme je me sentais plus uni au Christ dans ma prison ! » Et un peu plus tard : « J’écris pour essayer de garder le contact, reparler de la Chine, entretenir le désir d’y retourner et d’y reprendre le travail apostolique... Nous les vieux Chinois... qui nous consolons difficilement d’en être sortis!... »
Pour le moment c’est dans un autre champ qu’il labourera : Singapore, où il arrive le 30 octobre, toujours en compagnie de Paul Decroix.
En Malaisie/Singapore il y a des communautés chinoises nombreuses. Mais si dans les écoles on enseigne le mandarin que Pierre Abrial connaît fort bien (avec les particularités du Sichuan), dans la vie quotidienne et au niveau paroissial on utilise les dialectes : teochew, cantonnais, hakka, selon les lieux et traditions culturelles. En outre il faut une bonne connaissance de l’anglais. On apprend donc d’abord cette langue, puis un dialecte.
En ces années 50 on ne soupçonne pas encore l’importance future du mandarin et surtout on ne voit guère comment l’utiliser au niveau de l’apostolat.
Le P. Abrial est envoyé à Kuala Lumpur, à l’église Saint-John où le P. Noël Maury, vert septuagénaire auvergnat, est le seul maître après Dieu. Dans cette communauté qui rassemble les Eurasiens et les Anglais de la ville il est accueilli et traité comme étudiant de langue. Il est arrivé le 12 novembre. Dès le 20 il note assez découragé : « Sortir des prisons communistes pour vivre à nouveau entre les quatre murs de ma chambre ! Sans avoir de contats avec les chrétiens ! Où sont-ils ceux que j’avais en Chine ! » Cette vie lui pèse... et en Malaisie les curés ne sont pas habitués à vivre avec des vicaires, surtout étudiants : pour éviter les faux-pas de ceux qui ne connaissent pas bien la langue, il est prudent de limiter leurs contacts avec les familles,... dont le curé tient à rester le seul pasteur. « J’aurais désiré rencontrer des familles pour m’essayer à parler, mais je suis absolument en dehors de la paroisse...» Mais l’étudiant est doué pour les langues. L’anglais rentre bien. Dès mi-52 il va à la paroisse chinoise mère de Singapore : Saint-Pierre-et-Paul.
Il s’y trouve avec le P. E. Bécheras, septuagénaire lui aussi et ardéchois, pionnier de l’apostolat en chinois à Singapore. L’ancien et le nouveau sympathisent de suite, et aussi le P. H. Berthold qui entre autres choses essaie de démarrer la Conférence de Saint-Vincent de Paul et un premier groupe de jeunes travailleurs.
Pierre trouve vite sa ligne : catéchisme d’adultes, visites aux familles éparpillées dans la ville (car on en est encore aux paroisses par dialectes), ferme enracinement de la Légion de Marie (qui est et restera son option de base dans l’apostolat des laïcs). Au mandarin et à l’anglais il ajoute le teochew, dialecte principal de la paroisse, et arrive à le parler couramment.
Pendant des heures il enseigne, en anglais, en chinois, individuellement, par petits groupes : il ne s’en fatigue jamais. Un confrère disait avec une pointe d’humour : « En anglais ou en chinois, si quelqu’un tombe dans les mains d’Abrial, il est condamné au baptême. » De fait il devient baptiseur, dans cet apostolat il se sent missionnaire à fond. Le soir, après un rapide repas il saute dans sa voiture, et souvent accompagné de légionnaires visite les familles, chrétiennes sans doute, mais aussi en priorité les familles non chrétiennes qu’on lui a signalées comme étant à la recherche du Seigneur. Le fait qu’il parle plusieurs langues met les gens à l’aise. Un jour le P. Bécheras, un érudit en teochew qui a construit des écoles où l’on enseigne le mandarin bien que lui-même ne le parle pas, appelle le vicaire dans son bureau : « Père Abrial, comprenez-vous ce monsieur ? – Oui – Quel langage parle-t-il ? Je ne com¬prends pas son chinois. – Il parle mandarin et veut devenir catholique. – Ah, pouvez-vous l’instruire ? – J’essaierai », répond l’ami Pierre épanoui. Ainsi s’affirma la nécessité d’un apostolat en mandarin, dont il sera l’un des champions. Quant au curé, chevronné et zélé, même à son âge il s’efforcera d’acquérir les rudiments de cette langue, alors dite « de Pékin » : la langue nationale chinoise.
Pour épauler ce travail il y a dans l’ensemble paroissial la fameuse « Catholic High School » dont la renommée ne fait que grandir, car elle dispense un chinois et un anglais de qualité. Les Frères Maristes la dirigent. parmi eux plusieurs avaient enseigné à Chungking avant de se faire eux aussi expulser. De l’autre côté de la cathédrale les Dames de Saint-Maur ont également une école chinoise réputée, Saint-Nicolas. Pour autant ces institutions ne sont pas de tout repos en ces années 1954-1955. Des éléments communistes noyautent les étudiants. Le P. Abrial aidera à l’échec d’une grève à la Catholic High School, il interdit la cour de l’église au camion ravitaillant en nourriture les étudiants grévistes. Le lendemain il flanque le P. Bécheras qui filtre les élèves à l’entrée pour écarter les meneurs étrangers à l’école. Le P. Nah (son nom chinois) « commande le respect » !
Premier congé, 1956
En avril il revoit la France et y restera jusqu’en janvier suivant. Comme il le fera plusieurs autres fois il va à Rome car c’est un fidèle de l’Église et du pape. Et aussi il veut rencontrer le jeune P. Gregory Yong (son archevêque plus tard) qui y poursuit ses études. Plein de vie, mince et énergique il porte toujours sa robe chinoise noire. Il partage volontiers avec ceux qui ont sa confiance. Il visite ses anciens condisciples du Puy. L’un d’eux écrit : « Il acceptait de parler de la vie missionnaire, mais très peu sous son aspect personnel. J’avais dû insister pour qu’il parle de son ministère en Chine. Il ne parlait pas de lui, mais de l’Église de Singapour, des chrétiens, de l’Évangile. Et surtout il n’acceptait pas d’être missionnaire quêteur. Difficile même de lui faire accepter quelque chose d’ami à ami. Lors de son premier congé il eut beaucoup de peine à comprendre l’attitude des chrétiens de France, et des prêtres qui faisaient un bout de chemin avec les marxistes au plan syndical ou autre. Il est allé trouver un ami commun qui était prêtre-ouvrier. Il voulait le mettre en garde contre les risques qu’il courait et l’incompatibilité d’un mariage évangile-marxisme. Il avait objectivement raison et son expérience lui donnait le droit de parler. Ils ne se sont pas compris. Cela l’a fait souffrir mais il n’a pas coupé les ponts pour autant. Il disait ce qu’il estimait devoir dire. Il était intransigeant et fraternel. »
Il passe du temps avec sa maman, sa famille. Avec eux il va à Lourdes, à Montbeton, célèbre le mariage de son frère cadet, enchante ses neveux et nièces avec les cadeaux originaux qu’il leur a apportés. Il revient à Singapore avec un neveu du P. Bécheras qui décidera le tonton à prendre un congé en Ardèche à 78 ans ! .... Abrial devient donc le curé intérimaire. Sans tarder il fait disparaître le presbytère vétuste, bâtit un ensemble simple et spacieux. Il voit loin car il prépare même la climatisation future des bureaux. Et les confrères de questionner : « Comment va réagir l’ancien à son retour ? » Or de réaction il n’y en aura pas, car le P. Bécheras meurt devant Aden, et le vicaire a deux semaines devant lui pour organiser à son vieux curé de grandioses funérailles fin octobre.
Devenir curé de Saints-Pierre-et-Paul ? Il n’y tient pas car sans le dire il pense à du neuf. Or le P. Noël Goh, vicaire général, est nommé à la place du P. Bécheras et Pierre reçoit la charge de construire une nouvelle église, pour laquelle il choisit le patronage de Bernadette... Le pèlerinage à Lourdes !…
Il ne traîne pas, choisit un jeune architecte qui vient juste d’achever l’église Saint-François-Xavier, organise la collecte de fonds dans tout Singapore, prêche dans les paroisses, se fait aider de nombreux volontaires. Il veut créer, faire du nouveau, du solide et du beau. De fait, la nouvelle église, qui a la forme d’un losange, montre belle allure. Il n’hésite pas à lui donner trois cloches – un luxe ! – qu’il fait venir de France. La surface bâtie lui laisse assez de place pour édifier une école primaire de filles confiée aux Dames de Saint-Maur. En même temps qu’il brasse le ciment il bâtit aussi la communauté. Lors de la bénédiction de l’église en 1959, la paroisse déborde de vie et, toutes dettes payées, il reste en banque une somme rondelette. Et maintenant en avant toute !
L’église de Sainte-Bernadette. Elle le marquera comme l’œuvre de sa jeunesse. Il en est le curé épanoui pendant neuf ans. La seule ombre au tableau : il lui faut travailler avec des vicaires. Personnel, volontaire tirant sur l’autoritaire, c’est un timide désirant certes le partage mais s’y trouvant mal à l’aise. Pourtant, combien ses vicaires recevront de lui ! Et plusieurs noueront avec lui une amitié solide. Il a le charisme du curé. Il connaît ses gens. Il lui arrive de dire à la fin des messes dominicales qui ont rassemblé 800 personnes ou plus : « Il y avait deux têtes que je ne connais pas. » Or il n’exagère pas, les autres il les connaît, il les a visités, il a leurs adresses. Ses vicaires ont du mal à découvrir une famille qu’il n’a pas encore repérée, et même s’il accepte le fait, prend vite les renseignements qu’il n’a pas encore, il n’est guère content. Cette ignorance lui est comme un reproche.
De nouveaux quartiers apparaissent, la première ville satellite, toute en HLM, s’élève début 1961. Les messes à Sainte-Bernadette débordent, les præsidia de Légion de Marie prolifèrent et durant plusieurs années on baptisera plus de 250 adultes. Aussi il sera pénible à Pierre de laisser partir une partie du troupeau quand s’ouvrira la nouvelle église du Saint-Sacrement.
La catéchèse est vraiment au cœur de sa vie : « il travaille ses leçons » comme on disait alors, il couvre ses livres de notes, est à l’affût de nouveaux manuels. Il compose même sur certains sujets où il se sent plus à l’aise. Cartes et plans de la Terre Sainte décorent les murs. Il fait faire des panneaux où il résume ce qu’il enseigne, telle cette grande carte détaillant la matière et la forme des sacrements. On le taquine, un confrère commente un jour : « Alors tu enseignes à tes catéchumènes la philosophie de saint Thomas ! » Évidemment ça fait mouche : « Dis donc, un tel, mais il est tordu ! » se défoule-t-il, « ... il m’a dit que j’enseignais au catéchis
References
[3746] ABRIAL Pierre (1922-1990)
Références biographiques
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ZHONG n° 9/6.