Auguste MAHÉ1922 - 1998
- Status : Prêtre
- Identifier : 3844
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Identity
Birth
Death
Other informations
Missions
- Country :
- India
- Mission area :
- 1948 - 1996 (Pondichéry)
Biography
[3884] MAHÉ Auguste est né le 31 octobre 1922 à la Chapelle des Marais dans la Brière, diocèse de Nantes, dans une famille de 11 enfants (six garçons et cinq filles). Il fut baptisé le lendemain, premier novembre car, en ce temps-là, on n'attendait pas. Après avoir terminé ses études secondaires aux petits séminaires du diocèse: Guérande et Les Couëts, il entrait au grand séminaire de Nantes en 1941. C'était la guerre et Auguste dut, comme bien d'autres, faire du STO en 1943 et 1944. Il souffrait "d'un léger souffle au coeur", comme il le dit dans sa demande d'entrée aux Missions Étrangères.
Fut-il pour cela libéré du STO ? En tout cas, il fut exempté de service militaire. Sa lettre de demande d'entrée est datée du 10 septembre 1945 mais il ne rejoignit le séminaire de la rue du Bac que le 30 septembre 1946. Comme bien d'autres aspirants avant et après lui, il avait dû faire un autre genre de STO: un an de surveillance dans le diocèse à la demande de l'évêque. Il ne passa que deux ans au séminaire des Missions Étrangères.
Auguste fut ordonné prêtre le 30 juin 1948. Il est donc mort 20 jours avant d'avoir pu célébrer son jubilé dor sacerdotal. Il part pour Pondicherry le 4 novembre 1948. C'est là qu'il allait passer, dans diverses paroisses, la plus grande partie de sa vie active.
Quelques remarques tirées de ses lettres.
Elles commencent donc quand Auguste a 60 ans. Un âge mur pour prendre la plume. Sa personnalité, son zèle, ses ambitions et déceptions, les difficultés rencontrées, s'y révèlent et toujours avec humour. J'en extrait quelques points. Querelle de castes : problème difficile à saisir pour un étranger: "Que de fois, quand j'ai dû prendre la défense des pauvres à l'occasion de querelles de castes, n'ai-je pas béni ma condition d'étranger. À force de faire l'imbécile qui n'a rien compris et qui surtout ne comprendra jamais rien du tout à leurs histoires, les "casteux" finissaient par baisser les bras en me laissant maître du terrain". Comme chacun, il fut affronté à la corruption de l'administration. Ceci le peine: "Il y aura toujours des bavures, c'est inévitable et cela se voit partout. Le drame est qu'ici elles sont toujours criminelles parce que faites sur le dos des malheureux qui ont atteint la limite de leur résistance".
Il sait admirer les hommes à l'occasion: "Je guidais dans ma montagne un groupe d'amis français qui voulaient visiter les grottes où des Petits Frères de Jésus se retirent parfois pour quelques jours de solitude. Deux gars se sont pratiquement collés à nous dans l'espoir qu'à un moment nous aurions besoin d'eux pour couper les épines, porter un paquet ou escalader un rocher. Ils ne nous ont rien demandé et n'ont pas ouvert la bouche sinon pour répondre.
Ils ne sont repartis discrètement qu'après avoir constaté qu'étant montés tout seuls nous nous passerions d'eux aussi pour la descente. Mis à la place de tous ces braves gens, un Parisien ou un Briéron de la Chapelle des Marais aurait échoué dans un mouroir. Je n'ai pas dit qu'il n'y a ni paresseux ni mendiants parmi eux, mais pourquoi en faire le type de dizaine de millions de petites gens dont le seul vice est de savoir souffrir dans la dignité".
Auguste, il le reconnaît, était bien "inculturé" mais sans se faire d'illusions. D'ailleurs le prix à payer était qu'il se sentait étranger partout, étranger en Inde, étranger en France. «Il arrive maintenant que l'on me dise : vous êtes plus Indien que nous».
C'est la plupart du temps une flagornerie, quelquefois un hommage et toujours une grosse erreur. J'aurai beau faire, je serai toujours un étranger qui peine pour assumer une réalité crucifiante et enrichissante. Mon avantage et ma réussite si vous voulez, sont que depuis longtemps je ne pense jamais plus que je ne suis qu'un étranger et que même en Grande Brière, mon berceau, je ne me sens pas plus à l'aise que sous le 12e parallèle."
En 1990, Auguste commence à sentir le poids des ans après toute une vie passée sous le dur soleil de Pondicherry et les ennuis créés par "sa boule": une quelconque partie du corps se mettait à enfler soudainement. Il appelle cela "l'éosinophilie"! Il voulait terminer les travaux d'une chapelle, mais "j'ai dû caler avant le dernier fignolage pour entrer en clinique le 2 janvier. J'en suis sorti huit jours plus tard mais j'ai continué mon traitement, réfugié à la paroisse d'expression française tenue par mes confrères MEP à Pondicherry".
Est-ce cette fatigue qui lui font exprimer son amitié en des termes dignes d'un Saint Paul? "Non, cette lettre n'est pas la thèse d'un maître à penser. Ce n'est qu'un signe d'amitié, un geste d'affection par lequel je vous fais assez confiance pour vous dire ma vérité et me livrer à vous tel que je suis. N'y cherchez rien d'autre, ni rancoeur, ni déception, ni critique. Avec d'autres, je ne serais pas aussi simple. Je me demande parfois ce qui a bien pu me valoir, parfois depuis...40 ans, votre amitié, votre affection, votre attachement. Très, très souvent il m'arrive de chanter le Seigneur pour le bien qu'Il m'a fait par vous, de Le chanter à cause de vous". Auguste tomberait-il dans la flagornerie à son tour ? Peu probable, mais il savait reconnaître une amitié là où elle existait et l'admirer. Il y aurait bien d'autres points à reprendre, des phrases comme lui seul savait en ciseler. Je me contenterai de citer très largement la lettre écrite par Auguste à l'occasion de ses 42 ans de sacerdoce, en 1991 quand il était vicaire à Eraiyur.
QUARANTE-DEUX ANS PLUS TARD...
"ça commence à la Toussaint 1948... Ce jour-là, je présidais tous les offices dans l'église de mon baptême, 26 ans après celui-ci, jour pour jour. Dans le genre de prière, ce fut une première dans ma vie. La tempête qui agitait ma petite tête me contraîgnit de faire ce que, fatigué, je referais des centaines de fois les jours de fête: je me contentais d'offrir la prière et la joie des autres. Ce fut un laisser-aller bien formel dont je me souviens comme d'hier. Loin d'en avoir jamais eu honte, je le chéris comme la première grâce de mon ministère.
Le 4 novembre, c'était à Paris la cérémonie du départ. L'Inde s'imposait déjà à moi dans la personne du Pondichérien qui y assistait. Le soir même, je surprenais dans sa chambre une de mes "bateaux" (partant de la même année) qui essuyait ses larmes et, je vous avoue bien simplement, je n'étais pas du tout en mesure de le consoler. Quelques jours plus tard, j'appris le décès du vieux prêtre qui m'avait dirigé vers le séminaire. Par piété filiale, je me précipitai pour prendre le train que je ratai. Quel soulagement!...Là-bas, au pays nantais, j'aurais dû revoir les miens et...repartir. Non, il y a des choses qu'on ne fait qu'une fois
C'était encore l'après-guerre. À Marseille, on nous parqua à "mi-cale", au-dessus toutefois des troupes d'Indochine. À Djibouti, la panique s'empara de moi. Pourrais-je suer et cuire pendant 25 ou 50 ans? Pourquoi ai-je alors continué mon voyage vers le soleil de feu? D'abord parce que c'était ce qu'il y avait de moins compliqué à ce moment-là. Le reste de l'explication se trouve dans Jérémie: "Seigneur, tu m'as séduit et je me suis laissé séduire par toi et tu as été le plus fort". Un séducteur qui ne m'avait jamais extorqué un seul oui involontaire, mais qui, de oui en oui, m'envoûtait une fois de plus. Le moment était venu de pousser ma barque en haute mer pour y jeter mes filets, en attendant de passer sur l'autre rive, toujours un peu plus loin.
Arrivée à Pondichéry.
Le "Chantilly" mouillait au large de Pondicherry le matin du 14 février; féerique cette vision de "mon" plus beau coin du monde qui s'éveillait face au soleil. La rencontre de l'Est et de l'Ouest. Le transbahutage de nos malles et de nos personnes du paquebot d'acier dans les barcasses de planches "cousues" à la corde, fut plutôt rude. Finalement, à 9 heures du soir, je me retrouvais seul dans ma chambre, sous une voûte du 18ème siècle, devant un lit de rotin sur lequel était posée une natte de jonc, un oreiller et une mince couverture. J'attendis une bonne heure qu'on m'apporte de la literie. Et alors seulement, je compris que ma vie avait changé du tout au tout.
Première inculturation.
Il me restait toute une vie à apprendre. Bien que né et élevé, je pense, dans la pauvreté, à part quelques nuits dans le foin et les tentes, j'avais toujours dormi sur un matelas entre deux draps. Je croyais tout bêtement qu'en cette fin de saison...froide où la température peut descendre jusqu'à + 22°, on m'en donnerait aussi à l'archevêché. Borné mais pas bouché j'ai fini par comprendre que ce n'était pas un oubli. Au matin, je fis ma petite enquête personnelle qui me révéla que cette nuit-là, tous mes commensaux de l'archevêché avaient été logés à la même enseigne. Quinze jours plus tard, à la fin des frimas de l'hiver, j'avais déjà une couverture de trop. Je n'ai plus jamais rêvé de matelas dans la plaine tamoule.
Étude de la langue.
...Je fus mis entre les mains d'un certain monsieur Kannou (petit oeil) qui vint me donner des cours (de tamoul) tous les matins. Il avait peut-être été un inspecteur d'enseignement remarquable mais il fut, pour moi, un professeur inepte. Nous traduisions ensemble les maximes d'Avaiar, une poétesse peut-être antérieure au 2e siècle. Bref, la chanson de Roland en maternelle! Je lui préférais le garçon que j'avais embauché moi-même qui, lui, me suivait où je voulais: traduction de prières et locutions de la vie quotidienne. Mais lui aussi ignorait complètement comment fonctionnait ma cervelle de Gaulois. C'est alors que le Père Lafrenez, un de mes aînés qui enseignait au collège, prit les affaires en main. "On se fout de toi. Viens donc me trouver et on verra". On s'asseyait les pieds en l'air sur des chaises longues du pays et on papillonnait en dilettantes sur des textes utiles et à ma portée. Il était un excellent "tamoulisant" qui connaissait tous mes problèmes pour les avoir vécus lui-même dix ans plus tôt. Entre temps, je dépiautais la grammaire tamoule en solitaire systématique et acharné. En juin, je quittais Pondicherry, alors territoire français, pour l'Union indienne. Je devais continuer l'étude de la langue locale dans une école secondaire tout en assurant quelques surveillances...On me donna pour mentor le vieux Mister Selvarayan (Fortuné), un brave homme, excellent professeur d'anglais. Au petit séminaire, c'est l'italien qu'on m'avait appris. Je ne m'étais mis à l'anglais que le jour où je fus accepté aux Missions Étrangères.
M.Selvarayan m'aida très intelligemment et me confia même une fois qu'il aurait bien voulu que tous ses élèves fussent comme moi. Je devine facilement que, de tous, j'étais le plus motivé, mais l'anglais n'était qu'une diversion. Son obéissance à lui et mon intérêt à moi, faisaient de Monsieur Selvarayan mon professeur de tamoul, bien que ce ne fut pas sa spécialité. Je fus donc pratiquement laissé à moi-même avec mes lectures expliquées chaque jour. Comme dans ma branche, la compétition était nulle sur le marché du travail, on me permit vite d'entendre les confessions et d'enseigner le catéchisme. Un dur apprentissage pour moi et une source inépuisable de rigolade pour les gamins.
Sur le tas.
En janvier 1950, je partis à Irudayampettu dans le "far-west" du diocèse pour un dernier dégrossissage sur le tas, avec le tamoul encore comme objectif privilégié...Ce fut pour moi une année laborieuse en compagnie de mes livres et plutôt solitaire. Mon curé était assez ca-sanier et pas solide. Il fut donc heureux de se débarrasser sur moi des visites des villages. Toutes les fins de semaine j'allais passer la nuit avec le cuisinier dans des coins différents. Je suis peu à peu sorti de mon cocon, confessant, prêchant, baptisant et célébrant. Cinq paroisses se partagent à présent ces villages où, il y a trente ans, j'allais tout seul ânonner mon tamoul."
Chacun a son stock d'histoires mais celle-ci vaut sans doute d'être rapportée. Fin mai 1950, Mgr Colas, dernier archevêque français de Pondicherry est chez Auguste pour la confirmation. Un gros orage survient et tout le monde de se réfugier dans l'église abandonnée pour la cérémonie à l'extérieur. Mgr Colas est sous la tige qui porte la lampe du Saint-sacrement depuis le plafond. Auguste fait remarquer qu'il est imprudent de rester là. À peine quelques minutes et la foudre tombait sur le sanctuaire et le long de la tige...Et l'archevêque survécut de nombreuses années.
..."À la fin de ce noviciat on jugea sans examen, que j'en savais assez pour prendre en main le district de Nangathur, centre de vieux chrétiens remuants et frondeurs mais bons croyants. J'avais un peu peur. "Je devrais me faire comprendre mais les comprendrai-je?" Ma chance fut que mes ouailles étaient très contentes de se débarrasser de mon prédécesseur. Si négatif que ce fût, ça aidait. Je devins pour les vieilles grands-mères le "samiar (prêtre) à visage d'ange".Où étaient-elles allées chercher ça? Ma jeunesse? Ma peau blanche?
De fait, mes deux prédécesseurs étaient des tamouls très foncés. J'en appris plus en quelques mois à mes pièces que les deux années précédentes, grâce bien sûr aux sacrifices consentis en icelles. Ma bonne forme physique compensait tous mes manques. Pas de routes et donc pas de moto. Souvent, pas d'argent non plus parce que pas assez d'amis à l'arrière. Un jour je dus rendre des images catéchétiques que je ne pouvais pas payer. J'arrêtai aussi mon abonnement au journal qui continua de m'arriver.
Un confrère généreux et prévenant avait été ému ou effrayé de ma misère. Ces années restent malgré tout les plus belles de ma vie. Ce sont celles de mes premières conversions de groupes dans trois villages. Depuis, je n'ai pu que faire de la pêche à la ligne."
Auguste oublie de signaler la remarque d'un sous-préfet lors de l'inauguration d'une école chez son voisin, le Père Pierre Martin, à Anilady. "Le Père Mahé, disait-il, a un aspect de prophète. Tout en lui indique qu'il a quelque chose à annoncer. Je ne puis le voir sans penser à saint Jean-Baptiste". Autant pour ton humilité, Auguste!
Premier congé.
En 1959, je pris mon premier congé en France. Ce fut le plus désiré mais aussi celui qui m'apporta le moins. Ce ne fut pas la faute des autres: mes soeurs, mes frères et mes amis m'accueillirent avec autant d'affection que toujours. C'est moi qui fus trop exigeant. Je me consi-dérais comme un attardé en tous les domaines: connaissances générales, méthodes nouvelles d'Église, etc...Je voulais tout assimiler des nouveautés de France tout en réalisant péniblement que je vivais dans un contexte tout différent. Les autres congés furent le paradis sur terre. Je me laissais vivre, n'enregistrant que ce qui s'imposait absolument et laissant tomber le reste sans vergogne.
RETOUR
À mon retour, on m'envoya fonder le district d'Allikondapettu. Le curé de la paroisse mère m'emmène à une vingtaine de kilomètres de son centre dans un immense champ de cacahuètes. Au bout du terrain, son prédécesseur avait élevé quatre murs informes percés, à la place des portes et des fenêtres, de trous béants sans châssis. Lui, il avait posé sur le tout un toit de plaques de fibrociment. Il avait bâti au bout du long rectangle, un mur ouvert sur le haut pour me faire une chambre. Ce couloir cimenté me servait de chambre, chapelle et centre paroissial. "Tu vois, me dit-il, tu as tout ce qu'il te faut". Un confrère qui nous avait accompagnés racontait ensuite aux autres : "Si tu avais vu la tête de Gus Mahé!"
Je ne suis sorti de ce couloir de 22 x10 pieds qu'un an plus tard, après avoir bâti ma maison et ses dépendances. Puis j'achevais l'église. C'est là qu'un jour, sur le bord de la rivière où je surveillais le chargement d'un camion de sable, une veine de mon oeil gauche a dû s'ouvrir. Depuis lors, pour lire, je dois ciller sans cesse pour chasser dans le coin de l'oeil le moustique ou le nuage qui s'y promène en tout sens. Le gros ennui est que l'autre oeil n'a que deux-dixièmes, de vision depuis 68 ans. Là encore, un oedème ambulant ou plutôt sautillant a commencé de jouer à cache-cache dans mon organisme. Je n'en mourrai pas, je pense mais après 32 ans d'habitude, je suis bien certain de mourir avec. En attendant, quand l'oedème me visite les jours de gros travail, je suis en face d'un dilemme exaspérant: le laisser grossir et continuer de travailler en souffrant où prendre un comprimé et dormir sur le tas. Là encore, j'eus ma première attaque d'éosinophilie qui, depuis, m'a conduit maintes fois à l'hôpital.
En 1970, on me replia sur Vriddhachalam, une ville d'arrondissement. Titine I (ma moto) n'a jamais autant travaillé. Sur elle, je me propulsais dans sept villages de moyenne importance et plus d'une cinquantaine de poussières ici et là. Il devait bien y avoir 75 kilomètres sur 100, d'une pointe du district à l'autre. Du coup, j'achetais une seconde moto, Titine II, qui fit le relais continuel chez le garagiste avec l'autre Titine. La ville, elle, était un noeud ferroviaire où étaient dispersés environ 600 catholiques.
Au bout de deux ans, je réussis à convaincre les autorités de diviser la paroisse. Deux jeunes qui prenaient leur congé en France étaient pressentis pour en prendre une partie. L'un, un véritable bohémien, n'aurait jamais pu rester en ville alors que l'autre, un mordu d'apostolat chez les jeunes s'y trouverait comme un poisson dans l'eau. Premier arrivé, premier servi. Par chance, ce fut le second qui arriva. Je lui laissais donc avec beaucoup de plaisir la ville et les poussières pour aller vivre dans la petite sacristie de Veerareddikuppam, le centre de cinq villages du nord. J'y restais dix ans donnant forme à la nouvelle paroisse et lançant même un petit hôpital de campagne dirigé par des religieuses tamoules.
J'ai fini ma carrière de curé de 1980 à 1986 à Sathyamangalam, 80 km au nord-ouest de Pondicherry. Je m'y suis beaucoup dépensé pour les 600 ou 700 sakkilis (sous-intouchables, travailleurs du cuir et de la voirie) qu'il y avait parmi mes chrétiens...J'avais aussi comme parois-siens, un groupe de Petits Frères de Jésus, originaires de France et de Belgique. J'ai souvent regretté de ne pas être des leurs. C'est une vie qui m'aurait plu si je l'avais connue à temps. Sans ignorer l'ascèse que leur vie peut comporter, j'en enviais la simplicité. Mais ce regret ne devint jamais une tentation. Peut-être à tort, je considérais qu'au point où j'en étais, ma vie était aussi exigeante et utile que la leur et que changer de cap aurait été une désertion.
VICAIRE.
Cela faisait donc 36 ans que j'étais curé tout-puissant. Je me sentais fatigué. Je ne revins de mon congé en 1986 qu'à la condition de ne plus être le patron. Ce fut un échec. Pendant un an, j'habitais tout seul au milieu de champs de canne à sucre tout en me bâtissant une maison près de l'hôpital. On eut peur de moi. Pour ne nuire à personne, je suis parti la nuit comme un voleur. C'est peut-être ce que j'ai fait de mieux dans ma vie. De toute façon, c'est la Providence qui me guidait car, un an plus tard, du fait de ma santé, j'aurais été complètement in-capable de réaliser les plans que j'avais en arrivant.
À Eraiyur depuis trois ans, je suis pour le moment en compagnie du curé Elias, un confrère tamoul charmant et très prévenant. Au cours des années, j'ai acquis une certaine sagesse que je résume en deux formules: je ne suis pas le responsable et, de toute façon, je n'aurais pas la force physique de mener à bout ma pastorale à moi. Je remercie le Seigneur de m'avoir permis jusqu'à l'an dernier, pendant plus de 42 ans, quasiment le même effort physique qu'à 27 ans, même si ce fut de plus en plus difficile.
Pratiquement, j'ai toujours eu une chapelle en chantier. Au total j'arrive à 24, sans compter toutes celles réparées. Un ami qui connaît bien les conditions de vie sous-humaines de beaucoup de mes chrétiens me disait que j'aurais mieux fait de leur bâtir des maisons. Je défie qui que ce soit de me reprocher quoi que ce soit en la matière quand ils auront vu ces chapelles: quatre murs et un toit."
À la montagne.
Au cours de cette longue lettre loin d'être reproduite ici dans sa totalité, on a vu le Père Mahé se plaindre de plus en plus de sa santé et sentir ses forces l'abandonner. Non qu'il ne pouvait plus travailler, mais il éprouvait de plus en plus fortement ses limites physiques et intel-lectuelles. Est-ce cela qui l'a incité a refuser tout poste de curé? Il était certainement fatigué de l'administration paroissiale. Auguste était un pasteur et non un administrateur. Il était heureux avec les gens, pas avec les dossiers. Pourtant, il avait un indubitable talent d'écrivain. S'il a écrit de longues lettres, c'était sans doute pour garder des liens fructueux avec ses amis mais sans doute aussi parce qu'il aimait cela. Il savait trouver la formule juste, le mot correct.
Toujours est-il que son choix de ne plus travailler comme curé ne fut peut-être pas le meilleur. Quand on a été le patron 40 ans, se mettre sous l'autorité d'un autre et qui plus est, d'un Indien, demande une sou-plesse, une faculté d'adaptation quAuguste ne possédait pas. Dans une lettre, il dit attendre un signe du Seigneur pour décider s'il devait rentrer en France, mais qu'il craignait être regardé comme un déserteur par ses confrères. Ce signe il l'aura, mais bien plus tard quand il découvrira son cancer.
Dans l'immédiat, la chaleur de la plaine de Pondicherry lui pesait de plus en plus. «La chaleur reste mon ennemi n°1, une croix toujours portée très péniblement. Je hais ce marinage dans la sueur auquel mon genre de travail me soumet continuellement. Je garde mauvais souvenir de ces occasions où je devais économiser l'eau et, en conséquence, souffrir de la bourbouille. Je pensais qu'avec les années, je m'y serais habitué et c'est le contraire qui s'est produit avec le déclin de mes forces physiques. Ce sera la grosse raison qui me chassera de l'Inde».
On verra que c'est la maladie qui le chassera de l'Inde et non la chaleur. Toutefois et pour la fuir quand même, Auguste demanda à aller s'installer dans les montagnes des Nilgiris dont il appréciait le climat. L'évêque du diocèse de Ooty lui offrit une toute petite paroisse avec une maison de retraite pour personnes âgées et handicapées, dirigée par des religieuses FMM. Auguste, avec sa bonhomie, s'y fera de nombreux amis. Il en prit charge le 20 novembre 1991. Il y restera jusqu'en juin 1994. Là aussi, il était d'abord pasteur, il cherchait et trouvait des brebis égarées un peu partout car, grand marcheur, il visitait les villages environnants. "On m'avait informé qu'il y a 35 familles catholiques dans la paroisse mais j'en ai découvert une soixantaine". Ses prédécesseurs se souciaient moins de partir à la recherche de la brebis perdue. Alors, Auguste veut se remettre à catéchiser. Seulement la machine ne suit plus. Un beau jour, il s'effondre en pleine classe de catéchisme! Alerte générale mais fausse. Il lui faudra mettre la pédale douce. Un docteur lui découvre une angine de poitrine, un autre lui dira qu'il n'en est rien et Auguste re-prendra ses longues marches.
Tous les lundis, il retrouvait Jean Laborde au sanatorium Saint-Théodore. L'un y venait dans sa vieille jeep, l'autre de préférence à pied et après une "célébration" en commun, cha-cun repartait pour sa paroisse respective. À peine trois mois les auront séparés de l'entrée chez le Seigneur.
Auguste, quant à lui, était généralement insatisfait. Il se plaignait de tout et de rien et surtout du travail administratif qu'il lui fallait accomplir, même s'il était réduit au minimum. "J'ai bien l'impression de ne pas être l'homme qu'il faudrait étant donné mon âge et le caractère particulier non pas tellement du travail que l'on attend de moi, mais de celui qu'en toute bonne conscience je devrais faire. Après de longues années de vie pastorale généralement dures physiquement et souvent très éprouvantes psychologiquement, j'aimerais, non pas me retirer pour de bon mais être libéré de tous les tracas de l'administration d'une paroisse, si petite, soit-elle. C'est un avantage que je m'étais déjà assuré à Eraiyur dans la plaine, il y a six ans et que j'ai dû quitter en fuyant la chaleur."
Alors il repense à Pondicherry. "J'aurais pu continuer de vivre bien heureux au frais au Nilgiris mais, je vous l'ai déjà dit, ma famille c'est dans cette plaine de Pondicherry qu'elle se trouve". Alors il fait un essai à Tindivanam, dans la plaine. Ce sera de courte durée et en juin 1994, Auguste se retire définitivement au sanatorium Saint-Théodore. Il y retrouve le climat qu'il apprécie, les longues marches et son ami Jean Laborde. Nous sommes en juin 1994. Il y restera jusqu'en mars 1996. La maladie sera alors le signe qu'Auguste attendait du Seigneur. Il rentrera en France pour subir l'ablation de l'estomac et se retirera à Montbeton. À vrai dire il était déjà décidé à rentrer. La maladie ne fit que précipiter les événements. Il vivra assez longtemps pour écrire encore quelques lettres à ses amis, y compris le récit de son opération. Là encore mieux vaut laisser la parole à un expert en littérature. À vouloir imiter, on se casse le nez.
Maladie et opération.
Auguste commence par raconter en détail les événements qui l'ont conduit à l'hôpital de Bangalore, la découverte de son cancer de l'estomac, la nécessité d'une ablation rapide et sa décision d'avancer son retour en France. Le 26 mars, juste un mois jour pour jour après la date proposée à Bangalore et dans les délais qu'on lui avait conseillés de ne pas dépasser, "j'étais délesté de trois centimètres d'oesophage, de tout mon estomac, du pylore et du duodénum.
Cinq heures sur le billard. Ma chance fut d'y arriver dans les meilleures conditions physiques et psychologiques. À la limite, plusieurs auraient voulu me taxer d'inconscience. " Ce n'est pas vrai, me disaient-ils, on ne va pas t'opérer?" Nenni, nenni, mes bons amis, tout le monde sait que je ne suis pas courageux pour un sou, mais je me flatte d'avoir été très conscient et super-lucide tout au long de mon épreuve. J'estime qu'une grâce "ponctuelle" du Seigneur, la grâce actuelle dont on me parlait au catéchisme, m'a porté le temps qu'il a fallu. Si jamais un jour, mon horizon s'assombrit de nouveau, je voudrais bien retrouver la force et l'intelligence - un don du Saint-Esprit - d'y répondre aussi bien. Pourquoi pas?
Après tout, cela fait des années que j'offre jour après jour, la première dizaine de mon chapelet pour obtenir la grâce d'une bonne mort. À la longue, ça doit bien payer, non? Même dans des situations moins dramatiques...J'avoue quand même que la minute de vérité m'a secoué. J'étais alors tout seul, perdu dans la foule des malades, le résultat de ma biopsie sous les yeux. Oui, un douloureux pincement au coeur et quelques quarts d'heure d'automatisme. Mais très vite la fameuse grâce "ponctuelle" a pris le contrôle de ma vie, véritable rouleau compresseur d'efficacité.
Il fallait d'abord avertir mes supérieurs et mes amis. Pas facile, même si ce sont des durs à cuire. Mais c'est tellement plus raisonnable et moins douloureux de plaisanter que de voir les autres prendre des mines d'enterrement pour pleurer avec vous. Une religieuse de Pondicherry m'a bien requinqué en remarquant: " Avec les Pères des Missions Étrangères, on n'a jamais de problèmes dans des moments pareils". C'est bien vrai. Depuis près de 50 ans, j'ai côtoyé en Inde toute une succession de confrères MEP qui, sans forcément être mes modèles de vie, ont presque tout su mourir en style.
Il y a eu aussi des moments forts, entre autres le début de l'opération. Je savais par la fibroscopie endurée huit jours avant, que l'on s'endort au moment où l'on s'y attend le moins. Alors, quand on m'a dit d'étendre les bras, j'ai fait mon signe de croix en disant: "À la grâce de Dieu!" vous ne sauriez croire le plaisir et la joie que j'ai éprouvés en entendant deux fois répéter derrière moi:"oui...à la grâce de Dieu!...À la grâce de Dieu!" J'ai alors su que j'étais entre les mains de gens qui connaissaient l'essentiel et que j'étais vraiment à la merci de Dieu qui avait déjà écouté ma prière."
C'est de Montbeton quAuguste écrivait cette missive en 1996. Il en écrivit d'autres. La dernière est datée du Mercredi saint, 8 avril 1998. Il se préparait sans illusion à célébrer son jubilé sacerdotal d'or le 30 juin tout en reconnaissant qu'il n'était pas très en forme. Pour lui, il ne s'gissait que d'une formalité à accomplir, rien de plus. Il n'alla pas jusque-slà. Il est décédé le 10 juin 1998. J'avais téléphoné ce jour-là pour demander de ses nouvelles. Il n'était évidemment pas dans une forme olympique mais, me dit-on, il peut durer. Quarante-cinq minutes plus tard, le P.Rossignol me téléphonait disant seulement:"il est mort".
Quelques notes du Père André Carof.
"Auguste étudia le tamoul toute sa vie. Malgré sa mauvaise vue et le manque d'électricité, il lisait beaucoup. Il cherchait le mot correct, en comparait le sens avec des prêtres indiens. Il avait toujours une revue tamoule dans sa poche ou son sac. D'autres parlaient mieux le tamoul que lui, mais il avait un riche vocabulaire et connaissait beaucoup d'expressions typiques. Toutefois, en perfectionniste qu'il était, il cherchait le mot exact et ceci gênait son élocution.
Il disposait de fonds et n'hésitait pas à les employer pour les plus démunis. À Pondicherry, il finança un abri pour les parents et amis de malades hospitalisés à l'immense hôpital Jipmer. Mais généreux sur le gros, il marchandait pour quelques sous. Il en arrivait à même irriter de jeunes Indiens qui ne voulaient plus aller au marché avec lui. Faut le faire.
Auguste était à la fois ascète et épicurien. Sans doute pour contrecarrer ses maladies et souffrances nombreuses. Il se serait tué pour les autres mais, à une réunion, il n'aurait pas bougé le petit doigt pour aider.
Pourtant, jovial avec tous, il pouvait aussi être direct et abrupt. Dans son style très personnel il pouvait dire des choses aux prêtres et même à l'évêque que lui seul pouvait dire sans que personne ne s'en trouve blessé.
Auguste ne nous réjouira plus de sa littérature et de ses plaisanteries. Il ne nous énervera plus de ses exigences. Il a retrouvé Celui à qui il a donné sa vie et tous ceux qui l'y ont précédé. Auguste était conscient de ses limites comme de son caractère très personnel. Il n'était pas un saint, il l'est devenu."