Jean-Baptiste MATHEVON1830 - 1885
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 0654
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Identité
Naissance
Décès
Biographie
[654]. MATHEVON, Jean-Baptiste, originaire de la paroisse Saint-Jean, à Lyon (Rhône), naquit le 10 novembre 1830, fit ses études classiques au petit séminaire de Verrières, ses études philosophiques à Alix, ses études théologiques au grand séminaire de Lyon et au Séminaire des M.-E. où il arriva, étant diacre, le 23 octobre 1852. Il fut ordonné prêtre le 17 décembre 1853, et envoyé au Tonkin occidental le 22 mars de l'année suivante. Il commença ses travaux apostoliques dans la paroisse de Ke-bang, province de Nam-dinh ; en 1857, lors de la grande persécution, il se réfugia dans les forêts de Dong-bau et assista Mgr Retord à ses derniers moments.
Ne trouvant plus d'asile au Tonkin, il se rendit avec Charbonnier à Tourane, dans l'espoir d'y rencontrer les Français ; ceux-ci n'y étant plus, les deux fugitifs reprirent la route du Tonkin. Le 29 août 1861, ils furent arrêtés à Cua-bang, et emprisonnés à Thanh-hoa. Mathevon y subit le supplice des tenailles et celui des bâtonnets ; il fut ensuite enfermé dans une cage et condamné à la décapitation. La signature du traité de paix avec la France, le 5 juin 1862, empêcha l'exécution de la sentence. Le missionnaire fut alors transféré à Hué, libéré, et conduit à Saïgon.
Très épuisé par sa détention qui avait duré dix mois, il ne retourna au Tonkin qu'en 1865. Nommé cette même année provicaire et supérieur du grand séminaire de théologie, il professa la morale, la liturgie et le chant. En juillet 1866, après la mort de Mgr Jeantet, il gouverna la mission jusqu'au retour de Mgr Theurel alors en France. Atteint de la lèpre, ses souffrances l'empêchèrent, en 1873, de continuer le professorat. Il se rendit à Hong-kong, puis vint en France en 1876 ; mais comprenant qu'il ne pouvait guérir, il regagna le Tonkin. " Il voulait avoir la consolation de mourir là où il avait souffert. " En 1878, il se retira dans le village de Lan-mat, province actuelle de Ha-nam.
Quand il sentit que les progrès de la maladie s'accentuaient notablement, il fit sa confession générale : " Tout est prêt, déclara-t-il ensuite, je puis partir. Oh ! il y a si longtemps que je le désire. " A mesure que son état s'aggravait, la joie augmentait dans son âme ; et pensant aux martyrs qu'il avait comptés au nombre de ses amis et de ses fidèles, et qui l'attendaient au ciel, il disait : " Quelle fête nous allons faire là-haut ! "
Il expira le 30 avril 1885, dans la 55e année de son âge et la 31e de son apostolat. Avec lui disparaissait le dernier des missionnaires, confesseurs de la foi pendant les grandes persécutions de 1856-1862.
Nécrologie
M. MATHEVON
PROVICAIRE APOSTOLIQUE DU TONG-KING OCCIDENTAL
Né le 10 novembre 1830.
Parti le 22 mars 1854.
Mort le 30 avril 1885.
M. Mathevon appartenait à ce riche diocèse de Lyon, qui a toujours du sang et de l’or à mettre au service de ses croyances ; il naquit en 1830 et entra au Séminaire des Missions-Étrangères à l’âge de 22 ans. Une année plus tard il partit pour le Tong-King.
Pénétrer au Tong-King était alors extrêmement périlleux : le jour du débarquement pouvait être celui de l’arrestation. Pour le missionnaire, être arrêté, jeté en prison, chargé de chaînes, mis à mort, c’était un bonheur ardemment désiré ; mais, pour les chrétiens, l’arrestation d’un missionnaire était le signal d’un redoublement de pillages, d’exils, de confiscations, d’emprisonnements ; pour la mission c’était la ruine. Il fallait donc veiller avec l’attention la plus scrupuleuse, afin d’échapper à la haine toujours en éveil des satellites de Tu-Duc.
M. Mathevon trouva heureusement les chrétiens envoyés pour l’attendre, et, revêtu de la tunique annamite, coiffé d’un grand turban que recouvre un large chapeau, les pieds nus, le bambou à la main, il s’achemine en silence et par des sentiers détournés vers la résidence de son Vicaire Apostolique, Mgr Retord « cet ardent Lyonnais, selon l’expression de Mgr Havard, dont le sang bouillonne et dont les reins frémissent à la vue des idoles ; apôtre que rien ne décourage, que rien n’effraye, que rien n’étonne, que l’ennui même n’effleure pas dans les fosses souterraines où il s’ensevelit vivant. » C’était une joie et un honneur de travailler sous un tel maître.
M. Mathevon, dit Mgr Puginier, alla d’abord exercer le ministère apostolique dans la paroisse de Ké-Bang, qui comprenait alors six mille chrétiens et relevait du district de Nam-Dinh, précédem¬ment dirigé par deux missionnaires lyonnais, M. Charrier, confesseur de la Foi, et le Vénérable Bonnard, martyrisé le 1er mai 1852. Je puis dire en passant, qu’au Tong-King Occidental, les Lyon¬nais ont vraiment de la chance. Outre les deux dont je viens de parler et M. Mathevon, qui lui aussi a confessé la foi, quatre autres missionnaires du même diocèse : M. Gaspard Béchet, M. Étienne Rival, M. Eugène Manissol, M. André Tamet, ont eu la tête tran¬chée dans ces derniers temps où les ministres du Seigneur et les chrétiens ont été poursuivis par le double motif de religion et d’amour de la France. »
Tu-Duc, qui au début de son règne avait semblé vouloir se mon¬trer plus tolérant à l’égard des chrétiens, n’avait pas tardé à marcher sur les traces de Minh-Mang et de Thieu-Tri. Des ordres impi¬toyables avaient été adressés à tous les gouverneurs de provinces, la tête des missionnaires était mise à prix, la peine de mort prononcée contre tout chrétien qui refuserait d’apostasier, des croix placées dans tous les carrefours pour être foulées aux pieds par les passants, des milliers de fidèles emprisonnés, torturés, exilés ou mis à mort. Malgré cette terrible persécution l’Église du Tong-King Occidental progressait sous l’influence de la prodigieuse activité, du zèle indus¬trieux, de la prudence consommée et parfois de l’heureuse audace de son Évêque.
Des missions, des fêtes religieuses avec toutes leurs splendeurs étaient organisées dans les paroisses ; elles duraient un, deux ou trois jours, quelquefois une nuit, puis, chrétiens, missionnaires, chapelles, tout disparaissait comme par enchantement ; mais les faibles étaient fortifiés, les bons rendus meilleurs, et les égarés ramenés au bercail. Moins cruels que leur maître, les mandarins fermaient les yeux ou se faisaient acheter ; d’autres fois cependant une compagnie de soldats était signalée, alors il fallait fuir en toute hâte. C’est dans ces travaux, ces souffrances, ces joies et ces périls que M. Mathevon passa les premières artnécs de sa vie de missionnaire.
En 1857, la situation devint plus mauvaise encore ; l’insuccès de l’ambassade française fut le point de départ d’une persécution à outrance : il fallut céder à l’orage. M. Mathevon rejoignit Mgr Retord et M. Charbonnier réfugiés au village de But-Son ; ils n’y restèrent que peu de jours : cinq cents hommes étaient à leur poursuite ; ils s’enfoncèrent plus avant dans les montagnes ; du 17 juin au 19 juillet ils couchèrent dans les cavernes ou à la belle étoile. M. Mathevon fut pris de la fièvre ; heureusement les sauvages chrétiens arrivèrent bientôt, ils conduisirent les fugitifs au milieu des forêts de Dông Bân.
M. Charbonnier, malade, dut, sur l’ordre de son Vicaire Aposto¬lique, s’éloigner de ces lieux malsains ; M. Mathevon, un prêtre indigène et quelques catéchistes, restèrent seuls avec Mgr Retord. Ils s’installèrent dans des cabanes en feuilles « dressées sur un petit monticule, au milieu d’un épais massif d’arbres, de broussailles et de grandes herbes, tout entouré de marais infects. »
De temps à autre, au péril de leur vie, les chrétiens leur apportaient quelque nourriture. C’est là que le 22 octobre 1858, les fugitifs eurent la douleur de voir mourir Mgr Retord, miné par la fièvre, par les pri¬vations et par les souffrances de tout genre. — « Oh ! comme je « pleurais, s’écrie le P. Mathevon, dans la relation qu’il a faite de cet événement : quelles « tristes journées j’ai passées là ! Notre mission perdait Mgr Retord dans un moment où elle « avait plus que jamais besoin de lui ! » Après avoir rendu à son évêque les derniers devoirs de la sépulture, M. Mathevon quitta, le cœur bien gros, cet endroit où il laissait un tombeau, et alla rejoindre M. Charbonnier. La recrudes¬cence de persécution ne permit pas aux deux missionnaires de rester longtemps dans le même lieu. Après avoir plusieurs fois changé de refuge, ils résolurent, sur le conseil de Mgr Theurel, d’aller par mer, chercher un abri sur les bateaux français, stationnés à Tou¬rane. Ils y arrivèrent le 31 mars 1860, vers neuf heures du soir. Un profond silence régnait dans toute la rade : de vaisseaux, nulle part ; mais, sur le rivage, un appontement construit par les Français, une barrique vide et une petite cabane où l’on avait allumé du feu. M. Mathevon s’avance vers la cabane et se met à crier en bon français « Y a-t-il quelqu’un par ici ? » Puis il regarde à travers les fentes du treillis ; un homme était couché sous une natte, au-dessus de sa tête étaient suspendus un sabre et un chapeau de soldat anna¬mite. « Prenez garde, fit M. Charbonnier, nous sommes en pays ennemi ! » Pour s’en assurer, le catéchiste entra et éveillant le soldat il lui dit avec un accent de vérité tout à fait annamite : « Je suis un marchand de sel ; je viens ici pour mon commerce, mais je ne trouve plus personne ; où sont donc allés les Français ? — Les Fran-çais, répondit le soldat, ils sont tous partis depuis le deuxième jour de la lune ! » — On était au huitième ; ce fut un vrai sauve-qui-peut. Le corps expéditionnaire venait en effet dese porter sur Saïgon.
Cette même nuit, les fugitifs repartirent pour le Tong-King. Le vent était contraire, les rameurs fatigués et découragés. « Sais-tu pour combien de temps nous avons encore du riz ? demanda le missionnaire au catéchiste. » — « Père, répondit celui-ci, en épar¬gnant bien, nous en aurons peut-être pour trois ou quatre jours.» Ils avaient mis neuf jours pour venir, l’équipage et les passagers durent être rationnés ; au bout de douze jours, ils arrivèrent à Cua¬Bang, chef-lieu de la paroisse la plus méridionale de la mission. Ils se réfugièrent dans une caverne, mais ils ne tardèrent pas à être aperçus par les païens du voisinage, et le 29 août, jour de la Décolla¬tion de saint Jean-Baptiste, le patron de M. Mathevon, ils furent arrêtés. « C’est de bon augure, » se dirent les deux missionnaires. Cependant ils allaient être relâchés moyennant six barres d’argent, lorsqu’une nouvelle troupe arriva. Ils furent conduits, la cangue au cou, au chef-lieu de la province de Thanh-Hoa ; partout sur leur route des attroupements considérables de païens se pressaient pour voir les Européens, « blancs comme des coquilles d’oeuf. »
Nous empruntons à Mgr Puginier, l’émouvant récit de la captivité et des souffrances de notre cher confrère :
« Les prisonniers rencontrèrent dans leurs cachots plusieurs prêtres indigènes, des catéchistes et de nombreux chrétiens détenus pour la Foi. Dans cette paroisse, par suite de la méchanceté du mandarin des sentences, les chrétiens avaient à souffrir d’une manière toute particulière. Ils étaient entassés par centaines dans des greniers à riz et on ne leur distribuait pas de quoi manger ; le peu qu’on leur apportait du dehors, on prolongeant leur vie, ne fai-sait qu’augmenter leurs souffrances. Lorsqu’un prisonnier venait à mourir, on laissait là son cadavre, pendant cinq à six jours. Lorsque la paix fut signée et que l’on mit les chrétiens en liberté, on s’aperçut qu’ils avaient rongé les colonnes en bois de fer, et il fallut refaire à neuf les greniers à riz qui leur avaient servi de prison.
« Nos deux missionaires eurent à subir les interrogatoires d’usage, et, comme de coutume, on leur proposa d’apostasier. Ces interro¬gatoires se faisaient avec un grand apparat d’instruments de sup¬plice, sabres, lances, chaînes, rotins garnis de pointes de fer, bâtonnets pour écraser les doigts, tenailles froides et tenailles rougies. Le patient était à la merci du mandarin qui interrogeait et choisissait, selon son caprice, les instruments de torture. On appli¬qua à M. Mathevon le supplice des tenailles, qui consiste à enlever, au gras des cuisses, le morceau de chair qu’a saisi l’instrument. On tourne lentement les tenailles et, de temps à autre, sans lâcher prise, on fait une question au patient. Lorsque après ce long supplice le morceau a été enlevé, on recommence selon la volonté des manda¬rins. J’ai rencontré un catéchiste auquel dans une séance on avait enlevé de la sorte sept gros morceaux de chair, dont quatre aux tenailles rougies et trois aux tenailles froides. Ces dernières sont beaucoup plus pénibles, parce que n’ayant point l’action du feu pour ronger les chairs, les muscles se trouvent retirés lentement et ce n’est qu’à force de tourner et de déchirer que le morceau est enlevé. Pendant ce temps, les mandarins boivent le thé et font sur la religion des plaisanteries impies ou obscènes.
« On fit aussi subir à notre confesseur de la Foi un autre genre de supplice : on lui inséra entre les doigts plusieurs petits bâtonnets, on pressa lentement, mais régulièrement, les deux mains de façon à écraser les chairs et à broyer les os. Le patient qui avait une com¬plexion nerveuse et délicate se sentit, par la force de la douleur, pris subitement d’une sueur froide et tomba évanoui. On le rapporta dans sa cage, car lui et le provicaire, M. Charbonnier, n’étaient pas incarcérés comme les autres prisonniers ; on leur avait préparé une cage faite avec des barreaux de bois et de bambous : la porte était fermée par une clef que le capitaine préposé à la garde des prisonniers gardait soigneusement. Cette cage à claire-voie avait un mètre de hauteur, un mètre vingt de largeur et autant de longueur, de sorte que nos deux missionnaires ne pouvaient se tenir ni debout, ni entièrement couchés ; ils devaient être continuellement accroupis, ou étendus de façon à replier leurs genoux sur eux-mêmes. Ces cages leur ont servi d’habitation pendant plus de dix mois, sans qu’ils aient jamais obtenu la permission de sortir, sinon pour aller à l’interrogatoire. Elles étaient placées devant le prétoire du gouver¬neur de la province, face à face, et à une distance d’environ quarante mètres l’une de l’autre. Les deux confrères se voyaient et pouvaient se confesser mutuellement à très haute voix, sans crainte d’être compris des passants. Lorsqu’on leur demandait ce qu’ils disaient, ils répondaient : « Nous parlons français. »
« M. Mathevon eut particulièrement à souffrir de cette vie de cage, à cause d’une forte dyssenterie occasionnée par les mauvais traite¬ments, la mauvaise nourriture et autres souffrances. »
« Cependant nos deux missionnaires étaient impatients de voir arriver le beau jour, le jour si attendu, le jour du martyre. Tous les interrogatoires ordinaires avaient été faits, la sentence était terminée, elle avait été expédiée à Hué, capitale du royaume, pour être ratifiée. Ce n’était plus qu’une question de jours : nos confesseurs étaient condamnés à avoir la tête tranchée ; ils le savaient, ils étaient sûrs d’être martyrs. Cette pensée les soutenait, les fortifiait et leur don-nait un avant-goût des joies célestes : ils comptaient les jours et les recomptaient ; de temps à autre, ils voyaient passer des prêtres indi¬gènes arrêtés avant eux et tirés de la prison pour être conduits au martyre. Cette vue les enflammait et excitait l’ardeur de leurs désirs. Quand arrivait un courrier de la capitale, nos deux missionnaires s’informaient auprès de leurs gardiens s’il n’apportait pas la rati¬fication de leur sentence de mort. N’est-il pas permis à celui qui a confessé son Dieu, dont la sentence est portée, ne lui est-il pas per¬mis, dis-je, de désirer l’arrivée de ce jour où un coup de sabre brisera le dernier lien qui le retient à cette vie mortelle, et lui permettra de s’envoler vers ce Seigneur qu’il a servi et qu’il a aimé ?
« Un soir, nos confesseurs aperçoivent un mouvement extraordi¬naire ; ils entendent des conversations plus animées que de coutume et le mot « européens » frappe leurs oreilles ; ils sont au comble du bonheur : « C’est fini, se disent-ils mutuellement la ratification de notre sentence est arrivée ; demain nous serons exécutés. » Ils se pré¬parent à la mort par une nouvelle confession ; ils passent une bonne partie de la nuit en oraison, pour renouveler à Dieu le sacrifice de leur vie, lui demander le courage, la force pour le dernier combat ; ils prient pour la mission, pour la France, pour les parents et les amis.
« Le matin, ils étaient éveillés de très bonne heure ; ils aperçoivent déjà des soldats et certains préparatifs. « L’heure suprême est arri¬vée, » se disent-ils mutuellement, et pleins de courage ils font eux-mêmes leurs derniers préparatifs pour paraître devant Dieu. Les mandarins arrivent auprès d’eux avec leurs soldats ; ils font ouvrir les cages et ordonnent aux missionnaires de les suivre. Les deux confesseurs s’embrassent, leur cœur palpite ; ils se recueillent et prient.
« Mais, hélas ! ils ne sont pas conduits à la mort. Après les vives sollicitudes et les angoisses qui ont précédé l’arrestation, après les épreuves de la détention et les tourments de la confession de Foi, après la sentence de condamnation à mort, nos confesseurs ne devaient pas voir arriver le beau jour du martyre. Les mandarins leur annoncent que la paix est signée entre la France et l’Annam, qu’ils vont être embarqués sur un bateau du roi et conduits à la capitale d’où ils seront rendus aux Français à Saïgon. O pénible déception ! Nos deux confrères se regardent et restent muets d’éton¬nement et de tristesse. Mais ce sont deux vrais apôtres pour lesquels la volonté de Dieu est tout ; et après un moment de pénible illusion, de regrets bien naturels, ils disent avec un accent de tristesse, mais du fond du coeur : « Fiat voluntas tua ! »
En annonçant sa délivrance à ses amis de France, M. Mathevon écrivait ces paroles, où sous la gaieté de la forme on sent percer un amer regret : « J’ai cru pendant quelque temps qu’il ne me serait plus donné de vous entretenir ici-bas, mais le bon Dieu me laissant encore vivre, je continuerai, pour ma consolation, de correspondre avec vous. Pour le moment, je n’ai pas lieu d’être satisfait. J’étais venu dans ce lointain pays pour y chercher fortune, la fortune du martyre, et voilà que je viens de manquer la plus belle occasion ; j’aspirais à un avenir brillant et à des richesses immenses ; je croyais les tenir, et voilà qu’ils m’échappent, et il faut me remettre à l’œuvre sans avoir peut-être les mêmes chances de succès. »
MM. Charbonnier et Mathevon furent ensuite conduits à Hué ; arrivés en pleine mer, le mandarin, à la garde duquel ils étaient confiés, eut l’humanité de les faire sortir de leur cage. Mais en approchant de la capitale, il fallut y rentrer : ils restèrent un mois àHué ; on leur ôta la cangue et la chaîne ; le roi leur fit présent de quatre habits blancs, d’un cinquième de couleur noire et de deux autres en drap bleu et en velours rouge, l’uniforme de colonel. Lorsque arrivèrent MM. Croc, Roy et Desvaux qui venaient demander à rentrer dans leur mission en vertu du traité, le roi profita de leur barque pour envoyer à Saïgon les deux captifs ; il les fit accompagner de deux mandarins dont la plus grande crainte était que les deux missionnaires ne prissent la fuite. « Prenez-y garde, leur disaient-ils, il y va de notre tête... » Bientôt, M. Charbonnier fut nommé Vicaire Apostolique de la Cochinchine Orientale, et M. Mathevon, dont la santé avait été fortement ébranlée, fut condamné au repos.
A la fin de 1865, il revint au Tong-King : Mgr Jeantet le choisit aussitôt pour Provicaire et lui confia la direction du Grand Séminaire de théologie. Une vie calme, mais laborieuse, succéda aux agitations d’autrefois. Outre sa charge de supérieur du Séminaire, M. Mathe¬von était professeur de morale, de liturgie, de chant ; il devait aussi veiller au bon ordre de la paroisse de Kè-So, administrée par des prêtres indigènes. A la mort de Mgr Jeantet, le 24 juillet 1866, M. Mathevon eut la direction de la mission jusqu’au retour de France de Mgr Theurel.
« Il professa la théologie jusqu’à la fin de 1873. Des infirmités et des souffrances que lui avait occasionnées sa longue réclusion, le forcèrent alors d’aller chercher, à Hong-Kong et à Saïgon, des soins qu’il n’avait pu trouver au Tong-King. Rentré dans la mission ,il dut en sortir de nouveau en 1876, pour aller en France essayer de se guérir. Mais son mal ayant été déclaré incurable, il revint au Tong¬King : il voulait avoir la consolation de mourir là où il avait travaillé et souffert. »
Depuis 1878, M. Mathevon, dans l’impossibilité de remplir les fonctions du saint ministère, s’était retiré au petit village de Lan-Mat (lys frais), à quelques centaines de mètres de la communauté. En 1882, la paralysie des pieds et des mains ne lui permit plus de célébrer la messe et sa vue s’affaiblit au point de l’empêcher de dire son bré¬viaire ; la récitation du chapelet fut alors sa grande consolation avec la pensée de la mort ; mais plus son état s’aggravait, plus il devenait doux envers la souffrance : lui, autrefois si impressionnable, restait complètement maître de soi ; la joie de mourir inondait son cœur ; souvent il rappelait le nom de ceux qu’il avait vus partir : Mgr Re¬tord, le grand évêque, MM. Vénard, Néron, les vaillants martyrs, Mgr Charbonnier, le compagnon de ses luttes au prétoire, et tant d’autres qui l’attendaient au ciel. « Quelle fête nous allons faire là-haut ! » disait-il.
Quand il vit les progrès de la maladie s’accentuer, il pria un de ses confrères d’entendre sa confession générale... « Tout est prêt, s’écria-t-il ensuite, je puis partir, oh ! il y a si longtemps que je le désire ! » Le 30 avril, à une heure du matin, en l’octave du Patronage de saint Joseph, Dieu exauça ses désirs et le dernier des confesseurs de la Foi de la grande persécution de 1858 s’endormit pieusement dans la paix du Seigneur, en la 55e année de son âge et la 31e de son apostolat.
Références
[0654] MATHEVON Jean-Baptiste (1830-1885)
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1878, p. 67 ; 1892, pp. 162, 324. - A. P. F., xxxv, 1863, pp. 143, 154, 315 ; Ib., Souvenirs de sa captivité, p. 318. ; xxxvi, 1864, pp. 264, 276, 312. - M. C., xvii, 1885, p. 370. - Sem. rel. Lyon, 1885, 2e sem., Notice, p. 565.
Hist. gén. Soc. M.-E., Tab. alph. - La Coch. rel., ii, pp. 294, 436 et suiv. - Nos miss., Notice, p. 159. - The pers. of Annam, pp. 299 et suiv., 406.
Notice nécrologique. - C.-R., 1885, p. 188.