Camille DOUCET1853 - 1917
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 1317
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Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Corée
- Région missionnaire :
- 1877 - 1917 (Seoul)
Biographie
[1317] DOUCET Camille, Eugène, est né à Chevron, commune de Mercury-Gemilly, au diocèse de Tarentaise le 16 novembre 1853, fils de Claude Doucet et de Christine Miège.
De 1866 à 1873, il fait ses études secondaires au Petit Séminaire de Moutiers, puis entre au Séminaire des Missions Étrangères de Paris le 10 septembre 1873, y est ordonné prêtre le 23 décembre 1876 et est destiné à la Corée. Parti de Paris le 25 janvier 1877, avec le Père Achille Robert, il commence par se rendre à Ing-Kow en Mandchourie en mars 1877, puis à Tcha-Keou (N.D des Neiges) où réside son vicaire apostolique, Mgr. Ridel, qui cherche une occasion pour rentrer en Corée, où les Pères Blanc et Deguette ont pu pénétrer en mai 1876. Les Pères Doucet et Robert commencent l'étude de la langue coréenne à Tcha-kéou, puis en septembre 1877 s'embarquent avec Mgr. Ridel sur une jonque chinoise qui doit les conduire à l'île de Tai-chong, non loin de la côte de la province coréenne du Hoang-hai. Arrivés aux abords de l'île de Tae-chong, ils doivent attendre avec beaucoup d'appréhension que la barque coréenne sur laquelle ils doivent passer finisse par arriver au rendez-vous. Finalement, les émissaires coréens arrivent et se font reconnaître. Le transbordement se fait dans la nuit du 18 au 19 septembre. Le 23 septembre, la barque se trouve dans le delta du fleuve Han et les Pères Doucet et Robert mettent pied à terre sur la rive droite du fleuve, non loin de la localité qui s'appelle Paik-chon, dans l'arrondissement de Yon-baik de la province du Hoang-hai, tandis que Mgr. Ridel reste sur la barque pour poursuivre son voyage sur le fleuve jusqu'à Séoul même.
Les Pères Doucet et Robert passent leur première nuit sur le sol coréen dans le hameau de Pa-neung-ri, composé de 5 maisons chrétiennes et situé à 2 km du rivage. Dans l'une des 5 paillotes du village, ils habitent une pièce basse, étroite et obscure où ils passent soit 2 mois, dans le cas du Père Robert parti dans le nord-est du pays en décembre 1877, soit près de 4 mois, dans le cas du Père Doucet qui quitte cette région de Paik-chon en fin janvier 1878 pour aller donner les sacrements aux chrétiens du nord-ouest de la province du Hoang-hai. Il se trouve dans les montagnes Kou-wol, qui séparent les bourgades de Eun-youl et de An-ak, quand il apprend que Mgr. Ridel a été capturé à Séoul le 28 janvier 1878 et emprisonné. Le Père Doucet est lui-même dans une situation précaire et échappe de peu à la capture. En juin 1878, il fait un voyage de 50 lieues pour aller rencontrer le Père Robert et passer cinq jours avec lui. Puis ils font ensemble la visite des chrétiens de la région de Kok-san, dans le nord-est de la province du Hoang-hai, et des alentours de Pyong-gang dans les montagnes du nord de la province de Kang-won.
Le Père Doucet fait seul la visite des chrétiens des provinces septentrionales de la Corée durant l'été de 1878, puis redescend vers le sud pour aller à Sak-nyung, près du point de jonction des trois provinces du Hoang-hai, du Kyong-ki et du Kang-won, rencontrer le Père Robert qui, chargé des séminaristes, y réside temporairement. De là, le Père Doucet se rend dans la province du Choung-chong, dans le centre-ouest du pays, où il se trouve en décembre 1878, passe dans le sud-est de la Corée où il est atteint de la variole à Taegu et est contraint de s'arrêter à Kyong-ju où il est pendant deux semaines entre la vie et la mort. Après avoir pris un petit mois de repos, il poursuit sa tournée de visites des villages chrétiens et se trouve à Pâques 1879 dans la province du Chon-la, dans le sud-ouest du pays, où le Père Blanc, provicaire, a fait préparer pour lui une maison où il puisse se reposer un peu.
C'est là que le Père Doucet apprend l'arrestation du Père Deguette en mars 1879, tandis que lui-même échappe de peu à la capture, doit se cacher et redevient sérieusement malade. Comme les Pères Mutel et Liouville sont arrivés en renfort en novembre 1880 et prennent rapidement leur part dans le travail missionnaire, le Père Doucet peut concentrer son activité sur la province du Choung-chong, parcourant son vaste district durant la majeure partie de l'année sans avoir de résidence fixe, s'arrêtant durant les mois très chauds et très humides de l'été dans quelque chrétienté retirée et tranquille. C'est ainsi qu'il passe l'été de 1881 à Sokkilli dans la région de Sosan, celui de 1882 à Nopeunmi près de Hap-tok, ceux de 1883 à 1887 à Mok-pang près de Kosan dans la province du Chon-la-Nord, celui de 1889 à Sodeulkol près de Mok-chon, mais on le trouve aussi à Kan-yang-pol, près de Yé-san. Se dévouant ainsi aux chrétientés de la province du Choung-chong, qui ont été particulièrement éprouvées par les persécutions de 1839 et de 1866, le Père Doucet peut, bon an mal an, donner de 150 à 200 baptêmes d'adultes.
Rappelé à Séoul en 1890 où il est, en 1890-1892, chargé de la partie intra-muros" de la ville, il voit mourir Mgr. Blanc, vicaire apostolique, le 21 février 1890, puis il représente la mission de Corée au Synode de Nagasaki en mai 1890. Il est alors pour le Père Coste, qui, tout provicaire et supérieur de la mission qu'il soit, n'a qu'une connaissance limitée de la Corée, une sorte de bras droit et un conseiller expérimenté, et il le reste jusqu'au retour en Corée, en février 1891, de Mgr. Mutel qui est devenu le successeur de Mgr. Blanc.
Chargé en mai 1892 de l'établissement d'une nouvelle paroisse à Séoul, mais "extra-muros", le Père Doucet fait construire la première église digne de ce nom dans le quartier de Yak-hyon et l'inaugure en mai 1893. Il y construit aussi, puis agrandit une école de garçons et une école de filles qu'il confie à des religieuses. Il a en outre la charge de nombreuses dessertes dans la partie nord de la province du Kyong-ki, la province qui entoure Séoul. À la suite du décès du Père Coste, il assure également la charge de provicaire de Mgr. Mutel. En 1901, il voit la superficie de son district se réduire considérablement par la création de la paroisse de Kai-song, à 70 km au nord-ouest de Séoul. Il en va de même en 1910, lorsqu'est fondée la paroisse de Haing-ju, à une vingtaine de kilomètres, au nord-ouest également.
La diminution du nombre de ses dessertes permet au Père Doucet de mieux s'occuper de son poste de Yak-hyon ou Séoul-extra-muros. D'autre part, il devient de plus en plus un personnage écouté dont l'avis est largement recherché tant dans l'Église que dans la Société. Et le 17 novembre 1913, il devient le premier missionnaire de Corée à pouvoir fêter ses soixante ans. Les Coréens ont l'habitude de célébrer par une grande fête l'heureux "patriarche" qui réussit à passer le cap de la soixantaine. C'est ce que ne manquèrent pas de faire les paroissiens du Père Doucet pour leur pasteur.
Mais, tout en poursuivant son travail avec acharnement, courage et austérité, le Père Doucet perd peu à peu ses forces et, à la suite d'une tournée dans ses dessertes durant le carême de 1917, il rentre chez lui très fatigué. Il tient cependant à faire toutes les célébrations de la semaine sainte, mais doit s'aliter immédiatement après Pâques, atteint de pneumonie. Le samedi après Pâques, il est transporté à l'évêché de Séoul et y reçoit les derniers sacrements le jeudi 19 avril 1917. Il décède le soir même, sans secousse, sans agonie, vers 21 heures. Les funérailles du Père Doucet sont célébrées le samedi 21 avril et ses restes sont inhumés au cimetière de la mission de Séoul, dans le quartier de Yong-san.
Nécrologie
M. DOUCET
MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE DE SÉOUL
M. DOUCET, Camille-Eugène, né à Chevron, commune de Mercury-Gemilly (Tarentaise (Moutiers), Savoie), le 16 novembre 1853. Entré laïque au séminaire des Missions-Etrangères le 10 septembre 1873. Prêtre le 23 décembre 1876. Parti pour la Corée le 25 janvier 1877. Provicaire. A Séoul en 1911, lors de la création de ce vicariat apostolique. Mort à Séoul le 19 avril 1917.
La mission de Séoul vient de perdre en la personne de M. Camille Doucet, son provicaire et son doyen d’âge, un de ses meilleurs et de ses plus zélés missionnaires. Ouvrier de la première heure au sortir de la grande persécution de 1866-1876, il faudrait pour retracer digne¬ment sa carrière, refaire l’histoire de l’Eglise de Corée depuis quarante ans, mais outre que la modestie de notre si regretté confrère nous arrêterait court, le cadre forcément restreint de cette notice nous permettra seulement de revivre un instant avec lui, les années héroïques et combien attachantes de la restauration religieuse dans notre mission.
M. Camille-Eugène Doucet, fils de Claude et de Christine Miège, naquit à Chevron, diocèse de Moutiers, le 16 novembre 1853, d’une hono¬rable famille d’agriculteurs qui avait fourni plusieurs maires ou syndics à la commune de Mercury-Gemilly. De la famille de sa mère était issue toute une lignée sacerdotale dont les principaux représentants étaient alors « le bon abbé » Urbain Miège, chanoine honoraire de Tarentaise, dom Victor Miège, religieux de la Chartreuse de Bosserville, et Mgr Jean-Baptiste Miège, premier vicaire apostolique du Kansas.
D’après des notes biographiques publiées par M. le chanoine J. Garin, à qui nous devons ces intéressants détails, « notre confrère perdit sa bonne mère dès sa première enfance, mais il reçut les soins affectueux d’une belle mère également dévouée et pieuse. Il commença son cours de latin auprès du professeur émérite, le P. Urbain Miège, son proche parent, entra en 1866 au petit séminaire de Moutiers et y termina ses études classiques en 1873. Il se faisait surtout remarquer par sa candeur, sa jovialité, sa bonne tenue et une physionomie affectueuse qui semblait, croyait-on, l’incliner du côté du monde ; mais la voix de Dieu se fit bientôt entendre à son cœur. A la suite d’une retraite faite perdant son cours de philosophie, contre l’attente de ses parents et de plusieurs de ses condisciples, il résolut de se dévouer à la noble et dure carrière des Missions-Etrangères. Entré laïque au séminaire de la rue du Bac, les lettres qu’il écrit à sa famille, au cours de ses trois ans d’études théologiques, expriment les sentiments de tendre piété, de dévouement généreux et de parfaite soumission à la volonté de Dieu qui sont les marques d’une véritable vocation apostolique.
« Suivant l’usage ordinaire, il fut permis au jeune missionnaire de venir, avant son départ, dire un dernier adieu au pays natal. C’est pendant ce court stage dans sa paroisse qu’il eut l’occasion de donner aussi un exemple saisissant de sa modestie et de son humble esprit d’obéissance. Le zélé curé de Chevron, M. l’abbé Marjolet, voulait absolument qu’il adressât une petite allocution à ses paroissiens à la messe du dimanche, malgré la défense faite par les supérieurs et alléguée par le partant. Pour satisfaire tout le monde sans blesser aucune règle, M. Doucet monta en chaire, et, les yeux baissés, il se contenta de prononcer les paroles suivantes : « Je suis venu en chaire pour obéir à notre vénérable pasteur ; je n’ai rien à vous dire sinon de prier beaucoup pour moi…. » Et là-dessus il retourna modestement à sa stalle. C’était une solution élégante de la difficulté et qui promettait pour l’avenir. »
Peu après son retour à Paris, il s’embarqua pour la Corée en compagnie de M. A. Robert, le 25 janvier 1877. Ce pays était privé de missionnaires depuis 1866. Au printemps de cette année fatale, neuf d’en¬tre eux, dont deux évêques, y avaient subi le martyre. Depuis lors plu-sieurs tentatives pour y rentrer avaient été faites par Mgr Ridel et par ses missionnaires, elles n’avaient pas abouti. La difficulté de pénétrer dans sa mission autrement que par surprise menaçant de durer longtemps encore, le vicaire apostolique de Corée avait fini par se fixer en Mandchourie, où Mgr Verrolles mit à sa disposition la chrétienté de Notre-Dame des Neiges, à Tchakeou. C’est sur ce point que, du port d’Ingtse où ils étaient arrivés en mars 1877, se dirigèrent M. Doucet et son compagnon pour aller y commencer sous la direction de Mgr Ridel et de Mgr Richard leur apprentissage de la vie apostoliqne. L’été passa vite, et la joie fut au comble dans la petite communauté de Tchakeou quand y parvint la bonne nouvelle qu’une expédition en Corée se préparait pour l’automne. Les préparatifs ne furent pas longs, et le 11 septembre, Mgr Ridel, avec ses deux jeunes recrues se rendait au petit port de Tatsouangho où les attendait une jonque chinoise dont le rendez-vous était fixé à l’île coréenne de Taitchyemgta.
Mais laissons M. Doucet nous raconter lui-même les péripéties de ce curieux voyage, dans une lettre du 20 novembre de cette année.
« Nous restâmes, écrit-il, trois jours au port à attendre un bon vent ; enfin le bon Dieu nous l’envoya. Partis le samedi, nous arrivâmes le dimanche vers les dix heures du matin à l’île tant désirée. Là nous dûmes encore attendre deux jours la barque coréenne. Cependant, un accident fâcheux, provenant d’un malentendu, faillit faire manquer l’entreprise. On était convenu qu’au premier signal d’un feu allumé sur la côte, nous devions détacher dans cette direction une petite barque destinée à amener à bord les chrétiens qui devaient nous conduire avec nos bagages sur la jonque coréenne pour nous conduire sur la côte du Hoanghaito. Le feu fut allumé, la barque s’y rendit, mais ne trouva personne. Une seconde tentative faite plus avant dans la nuit ne réussit pas mieux. Où pouvait être passé l’homme de guet, et pourquoi n’était-il plus à son poste ? Pendant que l’esprit se perdait en suppositions alarmantes, le temps passait, rendant notre position dangereuse. Avec le jour, une plus longue attente exposait à une visite des douaniers. Les barquiers s’impatientaient. On se décida à reprendre le large. J’étais presque malade de cet échec. Nous voguions tout doucement, le cap sur la Chine, avec un vent heureusement contraire, lorsque tout à coup on signale une barque qui nous gagne de vitesse. Nous nous cachons de notre mieux par précaution. Bientôt après, quel-qu’un du bord crut reconnaître la longue silhouette du grand Kouen Thadée. En effet, c’était bien lui qui venait à notre rencontre, c’était lui aussi, qui avait pris, sous son bonnet de lettré, l’idée de changer les plans convenus, au risque de faire tout manquer. Enfin la sottise était réparée. Dans la nuit du 18 au 19, le transbordement s’opéra, et à la pointe du jour nous mettions à la voile. Le mauvais temps et la prudence nous obligèrent à faire force détours pour éviter les douanes ; malgré tout, le 23 au soir, nous mouillions dans la rivière de Séoul en face de Paiktchyen. »
Le soir du même jour, MM. Doucet et Robert laissant Mgr Ridel, qu’ils ne devaient plus revoir, continuer seul sa route sur Séoul, centre de sa mission, montèrent de leur côté sur la barque qui devait les conduire à terre, et, grâce aux ténèbres de la nuit, parvinrent sans encombre au petit poste de Paneungri, distant seulement d’une demi-lieue du rivage. C’est dans cet humble hameau de cinq pauvres maisons chrétiennes, accrochées au flanc de la montagne, qu’ils devaient hiverner. La résidence qu’on leur a préparée dans ce coin de province est celle qu’ils retrouveront partout, sauf quelques variantes, dans leurs courses futures. C’est la paillote coréenne composée de deux ou trois pièces basses, étroites, obscures, aux murs de boue supportant une grossière charpente de branches de pins, recouvertes d’un toit d’herbes sèches. Le sol, en terre battue, repose sur un lit de larges pierres plates, divisé en dessous par une série de canaux, qui donnent passage à la chaleur et trop souvent à la fumée ; il est ordinairement recouvert d’épaisses nattes, vrai nid à vermine, sur lesquelles on doit se tenir accroupi, surtout si l’on veut profiter des quelques pieds carrés de lumière, que versent dans l’appartement une ou deux minuscules fenêtres en papier, toujours percées trop bas. Ne cherchez pas de meubles dans cet intérieur. Vous n’y trouverez, collée horizontalement contre un des murs, qu’une sorte d’échelle faite de deux barres de bois à peu près parallèles, et pouvant servir au besoin de porte-habits, d’étagère et même de support pour table d’autel.
En entrant pour la première fois dans cette cabane par l’étroite ouverture qui fait incliner tous les fronts, nos arrivants durent constater plus d’un vide dans leur éducation première, et se dire que le plus simple et à la fois le plus sage pour eux était de déposer tout de suite leurs idées, leurs préjugés, leurs habitudes au seuil du logis. C’est ce qu’ils firent.
« Depuis un mois que je suis ici, je me trouve très bien, écrivait M. Doucet à un confrère. Figurez-vous que j’ai déjà pris le grand air deux fois, l’espace de cinq bonnes minutes. Mais je n’ai pas besoin de sortir de mon trou pour trouver abondance de gibier. La maison regorge de bestioles, qui ne me laissent de repos ni jour ni nuit. Du matin au soir, je suis accroupi sur la natte, où je tâche de prendre la meilleure position possible. L’exercice le plus rude est l’étude de la langue, et il faut travailler ferme, d’autant que Monseigneur nous dit de nous tenir prêts à donner les sacrements à la Noël. »
De fait, M. Doucet dut bientôt commencer l’administration des chrétiens. Il quittait Paiktchyen à la fin de janvier 1878 pour aller donner les sacrements aux fidèles de Kououelsan où il apprit la nouvelle de l’arrestation de Mgr Ridel à Séoul, le 28 janvier.
« Lors de la prise de Monseigneur, raconte-t-il plus tard, je me trouvais à Kououelsan depuis deux jours. J’avais commencé l’administration. Vingt satellites de Séoul, lancés à mes trousses, arrivèrent à temps pour voir brûler ma maison vide. Mes chrétiens avaient déjà caché la plupart des objets qui s’y trouvaient ; moi-même je venais de partir quelques jours auparavant, pour aller visiter un autre endroit de mon district. Pendant la persécution, j’allai me loger au sommet d’une montagne où se trouvait une chaumière de chrétiens. Ne m’y trouvant plus en sûreté au mois de février, je restai deux jours et une nuit dans la fente d’un rocher d’où je croyais pouvoir m’échapper plus facile¬ment en cas d’alerte. Je vous assure que, si je n’y suis pas mort de froid, c’est par le secours de la bonne Mère. Comme ce logis n’était pas habitable, et que tous les jours j’étais exposé à la dent des tigres, je revins dans ma petite chaumière. Les poux, les punaises, les cancrelats, les cent-pieds m’y faisaient la guerre. J’ai passé dans cette cabane une partie de l’été qui m’a été un vrai purgatoire. J’ai failli y être saisi au moins trois fois. Cependant au mois de juin, je sortis de là sain et sauf pour me diriger vers une chrétienté à 50 lieues de distance. La chaleur était intense. Le 29 juin, je pus rencontrer M. Robert à Koksan et nous passâmes ensemble cinq bons jours, bien joyeux l’un et l’autre de nous revoir. La visite du district de Koksan terminée, les chrétiens de Hpyengkang, avertis de mon arrivée, m’expédièrent un courrier pour me prier d’aller leur donner les sacrements ; je partis avec lui, malgré les difficultés de la route, et bien qu’il n’y eût que deux jours de marche, j’arrivai à Hpyengkang les pieds tout en sang et j’y passai l’Assomption.
« 25 septembre. Depuis le 15 août, je n’ai pas cessé de parcourir les quatre provinces du nord. De Nangtchyen où j’ai risqué de me noyer au passage d’une rivière, emporté avec ma chaise par la violence du courant, je suis remonté vers le Hamkyengto. Mais quelles routes ! Toujours à travers les montagnes, de l’herbe jusqu’à la tête ou de l’eau jusqu’aux genoux !
« Les chrétiens des provinces de Hamkyengto et de Kangouento ne sont pas très nombreux. Jusqu’ici je n’ai pu confesser que 700 à 750 personnes, mais quel plaisir de retrouver toutes ces brebis abandonnées ! Si vous saviez la bonté de ces pauvres gens et combien ils aiment le Père ! Dans le nord, et surtout dans le Ryengtang, le long de la mer du Japon, tous mes chrétiens poussaient des cris de détresse en me voyant partir. Parfois les femmes me devançaient jusqu’au sommet d’une montagne, pour me voir passer et m’accompagner le plus longtemps possible de leurs regards, de leurs souhaits et de leurs pleurs. Moi aussi, bien souvent, j’ai mêlé mes larmes aux leurs. »
Après avoir terminé la visite des chrétientés du nord, et poussé une pointe jusqu’à Sakryeng, pour rencontrer M. Robert dans sa nouvelle résidence, M. Doucet descendit dans le Tchyoungtchyengto, dont l’ad¬ministration l’occupa une partie du mois de décembre. Il n’était pas au bout de ses peines. Passant de l’ouest au sud-est du pays, il fut atteint de la variole à Taikou, en baptisant un enfant, qui avait cette maladie, et forcé de s’arrêter à Kyengtjyen, où il resta quinze jours entre la vie et la mort. Remis sur pied tant bien que mal, après un petit mois de convalescence, il reprit son bâton de voyage, et s’arrêta enfin vers les fêtes de Pâques, dans la résidence d’été que le provicaire de la mission, M. Blanc, lui avait fait préparer en Tjyenlato, on le chargeant de l’administration de cette nouvelle province.
« Je commençais, écrit-il, à me remettre là des suites de ma maladie, lorsque à la quatrième lune, à la nouvelle de l’arrestation de M. Deguette, je dus quitter mon poste sur l’ordre du provicaire. Les satellites de Séoul vinrent rôder dans mon voisinage et me manquèrent par bonheur. Mais les fatigues éprouvées à cette occasion amenèrent une rechute qui a failli m’emporter. »
Ces quelques extraits de lettres suffisent à montrer aussi exactement que possible, le genre de vie apostolique pratiqué en Corée, et d’ailleurs le seul praticable à l’époque où M. Doucet y faisait ses premières armes. Deux ou trois fois l’an, un courrier apportait de Chine au risque de sa vie, les lettres de France et les objets indispensables au culte, les huiles saintes et les deux bouteilles de vin de messe qui devaient suffire pour l’année.
Enfin du renfort arriva. Une première expédition organisée au printemps de 1881 échoua, une seconde eut plus de succès à l’automne, et MM. Mutel et Liouville, après bien des traverses et contretemps, réussirent à entrer en Corée le 12 novembre. La présence de ces deux nouveaux confrères permit aux autres de circonscrire leur champ d’action trop étendu. Dans ce nouveau partage des districts, M. Doucet eut pour sa part la province centrale de Tchyoungtchyeng où son activité désormais plus concentrée n’en devait pas être moins féconde. Il parcourut son district pendant une bonne partie de l’année ; il n’y eut jamais à vrai dire de résidence fixe. A la fin de chaque tournée, il s’arrêtait pendant l’été dans quelque chrétienté retirée et tranquille, de préférence dans la montagne. Le souvenir des Alpes l’attirait sans doute vers les sommets. C’est ainsi que nous le voyons installer successivement, pour quelques mois, sa tente en 1881 à Syokiti, district de Syesan ; en 1882 à Nopheulmoi, district de Teksan ; de 1882 à 1887 à Kosan, au village de Mokpangi ; en 1889 à Soteulkol, dans la sous-préfecture de Moktchyen. Le contact intime et journalier avec la population de cette province moins rustique que celle de certaines régions plus éloignées du centre lui donna cet air de « noble coréen », un peu vieux style, qu’il conserva toujours, même dans un milieu plus moderne. Il s’attacha profondément à ces chrétientés du Tchyoungtchyengto particulière-ment éprouvées par la persécution et où la foi était restée si vivace. Ses comptes rendus d’alors nous disent assez avec quel succès il y travailla. Il y recueillait, bon an, mal an, une gerbe de 150 à 200 baptêmes d’adultes. Aussi dût-il lui en coûter beaucoup de quitter ce champ où il avait semé « in labore et œrumna, in vigiliis mullis. »
Il était alors en possession de tous ses moyens d’action. Sa santé s’était affermie. Sa connaissance des choses de la Corée était supérieure. Son esprit positif plus tourné vers les réalisations pratiques du ministère que vers les à-côtés brillants mais purement spéculatifs, une expérience des affaires servie par une extraordinaire fidélité de mémoire des lieux, des visages, des noms, des liens de parenté, des mille détails de la vie des familles, dont le souvenir précis facilite les rapports et attire la confiance ; tout cet ensemble de qualités solides, jointes à une vertu éprouvée, portèrent Mgr Blanc à le rapprocher du centre de la mission pour profiter de ses lumières et de ses conseils.
M. Doucet arriva à Séoul au commencement de 1890, juste à temps pour y voir mourir son évêque, emporté par une fièvre typhoïde le 21 février. Cette mort ne fit que mieux ressortir la sagesse et l’opportunité du déplacement de notre confrère. Chargé de la paroisse de Tjyonghyen pendant deux ans, il allait être le bras droit et le conseiller intime du vénérable M. Coste, provicaire et supérieur de la mission, jusqu’à l’arrivée du nouveau vicaire aposto-lique. Il fut aussi désigné pour représenter la Corée au synode de Nagasaki, qui s’ouvrait ce même printemps, et tout en souscrivant aux décisions de l’assemblée, il sut faire, sur certains points de discipline pratique, pour ce qui concernait notre mission, les sages réserves que réclamaient les circonstances et les mœurs de la Corée, si différentes de celles du Japon.
Mgr Blanc avait réussi au prix de bien des difficultés à acquérir un terrain et à préparer l’emplacement de la future cathédrale. Le premier souci de son successeur, Mgr Mutel, fut de réaliser ce vœu. Mais en présence de l’accroissement de la population catholique et du mou¬vement qui se produisait de tous côtés vers notre sainte religion, il jugea le moment venu de dédoubler la communauté chrétienne de Séoul, et d’établir, en dehors des murs, à Yakhyen, le centre d’une nouvelle paroisse pour les nombreux fidèles des faubougs. M. Doucet fut chargé de cette fondation ; ce fut lui qui éleva en Corée la première église digne de ce nom, il la plaça sous le vocable de Saint-Joseph. Commencée en 1892, elle fut ouverte au culte au printemps de l’année suivante, à l’issue de la retraite annuelle,
Après l’église, le missionnaire construisit, puis agrandit des écoles. Si l’école des garçons lui a apporté quelques déboires, à raison surtout de la pénurie de bons maîtres, il en fut dédommagé par le succès de l’école des sœurs restée encore aujourd’hui une pépinière de jeunes filles instruites et bien formées à tous les devoirs de la vie chrétienne.
Le ministère de M. Doucet dans cette paroisse, où il devait travailler 25 ans, promettait d’être aussi laborieux que fécond. Les catéchumènes s’annonçaient nombreux. Aux travaux de l’installation matérielle et aux soins de la paroisse proprement dite, s’ajoutait l’admi-nistration de nombreuses chrétientés de la province, qui auraient suffi, à elles seules, à occuper un missionnaire. Il en conserva la charge, on peut dire jusqu’à la fin. Il trouvait, d’ailleurs, dans ces courses une heureuse diversion à la vie sédentaire et n’était jamais plus gai qu’au moment de partir pour une de ces tournées, qui lui donnaient l’illusion de revivre quelque temps, au grand air, ses premières années de mission.
Nommé provicaire à la mort de M. Coste en 1896, il ne vit dans ce témoignage de la confiance de son évêque, qu’un nouveau motif de se dévouer plus largement au service de tous. Les missionnaires n’eurent que se féliciter de ce choix, et tous profitèrent plus ou moins de son obligeance et de ses conseils. N’était-il pas, en effet, l’homme serviable et accommo-dant par excellence ? S’il ne pouvait toujours approuver, il tâchait d’excuser, et cette indul-gente bonté, qui lui valut des amitiés si nombreuses et si sincères, lui attira même de légères critiques de certains caractères plus absolus, qui lui trouvaient 1’« amen » trop facile.
L’influence de M. Doucet débordait de beaucoup les limites de sa paroisse et de son district. De tous les coins de la mission on recourait à sa protection et à ses lumières. On allait rarement à Yakhyen sans y rencontrer des habitants de la province, chrétiens ou païens, venus le plus souvent pour régler des affaires difficiles. Il se faisait volontiers l’avocat des causes désespérées, prêt à toutes démarches pour venir en aide à ces malheureux. Il cultivait même dans ce but charitable, lui si étranger au monde, des relations plus utiles qu’agréables près de personnages influents. Très au courant des mœurs, des habiletés de la procédure et de la chicane coréennes, il avait un don particulier de discernement qui lui permettait de démêler le fort et le faible d’une question, d’éventer les ruses de la partie adverse et finalement d’accor¬der à l’amiable une foule de différends. Aussi sa paroisse augmentait-elle de nombreuses familles attirées à l’ombre du clocher par l’action bienfaisante du Père.
Les sentiments de respect, d’affection, de dévouement qu’il avait inspirés, visibles en tout temps, éclatèrent d’une façon extraordinaire à l’occasion du soixantième anniversaire de la naissance de M. Doucet. Il se trouvait être le premier missionnaire de Corée à doubler heureusement ce cap de la soixantaine, que les Coréens ont contume de célébrer par une fête de famille joyeuse et touchante. La paroisse de Saint-¬Joseph fut fière de cet honneur et n’omit rien pour donner à la journée du 17 novembre 1913 le plus grand éclat.
Cependant les forces de notre vétéran s’usaient. Décidé à donner l’exemple, il voulut tenir jusqu’au bout. Il continua la visite des malades et des chrétientés éloignées de plusieurs lieues ; il. ne changea rien à son régime dont la maigre tasse de riz, quelques légumes et sa-laisons constituaient tout l’ordinaire. Habitué par les rudes débuts de sa carrière apostolique à la vie pauvre et mortifiée des missionnaires, il avait gardé son genre de vie purement coréen. Le pain, le vin, la viande ne paraissaient guère sur sa table qu’aux grands jours ou au passage d’un hôte. Il supportait les rigueurs du froid avec un courage qui frisait l’imprudence, passant l’hiver dans une chambre exposée au vent du nord, pour ainsi dire sans feu. Il y avait bien dans cette glacière, en bonne place, un vénérable poêle toujours chargé, toujours prêt à être allumé. Mais son propriétaire prétendait que le feu lui causait des maux de tête, et on ne l’allumait guère que pour recevoir des visiteurs. Un jour, cependant, nous apprîmes qu’un incendie avait éclaté dans la chambre du P. Doucet ; on reçut cette nouvelle avec un sourire d’incrédulité ; mais, sans doute, pour qu’elle ne se re-nouvelât pas, le poêle disparut de la chambre.
Un jour le P. Doucet rentra d’une visite d’administration très fatigué ; il dut l’avouer, malgré son endurance et son optimisme ; il aurait dû prendre quelque repos, mais on était dans la semaine sainte, il voulut donner à ses chrétiens les instructions ordinaires, ne pas diminuer ses séances au confessionnal. Le jour de Pâques il communia une dernière fois son peuple. L’effort suprême accompli, il s’alita. Sa tâche était achevée, il tombait au bout du sillon, après quarante ans de labeur. Il était atteint de pneumonie. Les soins constants que réclamait sa maladie décidèrent Monseigneur à le faire transporter le samedi à la mission où les Sœurs de Saint-Paul pouvaient plus facilement le veiller sans relâche. Mais toute médication fut inutile : l’organisme usé n’avait plus la force de réagir.
Prévenu du danger par le docteur, Monseigneur n’hésita pas à faire connaître son état au cher malade qui, communié en viatique le matin du jeudi de Quasimodo, se prépara à recevoir l’extrême-onction dans l’après-midi. En dehors des missionnaires de Séoul, plusieurs confrères de province étaient déjà arrivés pour la retraite. Nous étions tous agenouillés auprès du lit pendant que très ému, Monseigneur donnait à son cher provicaire et vieil ami les onctions suprêmes, et le mourant répondait tranquillement avec nous aux prières. Le 19 avril, vers 9 heures du soir, le malade, assis sur son lit pour respirer plus à l’aise, voulut se recoucher. A peine était-il étendu, que la sœur qui le veil¬lait avec un maître d’école coréen, le vit défaillir ; moins d’une minute après, sans secousse, sans agonie, le cher Père avait rendu son âme à Dieu.
Le samedi 21 avril, à 9 heures du matin, la messe d’enterrement fut célébrée à la cathédrale. Dans l’affluence qui remplissait la vaste nef on remarquait avec toute la colonie française, les consuls généraux de Belgique et des Etats-Unis, plusieurs ministres protestants et nombre d’Européens de nationalités diverses qui avaient tenu à apporter à la mission si éprouvée le témoignage de leur sympathie respectueuse. Tout le personnel de la mission et du grand séminaire en surplis occupait le chœur. La messe fut chantée par M. A. Robert, curé de la cathédrale de Taikou. Cet honneur revenait naturellement à l’ancien frère d’armes du cher disparu, au vieux compagnon du séminaire et de quarante ans d’apostolat en Corée. Après la messe, l’absoute solennelle fut donnée par Mgr Mutel, dont la voix trahissait assez l’émotion profonde et éveillait dans tous les cœurs l’écho d’unanimes regrets.
De la cathédrale, le convoi se mit en route vers Yakhyen. Précédé de la croix qui ouvrait la marche, le cortège funèbre traversa la grande rue de la capitale au milieu d’une population respectueuse et surprise de voir une telle foule, recueillie et grave, suivant en silence le cercueil d’un prêtre étranger. Dès qu’on eut dépassé la porte du sud on put apercevoir devant soi la colline de Yakhyen, couverte de chrétiens. Monseigneur, en décidant de faire reposer un instant dans l’église, le cercueil du regretté défunt avait voulu donner aux chrétiens de Yakhyen, à ceux surtout qui n’avaient pu assister au service de la cathédrale, la consolation de posséder une dernière fois au milieu d’eux le fondateur et le premier curé de leur paroisse. Après une seconde absoute donnée par Sa Grandeur, le cortège reprit la route du cimetière de la mission. Il était midi quand on arriva au Samhotjyang.
Les dernières prières terminées, M. Guérin, notre sympathique consul de France, s’avançant au bord de la fosse, prononça au milieu de l’attention générale, le dernier adieu, rappelant dans un langage chaleureux et élevé, la bonté, le dévouement et les travaux du cher P. Doucet et termina par ces paroles émues : « Je le répète, celui que nous pleurons, fut, dans toute la force de l’expression, un homme de bien. Aussi, sa mémoire sera-t-elle fidèlement, pieusement honorée ; il demeurera vivant dans nos cœurs à nous, comme il le demeurera dans le cœur des nombreux, des très nombreux chrétiens, dont il fut l’infatigable éducateur, le guide sûr et le doux soutien.
« Dormez en paix, cher Père Doucet, vous avez bien rempli votre tâche. »
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Références
[1317] DOUCET Camille
Références bio-bibliographiques
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