Jacques LE TOHIC1860 - 1903
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 1843
Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Inde
- Région missionnaire :
- 1889 - 1903 (Mysore)
Biographie
[1843]. LE TOHIC, Jacques, né à Neulliac (Morbihan) le 5 octobre 1860, fit ses études au petit séminaire de Sainte-Anne d'Auray, et fut ordonné prêtre le 20 décembre 1884. Nommé professeur à Sainte-Anne, il y resta environ quatre années, et entra au Séminaire des M.-E. le 7 octobre 1888.
Il partit le 21 août 1889 pour le Maïssour, et, après quelques mois d'étude de la langue, fut envoyé à Mercara, dans le Coorg, où il resta pendant dix ans, estimé des Anglais et des indigènes qu'il traitait avec une grande politesse. De là, il passa dans le district de Ganjam, composé presque exclusivement de catholiques de race canara. Il y fut gravement atteint de la fièvre des bois. Après avoir été professeur au séminaire à Bangalore pendant une année, il retourna en 1893 à Mercara, puis à Ganjam, et, en 1897, devint curé de la paroisse de Mysore. La peste ayant éclaté dans cette ville en 1898, les orphelins y furent nombreux ; le missionnaire recueillit les garçons, et fonda pour eux et avec eux un petit village. Il mourut à Mysore le 19 avril 1903.
Nécrologie
M. LE TOHIC
MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE DU MAÏSSOUR
Né le 5 octobre 1860
Parti le 21 août 1889
Mort le 19 avril 1903
Jacques Le Tohic naquit à Neulliac (Vannes, Morbihan) le 5 octobre 1860. Ses parents étaient fermiers, très laborieux et pleins d’affection pour leurs huit enfants. Jacques était le septième et, comme ses frères, il reçut une éducation religieuse soignée. Aussi par¬lait-il toujours avec émotion de sa bonne mère, véritable femme forte qui régnait sans conteste sur sa belle famille.
En 1874, petit, blond, frais et timide comme un « agneau de Pontivy », Jacques entra au séminaire de Sainte Anne. Aimé de tous, il parcourut d’un bon pas le cycle de ses études, sans être un très brillant élève. Il n’avait d’autre ambition que celle de se rendre digne du sacerdoce, si telle était la volonté de Dieu. Sous ses dehors de jouvenceau, il était sincèrement pieux et priait avec ferveur pour connaître sa vocation. Mais ce ne fut qu’après son ordination à la prêtrise et plu¬sieurs années de professorat au séminaire de Sainte-Anne que Dieu lui fît connaître sa voie.
Un jour, lorsqu’il était encore enfant, sa mère tomba malade, et Jacques courut chercher M. le curé de Neulliac pour qu’il vînt l’assister. En route, le cœur gonflé par le chagrin, le pauvre petit priait avec ferveur pour sa mère bien-aimée. Il promit à Dieu, s’il lui plaisait de la guérir, de devenir meilleur, et même de se faire missionnaire. La prière de l’enfant ne fut pas exaucée : sa bonne mère mourut, mais sa volonté d’être missionnaire était irrévocable : elle avait pris racine dans sa tête de Breton. Aussi aimait-il à dire plus tard : « C’est à ma mère que je dois ma vocation de missionnaire. »
Son départ pour le séminaire des Missions-Étrangères étonna beau¬coup ses amis. L’avenir lui souriait : avec ses talents, ses manières affables et polies, quel excellent vicaire il eût fait ! Que de bien il aurait opéré dans une paroisse ! M. Le Tohic ne s’arrêta pas à ces considérations humaines : il répondit fidèlement à l’appel de Dieu. Il resta un an à Paris et partit pour l’Inde le 21 août 1889. Sa mission était le Maïssour où il devait travailler, hélas ! trop peu de temps.
A peine arrivé il se mit à l’étude du tamoul et de l’anglais. Grâce à son ardeur au travail, à sa voix très claire et à son heureuse mémoire, il fut reconnu capable, au bout de quelques mois d’étude, de confesser et même de prêcher, et son supérieur le nomma chef de district dans le Coorg.
Le Coorg est un pays de montagnes, de forêts, de plantations de café, de rizières et de bambous : c’est la Suisse du Maïssour ; mais les chrétiens y sont clairsemés. A Mercara, chef-lieu de la contrée, il y a une jolie chapelle autour de laquelle sont groupés quelques centaines de chrétiens. Les autres fidèles sont dispersés dans les planta¬tions des Européens. Il faut donc que le missionnaire aille visiter ces pauvres abandonnés pour ramener les égarés et les indifférents à la pratique des devoirs religieux.
M. Le Tohic se donna de tout cœur à son pénible ministère, et il n’hésita jamais à faire une longue course pour administrer un malade. Sous ce rapport il édifiait les protestants eux-mêmes, et l’un d’eux ne parlait du missionnaire qu’avec admiration. « Ce ne sont pas nos « révérends, disait-il à M. Bonnétraine, qui se dérangeraient de la sorte pour nous, quand nous « sommes malades ! Le prêtre catholique, lui, se donne la peine de venir confesser même ma « servante et mon palefrenier, dès qu’ils sont souffrants. »
M. Le Tohic devint bientôt l’ami de tous les Anglais, auxquels il ressemblait beaucoup par la physionomie. Il profita plus d’une fois de leurs bonnes dispositions à son égarrd pour leur tendre la main, et il en obtint des sommes relativement considérables qui lui servirent à réparer ses chapelles. Il devint même l’ami intime d’un des Coorgs les plus riches et les plus influents de Mercara. Aussi Mgr Kleiner fut-il agréablement surpris, à l’époque de sa tournée pastorale, de voir Anglais et Coorgs prêter leur concours au missionnaire pour recevoir dignement l’évêque catholique. Il était si bon, si poli, si insinuant, notre regretté confrère ! Qui donc aurait en le courage de lui dire non ?
Le zèle de l’apôtre s’enflammait à la vue de ce beau pays du Coorg presque complètement idolâtre ! Quel crève-cœur pour lui quand il considérait cette race d’hommes si beaux, si bien élevés, mais si éloignés de la vraie religion ! Dans ses longues heures de solitude, il songeait souvent aux moyens de les gagner à Dieu. Hélas ! les Coorgs ne se convertissent jamais un à un ; ils forment une caste à part, qu’il est pour ainsi dire impossible d’entamer.
Il se dit un jour, qu’avec des écoles pour les garçons et un pen¬sionnat pour les filles, il pourrait sans doute faire disparaître peu à peu les préjugés qui éloignaient les païens de la religion catholique. Il exposa donc son projet à un Coorg très libéral et très riche, qui l’encouragea à fonder un couvent et lui promit 1.500 roupies au cas où l’évêque se chargerait de l’entreprise. Mais la mission manquait des fonds nécessaires et M. Le Tohic n’eut pas le couvent de religieuses européennes qu’il rêvait pour Mercara, malgré toute l’éloquence avec laquelle il plaida, en faveur de ce projet, auprès de Mgr Kleiner et des missionnaires plus anciens que lui.
Le curé de Mercara s’imposait toute sorte de privations, et ne se préoccupait point assez de sa santé ; ce qui lui attira un jour une leçon très fraternelle de la part d’un confrère qui lui rendait visite.
La réception avait été cordiale, mais, au dîner, le pain ne parut pas sur la table.
« Tiens, dit malicieusement le visiteur, de mon temps on trouvait du pain à Mercara ! — « Oh ! dit M. Le Tohic, je m’en passe, je n’y tiens pas. — Et la viande ? — Quand je suis « seul, je n’en mange pas. Je reçois du thé, du café, des bananes ; ça dure autant que ça dure ; « mais je ne dépense pas un sou pour cela. — Vous avez tort, cher confrère, d’agir ainsi. — « Oh ! non, je vous assure, je me porte très bien ; je suis solide et ce régime me convient « parfaite¬ment. — M. Le Tohic, reprit le mentor, j’ai un mot à vous dire ; je sais que c’est « inutile, mais je vous le dirai tout de même par devoir de conscience : vous avez tort d’agir « ainsi. La Propagation de la Foi vous sert une maigre allocation pour vos besoins, et vous « avez non seulement le droit mais encore l’obligation de vous en servir pour vous maintenir « en santé. Avant tout, soignez le fils de madame votre mère ; con¬servez-vous pour votre « district. « Mieux vaut âne vivant que lion mort. » En vérité, vous serez bien avancé lorsque « par des privations exagérées vous aurez gagné la fièvre ou quelque autre infirmité ! Comme « si vivre dans ce beau pays de l’Inde, avec nos misères journalières, n’était pas la plus « méritoire des mortifications … » Dix ans plus tard, M. Le Tohic rencontrant son sévère conseiller, lui disait : « Que de fois je me suis souvenu de votre algarade et spécialement de « ce mot : « je sais que c’est inutile. » Et cependant c’est vous qui aviez raison. »
Après quelques années d’un ministère fructueux dans le Coorg, notre confrère fut envoyé à Ganjam sur le Cavery, près de la forteresse de Seringapatam. Le district se compose presque uniquement de chrétiens canaras. M. Le Tohic y contracta la fièvre des bois et dut aller se guérir à Pondichéry. Lui, qui paraissait si fort, ne se remit jamais complètement de cette première atteinte du mal et Monseigneur le plaça au séminaire, il n’y resta guère qu’un an : la vie de commu¬nauté ne semblait pas faite pour lui. Renvoyé d’abord dans le Coorg, puis à Ganjam, où il demeura jusqu’au commencement de l’année 1897, il fut chargé de la paroisse de Mysore.
Le nouveau curé eut bientôt gagné le cœur de ses chrétiens. Mysore, d’ailleurs, est une excellente paroisse. Plusieurs fervents missionnaires l’ont administrée successivement et l’ont dotée d’écoles où les enfants reçoivent une éducation vraiment chrétienne. A part quelques rares exceptions, tous les fidèles s’approchent des sacrements et la fréquente communion est en honneur parmi eux. M. Le Tohic se donna tout entier à son nouveau troupeau. Prédications, catéchismes, longues séances au confessionnal, visites des malades, il faisait tout cela avec grande affection. Quand on le voyait à l’autel dire la sainte messe, ou bien en adoration devant le Saint-Sacrement, on était édifié de sa ferveur angélique.
Mais bientôt la peste fit son apparition à Mysore, malgré toutes les précautions prescrites par la Faculté pour écarter le fléau. Au mois d’octobre 1898, elle éclata avec violence et beaucoup de chrétiens furent atteints. Le gouvernement avait établi un camp, en dehors de la ville, pour isoler les pestiférés. M. Le Tohic s’y rendait régulière¬ment, sans crainte comme sans ostentation, dans le but de consoler et d’assister ses chrétiens. Il eut la joie, à l’occasion de ses visites, d’ondoyer bon nombre d’enfants et même quelques adultes. Les païens, en effet, abandonnés de leurs parents, étaient vivement touchés de voir le prêtre catholique exposer ainsi sa vie pour consoler quelques pauvres parias chrétiens, et ils prêtaient eux-mêmes une oreille docile à ses pieuses exhortations.
La peste fait non seulement des victimes, mais aussi des orphelins. Le couvent reçut les petites filles ; quant aux petits garçons. M. Le Tohic les recueillit chez lui, et il en eut bientôt une vingtaine. Il se mit alors à bâtir un petit village pour ses néophytes qu’il tentait à éloigner des païens et des protestants, et, en bon Breton, il l’appela Sainte-Anne. C’est à de telles œuvres que le missionnaire consacrait l’argent reçu de ses amis de France. Il donnait aussi beaucoup aux pauvres qui assiégeaient continuellement sa porte, et toujours une bonne parole, un petit reproche, un avis paternel accompagnait l’aumône matérielle.
La vie de M. Le Tohic s’écoulait ainsi au milieu de son troupeau ; il perfectionnait ses chrétiens, instruisait ses catéchumènes et faisait tout le bien qu’il pouvait autour de lui. Cependant il n’avait plus l’ardeur de ses débuts au Coorg. Le moindre effort lui coûtait, depuis l’époque où il avait contracté la fièvre des bois. Lui, naguère si gai, si joyeux, composant avec beaucoup d’esprit une chansonnette pour la fête d’un confrère, paraissait tout déconcerté à la suite d’un léger contretemps. En mission, on rencontre des difficultés inattendues, on éprouve parfois de grandes déceptions : il faut « laisser tomber tout cela » , c’est la vraie philosophie. Hélas ! M. Le Tohic ne laissait rien tomber du tout et son âme était souvent plongée dans la mélancolie.
Il fut profondément attristé de la conduite indigne d’un Eurasien catholique, chef de la musique du maharadjah de Mysore, qui fit con¬gédier une bonne partie des musiciens chrétiens. Au lieu de joindre sa protestation à celle de ses subordonnés qui refusaient de concourir à des superstitions, le chef de musique les desservit dans l’esprit du prince, et leurs familles furent réduites à la misère.
Puis, survint la mort de M. Grandin, qui était l’ami intime de M. Le Tohic. Ce fut un coup terrible pour le curé de Mysore, qui demeura longtemps inconsolable de sa perte.
« Je n’aurais jamais cru, écrivait-il au lendemain de la mort de son ami, qu’on pût pleurer « un confrère comme j’ai pleuré le bon M. Grandin. »
Il ne se doutait guère, alors, que moins d’un an après il irait rejoindre dans la tombe son bien-aimé confrère. Il écrivait encore, le 25 mai 1903, à Mgr Kleiner : « Malgré le surcroît de « travail que m’a occasionné le départ de M. Janssoone, je me sens aussi bien que possible ; « même mieux que d’habitude. » Deux jours plus tard, il se trouva fatigué dans la soirée ; ce qui ne l’empêcha point de partir, le lendemain, pour Ganjam, à quatre lieues de Mysore, où on l’appelait pour un malade. A son retour, la fatigue augmenta à tel point qu’il ne put ni prêcher, ni faire le catéchisme aux enfants le dimanche 29 mars. Le lundi, bien que la faiblesse l’eût obligé, pendant la messe, à quitter l’autel avant la consécration, il prit le train et alla de nouveau à Ganjam administrer les derniers sacrements. Quand il y arriva, il était à bout de force. M. Guiraud, qui était revenu de Bangalore à Ganjam, ce jour-là même, le fit transporter en voiture à Mysore et l’accompagna pour le soigner. Le malade se plaignait surtout d’un violent mal de tête. Il était atteint de la fièvre typhoïde, mais personne, pas même le médecin, ne le soupçonnait. Il y avait déjà huit jours que le mal résistait à tous les remèdes, quand le docteur dit à M. Le Tohic qu’il devait se laisser transporter à l’hôpital, où il serait plus facile de le soigner avec l’assistance des religieuses.
Hélas ! malgré les soins assidus du docteur, de ses assistants et des religieuses qui ne quittaient point notre confrère, les journées du 10 et du 11t avril furent très pénibles et le cher malade s’affaiblissait à vue d’œil. Le 15, une légère amélioration se produisit, mais M. Le Tohic, qui ne se faisait pas d’illusion, dit à ses confrères, qui l’encourageaient : « Je suis déjà « aux trois quarts dans la tombe ; que la volonté du bon Dieu soit faite ! » Il avait raison, car bientôt des complications sur¬vinrent qui firent comprendre à tous que la mort était proche.
Le malade se confessa encore une fois et reçut le saint viatique avec grande dévotion ; il fit généreusement le sacrifice de sa vie pour ses chers chrétiens, ses parents et ses amis, et reçut l’extrême-onction. Puis, il bénit ses confrères, les religieuses et les chrétiens présents, qui tous fondaient en larmes. Ce jour-là et le lendemain, la fièvre continua son œuvre de destruction, et le malade souffrit beaucoup de l’extrême chaleur. Il priait néanmoins, répétant les pieuses invocations qu’on lui suggérait. Le dimanche matin, 19 avril, il entra en agonie et ne reconnut même pas M. Baslé, vicaire général, accouru de Bangalore avec M. Saint-Germain. Vers neuf heures, il s’agita un peu : on entendit quelques râles, quelques soupirs, et puis, rien. M. Jacques Le Tohic était devant Dieu.
Il serait difficile de peindre la douleur des chrétiens de Mysore. La dépouille mortelle du défunt fut aussitôt transportée au presbytère, et c’est au milieu des sanglots de ce bon peuple qu’il avait tant aimé que, le lendemain matin, il fut enterré solennellement dans l’église même. Chaque jour, les chrétiens prieront sur la tombe de celui qui ne cessa d’être pour eux un vrai père.
UN MISSIONNAIRE DU MAÏSSOUR.
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Références
[1843] LE TOHIC Jacques (1860-1903)
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1890, p. 193 ; 1894, p. 283 ; 1897, p. 263 ; 1898, p. 248 ; 1899, p. 279 ; 1900, p. 227 ; 1901, p. 246 ; 1902, p. 370 ; 1910, p. 272. - A. P. F., lxvii, 1895, p. 312. - A. M.-E., 1903, La peste à Mysore, p. 114. - Sem. rel. Vannes, 1890, pp. 185, 190, 457 ; 1891, Pèlerinage au tombeau de saint François-Xavier, pp. 100, 155 ; 1895, p. 47 ; 1899, p. 168 ; 1901, p. 654.
Notice nécrologique. - C.-R., 1903, p. 378.