Arsène RIGOTTIER1912 - 1988
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3566
Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Inde
- Région missionnaire :
- 1936 - 1953 (Pondichéry)
- Pays :
- Malaisie - Singapour
- Région missionnaire :
- 1953 - 1988 (Penang)
Biographie
[3566] RIGOTTIER Arsène, Jean, Louis naît le 28 mars 1912 dans le petit village de Gois, près de Novalaise dans le diocèse de Chambéry en Savoie. Il fait ses études primaires à Novalaise et ses études secondaires au petit séminaire de La Villette. Après une année de philosophie au grand séminaire de Chambéry, il entre au séminaire des Missions Étrangères le 5 septembre 1930. Il est ordonné prêtre le 5 juillet 1936. Affecté à la mission de Salem, il s'embarque pour l'Inde le 15 septembre 1936 et arrive à Salem en octobre 1936.
Débuts en pays tamoul
Après une année d'étude du tamoul et de l'anglais dans la paroisse de Koviloor, il est envoyé à Namakkal (1), un centre de mission ‘‘ad gentes’’ (2) au temps où de nombreux hindous de basse caste demandent le baptême pour devenir chrétiens. Le P. Rigottier se dévoue avec beaucoup de zèle à cette œuvre de conversion et de formation de ces gens particulièrement pauvres. Il travaille ainsi pendant trois ans dans ce centre. Il est ensuite envoyé à Idappadi (3) où il ne reste qu'un an. En 1941, il est nommé procureur de la mission de l'évêché de Salem. Plutôt doué pour la Pastorale, il doit s'adapter à son nouveau poste. Ce n’est pas tellement un homme de bureau ni un administrateur, mais avec son large sourire il se fait toujours très accueillant pour les confrères et autres visiteurs.
Réticences de missionnaires MEP à l’indigénisation de la hiérarchie catholique voulue par Rome
En mars 1949, le successeur de Mgr Prunier, MEP, est enfin nommé par Rome. Mgr Selvanathar devient le premier évêque indien du diocèse de Salem. Désormais, nos missionnaires doivent travailler sous l'autorité d'un évêque indien, ce qui pose problème aux missionnaires européens, habitués jusqu'ici à travailler sous l'autorité d'un évêque MEP. Cette situation, non envisagée, est nouvelle et quelques missionnaires préfèrent quitter la mission pour aller travailler ailleurs. Le P. Rigottier, lui, demande à prendre son premier congé régulier en France. Il part donc en 1949 et comme il hésite à revenir en mission, il essaie de se réintégrer dans son diocèse de France à Belmont-Tramonet où il s'occupe spécialement des jeunes travailleurs. Mais la nostalgie de l'Extrême Orient s’impose de plus en plus à son esprit et il pense à un deuxième départ en mission. On lui propose le diocèse de Penang en Malaisie.
Au service des populations tamoules de Malaisie
Arrivé à Singapour le 21 janvier 1953, il est envoyé comme vicaire d'un P. indien à Taiping (4) avec la consigne de créer un nouveau poste dans l'une des dessertes de cette paroisse à Sittiawan. Ce centre est situé à une centaine de kilomètres de Taiping en pleine plantations de caoutchouc et de palmiers à huile. Il parcourt sa paroisse de long en large et il établit un groupe tamoul de J.O.C., afin de faire émerger des leaders parmi les jeunes.
En mars 1962, il est nommé curé de la paroisse de N.D. de Lourdes à Ipoh (4). Cette paroisse est considérée, en ces temps-là, comme une paroisse tamoule car, à cette époque en Malaisie, les MEP tiennent des paroisses tamoules et des paroisses chinoises. Le P. Rigottier trouve là un champ d'apostolat magnifique. Il fait preuve d'une ouverture d'esprit remarquable, toujours prêt à mettre en place des initiatives pastorales qu'il juge nécessaires pour vivre avec son temps. En particulier, il essaie d'introduire dans la liturgie tamoule de l'Eucharistie des innovations culturelles pratiquées en Inde. Toutefois, les Indiens de Malaisie ne montrent qu'une faible propension pour ces innovations.
Après sept ans de ministère à Ipoh, il est nommé à Penang, curé d'une nouvelle paroisse : St Jean de Britto. Cette paroisse comprend quatre-vingt-dix pour cent d'Indiens, des travailleurs manuels et quelques fidèles de profession libérale. Ici comme à Ipoh, il instaure une liturgie vivante, il noue des contacts personnels avec ses paroissiens. Il construit une école maternelle, destinée surtout aux enfants pauvres.
En 1982, il part en congé en France et à son retour, il est nommé aumônier des Petites Soeurs des Pauvres à Batu Lanchnag dans l'île de Penang. Il est heureux près des Sœurs. Il célèbre ses cinquante ans de sacerdoce en juin/juillet 1986. Les religieuses, les prêtres et même quelques membres de sa famille venus de Savoie pour la circonstance, tous lui souhaitent "ad multos annos".
Pourtant, tout le monde sait que le cancer l'a touché. Plusieurs mois auparavant, il a subi une opération, qui lui permet de retrouver un peu de santé. En 1987, il retourne en congé car il veut dire adieu à son pays, sa famille et ses amis. Puis il revient à Penang en bonne forme physique. Jusqu'à Noël, tout va bien. Mais la maladie va en s'aggravant. Sans doute est-il très entouré par les Sœurs qui lui prodiguent les soins nécessaires. Au moment du Jubilé d'or du P. Belleville, se sentant un peu mieux, il va prendre l'apéritif avec les prêtres présents. Tout le monde s'étonne de sa résistance. Sa famille vient le revoir, mais cette fois, c’est pour assister à sa mort le 13 juillet 1988. Ses obsèques sont célébrées par l'archevêque de Kuala Lumpur, un ancien disciple du P. Rigottier.
Le P. Catel des MEP, l'un de ses vicaires, résume bien la vie missionnaire du P. Rigottier, ouvert, tolérant et bon : "Il a été une illustration vivante du modèle que le Concile du Vatican II a proposé à l'Église dans "Gaudium et spes" : une vie au service des hommes, quels qu'ils soient et où qu'ils soient".
1 – Au nord-ouest de Tiruchirappalli.
2 – Les gentils, expression par laquelle Saint Paul désignait les païens
3 – Aujourd’hui Edapady, à l’ouest de Salem
4 – Au Perak, l’un des Etats de la Fédération de Malaisie
6 – Etat de la même Fédération.
Nécrologie
Le Père Arsène RIGOTTIER
Missionnaire à SALEM – PENANG
1912 - 1988
RIGOTTIER Arsène, Jean, Louis
Né le 28 mars 1912, à Novalaise, diocèse de Chambéry (Savoie)
Entré aux Missions étrangères le 5 septembre 1930
Prêtre le 5 juillet 1936 — Destination : Salem (Inde)
Passé ensuite à Malacca et Penang (Malaisie)
Décédé à Penang le 13 juillet 1988
« Père, il était si bon »
Les évêques de Malaisie-Singapour, les Supérieurs majeurs d’Instituts et Ordres religieux attendent le début de la célébration eucharistique, en ce matin du 14 juillet 1988, lorsque Mgr J. Chan, évêque de Johore-Malacca, reçoit la nouvelle téléphonée du décès du P. Arsène Rigottier. Cela ne surprend personne : on s’y attend depuis des mois. Mais ce départ nous touche et Arsène devient particulièrement présent au cours de la messe.
Dès la cérémonie terminée, la Provinciale des Sœurs du Bon-Pasteur vient vers moi et me dit : « Père, il était si bon ». Le P. Rigottier avait été son curé à Ipoh et l’avait guidée, soutenue dans sa vocation. Par ces quelques mots cette religieuse indienne exprime ce que tous nous ressentons en ce matin et qui résume si bien la vie de celui qui vient de nous quitter, usé par la maladie, mais conscient et vaillant jusqu’au bout. « La semaine dernière, ajoute la Sœur, je suis allée le voir. Il m’a reconnue et a demandé des nouvelles de toute la famille : il se rappelait le nom de chacun de nous ! »
En Savoie
« Arsène Rigottier est né en mars 1912 au petit village des Gois, près de Novalaise, en Savoie (il signera tous les documents officiels du nom de Rigottier-Gois). Il était le quatrième d’une famille de trois garçons et de trois filles. Les parents, petits exploitants agricoles, devaient travailler dur pour élever leur famille dans la simplicité et la dignité. Ils étaient profondément chrétiens et la mère souhaitait qu’un de ses fils devienne prêtre. »
Aussi, dès l’âge de onze ans, Arsène entre à Notre-Dame de la Villette, le petit séminaire de Chambéry. Chaque semaine sa mère vient l’y visiter, parcourant à pied les huit kilomètres qui séparent le hameau des Gois de la gare. Elle appréhendait beaucoup son départ possible pour des pays lointains. Arsène a un oncle, Frère des Écoles chrétiennes, missionnaire en Égypte, et il écrit lui-même dans sa demande d’entrée aux Missions Étrangères : « C’est au petit séminaire, en classe de cinquième, qu’un missionnaire venu nous faire une conférence éveille en moi l’idée de mission. Mais cette idée sommeille jusqu’à la fin de la seconde. Une voix me crie alors la misère des païens, et depuis je n’ai cessé de désirer être missionnaire. Les missions d’Extrême-Orient sont mon choix. Il y a un je ne sais quoi en moi qui me fait aimer les Extrême-Orientaux. Oui, au bien de leur âme, je veux consacrer ma vie. »
Après sa première année de philosophie au grand séminaire de Chambéry, il entre aux Missions Étrangères le 5 septembre 1930, le supérieur assurant qu’il a bon caractère, progresse dans la piété, a une santé de tout repos et, au niveau études, se place dans la première moitié de sa classe de trente élèves. Il vient d’une famille honnête, sérieusement chrétienne. Que demander de plus ?
Le service militaire amène Arsène chez les Chasseurs alpins, comme il convient pour un Savoyard. Sa théologie finie, il sera ordonné prêtre à Paris le 5 juillet 1936. L’Inde du Sud, le jeune diocèse de Salem dans le Tamil Nadu, lui est donné comme destination. Il y arrive en octobre.
Treize ans en Inde
Après une année d’étude du tamoul, et sans doute aussi de l’anglais — par la suite il utilisera avec aisance ces deux langues — Arsène est curé dans une paroisse de nouveaux chrétiens à Namakkal, alors centre d’un mouvement de conversions parmi les gens de basse caste. Il est vraiment « ad gentes », et se donne avec toute sa fougue, tout son cœur. Le P. M. Olçomendy qui le visite à ce moment-là saura plus tard, devenu archevêque de Malacca-Singapour, se rappeler le zèle du jeune missionnaire.
Il passe un an à Idappadi où il s’occupe spécialement des jeunes gens, et le voici procureur du diocèse, de 1941 à 1949. La deuxième guerre mondiale, puis la maladie de l’évêque, l’attente d’une nomination, rendent la situation plus que délicate. Rien n’est facile alors et Arsène montre un optimisme méritoire. Il se déplace à bicyclette et tous les week-ends se rend dans un quartier de la ville, où il fonde ce qui est maintenant une grosse paroisse. Ce n’est pas un procureur de bureau, ni un administrateur de dossiers. « Le P. A. Rigottier, le procureur, à la mine réjouie et débordante d’optimisme, m’enserra dans ses gros bras », note un jeune confrère lors de leur première rencontre à Salem. « Cette première impression se confirma par la suite : Arsène rayonne d’optimisme, c’est un plaisir de se rendre à l’évêché, on est assuré de l’accueil le plus cordial. » Des prêtres indiens, aujourd’hui âgés, soulignent que « comme procureur, il nous accueillait toujours avec le sourire, et nous témoignait de l’amitié. Il était aussi très bon et plein d’attention avec les laïcs ».
En mars 1949 le diocèse reçoit enfin un nouvel évêque, pris parmi les prêtres du clergé local. Les confrères MEP doivent faire face à une situation nouvelle en Inde, puisque jusqu’alors l’évêque était membre de la Société et leur supérieur. Rome leur demande de continuer à travailler dans le diocèse. Mais comment ? En restant mêlés au clergé indien comme auparavant ou regroupés dans une partie du diocèse ? Cette deuxième solution est finalement adoptée, pour être abandonnée après quelque temps. Des différences de vues facilement durcissent, des personnalités s’affrontent. Certains préfèrent prendre leurs distances. Arsène est au cœur du conflit. Il prend son premier congé en 1949, mais chez lui la blessure est trop profonde, il ne reviendra pas à Salem et tente de se réintégrer dans son diocèse : à Belmont-Tramonet où il s’occupe plus spécialement de jeunes travailleurs jusqu’en 1952. Toutefois ceci ne peut être qu’une solution temporaire ; comme au temps de sa jeunesse il y a « un je ne sais quoi » qui lui fait aimer les Extrême-Orientaux. De plus les supérieurs le pressent de considérer un deuxième départ. Et c’est alors la Malaisie.
Les débuts en Malaisie
Mgr M. Olçomendy, qui pendant vingt ans fut le pasteur attentif de communautés tamoules, désire créer de nouvelles paroisses pour eux, notamment en Malaisie. Il se souvient du jeune missionnaire qu’il vit à l’œuvre en Inde jadis, et demande à le recevoir dans son diocèse. Arsène arrivé à Singapour, le 21 janvier 1953, est envoyé comme vicaire d’un Père indien à Taiping dans le nord du diocèse, avec la consigne de fonder un nouveau poste à Sitiawan, à quelque cent kilomètres de là, tout près de la côte du détroit de Malacca. Et avant la fin de l’année, il devient le premier prêtre-résident de la paroisse Saint-François de Sales — un beau cadeau pour un Savoyard ! Il habite d’abord dans la petite sacristie, mais bâtit bientôt un presbytère modeste et simple où il est cependant plus au large !
L’archevêque avait parlé de construire une école pour garçons. Arsène s’y met sans tarder, aide aussi les Dames de Saint-Matir à démarrer leur couvent. À pied ou en vélo il visite les chrétiens éparpillés dans les plantations de caoutchouc. Il vit comme eux, pauvrement. Les hindous le connaissent aussi bien que les chrétiens. Sa maîtrise de la langue et ce don d’accueil par lequel il fait sentir aux autres qu’il est avec eux, pour eux, lui ouvrent bien des cœurs, et en font aussi la victime des mendiants professionnels. Il n’est pas dupe, mais ne sait leur refuser le plaisir d’une ration supplémentaire de todi.
Taiping et Sitiawan
Le diocèse de Penang est érigé en 1955, le P. Clément, curé de Taiping s’en va servir à Kuala Lumpur. Le P. Rigottier le remplace à Saint-Louis et devient aussi conseiller du nouvel évêque. Sa santé est bonne, il sait collaborer avec ses vicaires successifs et s’entendre avec les prêtres de la paroisse chinoise. Il y a de nombreux chrétiens, tant en ville que dans les plantations. Aussi il va de l’avant. Mouvements d’action catholique, école professionnelle, puis orphelinat de garçons que prennent en charge les Sœurs des Missions Étrangères ; la paroisse est vivante et attire. Les prêtres s’arrêtent volontiers à Taiping où ils sont toujours bien reçus. Je me rappelle cette soirée détendue et amicale de février 1958. Je visitais alors la Malaisie pour la première fois, les confrères m’avaient tous dit : « Arrête-toi à Taiping ». Après un repas simple, mais avec un petit extra pour que le visiteur se sente apprécié, nous avons passé deux heures à bavarder, à fumer des cigares locaux, tous en sarong sous le ventilateur, dans la moite soirée de Taiping où il pleut abondamment tous les après-midi. J’écoutais, la paroisse devenait vivante pour moi qui ne la connaissais pas. Les PP. Rigottier et Vetter en parlaient avec enthousiasme et lucidité, j’étais captivé. Ils me donnaient du temps et pourtant je me rendais compte combien leur journée avait été chargée ; et la messe au couvent le lendemain matin serait célébrée à 6 h 10 !
Un de ses vicaires écrit d’Arsène : « Il a été pour moi un vrai père, patient, tolérant, attentif, plein de sollicitude. Je lui dois beaucoup, entre autres l’amour des orphelins, des pauvres, le sens de l’accueil. Il donnait tout ; sans compter, au point de mettre les finances de la paroisse à zéro ! » C’est là un des points délicats d’Arsène à Taiping, d’autant que l’évêché n’est pas d’accord sur la manière dont il emprunte des fonds. Aussi un échange est-il décidé : le P. Rigottier retourne à Sitiawan et le P. Gauthier, qui lui avait succédé dans ce poste, prend sa suite à Taiping.
Arsène se retrouve à l’aise dans cette paroisse plus petite, il reprend ses tournées à bicyclette. Pourtant il s’aperçoit qu’il fatigue, il tousse beaucoup, respire avec difficulté. Des examens médicaux multiples s’ensuivent, finalement il sera opéré à Lady Templer Hospital de Kuala Lumpur : on lui enlève un poumon. Il part alors (avril 1962) en congé d’un an : il en a bien besoin.
Ipoh : Notre-Dame de Lourdes
Au retour de France, le voici dans la vieille et importante paroisse « indienne » d’Ipoh, Notre-Dame de Lourdes, avec une grande bâtisse qui remplace la vieille structure en bois. Quelque 5 à 6.000 chrétiens en ville et de nombreux groupes dans les plantations de caoutchouc. C’est l’époque du concile, et il est aidé par des vicaires zélés, et même « fonceurs » tels L. Catel, Murphy Pakiam, actuel recteur du collège de Penang. La réforme liturgique, les initiatives pastorales, l’ouverture au monde, tout cela a droit de cité à Notre-Dame de Lourdes. « Il était toujours prêt à aller de l’avant, écrit le P. Catel, à explorer, ouvrir de nouvelles voies. Pas d’organigramme pastoral, mais une seule volonté directrice : « Si cela peut aider les gens. Il a introduit la JOC en langue tamoule en Malaisie, mis une Malaise directrice du jardin d’enfants. Il prenait mes initiatives à son compte même s’il n’était pas, à juste titre, tout à fait persuadé de leur bien-fondé. Si cela tournait mal, si les paroissiens ou les autorités réagissaient contre, il prenait tout le blâme sur ses épaules. Respectueux des rites et rubriques, il adaptait pourtant librement, s’il pensait ainsi aider les fidèles à mieux comprendre ou participer. » Cependant l’évêque ne badinait guère sur les innovations en matière de liturgie. Arsène, lui, essayait d’introduire des rites venant de l’Inde, offrandes de noix de coco, objets liturgiques de facture indienne, ornements en batik. Il y a des remous, certains y voient le retour au paganisme.
En même temps on lui confie la formation pastorale de séminaristes ; il guide des jeunes vers la vie religieuse, il sait les encourager, les aider à vaincre les difficultés : il est là dans les temps de crise. « Comme j’ai pleuré dans ses bras le jour où j’ai quitté ma famille pour entrer au couvent », dit une religieuse. Est-il parfois trop bon, couvre-t-il les manques et les faiblesses ? Peut-être.
« Il connaît ses paroissiens, les rencontre, se rappelle leurs noms, leurs liens familiaux, demande des nouvelles des uns et des autres, se souvient de tout cela, même des années après les avoir quittés. C’est pourquoi beaucoup lui restent très attachés et le reçoivent comme un père vénéré, avec les honneurs habituels pour un évêque ! »
Ainsi passe-t-il sept ans à Ipoh. Un congé le ramène pour quelques mois en Savoie, et le voilà nommé à Penang en octobre 1970. Il y restera jusqu’à son décès.
Penang : Saint-Jean de Britto
Il devient le premier prêtre-résident de cette église. Tout y est à faire. Les paroissiens sont à 90 % des Indiens pauvres, des travailleurs manuels. Le P. Rigottier est chez lui au milieu d’eux. Bureau et chambre font partie de l’église, juste séparés par une cloison mobile. Sauf tard le soir il n’est jamais seul ; comme toujours, il devient l’ami de tous, et durant ses douze ans de présence, là il sera vraiment le pasteur de la communauté, l’ami des Indiens, hindous ou musulmans, nombreux dans cette partie de l’île. Ils seront là pour lui dire leur dernier adieu au jour de son enterrement.
Atmosphère familiale, liturgie vivante, ensemble un peu pagailleur : c’est Arsène et son peuple qu’il essaie d’aimer et d’animer. Après quelque temps, il bâtit un jardin d’enfants où les pauvres qu’il faut aider sont plus nombreux que ceux qui paient les souscriptions mensuelles. Dans un coin, il s’est aménagé une chambre où il peut être tranquille et prendre un peu de repos, car il vieillit mais la ruche reste toujours aussi active. Il se fait aider. Là encore on lui confie la formation pastorale de séminaristes. Son genre de vie si simple et sa disponibilité en étonnent plus d’un !
Partant en congé, en 1982, il dit au revoir à ses paroissiens, car à son retour, il sera aumônier des Petites Sœurs des Pauvres.
Batu Lanchang : les Petites Sœurs des Pauvres
Il s’y trouve heureux, avec du temps pour recevoir amis et indigents. Il rend service dans les diverses paroisses de l’île, sa connaissance du tamoul étant fort appréciée, dans une Église où domine l’anglais.
Là il célèbre ses cinquante ans de sacerdoce (juin-juillet 1986) très entouré par les Sœurs, ses anciens paroissiens, son évêque et ses confrères prêtres. Beaucoup plus qu’un jour, c’est une semaine de célébration. Après avoir grogné, il se laisse faire « puisque ses gens aiment ça ! ». Sa famille, venue déjà plusieurs fois le visiter, est présente. On sent combien il est resté uni aux siens et à la Savoie.
Pourtant, tout le monde, lui-même inclus, sait que le cancer l’a touché. Plusieurs mois auparavant il a subi une première opération. Pour le moment « ça va ». Il se dépense toujours, mais les séjours à l’hôpital se font plus rapprochés. En juin 1987, il va en congé, il veut dire adieu à son pays, sa famille dont il a aidé plusieurs membres à se rapprocher du Seigneur. « Malgré sa maladie, nous avons eu la joie immense de le revoir en France confiant et souriant. Il a tenu à revoir chaque personne de sa grande famille, ses innombrables amis. Avec tout son cœur, il a participé chaleureusement à chaque réunion de famille, à chaque petite fête. Enfin il nous a réunis le 27 août pour une dernière messe à Novalaise. Chacun a ressenti alors une grande émotion lorsque dans cette sombre église il nous a proposé de chanter tous ensemble le chant lumineux de Mireille Mathieu, « Que la paix soit sur le monde ».
Les derniers mois
Le P. Rigottier revient à Penang en bonne forme physique et heureux de son congé. Jusqu’à Noël, tout va bien, mais alors il s’effondre, et commencent sept mois d’amenuisement physique et de recentrage spirituel.
Il souffre au début de son inhabilité à faire son service d’aumônier et s’inquiète d’être à charge. Mais sa vie se concentre dans la prière. Affaibli et somnolent, il veut avoir son bréviaire et son chapelet avec lui. Tous les après-midi, avec l’aide des Sœurs, il prie le chemin de Croix, puis célèbre l’Eucharistie. Il reste attentif aux pauvres et distribue le peu d’argent qu’il a rapporté de France.
Fort et bien charpenté, la maladie le détruit complètement. Comment peut-il durer si longtemps ? Toutefois l’esprit reste clair, il donne de l’espoir aux visiteurs, remercie de toutes les attentions dont il est l’objet. On l’entoure affectueusement : les Sœurs, les nombreux amis, la famille aussi qui, de Savoie, téléphone souvent. Arsène s’associe aux célébrations du jubilé sacerdotal du P. Belleville, les prêtres présents prennent l’apéritif avec lui ; tout le monde s’étonne de sa résistance. C’est vraiment un robuste montagnard. Des transfusions de sang lui redonnent un peu de vigueur, mais de plus en plus souvent il somnole. Plusieurs membres de sa famille arrivent près de lui et, comme s’il les avait attendus, il nous quitte le 13 juillet, trois jours après leur venue, les ayant reconnus et parlé avec eux de ceux qui lui sont chers.
L’adieu de la communauté
Et commence alors la célébration des funérailles, du jeudi au lundi, jour de la sépulture. C’est un défilé continu tant à la chapelle des Petites Sœurs des Pauvres qu’à l’église Saint-Jean de Britto, où le corps reste exposé tout le dimanche. Le lundi une messe est célébrée en fin de matinée chez les Petites Sœurs, puis les funérailles sont présidées par l’archevêque de Kuala Lumpur, un disciple du P. Rigottier, en l’absence de l’évêque de Penang, alors en Australie. Une quarantaine de prêtres concélèbrent et la foule est là, dedans, dehors, aux alentours. Chaleur de l’après-midi, chaleur humaine, tout y est dans une atmosphère recueillie, familiale et un tantinet désordonnée. Catholiques, hindous, musulmans ; liturgie presque entièrement en tamoul ; oui c’est bien son peuple qui prie autour du cercueil du Père, cercueil que décore une longue guirlande. En fin de cérémonie est lu un poème en tamoul, prière d’adieu spécialement composée pour lui. La voiture mortuaire se fraie difficilement un passage dans la foule, tandis que de nombreux jeunes l’escortent à mobylette. Les membres de sa parenté qui, très émus, ont pris part aux célébrations, voient de leurs yeux à quel point l’oncle Arsène fait partie de ce petit peuple, combien il s’est « inculturé » dans cette Asie où il a servi plus de cinquante ans.
Arsène Rigottier vu par les siens
Pour conclure, deux témoignages de personnes qui l’ont bien connu.
Un de ses parents, après son retour en France : « Personnellement j’ai rencontré Arsène Rigottier en 1975, au cours d’un voyage en Indonésie-Malaisie. J’ai été émerveillé par son hospitalité, son accueil simple mais chaleureux. Les quelques jours passés à Saint-Jean de Britto restent pour moi des souvenirs lumineux. Enfin une personne qui vivait sa vie avec enthousiasme, et selon des idées saines. Une vie tout entière au service des autres, très éloignée de notre matérialisme. Il bénéficiait sans nul doute d’une exceptionnelle faculté de communication (voire de communion) avec toute autre personne, ceci expliqué peut-être par un don total de soi. On se sentait à l’aise en sa présence, on se confiait à lui en toute simplicité.
En personne humaine et intelligente, il cherchait avant tout à comprendre, respectant les idées de chacun. Il parlait avec conviction, évitait de juger, et avec tout son cœur il trouvait toujours une solution adaptée au problème exposé. Un entretien avec lui apportait toujours réconfort, espoir, confiance et un peu de lumière dans la vie de son interlocuteur. Il “respirait” et communiquait une indicible joie de vivre ; il aimait passionnément la vie et tout être humain dont il définissait ainsi les besoins vitaux : être aimé, aimer et espérer. Particulièrement délicates étaient son affection et sa sollicitude à l’égard des personnes démunies ou faibles. Avec le sourire il savait offrir son affection tout en respectant la dignité de chacun. »
Quant au P. Catel, qui fut son vicaire à Ipoh et vécut auprès de lui les derniers mois de sa vie, il nous dit : « Le P. Rigottier était un homme libre, un homme de foi. Il aimait la compagnie des confrères, et il a souffert de l’isolement comme des critiques que lui valaient ses positions, quand elles ne suivaient pas la ligne de la majorité qui préférait la sécurité des routines. Il appréciait un bon repas, une soirée de détente, mais il vivait très simplement, subsistant parfois des mois avec ce que les gens lui apportaient spontanément, dormant sur un divan, pratiquement sans ressources régulières. Il se mettait en colère quand une demande particulièrement déraisonnable faisait déborder le vase, mais comme des parents grondent leurs enfants, tout en les aimant bien. Les gens le savaient et ne lui en tenaient pas rigueur. Il a été une illustration vivante du modèle que le concile Vatican Il a proposé à l’Église dans Gaudium et Spes : une vie au service des hommes, quels qu’ils soient et où qu’ils soient. Il était ouvert, tolérant, bon. Que le Seigneur soit remercié et loué de nous avoir donné de vivre avec un confrère comme lui. »
Michel ARRO
et les amis d’Arsène RIGOTTIER
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Références
[3566] RIGOTTIER Arsène (1912-1988)
Références bibliographiques
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