Léon DUTERTRE1866 - 1904
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 1920
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Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Corée
- Région missionnaire :
- 1890 - 1904
Biographie
DUTERTRE, Léon-Pierre, né à Ceaucé (Orne) le 3 janvier 1866, fit ses études au petit et au grand séminaire de Séez. Il les continua au Séminaire des M.-E., où il se présenta tonsuré le 15 septembre 1887. Il fut ordonné prêtre le 28 septembre 1890, et partit le 26 novembre suivant pour la Corée. Il fut envoyé d'abord dans la province de Kyeng-syang, à Syen-hpil. L'année suivante, Mgr Mutel le chargea du district d'Itchyen (Syep-kol). Pendant douze ans, il administra ce district qui fut troublé par la guerre sino-japonaise, et par les méfaits des Tong-haks. En 1895, il éleva une chapelle dans le village de Yen-san-i, où il fixa sa résidence.
En 1896, son district fut divisé ; il garda la plus grosse part. Au commencement de mars 1904, atteint de la fièvre à Keui-san, il voulut qu'on le transportât dans la chrétienté de Ké-rim-mal, province de Kang-ouen, où il mourut le 11 du même mois. Il fut enterré non loin de Ké-rim-mal, sur la colline de Tja-tji-pong.
Nécrologie
M. DUTERTRE
MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE DE LA CORÉE
Né le 3 janvier 1866
Parti le 26 novembre 1890
Mort le 11 mars 1901
M. Léon-Pierre Dutertre naquit à Céaucé (Séez, Orne) le 3 janvier 1866. Il appartenait à une de ces familles foncièrement chrétiennes de laboureurs, qui croissaient autrefois comme naturellement sur le sol de notre vieille Normandie, et en étaient la première richesse. Vivant du travail de la terre, dans une honnête aisance, ses pieux parents mettaient leurs premiers soins à cultiver l’âme de leurs enfants ; le plus net de leurs revenus, à pousser aux études ceux de leurs fils que Dieu appelait à son service ; leur gloire, à les voir monter un jour au saint autel. Ils connurent deux fois cette joie et cet hon¬neur.
Sur les premières années du futur missionnaire, nous n’avons que les détails fournis par M. le curé de Bocquencé, frère du regretté défunt, et publiés par la Semaine Catholique du diocèse de Séez, à laquelle nous empruntons ces renseignements.
De bonne heure, M. Léon Dutertre entendit l’appel de Dieu. « Étant tout petit enfant, a-t-il « écrit à sa mère depuis son arrivée en Corée, à l’âge de huit ou neuf ans, quand mon père « m’envoyait garder les moutons, savez-vous ce que je faisais alors, chère maman ? « J’emportais sous ma blouse les Annales de la Propagation de la Foi et de la Sainte-Enfance ; « je les lisais et relisais avec plaisir, et le malheur de ceux qui ne connaissaient pas le bon « Dieu me touchait profondément. Je me disais alors : Moi aussi, plus tard, j’irai leur prêcher « le nom de Dieu et le leur faire aimer ; moi aussi, je serai missionnaire. Oh ! que Notre-« Seigneur est bon de m’avoir, malgré mon indignité, favorisé d’un si glorieux partage ! »
Le germe de la vocation ecclésiastique ne pouvait que se développer et grandir, dans cette terre si bien préparée, sous l’influence des pieux exemples de parents chrétiens et des leçons d’un maître animé de l’esprit sacerdotal, qui pleure aujourd’hui le premier de ses nombreux élèves.
Après six ans passés au petit séminaire de Séez, à l’ombre du sanctuaire de l’Immaculée-Conception, dont il gardera jusqu’aux derniers instants le souvenir, M. Dutertre entra au grand séminaire, où il reçut la tonsure à l’ordination de la Trinité, en 1887.
Les ardeurs de son zèle portaient fréquemment ses pensées au delà des mers, dans ces pays lointains, où les âmes se perdent faute d’ouvriers évangéliques. Il persistait à vouloir être missionnaire. Son sage directeur, M. le chanoine Turcan, après avoir prié et longtemps réfléchi, lui dit enfin : « Partez ! »
Admis au séminaire des Missions-Étrangères, le futur missionnaire y entra le 15 septembre 1887 et s’y prépara au sacerdoce, pendant trois ans, par l’étude, la retraite et la prière.
A mesure qu’il avance dans les saints ordres, il laisse entrevoir sa joie : « Nous aurons un « départ demain, écrit-il, le 12 novembre 1889, à celui qui, le cœur ému, trace ces lignes ; « nous aurons un autre départ dans six semaines. Onze confrères nous quittent demain pour « s’en aller en Chine ; dans un mois et demi, quarante-deux autres nous auront dit : « Adieu! » « ou plutôt « Au revoir, au ciel ! » Cette cérémonie sera plus touchante encore pour moi que « celles des années précédentes ; car mon tour approche et approche bien vite. Dans un an, à « pareille époque, j’aurai quitté la France et je voguerai sur le Grand Océan pour aller faire du « bien aux pauvres âmes d’Orient. Oh ! cher frère, que je serai heureux, malgré tant de « sacrifices, de voler au secours de ces pauvres délaissés pour qui Jésus a versé tout son sang ! « Que je serai heureux ! Les rêves de ma jeunesse seront enfin pleinement accomplis ; je serai « le petit missionnaire du bon Dieu. Priez beaucoup afin que je devienne tel que Dieu me « veut : rempli de piété, de zèle, de générosité... »
La générosité, il lui en fallait en effet. Dieu, qui a coutume de puri¬fier et de sanctifier par la souffrance les âmes qu’Il aime et destine à devenir des instruments de salut, allait lui demander successivement de pénibles sacrifices. Le 24 mai 1890, il assistait au lit d’agonie son vénéré père. Au commencement du mois d’octobre suivant, il embras¬sait pour la dernière fois sa mère bien-aimée. Les liens de la nature ainsi brisés, il pouvait partir le coeur libre.
Ordonné prêtre le 28 septembre 1890 par Mgr Mutel, son vicaire apostolique, M. Léon Dutertre partit de Paris le 26 novembre, eut la bonne fortune de faire avec son évêque le pèlerinage de Rome et arriva à Séoul au commencement de février 1891.
Après quelques mois d’étude de la langue et d’apprentissage de la vie indigène, M. Dutertre fut envoyé dans la province de Kyeng-syang-to pour y faire ses premières armes ; mais ses débuts, dans le sud de la Corée, furent loin d’être heureux. Il n’est pas toujours prudent, pour un novice, de vouloir imiter, du premier coup, le genre de vie des anciens. Il faut y mettre du temps, de l’observation et de la mesure. L’oubli de ce principe faillit coûter bien cher à notre jeune confrère, dont le tempérament sanguin s’accommoda fort mal des chaleurs du premier été. Santé, force, entrain, tout disparut bientôt. Avec cela, des crises d’étouffement survinrent qui inquiétèrent son entourage et firent craindre pour sa vie. Visiblement, ce milieu n’était pas fait pour lui. L’année suivante, le district d’I-tchyen s’étant trouvé vacant par la mort de M. Couderc, Mgr Mutel pensa avec raison que l’air pur et vif des montagnes du Kang-ouen-to serait plus favorable à M. Dutertre et le désigna pour occuper ce poste. Ce changement lui rendit la vie. C’était pour notre confrère la fin de l’épreuve, et nous le verrons, désormais, heureux et joyeux jusqu’à sa mort.
Le pays d’I-tchyen est pauvre et montagneux entre tous. Gravissez l’un des sommets qui dominent toute la contrée ; de ce point culminant, votre œil ne rencontre de tous côtés que des milliers de pics effilés, de cônes arrondis, de cimes dentelées, de rochers plus ou moins sauvages, dont l’ensemble vous donne l’illusion d’une mer, où les vagues soulevées par une forte brise se pressent, se heurtent, se poussent, et finalement se dressent en crêtes innom-brables, aux formes capricieuses et tourmentées. C’est dans cet enchevêtrement de gorges sans cime apparente que vit une population simple, rustique, tranquille, aux mœurs un peu sévères.
Pauvres entre les pauvres, les chrétiens de cette contrée vivent sur¬tout de millet et de pommes de terre. Dans les années de disette, une bouillie de glands de chêne, les herbes et les racines de la montagne sont souvent leur unique ressource. Mais, si déshérités qu’ils soient pour la plupart des biens de la terre, en eux se vérifie encore le beati pauperes de l’Évangile ; et ces pauvres montagnards sont heu¬reux dans leur foi naïve et sincère, robuste comme l’âpre nature au milieu de laquelle la Providence les a placés.
M. Dutertre n’avait qu’à marcher sur les traces de ses zélés prédécesseurs. Grâce à la forte empreinte laissée par la vie austère, la charité et le zèle ardent de M. Deguette, grâce à la ténacité déployée par M. Couderc pour forcer ses ouailles à étudier la doctrine, aux sacrifices qu’il s’était imposés pour les grouper en villages et les sous¬traire ainsi au contact dangereux des païens, M. Dutertre trouvait, dans le nord-est du Kang-ouen-to, des chrétientés instruites, disciplinées, ferventes. Il n’avait qu’à continuer l’œuvre si bien commencée à l’étendre autant que possible, et c’est ce qu’il a fait pendant les douze années de son fructueux ministère.
Pour caractériser son action en deux mots, il suffit de dire qu’il était un bon père au milieu de ses enfants. Il semblait ne vivre que pour eux ; il ne se plaisait que parmi eux. Sa joie était de les réunir auprès de lui. Ils répondaient à cet appel. Dès que les travaux des champs leur en laissaient le loisir, on les voyait arriver chez le missionnaire. L’hiver surtout, les longues soirées se passaient en d’interminables causeries, où les questions de religion et d’histoire se mêlaient aux mille nouvelles de partout, dont les Coréens sont toujours si friands. La prière en commun terminait la journée.
En tournée d’administration, il éprouvait le même besoin d’être avec ses chrétiens. Même à l’époque de la retraite annuelle, ou quand des affaires l’amenaient, bien rarement du reste, à la capitale, si M. Dutertre n’était pas avec les confrères, on savait de suite où le chercher. On était sûr de le trouver assis dans sa chambre à la coréenne, entouré dès gens de sa suite accroupis en cercle autour de lui. Les personnes étrangères aux mœurs de ce petit cénacle se seraient parfois inquiétées en entendant notre confrère enfler sa grosse voix, qui se précipitait brusque, rapide, éclatante comme une annonce de tempête. Les initiés ne s’effrayaient pas pour autant. Sachant par expérience que ces foudres momentanées se changeaient, plus vite encore que celles du ciel, en pluie bienfaisante, ils attendaient tranquillement la fin de l’orage, pour obtenir, à la faveur d’une de ces petites faiblesses européennes qu’ils connaissent et exploitent si bien, le pardon, la permission ou la grâce qu’ils eussent vainement implo¬rés par un temps serein.
Le calme n’était d’ailleurs qu’apparent dans la nature de M. Dutertre ; il ne le gardait que par vertu. Son caractère, mélange de vivacité et de bonhomie, de franchise et de délicatesse, de timidité et de brus¬querie, se serait laissé aller aisément à toutes les saillies d’une nature impatiente. Heureusement, il s’en rendait compte mieux que personne, et les efforts constants qu’il faisait pour se vaincre, joints à ce fonds d’obligeante charité qui le portait à rendre service, à cette crainte de faire de la peine, à cette candeur avec laquelle il venait toujours le premier s’excuser d’une parole vive, à sa généreuse, large et cordiale hospitalité, rendaient son commerce agréable à tous les confrères, spé¬cialement à ses voisins de district.
En effet, c’est chez lui surtout qu’il fallait le voir, à I-tchyen, au milieu de son troupeau, pour le connaître et l’apprécier tout entier. Ailleurs, il n’était qu’une moitié de lui-même. A Séoul, au bout de quelques jours, il avait déjà la nostalgie de ses montagnes, et il éprou¬vait une sorte de soulagement, quand la fin de la retraite lui permet¬tait d’en reprendre le chemin.
La guerre sino-japonaise vint troubler la paix de sa solitude par un contre-coup inattendu. Battus à A-san par les Japonais, le 26 juil¬let 1894, les Chinois en pleine déroute cherchaient un chemin sûr pour rejoindre le gros de leur armée, retranchée à Hpyeng-yang. Décrivant une courbe prudente par l’est, le long de la province du Kang-ouen-to, ils s’avançaient en désordre vers le nord, semant sur leur passage le vol, le pillage, l’incendie, surtout la terreur. Le 16 août, une bande de ces pillards armés arrivait sur le territoire d’I-tchyen et dans le village même habité par le missionnaire, qui faillit tomber entre leurs mains.
Voici d’ailleurs comment il raconte lui-même le fait :
« M. Jozeau, mon ancien voisin, a été arrêté et massacré par les troupes chinoises « débandées. Ces Chinois sont passés chez moi, et ont stationné à I-tchyen du 16 au 20 août. « J’ai failli être traité par eux comme M. Jozeau. Plusieurs de ces bandits, un soir, ont pénétré « dans ma maison. Pendant qu’ils entraient par une porte, j’ai eu le temps bien juste de sortir « par l’autre et de me cacher dans un champ de millet. Ils se sont contentés, ce soir là, de me « voler une soutane et ont ensuite continué leur route.
« Dans la nuit, je rentrai et donnai des ordres pour enlever tous mes effets, dont j’avais « caché les principales pièces sous le plancher de ma chapelle. Je me retirai ensuite, laissant à « mes chrétiens le soin de mettre le reste en lieu sûr. Le lendemain matin, 18 août, trois à « quatre cents Chinois, revenant à la charge, envahissent ma maison après en avoir défoncé « les portes, enlèvent tout ce qu’ils trouvent et détruisent ce qu’ils ne peuvent emporter, sans « épargner ma pauvre chapelle.
« Mon bagage de messe et mes livres sont heureusement presque intacts, quoiqu’ils aient « supporté quatre jours et quatre nuits de pluie sur la montagne. Maintenant je suis dans le « dénuement le plus complet, et pourtant je ne me suis jamais senti plus heureux, tant il est « vrai que le bon Dieu sait consoler ceux qui sont dans la tribulation. »
Débarrassé des Chinois, M. Dutertre allait avoir affaire, quelques mois plus tard, avec les Tong-haks. « Ces rebelles, écrivait-il dans la même lettre, se répandent de plus en plus dans la « contrée. Ils ont déjà dévasté les chrétientés du Tjyen-la-to et du Tchyoung-tchyeng-to. Ils « s’attaquent de préférence aux chrétiens, mais aussi aux païens, surtout aux riches qui ne « veulent pas faire cause commune avec eux. Le régent a envoyé, dit-on, plusieurs centaines « de soldats pour réprimer ces fanatiques, mais qu’adviendra-t-il ? Je l’ignore... »
Il arriva qu’après avoir dévasté tout le sud du pays, les Tong-haks se répandirent aussi dans le nord. I-tchyen et les districts environnants furent, à leur tour, sérieusement menacés. Devant ces agitateurs, que des incantations et des formules magiques mettaient, disait-on, à l’abri des balles, peuple et mandarins, tout tremblait. M. Dutertre et son voisin, M. Legendre, crurent avec raison que la peur n’était pas le meilleur moyen de sauver leurs chrétiens, et ils entreprirent d’orga¬niser la résistance. Un certain nombre de chasseurs chrétiens furent donc armés de fusils à tir rapide, achetés à vil prix après la déroute de l’armée chinoise, et, transformés en « soldats européens » avec quelques débris de soutanes, de vieux habits et de vieux galons, purent se mettre à la tête des gens du parti de l’ordre. Dès que la nouvelle s’en répandit, les païens reprirent confiance et courage. Il y eut plusieurs rencontres. Les Tong-haks furent toujours battus. Les remingtons trouant sans difficulté la peau de ces soi-disant invulné¬rables, la peur changea vite de camp ; en quelques semaines, les Tong-¬haks furent balayés de toute la contrée. Quand nos « soldats européens » rentrèrent en triomphe à I-tchyen, le mandarin local, fier d’avoir organisé la victoire de concert avec les deux missionnaires (il en fit du moins courir le bruit), vint en personne à la rencontre des braves. S’il ne leur distribua pas de médailles militaires, il commença du moins à trouver que les chrétiens étaient parfois utiles à quelque chose et, à partir de ce jour, il entretint avec M. Dutertre des rela¬tions cordiales dont notre sainte religion a souvent, depuis lors, res¬senti les bons effets dans la région.
Un premier résultat fut l’augmentation du nombre des catéchumènes. En 1895, malgré les incursions des « soldats de la justice », sorte de doublure des Tong-haks et ramassis de vulgaires brigands, qui brû¬lèrent et saccagèrent une ou deux de ses chrétientés, M. Dutertre eut la consolation de baptiser près de 200 adultes. Ce succès le réjouit d’autant plus que ses chrétiens, malgré leur ferveur bien connue, n’avaient pas la foi très expansive et bornaient leur propagande au cercle de leur parenté, se tenant pratiquement sur une réserve pru¬dente avec les nouvelles recrues venues du paganisme.
La même année, notre confrère vit se réaliser un de ses vœux les plus chers : l’érection d’une chapelle dans le village de Yem-san-i. Les dégâts, causés précédemment par les soldats chinois, et le nombre croissant de ses néophytes rendaient la chose absolument nécessaire. M. Dutertre eut la joie de célébrer la messe dans la nouvelle chapelle, le jour de l’Assomption, et le bonheur d’offrir à Notre-Seigneur un sanctuaire, riche de propreté et de décence, où missionnaire et chré¬tiens pourraient venir désormais l’adorer dans le sacrement de son amour.
Le district du Kang-ouen-to-nord fut divisé en 1896 : une portion fut donnée à M. Bouyssou, le gros lot restant à M. Dutertre. Déchargé ainsi d’une partie de son fardeau, celui-ci en profita pour soigner davantage l’instruction de ses néophytes. Le temps que lui laissaient libre l’administration des sacrements et la visite des chrétientés, il l’employait à composer des sermons à leur usage.
Ainsi s’écoulaient heureuses, occupées et tranquilles, les années de notre confrère à Yem-san-i. Sa santé florissante laissait présager de longs services, à moins d’un de ces coups foudroyants, auxquels sont exposés de fortes complexions comme la sienne. Comprenait-il lui-même ce danger ? On serait porté à le croire.
« Depuis un certain temps, écrit à ce sujet son voisin et ami, M. Bouyssou, il avait de la « mort un pressentiment très net. Il s’en était ouvert à moi à deux reprises, pendant l’hiver « dernier. « Je ne sais trop pourquoi, me déclarait-il, quelque chose me dit que je mourrai au « printemps prochain, soit dans le district de Sak-ryeng, soit dans celui de Hpyeng-kang, mais « plus probablement dans le premier. » J’essayai de le distraire de ces pensées que je traitais « d’idées noires. « En tout cas, reprit-il, si je tombe malade à Sak¬-ryeng, je ne vous ferai pas « appeler, à cause de la distance ; j’expé¬dierai un courrier à Séoul : là, je serai sûr de trouver « quelqu’un. Vous ne saurez ma maladie qu’après avoir appris ma mort. » Le cher confrère, « malgré son pressentiment, ne croyait pas prophétiser si juste. »
« En effet, il allait bientôt tomber, écrit Mgr Mutel, les armes à la main, en tournée « d’administration. A la fin de février, il éprouva un malaise dont il ne soupçonnait pas la « cause. Il continua néanmoins l’exercice de son saint ministère, prenant seulement la « précaution d’éviter le grand air. A cette fin, au lieu de se rendre dans les chrétientés « voisines, il avait demandé aux chrétiens de venir eux-mêmes à Keui-san.
« Keui-san était sa station de prédilection. Il l’avait ouverte, en avait baptisé tous les « chrétiens et, chaque année, quelque nouvelle famille venait s’ajouter aux anciennes. En « dehors du temps de l’administration, il aimait à y venir passer plusieurs jours, surtout à « l’époque de quelque fête, où il donnait les sacrements à tout son monde. »
« Le 8 mars, se trouvant plus souffrant, après avoir à grand’peine achevé la messe qui fut sa dernière, il écrivit un mot au prêtre coréen, Augustin Kim, le priant de venir au plus vite à son secours. »
Dans la soirée, il demanda à son servant de lui apporter un livre pour se préparer à la mort. « Car, ajouta-t-il, je pourrais bien mourir ou perdre connaissance. Une fois préparé, je recevrai toujours avec fruit l’absolution et l’extrême-onction. » Là-dessus, il resta près de deux heures à faire sa préparation ; puis il appela son servant et lui dit qu’il était prêt à tout. Il le pria de ne plus voir en lui un supé¬rieur, mais un pécheur comme les autres ; de dire à tous ses chrétiens qu’il leur pardonnait de grand cœur les peines qu’ils avaient pu lui faire, et qu’il les priait, eux aussi, de lui pardonner toutes celles qu’il avait pu leur causer par vivacité ou autrement. Après quelques recom¬mandations à l’adresse du vicaire apostolique, des confrères et de sa famille, il perdit à moitié connaissance.
Le lendemain, le P. Kim, arriva à Keui-san. Le pauvre malade n’y était plus. Atteint de la rougeole ou de la scarlatine et sous l’influence de la fièvre, il avait voulu à toute force, malgré les supplications de son servant et de ses chrétiens, quitter Keui-san pour se rendre à la chrétienté voisine de Ke-rim-mal. On l’y transporta sur une chaise. Ce voyage au grand air lui fut fatal. En arrivant à Ke-rim-mal, il était mourant. Le P. Kim vint aussitôt l’y rejoindre, lui donna l’absolution, la lui renouvela le lendemain et lui administra l’extrême-onction. Bien qu’il ne parût rien comprendre de ce qu’on lui disait, lui suggérait-on d’invoquer les saints noms de Jésus, Marie, Joseph, il faisait un signe d’assentiment et s’efforçait de les prononcer. Il mourut, ou plutôt il s’endormit le 11 mars, à 11 h. ¾ du soir, sans secousse, sans effort, paisiblement, comme un bon ouvrier qui a fini sa journée.
Les chrétiens des villages environnants, dès qu’ils connurent le deuil qui les frappait, vinrent veiller, prier et pleurer, près de la dépouille mortelle de leur Père qui repose maintenant, non loin du village de Ke-¬rim-mal, sur la colline de Tja-tji-pong, en attendant l’heure de la résur¬rection et de la récompense éternelle.
Références
[1920] DUTERTRE Léon (1866-1904)
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1892, p. 264 ; 1893, p. 24 ; 1894, p. 23 ; 1895, p. 32 ; 1896, p. 19 ; 1897, p. 27 ; 1902, p. 69 ; 1903, p. 51. - A. M.-E., 1911, p. 212. - Sem. rel. Séez, 1908, Notice, p. 502.
Miss. orig. du dioc. Séez [même Notice que Sem. rel. Séez], p. 63.
Notice nécrologique. - C.-R., 1904, p. 373.