Jean LAFRENEZ1911 - 1985
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3568
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Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Inde
- Région missionnaire :
- 1936 - 1985 (Pondichéry)
Biographie
[3568] LAFRENEZ Jean naît le 27 septembre 1911 à Euville, village du diocèse de Verdun dans la Meuse. Pendant la guerre, sa famille émigre en 1917 à Cléry dans le Loiret. Son père meurt d'une laryngite en 1919. Jean commence ses études primaires à Cléry, mais sa famille, après l'armistice, retourne dans la Meuse, non pas à Euville mais à Commercy. Il fait alors la rencontre d'un Père des Missions étrangères de Paris, le P. Nassoy, qui l'envoie à l'école apostolique de Montmélian (1) en octobre 1922. Il est admis comme postulant des Missions Étrangères. De Montmélian, il passe à Conflans (2) le 25 septembre 1925. Brillant élève, il aurait pu passer avec succès son baccalauréat, mais il est hospitalisé à la suite d'une chute de barre fixe quelques jours avant l'examen.
Il entre au Séminaire de Bièvres en septembre 1929, fait son service militaire, non pas en France mais en Tunisie dans le 4ème régiment des Chasseurs d'Afrique. Le 3 juillet 1936, il rejoint ses condisciples au sous-diaconat. Diacre le 21 décembre suivant, il est ordonné prêtre le 5 juillet 1936. Destiné à la mission de Pondichéry, il y arrive le 9 octobre 1936.
Vicaire, puis curé
Accueilli par l'archevêque, Mgr Colas, MEP, il s’initie sous la direction du P. Leblanc, expert en tamoul, à cette langue. Puis, il est envoyé comme aumônier des orphelins de Tindivanam (3), plus précisément à Kadampakkam, mais dès l'année suivante, le 22 janvier 1937, il est affecté à Viyur comme vicaire du P. Peyroutet. Pendant quelques mois, il se lance à faire des sermons en tamoul et à entendre les confessions. Mais en juin suivant il est nommé à Tindivanam où il reste deux ans. Bien que responsable de la construction de bâtiments, il fait bon usage de son tamoul avec les élèves de l'École normale.
En juillet 1940, il est nommé curé d'Anilady (4). Il y reste jusqu'au 4 juillet 1947. Le district compte quatre mille Chrétiens dispersés dans trente-deux villages, sans aucune route. Il donne là le meilleur de lui-même et a le bonheur de baptiser environ cinq cents hindous. Il développe l'école existante et ouvre une école de filles.
Un intermède de professorat
En 1947, il se sent fatigué et va à l'hôpital de Pondichéry. Selon l'avis du médecin, il aurait dû retourner en France, mais Mgr Colas doit prendre la décision de le nommer professeur au Grand Séminaire à Bangalore. Il y enseigne la sociologie, la liturgie, le Droit Canon. On lui demande également de faire la lecture spirituelle aux séminaristes de terminale. Un de ses élèves est particulièrement brillant : Mgr Lourdusamy, archevêque de Bangalore, sera fait cardinal, puis appelé à Rome comme Secrétaire de la Congrégation des Œuvres missionnaires pontificales. Il sera par la suite Président de la Congrégation des Églises orientales.
En avril 1949, le P. Lafrenez prend son congé en France. Il revient en Inde le 15 février 1950 pour prendre la suite du P. Cailleault à la procure de la mission. Tout en assurant l'intérim de la procure pendant l'absence du P. Cailleault, il a la joie d'aider le P. Hougard à la paroisse Notre-Dame-des-Anges de Pondichéry dans diverses activités pastorales.
Un planteur de grande compétence
Puis, changement complet de ministère : il est envoyé dans les montagnes Shivaroy, comme planteur de café à la plantation de Balmadès de Yerkaud (5). Grâce à sa facilité d'adaptation extraordinaire, il devient un excellent planteur, sans pour autant oublier ses missions pastorales : il baptise, au cours des neuf ans de séjour passés à Balmadès, une soixantaine d'adultes parmi ses coolies et les gens des environs.
Le 3 mai 1959, il prend un deuxième congé en France. À la demande de son évêque, il écrit un Précis de l'histoire de la mission de Pondichéry, ouvrage qui reçoit le Prix Georges Goyau 1954, faisant ainsi de notre confrère un lauréat de l'Académie française.
Curé bâtisseur attentif au développement des écoles et y réussissant
De retour en Inde, il est nommé curé de Villupuram (6), centre ferroviaire important, paroisse indienne comprenant de nombreuses familles d'anglo-indiens (7). Il y reste dix-sept ans. Entouré de la sympathie et de l'affection de ses paroissiens, il célèbre son jubilé d'or sacerdotal en juillet 1961. En 1976, on lui donne un socius (8) en la personne du P. Massot, qui devait mourir en janvier 1977. Le voilà donc seul à l'âge de 66 ans. Il continue son apostolat à Villupuram. En 1978, il construit un nouveau bâtiment pour son école qui est érigé en "high school", école secondaire avec deux mille trois cents élèves, quarante-trois maîtres et cinq personnes auxiliaires.
Au début de 1983, il se sent vraiment fatigué. En compagnie d'un de ses confrères de Bangalore, le P. Renard, il prend un dernier congé en France et revient le 11 novembre dans sa paroisse de Villupuram. Le Seigneur lui permet de s'adonner encore à de nombreuses activités : Nouveau couvent de Sœurs indiennes (Carmélites apostoliques d'Ernakulam) avec école et dispensaire. École anglaise avec treize cents élèves, divers ateliers de travail pour jeunes filles pauvres. Villupuram est devenue une belle paroisse de cinq cent quarante-quatre anglo-indiens, deux mille cent quarante-quatre tamouls, tous pratiquants, faisant église comble chaque dimanche.
La maladie le terrasse. On détecte un cancer du poumon gauche. Il donne sa démission et reste avec le nouveau curé indien à Villupuram. Ses paroissiens tiennent beaucoup à lui. En 1984, en plus de son cancer, sa vision s'obscurcit avec la cataracte. Il ne se fait aucune illusion sur sa fin prochaine. Comme il désire mourir à Villupuram, on l’y ramène le 6 mai. Il ne sait comment remercier le P. Yves Ollivier, supérieur local, de l'avoir si fidèlement soigné. Le P. Lafrenez expire le 17 mai 1985.
Des obsèques célébrées en fête conformément à ses souhaits
Le P. Ollivier écrit à son sujet : ‘‘étonnant de jeunesse, ce "Lafraise" qui voulut à soixante-quatorze ans faire de son enterrement une fête, la fête de son entrée au ciel !’’. Ses désirs sont exaucés : chasuble blanche, ornements blancs pour les célébrants, trois évêques et quatre-vingt-huit prêtres, guirlandes dans l'église, chants joyeux en anglais et en tamoul, sonnerie aux morts par un cor si expressif qu'il fait venir les larmes à plus d'un parmi les quelques milliers de personnes venues faire leur adieu à leur père bien aimé.
1 – A Saint Witz dans le val d’Oise.
2 – A Charenton le Pont dans le Val de Marne.
3 – Au nord de Pondichéry.
4 – Au nord-ouest de Pondichéry.
5 – Au nord de Salem.
6 – A l’ouest de Pondichéry.
7 – Métis d’Indiens et d’Européens reconnus comme tels par la constitution indienne.
8 – Assistant.
Nécrologie
Le Père Jean LAFRENEZ
Missionnaire de PONDICHÉRY
LAFRENEZ Jean
Né le 27 septembre 1911 à Euville, Meuse, diocèse de Verdun
Entré aux Missions Étrangères le 14 septembre 1929
Prêtre le 5 juillet 1936 — Destination pour la mission de Pondichéry
Parti le 15 septembre 1936
En Mission : Pondichéry : 1936-1985
Décédé à Villupuram, le 17 mai 1985
Voir carte nº 4
Le Père Jean Lafrenez a écrit lui-même sa notice biographique. On y découvre toute la gouaille qui faisait la joie de ses amis. Elle révèle aussi que tout en reconnaissant les dons importants que Dieu lui avait accordés, il était très conscient de ses propres limites. Laissons-lui, avec la parole, l’honneur de respecter sa modestie. Ce ne serait pas le grandir que de taire ces aspects de sa personne que lui-même voulut rendre publics.
Je suis né à Euville, un petit village d’un millier d’habitants, situé à trois kilomètres de Commercy, dans la Meuse. Ce petit village était alors connu dans toute la France : c’était le plus riche du pays et le seul, sans doute, où les « indigènes » ne payaient pas d’impôt municipal. Ceci était dû aux fameuses carrières d’Euville, qui expédiaient un peu partout la fameuse « pierre d’Euville », matériau de choix pour les grandes constructions et les monuments.
C’est donc en cet endroit charmant, sur les bords de la Meuse « endormeuse et chère à mon enfance », entouré de splendides forêts, que je vis le jour, le 27 septembre 1911. J’étais le dernier de cinq enfants. Ma famille était pauvre ; mon père était un simple carrier, mais un bon musicien, tenant haut le pavillon de la fanfare locale avec son baryton. Il était croyant à très gros grains ; ma mère, au contraire, était extrêmement pieuse. C’est certainement sous son influence que j’ai trouvé ma vocation. Quant à mon orientation missionnaire, elle est due aux Annales de la Propagation de la Foi, que nous recevions et lisions avidement.
Le curé d’Euville, qui était alors un prélat de je ne sais quelle eau, s’appelait Mgr Micault, de haute bourgeoisie.
C’est sur les genoux de ma mère que j’appris le catéchisme et la lecture. Je me souviens encore de la façon dont elle m’apprenait le « S » = Serpent... Elle n’avait que son simple Certificat d’Études primaires ; mais je n’ai jamais trouvé une faute d’orthographe dans ses lettres. Tertiaire de Saint-François, sans aucune formation théologique ou mystique, je suis sûr qu’elle avait atteint un très haut degré de sainteté.
En 1914, la guerre éclata. Nous étions, alors, aux premières loges. Comme nous vivions dans une maison louée, avec une grande grange, nous fûmes vite réquisitionnés pour abriter les troupes. J’étais gâté par les soldats. Mais ma mère veillait à mon langage qui, au contact des hommes, courait un grand risque. La première fois que je dis « M... », j’attrapais une bonne claque... Je me suis rattrapé depuis.
En 1917, je crois, la santé de mon père laissant à désirer, nous émigrâmes vers un climat moins dur que celui de la Meuse. C’est à Cléry, dans le Loiret, que nous allâmes nous installer. C’est là que je fis connaissance avec les bancs de l’école et avec une maîtresse qu’un jour de bonne humeur, je traitais de « vieille folle », ce qui me valut de violentes représailles à la maison. J’y eus aussi un brave homme d’instituteur qui m’emmenait parfois à la chasse avec lui.
Le changement de climat ne restaura pas la santé de mon père. Il eut la joie de voir l’armistice, et je me souviens avoir cassé la corde d’une cloche de Notre-Dame de Cléry, en sonnant avec enthousiasme le 11 novembre 1918. Puis mon père mourut d’une laryngite, le 8 janvier 1919.
Nous prîmes bientôt le chemin du retour. La situation de la famille n’était pas brillante : ma sœur aînée était femme de chambre dans un château ; un de mes frères faisait le service militaire ; l’autre commençait tout juste à travailler comme manœuvre. Ma plus jeune sœur et moi allions encore à l’école. Au lieu de revenir à Euville, nous allâmes nous installer à Commercy. Malgré les difficultés financières, ma mère qui ne transigeait pas avec les principes, me mit à l’école libre Saint-Léon. J’étais bon élève et j’avais toutes les chances de passer brillamment mon Certificat d’Études primaires. Dieu en décida autrement.
Je rencontrai là un Père des Missions Étrangères, un ancien de Mysore, le P. Nassoy qui, devenu prédicateur ambulant, venait de temps en temps se reposer à Commercy. Je ne sais plus comment je fus mis en rapport avec lui. Toujours est-il qu’il décida de m’envoyer à l’école apostolique de Montmélian où je rentrai en classe de septième, en octobre 1922. C’était une école destinée aux enfants de santé délicate, se destinant au séminaire. J’y fis ma septième, sixième et cinquième, admis dès le début comme « postulant » des Missions Etrangères.
A la maison, ma mère tenait le coup en travaillant comme un forçat à sa machine à coudre, payée à la pièce et pas lourd. Le bruit de la machine à coudre a accompagné mon enfance. Jusqu’à une heure avancée de la nuit, ça roulait, ça roulait... Ma pauvre maman a bien mérité du Bon Dieu.
À Montmélian, je me classais d’emblée en tête de mon cours. Je peux dire que je fus un élève brillant. Sur neuf trimestres passés dans cette maison, je fus premier aux examens, huit fois, et la seule fois où je ne le fus pas, c’est parce que j’étais grippé. De ma classe de Montmélian, je fus le seul à devenir prêtre.
De Montmélian, je passai automatiquement à Conglans, le 25 septembre 1925. On m’avait dit que là, j’allais trouver de plus malins que moi qui me rabattraient un peu le caquet que j’avais assez haut. Or, dès la première composition en version latine, j’arrivai le premier. Gros scandale parmi mes condisciples : un nouveau qui se paye le luxe de battre les anciens. Dès Montmélian, j’avais fait la connaissance d’un homme merveilleux : l’abbé Legendre. Professeur de seconde à Conglans : un savant, un fin lettré, un philosophe, un saint. Il eut sur moi une profonde influence, comme sur tous ceux qui furent en contact avec lui. A Conglans, je restai dans la tête de la classe, sauf en mathématiques. Puis, au cours de ma seconde, la lumière se fit. Sur les quatre compositions annuelles et sur 28 élèves dans la classe, je fus 26e, puis 24e et subitement deuxième et troisième. Tant et si bien qu’en rhétorique je fus sélectionné pour me présenter au Concours général de France en mathématiques, où je n’obtins d’ailleurs aucune distinction. Bref, j’étais encore ce qu’il est convenu d’appeler un brillant élève qui, pourtant, ne s’en faisait pas beaucoup et manquait totalement de sérieux. J’avais toutes les chances de passer brillamment mon baccalauréat. Mais le Bon Dieu veillait encore. Juste quelques jours avant l’examen, je tombai de la barre fixe, me fis une lésion à un rein et au lieu de me trouver en Sorbonne, j’échouai sur un lit de l’hôpital Bon Secours. C’est ainsi que je n’ai pas passé mon baccalauréat, ce qui est peut-être providentiel comme on le verra plus tard. J’aurais pu, sans doute, me présenter à la session d’octobre, mais, en plus de ma nonchalance, les supérieurs des Missions Étrangères ne m’y encouragèrent pas. Après des vacances tranquilles à Commercy, je rentrai à Bièvres en septembre 1929 et je pris la soutane sans histoire.
Me voici donc aux Missions Étrangères. J’obtins l’auditorat de philosophie scolastique de l’Institut catholique, manquant de peu le « cum laude ». À ce propos, je me souviens d’une histoire. J’avais comme condisciple un certain Paul Seitz qui devait devenir évêque de Kontum. Or, pour cet auditorat, il y avait une sélection et, seuls, les meilleurs élèves étaient autorisés à s’y présenter. J’étais fier comme un coq et sûr de ma sélection. Or, un jour, Paul Seitz répandit le bruit que la sélection était faite et que mon nom n’y figurait pas, j’en fus soufflé. Pendant deux jours, il me fit marcher d’une façon impitoyable. Il me demanda : « Combien de kilomètres peut-on faire en deux jours, en marchant bien? » Je répondis en le prenant au sérieux, jusqu’à ce que, enfin, la véritable sélection, avec mon nom, fut publiée.
À la fin de Bièvres, vint le temps du service militaire. En dépit de l’interdiction qui en avait été faite, je fis une demande pour le Maroc. On m’envoya en Tunisie ce qui n’était pas si mal. Comme le Père Sy me blâmait d’avoir fait cette demande, je lui répondis que, de cette façon, j’obtiendrais une permission libérable qui me permettrait d’être présent au début des cours de l’année suivante. Je ne sais pas à quel point il m’a cru. Avec le P. Sy on ne pouvait s’attendre qu’au silence.
En octobre 1932, je m’embarquai donc sur le « Figuig » à Marseille, faisant connaissance avec la mer, en direction de Tunis où j’étais affecté au quatrième régiment de Chasseurs d’Afrique. C’était un régiment disciplinaire où, jusqu’à cette année, uniquement des engagés étaient envoyés. J’étais en soutane, courageusement et fièrement. Après deux jours passés au camp Sainte-Marthe, nous embarquâmes et arrivâmes sur les splendides côtes de Tunisie. Mon arrivée en soutane fit sensation dans ce milieu plutôt spécial. Mais, dès le début, je me mis sans peine dans la peau du personnage et tous ces repris de justice devinrent mes grand copains. Ma qualité de séminariste me valut une certaine considération de la part des sous-officiers et plus encore des officiers qui, presque tous, étaient de la vieille aristocratie française. J’avoue que tout cela me monta à la tête. Je fis ma demande pour les élèves-officiers. Là, je reçus un choc. Il me manquait le baccalauréat officiel. Ma demande fut refusée. Du point de vue de ma vocation, je crois que cela aussi était providentiel. Si je m’étais trouvé officier de cavalerie, je ne crois pas que j’aurais eu le courage de rentrer au séminaire. Tout est grâce.
Refusé aux E.O.R., je me réfugiai dans le chahut. Quels bons moments j’ai passés. Inutile de dire que j’eus longtemps la nostalgie des Chas’ d’Af’, et la tentation de tout plaquer pour y retourner. La crise arriva en novembre 1934, quand mon directeur me conseilla d’abandonner le séminaire. Partagé entre le désir de devenir missionnaire et celui de rentrer dans le monde, ce fut un moment pénible. Je dois d’être resté à la pensée de la peine que ma mère aurait éprouvée si j’avais quitté et à la direction énergique du P. Fouque qui voulut bien se charger de moi et sauva ma vocation. Pour m’éprouver, il me demanda de renoncer volontairement à avancer aux seconds ordres mineurs ; ce que je fis. Néanmoins, je rejoignis mes condisciples au sous-diaconat, le 5 juillet 1935. Le diaconat suivit le 21 décembre de la même année, et la prêtrise le 5 juillet 1936. Le soir, je recevais ma destination pour Pondichéry. Je dis ma première messe dans la chapelle des Bienheureux, assisté par le P. Bibolet. Ma chère maman y assistait, toute émue, ainsi que ma sœur aînée et mes deux frères dont l’un, en uniforme de sous-officier, servait la messe.
J’allais passer mon mois d’adieux à Commercy et, le 15 septembre 1936, ce fut la traditionnelle cérémonie du départ. Le soir même nous prenions le train pour Marseille et nous embarquâmes sur le magnifique paquebot « L’Aramis ». Nous étions seize partants et, à l’heure où j’écris ces lignes, le 20 août 1977, six sont morts ; un ne fait plus partie de la Société ; six sont en France, et trois seulement en mission. Voyage sans histoire, très joyeux. Je fus accueilli à Trichy par le P. Massot envoyé à ma rencontre. Nous arrivâmes à Pondichéry le 9 octobre 1936. Mgr Colas m’y accueillit gentiment.
Dès le lendemain, je prenai ma première leçon de tamoul avec le P. Leblanc, et je visitai les environs en vélo avec le P. Faucheux. Le P. Gavan Duffy vint peu après et m’emmena passer quinze jours à Tindivanam. Au début, je fus envoyé comme aumônier des orphelins de Tindivanam à Kadampakam où j’entendis mes premières confessions en tamoul et donnai même une extrême-onction. A mon retour, j’appris ma nomination, comme vicaire du P. Peyroutet, à Viriur, où j’arrivai le 22 janvier 1937. Là, je pris contact avec la vie missionnaire et je continuai d’apprendre le tamoul sans trop me casser. Je donnai mes premiers sermons et j’entendai moult confessions. Cela ne dura que quelques mois. Nommé au collège de Cuddalore, j’y débarquai le 26 juillet 1937. Là, surveillance, chorale, scoutisme et étude de l’anglais. À la rentrée de janvier 1938 on estima que je savais assez d’anglais et comme on avait besoin d’un professeur, je pris la classe d’histoire d’Angleterre. Je n’y connaissais rien, mais il me suffisait d’être en avance de quelques pages sur mes élèves qui n’étaient pas trop exigeants. Et puis, en juin suivant, je fus nommé à Tindivanam, où je restai deux ans. Je fus responsable des bâtiments et j’appris ainsi l’art de construire. Et sans me fouler toujours, je continuai l’étude du tamoul, jusqu’au jour où, surpris, je dus prendre la parole devant les enfants sans avoir rien préparé : une frousse intense laissa bientôt place à une confiance exagérée : enivré par ce succès et me croyant déjà un as en tamoul, je ne fis plus rien pour me perfectionner. J’étais doué. Si j’avais travaillé un peu plus, je serais devenu un as en tamoul ; mais je suis, au fond, un dilettante : il me suffit de pouvoir parler assez couramment et j ‘aurais dû être poussé pour continuer d’apprendre. Aussi, on me considéra trop vite comme sachant le tamoul et j’en suis resté là.
En juillet 1940, je fus nommé curé d’Anilady. J’y arrivai le 9 juillet et je devais y rester jusqu’au 4 juillet 1947. Ce fut réellement mon premier vrai poste et il combla mes désirs. À Anilady, je crois avoir donné mon plein : enthousiaste, ne rechignant à aucune tâche, actif, jeune, bouillant, coléreux et sûr de moi-même. Je me trouvai dans un grand district de 4.000 chrétiens dispersés dans 32 villages, sans aucune route. C’était mon rêve. J’avais comme voisin, à Nangathur, le P. Massot et tous les quinze jours, nous nous retrouvions, soit chez lui, soit chez moi. Tous les déplacements se faisaient en vélo : nous étions jeunes, pleins d’ardeur et de force. C’était le beau moment de l’enthousiasme. J’eus la joie de baptiser environ 500 païens durant mon séjour à Anilady. J’y développai l’école et ouvris une école de filles.
C’était la guerre : aucune nouvelle et aucun don de France. J’appris par un télégramme du P. Bibolet que mon frère, adjudant-chef, avait été tué en juin 1940. Puis, un de mes neveux fut tué au Mont-Cassin, en janvier 1944. En 1947, je rue sentis fatigué et je dus aller à l’hôpital de Pondichéry. Le docteur français conseillant un retour en France, Mgr Colas, qui avait besoin de quelqu’un pour le grand séminaire, m’y nomma de but en blanc.
Donc, en 1947, malade, ayant besoin surtout de repos, me voici nommé au grand séminaire de Bangalore. Je m’y rendis le 6 septembre, assez intimidé de me trouver en présence de ces dignes séminaristes. Le P. Jacquemart, supérieur, me chargea du cours de sociologie. Je ne savais même pas ce qu était la sociologie. Mais il y avait un livre et il me suffisait, comme pour l’histoire d’Angleterre, d’être en avance de quelques pages sur mes élèves. Le P. Jacquemart me mit aussi en charge de la bibliothèque : travail énorme qui me plut. En plus de la sociologie et de la bibliothèque, j’enseignai aussi un embryon de sciences. En janvier 1948, un de mes collègues, le P. Vautrin, quitta le séminaire et ne fut pas remplacé. Il fallut mettre les bouchées doubles. Entre temps, j’avais repris du poil de la bête et ma santé était normale. Le P. Jacquemart me demanda de prendre, en plus de mes précédents cours, celui de liturgie et celui de droit canon, la procure et la lecture spirituelle aux élèves des quatre dernières années. Là, parmi mes élèves en droit canon, j’eus D. Simon Lourdusamy que j’avais d’ailleurs envoyé à Sainte-Agnès de Tindivanam en 1939. Il devait, plus tard, devenir archevêque de Bangalore, puis Secrétaire de la Congrégation de la Propagande à Rome.
En avril 1949, je partis en France pour mon premier congé, après treize ans de mission. Ayant été volontaire pour un travail d’animation missionnaire, je ne revins en Inde que le 15 février 1950. Le P. Cailleault, procureur, attendait impatiemment mon retour pour partir en congé à son tour et pour me confier la procure par intérim.
Me voici donc procureur. Au même moment, le P. Saussart, vicaire du P. Hougard, à Notre-Dame des Anges, se casse une jambe. On me demande d’aller aider à la paroisse européenne après mes journées de procure. Ce fut un plaisir pour moi. On fit du théâtre avec un énorme succès. On joua, en particulier, « Le Bourgeois Gentilhomme », où le Gouverneur daigna venir. Au même moment, les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny tournaient leur film, « Croisade sous les palmes », -avec M. Walter, professeur du Collège français, comme cinéaste, et moi-même comme scénariste. Encore au même moment, il se trouva que les ingénieurs français envoyés pour construire la centrale électrique m’étaient connus. Je fis vite connaissance avec les autres Français de la colonie.
Au retour du P. Cailleault, qui évidemment reprit sa procure, Mgr Colas me nomma assistant du P. Massot, planteur de San José et Balmadies. J’arrivai à San José le 28 octobre 1950 et j’allai m’installer à Balmadies, le 30 novembre suivant. Je devais y rester neuf ans, jusqu’au 3 mai 1959.
Ces neuf années de plantations furent très intéressantes pour moi. Je devins un expert en café, membre du comité de l’Association des planteurs ; j’appris un peu de botanique, un peu d’astronomie. Je baptisai aussi une soixantaine d’adultes parmi mes coolies et les gens des environs. Le P. Des Pommare, venu en vacances chez moi, eut l’idée de faire venir les filles de l’Atelier de Pondichéry pour les changer un peu. On les logea dans un vieux bungalow infect. Mais ce fut un succès remarquable et pendant trois ans les gamines de l’Atelier et de l’école de Cluny vinrent camper chez moi. Et puis, d’année en année, la situation se détériora. Les syndicats ouvriers nous donnaient des ennuis. Nous dûmes aller au tribunal et nous réalisâmes alors que, pour des étrangers, cette situation devenait impossible. Nous demandâmes à Mgr Ambrose de nous remplacer par des prêtres indiens. Je partis le 3 mai 1959. Je me dirigeai sur Cochin, où je pris le bateau, le 9 mai, en direction de Rome et de la France pour mon second congé.
Au début de mes années de planteur, j’écrivis quelques lettres au journal catholique : le « New Leader ». Ceci n’eut pas l’heur de plaire à Mgr Colas qui m’écrivit un jour que je ferais mieux de faire un bon résumé de l’histoire des Missions de l’Inde du P. Launay. Je le pris au mot et un an plus tard lui envoyai mon « Précis de l’histoire de la mission de Pondichéry ». Il fut imprimé à l’imprimerie de la mission et j’en envoyai cent exemplaires en France. Un de mes amis, haut placé dans la société des Belles-Lettres, me conseilla de présenter mon ouvrage à l’Académie Française par l’intermédiaire du Cardinal Grente et de MM. Louis Madelin et Pierre Gaxotte, mes compatriotes meusiens. Et, un beau jour, le Gouverneur de Pondichéry, M. Ménard, qui recevait le « Figaro » par avion, lut que j’avais obtenu le « Prix George Goyau 1954 » et il s’empressa d’avertir Mgr Colas. Il paraît que celui-ci fut furieux de ne l’apprendre qu’en seconde main. Il m’écrivit pourtant pour me féliciter mentionnant sur l’adresse : « Lauréat de l’Académie Française ».
C’est pendant mon congé de 1959 que Mgr Ambrose m’écrivit qu’il me nommait curé de Villupuram. Cette nomination ne me déplut pas, mais ne m’emballa pas non plus. Je préférais pourtant être nommé dans un milieu un peu européanisé, et, ayant connu pas mal d’Anglo-Indiens à Yercaud, je pris charge de Villupuram avec assez d’entrain. J’y arrivai le 15 février 1960. Je ne pensais guère y rester dix-sept ans.
J’avais quitté Anilady en 1947. Cela faisait près de treize ans que j’étais coupé de toute vie paroissiale. Ce fut dur de m’y remettre. Il y avait eu des changements, de nouvelles prières et mon tamoul n’avait pas progressé, bien au contraire. Par ailleurs, je trouvai une paroisse dans un état lamentable. Trois groupes fermés : les Tamouls et deux clans chez les Anglo-Indiens. Pendant six mois, je fus malade physiquement et moralement. Je n’étais plus habitué à la chaleur de la plaine et le travail pastoral ne me plaisait pas. Enfin, je m’y mis tant bien que mal. Je m’appliquai à développer l’école tamoule et je visitai toutes les familles sans m’occuper du groupe auquel elles appartenaient. Peu à peu, je réussis à rapprocher les frères ennemis. Dès le 24 juin, les Anglo-Indiens célébrèrent ma fête d’une façon qui me toucha profondément. En janvier 1961, ma mère mourut et, en cette circonstance aussi, les gens furent très chics avec moi. En juillet 1961, ils fêtèrent mon jubilé sacerdotal. De part et d’autre, on se rendit compte que « ça collait ».
En 1968, je pris un troisième congé en France. Je pensais que cela allait me faire changer de poste, mais pas du tout. On recommença. En février 1970, j’ouvris un petit dispensaire dans un local du couvent. Quand en 1975, le temps de mon quatrième congé arriva, je me mis à la disposition de Mgr Selvanather en lui disant que s’il voulait me changer, j’obéirais. Il me répondit : « Vous avez l’habitude de ces Anglo-Indiens, restez-y ». C’est ce que je fis. Me voilà pour une autre période, dans la même paroisse. Y finirai-je mes jours ? L’avenir est à Dieu. Y suis-je heureux ? Somme toute, oui, je le crois. Sans doute, il y a des jours où j’en ai marre, surtout de ces éternels quémandeurs qui abusent de moi sans vergogne.
En 1976, j’eus un « socius » en la personne de mon vieil ami, Charles Massot. Hélas, il mourut en janvier 1977, après avoir tenté de me quitter pour devenir aumônier d’un couvent-école. Je suis donc de nouveau seul et au bout de mon rouleau, à 66 ans.
En regardant en arrière, je ne puis que remercier Dieu pour la belle vie missionnaire qu’il m’a donnée : sept ans à Anilady, dix-huit mois d’expérience unique au grand séminaire, neuf ans de plantation après neuf mois de procure et dix-sept ans et demi de paroisse urbaine, que peut-on demander de mieux ? Dans ma jeunesse, une forte formation humaniste avec des maîtres remarquables, une famille exemplaire, une maman, sainte du Bon Dieu.
Quels sont les regrets, les humiliations de ma vie ? Il y en a : être resté petit de taille alors que j’aurais aimé être grand ; n’avoir pas passé mon baccalauréat, alors que j’avais tout pour le réussir haut la main ; avoir eu à porter des lunettes depuis ma quatrième, ce qui m’irrite profondément ; ne pas être devenu officier de réserve, alors que je désirais tant le devenir ; ne plus être capable de conduire une auto, bien que j’aie mon permis, par frousse, par manque d’occasions. Par ailleurs, j’ai touché un peu à tout : botanique, astronomie, médecine, pharmacie.
Au point de vue spirituel, je m’estime très médiocre. Je n’ai jamais eu et je n’ai pas davantage maintenant de goût pour la prière. Je n’ai jamais su méditer.
Le Concile Vatican II m’a déçu. Je ne suis pas « biblique » : je ne ressens aucune inspiration dans ce qu’on appelle « l’Histoire du salut », dans les pérégrinations du peuple juif. J’ai en horreur les Livres historiques. Je ne comprends pas grand-chose aux Livres prophétiques, à part quelques passages ; seuls les Livres sapientiaux trouvent grâce à mes yeux. Je déplore l’image que l’Ancien Testament donne de Dieu. Heureusement, le Nouveau Testament rachète la chose. Mais là encore, que de problèmes ! Comment se fait-il qu’un événement comme la résurrection de Lazare ne soit mentionné que par saint Jean ? Comment concilier les différents récits de la résurrection du Christ ? Enfin, cela m’importe peu. La foi consiste précisément à croire ce que l’on ne comprend pas. Ma bonne maman n’avait pas fait de théologie, Dieu en soit loué. Elle ne comprenait pas tout et cela ne l’empêchait pas d’avoir une foi à transporter les montagnes. C’est le genre de foi que je veux avoir, une foi qui ne se pose pas de problème, qui ne se discute pas, foi du charbonnier qu’on décrie tant aujourd’hui.
J’ai fait deux séjours d’une semaine à Rome. S’il y a un endroit au monde où l’on ne peut pas prier, c’est bien Rome ! Je suis heureux de voir le Pape, sans doute. Mais cette administration, la « Cour romaine », la vanité ecclésiastique, cet orgueil triomphaliste ! Que nous sommes loin de l’Évangile, de la barque de Pierre, de l’humilité du Christ, venu non pour être servi mais pour servir ! Tout ce rouge, tout ce violet, « vanitas vanitatum ».
Et voilà, je suis arrivé au bout de mon rouleau : j’ai près de 66 ans et ce n’est pas maintenant que je vais faire de grandes choses ! Je suis lamentablement conscient du fait que j’aurais pu faire de ma vie quelque chose de tellement mieux, de tellement plus beau. Enfin, inutile de revenir sur le passé ! Que Dieu m’accorde de terminer cette pauvre vie dans la fidélité à ma vocation, à mon sacerdoce, qu’Il m’aide encore à travailler s’il le veut.
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J’avais arrêté cette notice biographique le 3 septembre 1977. Je la reprends le 4 avril 1984, car elle n’est pas encore devenue notice nécrologique. Je suis donc encore à Villupuram, depuis plus de vingt-quatre ans, le record de longévité dans le diocèse. L’an dernier, je pris un nouveau congé en France.
Je reviens donc à 1977. La vie continua avec ses hauts et ses bas. En 1972, j’avais inauguré un atelier de nattes ; en 1975, un de cordes ; en 1974, un de craie ; en 1979, j’ouvris un atelier de fabrique de bougies, puis un autre de sacs en plastique. Plusieurs furent un échec. Les nattes et la craie continuent et cela me permet de dépanner une vingtaine de pauvres filles, que je paye bien mal, mais qui sont contentes quand même de recevoir quelque chose.
En 1978, je construisis un nouveau bâtiment pour mon école. En juin 1979, elle devint glorieusement une « high school », après des difficultés inouïes. Elle est devenue monstrueuse avec 2.300 élèves dans les deux sections, élémentaire et secondaire, et en ce moment, 43 maîtres et 5 personnes auxiliaires. J’y vais deux ou trois fois par jour. C’est ma joie et mon orgueil !
Moi qui n’avais jamais été malade, j’ai commencé, en 1982, à avoir des ennuis de santé. Deux séjours à la clinique de Saint-Joseph de Cluny, à Pondichéry, me firent comprendre que je vieillissais. On m’a reproché de ne pas prendre de vacances. Le fait est que je m’ennuie épouvantablement quand j’en prends. J’ai passé, une fois, deux mois au Sanatorium de Wellington, aux Nilgiris ; j’en garde un souvenir déplorable. Je ne suis pas aussitôt sorti de chez moi que j’ai envie d’y rentrer. Je ne me trouve bien qu’ici, avec mes bouquins, mon chat, mes gens, mes manies. On m’a accusé de m’être sauvé de la clinique de Saint-Joseph de Cluny. C’est faux ! Le docteur Rhoda m’avait dit que je pouvais partir le lundi matin. Pour moi, le matin commence à minuit. C’est en toute bonne foi que je partis dès cinq heures. Catastrophe ! Il paraît que j’aurais dû attendre la visite médicale, recevoir un certificat de sortie dûment paraphé et, seulement alors, partir. Trop compliqué pour moi !
Au début de 1983, je me sentis vraiment fatigué. Mon école étant reconnue par le Gouvernement, je décidai de reprendre un congé en France. Je quittai Villupuram, le 17 avril, pour Bangalore où je retrouvai mon compa¬gnon de voyage, le P. Christian Renard. J’étais assez mai en point, avec arthrose, cataracte, faiblesse. Christian fut un compagnon idéal, prenant soin de moi comme un frère. Comme j’avais du mal à payer, avec mes pauvres yeux, c’est lui qui réglait toutes les dépenses et je n’eus qu’à le rembourser en bloc à Paris. Je crois même qu’il y a perdu. Nous fîmes ensemble un périple merveilleux en Égypte et en Israël.
Séjour en France sans histoire. C’est avec joie que je repris l’avion du retour, le 11 novembre, et rentrai à Villupuram. Je repris mes vieilles habitudes. On remit en ordre les registres, le jardin botanique, les ateliers de nattes et de craie.
À mon âge, on se pose les trois grandes questions : Où ? Quand ? Comment ? Je ne suis plus aussi costaud que jadis. Je me fatigue vite. Parfois je me sens très fatigué. Ma cataracte, stabilisée pour le moment, grâce au Bienheureux Théophane Vénard, à qui j’ai demandé cette amélioration, me rend bien des choses difficiles. Je m’habitue à vivre dans le flou. Tant que je peux lire et écrire, je ne me plains pas. Le reste : à la volonté du Seigneur !
Jean LAFRENEZ
5 avril 1984
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L’autobiographie de Jean se termine le 5 avril 1984. Mais le 7 janvier 1985 il expédiait à ses parents et amis sa lettre circulaire annuelle. Selon son habitude, il donnait un aperçu de ses activités pendant l’année, rappelait les événements qui avaient marqué la vie de sa paroisse et du pays en 1984, et il terminait sa lettre en confiant à ses correspondants qu’il était gravement malade. Mais laissons-lui de nouveau la parole :
« Je suis en retard pour vous écrire cette année : la raison en sera donnée par la suite.
L’année a bien commencé. En janvier dernier, mon archevêque m’a donné le feu vert pour construire un nouveau couvent qui serait orphelinat et refuge. Des Sœurs indiennes étaient prêtes et enchantées de venir s’installer ici. J’avais acheté un terrain à un petit kilomètre d’ici. On se mit à l’ouvrage. Enfin, le bâtiment s’éleva et fut achevé. Les Sœurs vinrent s’y installer en juin.
Mes autres œuvres marchent sans histoire. Dispensaire : toujours 100 à 150 malades par jour. Asile de vieillards : un peu stagnant, manque de personnel pour s’en occuper. École anglaise : 1.300 élèves. Ateliers de nattes, craie et bougies : un peu en perte de vitesse à cause de vols perpétrés par quelques ouvrières. Une paroisse de 544 Anglo-Indiens et 2.144 Tamouls : paroissiens pratiquant à 95 % ; église comble chaque dimanche aux trois messes ; 100 à 150 communions quotidiennes. Et enfin mon école secondaire tamoule continue sa glorieuse marche en avant avec 43 maîtres et maîtresses et 2.400 élèves, garçons et filles, les plus pauvres parmi les pauvres, selon mon désir.
Tout allait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, lorsque, pour moi personnellement, tout craqua lourdement ! Depuis le début de l’année, je ne me sentais pas bien, avec des « coups de pompe », un peu de fièvre le soir, de la fatigue. Je me soignais à l’aspirine, en pensant que tout cela passerait tout seul. Comme ça ne passait pas, je me résignai à consulter la Faculté, et on me trouva ce qu’on crut être une vieille pneumonie. La rage au cœur, je dus me laisser hospitaliser à Pondichéry, chez les Sœurs de Saint-Joseph de Cluny. La pneumonie ne voulait rien savoir et les radios étant alarmantes, il me fallut lâcher tout mon lest et me laisser embarquer pour le grand hôpital de Vellore, de réputation mondiale. Examens, analyses, surtout une cruelle et brutale bronchoscopie, et le verdict tomba, froid comme un couperet : carcinome du poumon gauche. Comme je m’y attendais,. cela ne me frappa pas beaucoup. Le lendemain, le chef de service déclara que, en raison de mon âge, il ne voulait pas m’opérer. Au lieu de la chirurgie on me traiterait au cobalt 60. Ce qui fut fait sans tarder. Je suis donc rentré à Villupuram, le 19 décembre, fatigué sans doute, toussant et crachant comme le diable, mais autrement en bonne forme. À part les poumons, il paraît que tout le reste de mon anatomie est parfait.
Dès que j’ai connu mon état, évidemment j’ai donné ma démission à mon évêque : même guéri d’un cancer du poumon, je ne pouvais espérer retrouver assez de force pour diriger cette grande paroisse. Mon successeur fut nommé de suite, et il a pris charge officiellement le 20 décembre. Je reste ici avec lui. Je ne suis plus curé du lieu, je suis devenu vicaire, sur la voie de garage. Mes paroissiens m’ont d’ailleurs dit gentiment : « Nous voulons que vous restiez parmi nous, même si vous ne pouvez plus rien faire : votre présence nous suffit ».
Du coup, ma cataracte est passée au second plan. Mon petit frère le cancer a priorité sur tout. Pourtant, ma vue ne laisse pas de m’inquiéter ; l’œil droit est mûr et, au moment de ma pneumonie, j’étais sur le point d’être opéré à Pondichéry même. Heureusement que l’œil gauche conserve un ou deux dixièmes de vision, et cela me permet de lire et d’écrire, quoique assez péniblement. Pour le reste, j’essaie de m’habituer à vivre dans le brouillard. Bref, je suis une ruine, mais il me reste encore ma voix avec laquelle je peux encore hurler un bon coup quand ça ne va pas comme je voudrais. Et je garde mon sens de l’humour. Oui, gardons le soutire, envers et contre tout, même avec un poumon cancéreux et
Références
[3568] LAFRENEZ Jean (1911-1985)
Références bibliographiques
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Bibliographie
"Histoire de la Mission de Pondi". Prix G. Goyau, 1954.