Jean CIATTI1921 - 1991
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 3753
Identité
Naissance
Décès
Autres informations
Missions
- Pays :
- Malaisie - Singapour
- Région missionnaire :
- 1946 - 1991 (Malacca)
Biographie
[3753] CIATTI Jean Joseph Ernest est né le 14 décembre 1921 à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine).
Il entre aux MEP en 1940. Ordonné prêtre le 29 juin 1946, il part le 13 octobre suivant pour la mission de Malacca-Singapour.
Après avoir étudié l'anglais et le hakka à Singapour et Bukit Mertajam, il est nommé vicaire puis curé à la paroisse d'Ipoh (1960-1970). Il passe ensuite un an à Bukit Mertajam (1970-1971), avant d’être chargé des paroisses d’Alor Star puis de Batu Gajah (1971-1985).
En 1986, il devient prêtre résident à la paroisse d'Ipoh, et il se retire en 1989 chez les Petites Sœurs des Pauvres à Penang.
Il meurt le 27 juin 1991 à Ipoh. Il est inhumé dans le cimetière de cette ville.
Nécrologie
[3753] CIATTI Jean (1921-1991)
Notice nécrologique
Jean CIATTI
1921 - 1991
• CIATTI Jean, Joseph, Ernest
• Né le 14 décembre 1921 à Boulogne-Billancourt (Seine), diocèse de Paris
• Entre au séminaire des Missions Étrangères le 1er octobre 1940
• Ordonne prêtre le 29 juin 1946
• Parti pour la mission de Malacca le 13 octobre 1946
• Décédé à Penang le 27 juin 1991
Le P. Jean Ciatti : un homme sur qui l’on pouvait compter — un homme avec qui il fallait compter.
Que ce soit catéchisme ou Légion de Marie, formation religieuse des jeunes aussi bien que construction d’écoles, apostolat paroissial en milieu chinois allant de pair avec le soin des plus défavorisés, présence pastorale au couvent comme chez les frères, etc., pendant plus de trente-cinq ans à Ipoh et autour d’Ipoh nous le trouvons sur le devant de la scène. Il se donne à plein, il colle à ses gens — ses Chinois — avec un amour préférentiel, il défend si nécessaire ses visées et ses méthodes pastorales, il occupe solidement son terrain.
Et c’est au moment où il revenait en semi-retraite dans sa chère ville que la maladie l’a graduellement diminué, puis finalement envoyé finir ses années en ce qui lui fut un exil, pourtant pas bien lointain : Penang !
Jean Ciatti est né le 14 décembre 1921 dans la paroisse de Notre-Dame, à Boulogne-sur-Seine. Son père, Louis Ciatti, de nationalité italienne, était peintre en voitures à l’usine Renault, de Boulogne-Billancourt, où il resta pendant plus de vingt ans. Sa mère, Henriette Clémentine Léonore Luneau, avait déjà donné le jour à deux fils, et après la naissance de Jean, devait encore accoucher d’un quatrième garçon. Elle ne vivait en réalité, selon un témoignage de l’époque, que pour ses enfants, qu’elle s’appliquait à élever de son mieux. Hélas ! Elle dis¬parut trop tôt, en 1929, quand Jean n’était âgé que de huit années à peine.
C’est un couple ami, chez qui Madame Ciatti avait pour un temps été dame de compagnie, qui devient la vraie famille des quatre frères. Pour eux, Monsieur et Madame Roux sont devenus Pépère et Mémère. Mais malgré ceux qu’ils considéraient comme « des nouveaux parents », pendant des années ils vont se trouver séparés. Les deux aînés, Louis et Jacques sont envoyés, par l’intermédiaire des « Enfants de France », dans des familles d’agriculteurs de l’Allier. C’est là qu’ils grandissent et sont éduqués. Jean, lui, reste avec Monsieur et Madame Roux qui le considèrent comme un fils, d’autant que leur seule fille vient d’entrer chez les religieuses de la Miséricorde de Sées. Plus tard il parlera de sa « grand-mère », c’est-à-dire Madame Roux — elle lui avait appris les bonnes manières et l’importance d’avoir toujours des souliers bien cirés —, et de sa « sœur » religieuse qu’il allait voir durant ses congés. Le plus jeune, André, lui est admis chez les Orphelins d’Auteuil. Monsieur et Madame Roux font le lien entre les quatre frères, correspondant avec eux. Mais ce n’est qu’après quatorze ans, en 1943, qu’ils se rencontreront à nouveau. Les enfants étaient devenus des hommes, et les années de séparation ne se rattrapent pas facilement.
Jean habite donc à Houilles avec la famille Roux et c’est là qu’il commence son éducation. À onze ans, il déclare qu’il veut être missionnaire aux Missions Étrangères et n’a jamais dérogé de cette idée, au grand désespoir de Pépère et Mémère qui voulaient conserver un fils. Mais ils se sont mis à la raison puisque c’est Dieu qui le veut. Jean entre donc au petit séminaire de Beaupréau. On trouvera dans ses papiers plusieurs lettres du P. Davias, alors supérieur, datant du début des années 1930.
Il avait toutefois commencé ses études secondaires à l’école apostolique de Montmélian. Le supérieur d’alors, le chanoine Chagny, dont le neveu Eugène finissait sa préparation rue du Bac avant de devenir missionnaire en Mandchourie, avait dirigé plusieurs de ses meilleurs élèves vers Beaupréau. Jean s’y trouve « en cette année 1937 » où l’admission en troisième atteint trente-sept, dont près de la moitie deviendront missionnaires aux Missions Étrangères, sous la conduite des quatre piliers permanents du « Pinier »: les PP. Davias, Louison, Lassalmonie et Alazard. Il mentionnera souvent ses condisciples, les PP. Brice, Godest, Pecoraro, Sparfel, Surmon, Toquebœuf, Peinaud, pour ne parler que de ceux qui sont encore parmi nous. À Beaupréau, Jean « se montre un élève dans la moyenne, plein d’humour et très agréable compagnon ».
Après une année 1939-1940 plutôt agitée, au cours de laquelle les postulants des Missions Étrangères suivent les cours au petit séminaire diocésain, il fait sa demande d’admission à la rue du Bac, et y entre le 1er octobre 1940.
Passant à travers toutes les tracasseries de l’armée, des camps de Jeunesse et même du STO (Service du Travail Obligatoire), Jean fait ses six années d’études sans interruption, dans un séminaire plein comme un œuf, où il partage sa chambre avec un autre aspirant. Ce dernier veut bien nous dire : « À Paris, Bièvres étant occupé, on connut le phénomène des cochambristes, et il se trouva que je fus avec Jean durant ma deuxième année. Cela n’offrit aucune difficulté particulière, car chacun veillait à ne pas gêner l’autre, mieux encore à vivre en frères attentifs. Je garde de Jean, que j’ai fréquenté pendant neuf ans d’études et de formation, l’impression d’un homme ayant un caractère décidé. J’ai le sentiment que très tôt dans sa vie il a connu l’adversité ; comment ? Je ne sais pas. Il ne parlait jamais de sa famille, mais aimait parler de Montmélian — c’est sans doute là qu’il s’est forgé un idéal —, de Beaupréau. Nos conversations étaient plutôt à bâtons rompus, toujours empreintes de simplicité, dans une confiance mutuelle. Il a toujours été avec moi d’une grande gentillesse. Plus qu’un ami, il était un frère pour moi. »
Au cours des années, la famille Roux s’était installée à Flers-de-l’Orne, puis à Sées, pour se rapprocher de leur fille religieuse. C’est chez eux que notre confrère passe ses vacances. Aussi apparaît-il sur l’état de la Société comme appartenant à ce diocèse normand. À partir de 1944, il rencontrera souvent son frère Jacques alors installé à Paris. Ce dernier est présent avec Pépère et Mémère lors de son ordination le 29 juin 1946, et c’est lui qui possède encore aujourd’hui le journal de voyage du jeune missionnaire parti pour la Malaisie le 13 octobre 1946.
C’est en compagnie du P. Barthoulot, lui aussi envoyé à la mission de Malacca, et du P. BelleviIle, qui rejoint comme professeur le Collège Général de Penang, que Jean quitte Paris pour Londres et Southampton. Là ils s’embarquent sur le « Mooltan », un « magnifique bateau tout blanc », en fait un transport de troupes qui emmène 1.500 soldats à Bombay.
Voyage plein de découvertes qui nous est décrit aussi comme une première introduction aux manières de vivre et de manger des Britanniques. Une mer assez agitée et un début de typhon leur font quitter assez rapidement le port de Bombay. À Colombo, puis à Singapour, les trois « Malais » retrouvent avec joie une dizaine de confrères, allant eux vers le Vietnam et la Chine à bord de l’ »André Lebon ».
« Vendredi 15 novembre : on est tout proche d’arriver, après un mois complet sur le “Mooltan”. À treize heures, le pilote monte à bord. Nous apercevons une multitude de petites îles, et Singapour dans le fond. Tout est verdoyant. L’appontage est long, mais bientôt nous repérons sur le quai des soutanes blanches. Ce sont les PP. Olçomendy, alors vicaire capitulaire, Bonamy, vicaire général et curé de la cathédrale, Duquet. procureur, qui sont venus nous accueillir. Nous voici débarquant, une nouvelle vie commence... »
La première année passe vite ! Jean apprend l’anglais et le hakka à la paroisse du Sacré-Cœur, au centre de la ville, tout près de la procure des Missions Étrangères, où il retrouve Jean Peinaud, son cochambriste de la rue du Bac. Le P. Barthoulot, lui, déchiffre le teochew. Les besoins pastoraux du diocèse, qui s’étend alors sur toute la péninsule de Malaisie, déterminent le choix du dialecte que chaque missionnaire devra apprendre et dans lequel il travaillera toute sa vie. « Je me souviens de sa deuxième lettre fin décembre, nous confie son frère, où il était tout heureux d’avoir à Noël prêché en chinois sans faire de fautes d’intonation. » Et pourtant les conditions d’étude de la langue n’étaient guère adéquates : Jean lui-même disait, des années plus tard, que son curé, le P. Peter Chin, par ailleurs homme charmant et agréable à vivre, n’avait trouvé pour mentor qu’une vieille catéchiste qui connaissait mieux le cantonais que le hakka ! En juin 1947, il est maître de cérémonies pour le sacre de Mgr Olçomendy, solennité dont il avait gardé un souvenir très vif. Peu après il est transféré dans le nord, à Bukit Mertajam, à huit cents kilomètres de Singapour, où il ne reviendra plus jamais qu’en passant.
Dans ce nouveau poste il se trouve avec un prêtre de dialecte et culture hakka, personnalité assez originale et un peu fruste, le P. Paul Wong, qui l’aidera davantage dans l’étude de la langue. Mais s’il arrive vite à bien parler anglais, son chinois restera toujours rudimentaire. Question d’oreille, sans doute, car notre confrère n’est guère doué pour la musique. il remédiera à ce manque en se faisant aider dans son ministère par des prêtres chinois et des catéchistes. Mais son inculturation dans le milieu lui-même est une réussite ; les Chinois sont son amour préférentiel : il se sinise.
Bukit Mertajam n’est cependant qu’un interlude. En septembre 1947, il est nommé vicaire à Saint-Michel d’Ipoh, la paroisse chinoise de cette ville en croissance, capitale mondiale de l’étain. Le P. Jules François, patriarche beaucoup plus par sa bonté, sa taille et sa barbe que par son âge, lui donne toute liberté pour découvrir et utiliser ses talents.
Il est à Ipoh, et s’y maintiendra, malgré quelques essais de l’autorité de l’envoyer ailleurs, à Kuantan par exemple, sur la côte est. Ses curés successifs tiennent à le garder, ainsi les PP. François, Laurent, Narbais, Georges Lee.
Avec le P. François, et le P. Laurent, durant le congé du titulaire, c’est la mise en route. Jean trouve vite son « forte » : la catéchèse, la préparation des adultes au baptême. Au cours de sa vie il baptisera des milliers de gens, auxquels il aura donné une formation solide, plutôt traditionnelle. Les instruire individuellement demande beaucoup de patience et de disponibilité, à des heures parfois tardives ou incommodes. Mais quand il s’agit du Seigneur, sa voix haut perchée ne se fatigue jamais, et ces tête-à-tête, ou ces petits groupes, favorisent un contact personnel qui demeure après le baptême. Lorsqu’on rencontre des chrétiens chinois d’Ipoh, presque toujours on entend dire, non sans fierté : « Le P. Ciatti m’a baptisé ! »
Ne le cherchez pas de grand matin : il est à Saint-Michel, le grand collège de garçons, ou au couvent, « enseignant la parole de Dieu ». Si quelques années après, les frères des Écoles chrétiennes le font membre honoraire de leur Institut, c’est pour le remercier de cette fidélité au service de leurs jeunes : il sait leur parler.
Même s’il est plus tard dérouté par de nouvelles méthodes, tout ce qui est catéchisme le passionne au plus haut point.
Pour la formation des adultes, il se sert de la Légion de Marie, que les nouveaux baptisés sont fortement encouragés à rejoindre. Les « praesidia » se multiplient
L’apôtre d’Ipoh devient un connaisseur du « Manuel », et peut s’avérer redoutable lors de réunions au niveau diocésain. Pas d’aménagements ni de raccourcis : il s’agit de rester fidèles à une méthode qui fait ses preuves, car les légionnaires amènent de nouveaux catéchumènes.
À l’aise au volant de sa voiture, il se déplace facilement, et donc visite ses nombreux baptisés, qui l’accueillent avec joie. Il leur révèle aussi les mérites du cognac français, et pendant un temps on le verra apparaître sur les écrans de cinéma dégustant un VSOP bien de chez nous. Ainsi ses paroissiens savent quel cadeau lui faire, et il partage volontiers avec les confrères.
Le P. Narbais-Jauréguy, un « cantonais » chevronné, qui parle magnifiquement ce dialecte, mais se trouve moins à l’aise en anglais, après avoir été vicaire avec Jean, devient curé de la paroisse en janvier 1955 à la mort du P. François. Il apprécie toute l’aide que lui apporte son vicaire pour l’apostolat ou la prédication en anglais. Mais dès janvier 1956, le P. Narbais devient curé de la paroisse voisine de Batu Gajah qui convient mieux à ses goûts et à ses aptitudes. Le P. George Lee, chinois originaire de Malacca, lui succède.
Jean est maintenant vicaire chevronné, bien à ses pièces. Si son ignorance du mandarin l’empêche de catéchiser les jeunes de l’école chinoise paroissiale, tenue par les frères maristes, il s’intéresse beaucoup à l’école « Sam Tet » (les trois vertus), qui commence à se faire un nom dans le monde culturel chinois d’Ipoh.
En avril 1960, le voici curé, et ce pour dix ans. Il ne change pas de manière, accentue ses orientations de base en favorisant tout ce qui peut amener davantage de gens au baptême, puis à une vie chrétienne fervente. Avec les frères maristes il se lance dans l’agrandissement de Sam Tet. Toutes les fois qu’on s’arrête à Saint-Michel il y a de nouveaux bâtiments à visiter. C’est un monde par lui-même avec plus de trois mille élèves. De l’autre côté de la route, il élève un immense hall paroissial, utilisé pour les compétitions de badminton, mais aussi comme jardin d’enfants, centre de catéchèse et de réunions. Il voit juste, grand et loin. Et est un excellent administrateur : aussi les gens s’en remettent-ils à lui et répondent-ils généreusement à ses appels. Il a toujours des plans en tête, et n’hésite pas à les peaufiner et signer lui-même : son évêque d’alors, originaire d’Ipoh, lui fait toute confiance.
Son bureau et ceux de ses vicaires sont climatisés, à cause des catéchismes, mais pour le reste, il n’y touche pas : il est heureux dans cette vieille maison en bois qu’est le presbytère. Il y accueille fort bien les visiteurs, leur laissant généreusement bière et whisky lorsqu’il ne peut leur tenir compagnie parce qu’il a un catéchumène. Et s’il n’a plus de chambre libre — car on s’arrête volontiers à Saint-Michel — il fait disposer des lits de camps dans la pièce centrale à l’étage. On arrive à y passer une bonne nuit, réveillé dès six heures par la cloche de l’angélus, suivi d’une messe chantée où domine la voix métallique du curé. On se retrouve pour un « breakfast » très britannique, et si par hasard, ce jour là il n’y a pas de catéchisme dans les écoles, Jean a le temps et se montre un agréable conteur ; avec flamme il défend la tradition ecclésiale, l’autonomie des paroisses, et la liberté d’initiative qui doit être laissée aux curés. Il n’est pas encore à la pastorale d’ensemble. Il n’en sera jamais.
Il est fortement enraciné dans son fief. Aux confrères qui lui parlent de congé, il oppose toutes les excuses possibles. Mieux vaut ne pas aborder le sujet. Aussi la décision de Mgr Yong, nouvel évêque de Penang, le prend-elle par surprise, d’autant qu’on commençait à préparer la célébration de ses 25 ans de sacerdoce.
Après vingt trois ans sans interruption, il quitte Saint-Michel en avril 1970 et va passer un an à Bukit Mertajam, vieille paroisse chinoise à vingt kilomètres de Penang. C’est le lieu d’un pèlerinage à sainte Anne — fondé au siècle dernier par un confrère breton — qui amène des milliers de dévots auxquels se joignent bon nombre de non-chrétiens. Ce changement lui coûte. N’aurait-on pas pu attendre un an de plus jusqu’à son jubilé ? il obéit cependant et se met généreusement à la tâche. Ses confrères voisins apprécient sa présence, son hospitalité. Mais est-ce le résultat de ce transfert ? Il commence à parler de congé ! Finalement, après des cérémonies jubilaires multiples dans sa paroisse et encore plus à Ipoh (et même jusqu’à Singapour avec ses condisciples d’ordination, les PP. Munier et Abrial), il part pour la France en 1971. Il y passe près d’un an, renouant avec sa famille, ses amis, visitant en Angleterre des gens qu’il a baptisés. Toujours très digne dans un clergyman de bonne coupe, il couvre ses cheveux qui se font rares d’un chapeau en poil de lièvre qui lui donne grande allure. C’est durant ce congé qu’il retrouve au Mans où elle est en retraite, sa « sœur » religieuse, la fille de Monsieur et Madame Roux.
Au retour c’est le Grand Nord ! Curé d’Alor Star à une centaine de kilomètres au nord de Penang ! Communauté bien formée et fervente dans une ville fortement malaise. Le couvent des Dames de Saint-Maur y a une grosse influence et prépare à long terme les voies du Seigneur. Le P. Régis Mourgue fut le premier curé résidant, vers 1953, et bâtit une église en dur. Jean y fut un curé heureux, sans doute, mais il s’y sent trop loin de ses bases, mal à l’aise. Il en parle à l’évêque. On cherche une solution. Il faut un curé à Batu Gajah (le rocher de l’éléphant), à vingt-cinq kilomètres au sud d’Ipoh. Jean saute sur l’occasion, se porte volontaire. Après deux mois dans le nord, le revoici chez lui ou presque dans cette ancienne capitale de l’État de Perak, maintenant détrônée par Ipoh mais où, témoin de l’importance passée, on trouve encore la prison — tout près de l’église —.
Il est au centre de la vallée de Kinta, connue mondialement dans les milieux de l’étain. Partout des mines ou anciennes mines, sur un rayon de trente à quarante kilomètres. Ces immensités de sable, coupées ici et là de trous d’eau — il faut beaucoup d’eau pour laver le sable et extraire l’étain — n’ont rien de joli. Et leur aridité accroît encore la chaleur ambiante de cette vallée. Rien de touristique, si ce n’est la visite des ruines que le curé arrange volontiers.
Jean a un bon noyau de chrétiens chinois au centre, puis pas mal de groupes éparpillés dans les villages et plantations. Ces derniers sont surtout indiens et parlent tamoul. La responsabilité pastorale de ces groupes revient théoriquement à la paroisse Notre-Dame de Lourdes d’Ipoh. Mais ses prêtres déjà surchargés de travail ne viennent qu’irrégulièrement. Cela inquiète et irrite Jean, toujours méthodique et organisé, d’autant que l’approche du milieu indien lui est difficile. Il reste hermétique à leur manière de vivre et à leur culture. Mais bientôt les paroisses du diocèse devenant territoriales — et non plus linguistiques : chinoise, indienne — il se retrouve officiellement curé de tous. Avec son savoir-faire habituel, il structure l’ensemble en groupes animés par des laïcs responsables. Il n’aime guère le plan diocésain, qui demande la création de communautés de base. Il le trouve parachuté, irréaliste, imposé d’en haut, inadapté aux zones rurales. Il grogne, mal à l’aise, et pourtant à sa manière et sous d’autres vocables il fait à peu près la même chose. Mais, cela vient de lui.
Une demi-heure de voiture et il est à Ipoh où nombreux sont les amis. Ses anciens baptisés se marient ou marient leurs enfants, le P. Ciatti est toujours un invité de marque, jovial et habile à apporter une note chrétienne à ces célébrations. Après avoir porté durant des années la soutane blanche immaculée, il porte désormais pantalon et chemise bien repassés, souliers brillants, et de petites croix dorées au col de chemise. Net, sans une macule ! Et dans les grandes occasions, c’est le col romain.
Il a moins de catéchumènes qu’à Ipoh, beaucoup moins, mais il entretient de forts contacts avec les familles non chrétiennes qui envoient leurs petits au jardin d’enfants. Il visite aussi beaucoup ses chrétiens dispersés. Il répare l’église, bâtie jadis par le P. Maury. agrandit le cimetière où il prend un soin spécial de la tombe de son prédécesseur, le P. Narbais. Pendant un temps, il est chargé du pèlerinage à saint Jude dans la ville voisine de Gopeng, où il bâtit, près de la chapelle, un jardin d’enfants, toujours en vue de l’approche des non-chrétiens.
Les voyageurs sont bien accueillis à Batu Gajah, dans un presbytère traditionnel mi-brique, mi-bois, qu’il garde très propre, mais dans lequel il ne fait pas de réparations. D’autres auraient bâti une nouvelle maison, lui non : si on bâtit, c’est avant tout pour répondre à un besoin pastoral, et alors là il est un bâtisseur infatigable. Les soirées avec lui sont sympathiques dans le calme de la campagne, sur des fauteuils en rotin, sous l’air frais du ventilateur, et à la main un whisky de qualité, don des amis d’Ipoh. C’est dans une des maisons de l’enclos paroissial qu’il aménagera un havre de paix pour le P. Chineau dont la santé réclame beaucoup de tranquillité.
Les années passent. La fatigue se fait sentir. Vers 1980, il commence à souffrir d’hypertension, cœur irrégulier. Au début les médicaments ne font guère d’effet, il se traîne. On lui conseille d’aller en congé, se rétablir. Mais non : « Il faut que je sois en forme pour aller en France, autrement le congé n’a pas de sens. » Mais un mieux se manifeste et pour la deuxième et dernière fois il passe quelques mois en famille, de juin à octobre 1981.
Au retour, avec des forces renouvelées, il reprend le chemin de Batu Gajah, où il passera encore cinq ans. Cependant, il se sent vieillir, il se dit en dehors de la course avec tous ces plans de pastorale diocésaine. « J’ai fait mon temps — une semi-retraite, des catéchismes à Ipoh ? » En avril 1986, il est prêtre en résidence à Saint-Michel d’Ipoh. C’est le retour à la case départ ! Il est chez lui !
Pendant quelques mois, il retrouve ses habitudes. Il surveille sa santé. Apparemment, ça va.
En octobre 1986 il se rend à Penang au volant de sa voiture. Il n’aime guère traîner sur la route, camions et autobus lui font perdre patience. Il est difficile de doubler sur des routes bonnes, mais étroites et encombrées. Conduire, est-ce désormais trop fatigant pour lui, un bon chauffeur ? Toujours est-il qu’il s’arrête comme prévu chez des amis à Bukit Mertajam, et tandis qu’il bavarde et prend son repas, il est victime d’une hémorragie cérébrale. Paralysé du côté gauche, il est emmené en ambulance à Penang. Tenir le volant, c’est désormais fini pour lui.
Transporté quelques jours plus tard à l’hôpital catholique d’Ipoh, il se remet doucement, mais reste handicapé. Il réapprend à marcher, mais sa main gauche reste inerte, la main pour passer les vitesses. Très entouré par les nombreux paroissiens et amis, il s’habitude à sa nouvelle condition. Il porte le sarong, célèbre la messe assis, puis debout, avec des laïcs pour donner la communion. Les volontaires ne manquent pas pour le véhiculer, mais il trouve difficile d’aller dans des endroits qui ne lui sont pas familiers. Et puis, être conduit quand on a soi-même si longtemps conduit ! Souvent il va s’asseoir dans sa voiture et essaie de remuer le levier de vitesses. Sans aucun doute, il souffre durement de son handicap, mais se sent encore utile, et de fait il l’est.
En février 1989, juste après le nouvel an chinois, deuxième hémorragie cérébrale. Les médecins le déclarent perdu, et durant plus de vingt jours, il reste dans le coma. Contre toute prévision, il reprend conscience, mais, cette fois, il est très diminué. Grosses difficultés pour se déplacer, et surtout paralysie partielle de la glotte, qui rend la parole difficile et l’oblige à ne prendre que de la nourriture semi-liquide. Au début on peut à peine le comprendre, il ne peut écrire. Ces difficultés pour communiquer l’énervent et le découragent. Malgré tous les traitements de rééducation, il est clair qu’il restera diminué physiquement.
Après plusieurs mois d’hôpital, il faut lui trouver une résidence. Il a besoin d’attention constante ; pas question de vivre dans un presbytère, et à Ipoh, aucune institution n’est équipée pour le recevoir. Il ne veut pas rentrer en France. Alors une seule possibilité : les Petites Sœurs des Pauvres à Penang. Il y reçoit tous les soins dont il a besoin, mais il n’est plus chez lui, et surtout a du mal à se faire comprendre. Il n’arrive guère à écrire, et dit ne pouvoir suivre les programmes de télévision. Il écoute des cassettes, mais les jours et surtout les nuits sont bien longs. À cause de ses mouvements incertains et de sa parole hésitante, il ne veut pas célébrer la messe seul : cela manquerait de dignité ! Il ne concélèbre que le dimanche.
Il a des visiteurs, les confrères l’entourent ; même de Singapour on vient le voir. Il apprécie ces marques d’amitié, mais il se sent diminué et il lui est difficile de l’accepter, il se décourage ; certains jours, on devine, davantage qu’on ne comprend, ce qu’il essaie de dire.
Il pourrait durer encore longtemps, mais ne veut toujours pas rentrer en France. C’est rapidement que le Seigneur l’appelle auprès de lui le 27 juin 1991. Dans la matinée on l’avait trouvé fatigué. Il prend son repas comme d’habitude. Peu après, nouvelle hémorragie cérébrale. L’évêque arrive à temps pour lui donner le sacrement des malades. À la demande du docteur on le transporte au Centre Médical, il y expire quelques minutes après son admission.
Comme on peut le deviner, Jean avait été très clair : c’est à Ipoh qu’il désire reposer. Aussi le 29 juin — jour anniversaire de son ordination — il est transporté à Saint-Michel, où le corps reste exposé jusqu’au lundi 1er juillet. Le week-end a fait retarder les funérailles pour que les prêtres puissent y assister !
Mgr Selvanayagam préside l’Eucharistie et prêche en anglais, puis en tamoul, tandis que Mgr Kang, vicaire général, prêche en chinois mandarin. Mgr Soter Fernandez, à présent archevêque de Kuala Lumpur, se joint à la célébration avec une quarantaine de prêtres. Cinq confrères sont spécialement venus de Singapour, d’autres de Kuala Lumpur et de Johore. Ses nombreux baptisés et amis de Batu Gajah et Ipoh emplissent l’église, l’école de Sam Tet lui rend les honneurs, et la chorale alterne chants anglais et chinois.
Finalement, vers dix-sept heures, c’est l’inhumation dans le cimetière contigu à l’église, qui n’est plus utilise depuis longtemps, mais où on a pu lui trouver une place auprès des prêtres qu’il a connus et avec qui il a travaillé.
Il est en famille, chez lui, à Saint-Michel d’Ipoh.
Le Seigneur a exaucé sa prière...