Pierre BERTRAND1928 - 2001
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 4006
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Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Corée
- Région missionnaire :
- 1955 - 1995 (Daegu [Taikou])
Biographie
[4006] BERTRAND Pierre est né le 7 août 1928 à Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne).
Il entre aux MEP en 1951. Ordonné prêtre le 29 mai 1955, il part le 28 septembre suivant pour la Corée.
Il étudie le coréen à Yong-san, puis il est nommé vicaire à Kyesan Dong (Taegu). Il est ensuite nommé successivement curé de Po-hang (1958-1969), de Sangju (1969-1972), d’Ankye (1972-1975), d’Oeisong (1976-1979), et de Punggi à partir de 1980. En 1991, il se retire à Andong.
En 1995, il est rapatrié à Montbeton, où il meurt le 19 mai 2001. Il est inhumé dans le cimetière des MEP.
Nécrologie
[4006] BERTRAND Pierre (1928-2001)
Notice nécrologique
Pierre Bertrand est né en France le 7 août 1928, à Vitry-sur-Seine, d’un papa belge du nom de Jules Bertrand et d’une maman irlandaise du nom de Anna T’Kint. Papa et maman s’étaient mariés en 1920, à la fin de la première guerre mondiale, et ils eurent six enfants : trois garçons et trois filles. L’un des garçons est décédé. Pierre a trois sœurs plus âgées et un frère plus jeune. Le papa exerce le métier de comptable.
Pierre reçoit le baptême le 11 novembre 1928 à la paroisse Saint-Leu-et-Saint-Gilles de Thiais, dans le diocèse de Paris, où ils vivent alors. Mais la famille déménage bientôt à Boissy-Saint-Léger qui faisait alors partie du diocèse de Versailles et qui fait partie actuellement du diocèse de Créteil. C’est là que Pierre reçoit la confirmation, à l’âge d’à peine dix ans, le 9 mai 1938, et c’est là qu’il fait ensuite sa première communion, le 8 septembre 1940. Se sentant appelé par le Seigneur, il entre au petit séminaire et continue au grand séminaire de Versailles. Mais après deux ans de grand séminaire, sa vocation se précise et il demande son admission au séminaire de la rue du Bac. Il est accepté aux Missions étrangères de Paris, est tonsuré et reçoit les premiers ordres mineurs en 1951. Il part à l’armée, la même année, dans la marine.
Derniers ordres mineurs en 1953, après l’agrégation temporaire à la Société. Sous-diaconat et diaconat en 1954, après l’agrégation définitive. Pierre est ordonné prêtre par Mgr Lemaire le 29 mai 1955, jour de la Pentecôte.
Voici qu’elle était alors l’appréciation du Père François Haller, supérieur du séminaire de la rue du Bac : « Moralité exemplaire. Excellent esprit de discipline. Moyennement doué au point de vue intellectuel. Travailleur acharné et régulier. Pas de diplômes. Santé robuste. Comportement irréprochable hors du séminaire. Excellente famille. Excellent aspirant, sérieux, bien équilibré, de caractère très ferme mais humble et soumis. D’une grande piété, il semble parfois un peu tendu. Bien élevé, dévoué et charitable, il a une bonne influence sur ses confrères ». Le Père Haller avait bien ‘croqué’ notre Pierre Bertrand !
Pierre est destiné au diocèse de Taegu, en Corée, le 13 juin 1955. Il débarque à Incheon, le port de Séoul, le 1 décembre suivant, avec trois autres confrères. La lettre qui les annonçait n’étant pas arrivée, ils débarquent seuls, comme des grands, « sans autres anges gardiens que les leurs ».
La chronique de 1956 signale que « cette année, pour la première fois, tous les confrères ont célébré les offices de la semaine sainte, selon les nouvelles rubriques, avec messe de minuit. A Séoul, pendant tout le carême, le Père Bertrand est allé célébrer la messe à la paroisse voisine, laissant ainsi toute liberté au curé de Ryong-San de faire la visite de ses chrétientés. Pendant les trois derniers jours de la semaine sainte, les PP. Bertrand et Gzella ont assuré toutes les cérémonies ; au cours de la vigile pascale, ils ont fait les cérémonies préparatoires au baptême de 54 catéchumènes et c’est le Père Gzella qui chanta l’Exsultet ». Toutes ces cérémonies, si nouvelles soient-elles alors, se faisaient encore, bien sûr, en latin !
Après quelques mois à Séoul, Pierre se retrouve installé, avec Henri Roumégoux, dans l’ancien grand séminaire de Taegu. Il est très bien accueilli et très bien entouré. Le vieux Père Louis Lucas, MEP, est un sage ; quant à son professeur de coréen, c’est un prêtre coréen prestigieux, sage et zélé, le Père Sye Bernard.
Un nouveau groupe MEP vient, en effet, d’être constitué dans le vicariat apostolique de Taegu ; ce groupe ne comprend encore que deux anciens, les Pères Louis Lucas (69 ans) et Louis Deslandes (61 ans), et un jeune, le Père Marcel Pélisse (28 ans). Le Père Lucas vit à Taegu où il rend de nombreux services. Le Père Deslandes est fondateur d’une congrégation de religieuses et directeur d’une œuvre multi-azimuths dont s’occupent ces religieuses, sur le bord de la mer de l’Est, à proximité de la ville de Pohang. Le Père Pélisse, arrivé deux ans plus tôt, est curé de la paroisse de Pohang. Tout en appartenant au groupe de Taejon, un autre jeune confrère MEP arrivé un an avant, le Père Roger Noël, est, à ce moment, en stage chez le Père Deslandes. D’autres confrères arriveront bientôt : Roger Leverrier, Jean-Marie Maurice et Jean Bideau.
Quand Jean-Marie Maurice et Jean Bideau arrivent de fait à Taegu, Pierre Bertrand va « s’installer en ménage » avec le curé de la cathédrale. « C’est parfois dur de n’entendre parler que coréen, écrit-il alors, mais comme c’était la seule manière d’avancer un peu plus vite dans l’étude de la langue, il n’y avait pas à hésiter ». La cathédrale est toute proche et son curé est aussi un modèle exceptionnel, le Père Jean Choi : il devait ensuite devenir premier évêque de Pusan et fonder la Société des Missions étrangères de Corée. Le Père Choi est un saint homme du Bon Dieu, d’une rectitude sans faille, d’une piété débordante. Pierre, qui s’était donné le curé d’Ars comme modèle, restera marqué toute sa vie par l’exemple de ce prêtre.
Du 17 avril 1958 au 10 août 1969, Pierre Bertrand est curé de Pohang, soit pendant onze ans et demi. Quand il prend le poste en main, il a à peine trente ans et à peine deux ans et demi de présence en Corée. Il aurait préféré rester plus longtemps vicaire à la cathédrale où il était vraiment très bien ! Mais il a accepté la nomination et s’est donné de tout son corps et de toute son âme à la tâche qui lui était confiée et qui lui convenait admirablement. Pierre a vraiment donné toute sa mesure à Pohang. Dans la mémoire collective des chrétiens de Pohang, il est resté le « grand curé ».
L’ensemble du district comprenait alors une population d’environ 200.000 habitants dont 50.000 au centre. Parmi eux, environ 1.000 catholiques. A quelques kilomètres de là, l’œuvre du Père Deslandes était une entité séparée dont Pierre n’avait pas la responsabilité mais, dans l’esprit des gens, l’œuvre et la paroisse étaient bien deux aspects complémentaires du même visage de l’Église. L’œuvre se développait sans cesse : en 1958, environ 400 orphelins, malades, lépreux, vieillards... La communauté comprenait alors quelque 120 religieuses ; elles seront bientôt des centaines ! Un témoignage très fort, très significatif... et qui donnait un poids considérable au témoignage chrétien des paroissiens et de leur curé !
Le long texte qui suit est écrit par Pierre lui-même : « La légion de Marie, dans mon district, n’est pas conçue pour rechristianiser le milieu mais pour garder le milieu chrétien, le rendre plus dynamique et plus rayonnant dans la masse des infidèles. « Le but de la Légion de Marie est la sanctification de ses membres par la prière et par une coopération active, sous la conduite des supérieurs ecclésiastiques, à l’œuvre de Marie et de l’Église : faire avancer le règne du Christ ». Il y a ainsi parmi nos militants de tout jeunes néophytes des deux sexes, dans le seul but d’encadrer leur vie spirituelle en développant leur esprit de foi et leur vie de charité. La légion de Marie dans mon district n’est pas un groupement d’âmes d’élite pour rendre plus fervents les moins zélés mais un groupement de chrétiens désireux de vivre sérieusement leur vie de baptisés, de prendre conscience des richesses dont elle dispose et de les faire partager aux autres baptisés (approfondissement de leur vie de charité) et de les révéler aux infidèles (approfondissement de leur esprit de conquête).
A Pohang nous avons une curie ‘Cause de notre Joie’ qui groupait trois praesidia au jour de son érection, en juillet 1959 : un praesidium d’hommes, un de femmes et un de jeunes filles. Depuis, s’y sont adjoints un praesidium de jeunes gens, un praesidium mixte d’hommes et de femmes dans une desserte et un praesidium de fillettes.
Les légionnaires visitent les malades et je les accompagne chez ceux qui sont en danger de mort ; ils donnent les ondoiements ; ils visitent régulièrement les catéchumènes qui habitent loin de la mission ; ils s’occupent plus particulièrement de tous les vieillards pour leur faire le catéchisme à domicile ; il s’occupent de l’éducation religieuse des enfants de chrétiens, dont les parents eux-mêmes sont quelquefois bien insouciants, préparent leur première confession, leur première communion ; ils gardent un contact suivi avec les familles païennes dont un membre est mort avec le baptême. Évidemment toutes ces activités stimulent leur zèle mais une formation des militants est absolument nécessaire : l’étude approfondie qu’ils font du manuel de la Légion, à chaque réunion, leur apporte quelque chose de vital, le ‘petit mot’ du Père a sa place aussi, mais pour mon cas personnel, je sens bien que si je possédais davantage la langue coréenne il serait possible de les former davantage. Après chaque réunion, on étudie un peu l’Évangile ensemble, pendant une heure, et c‘est là qu’on sent ses lacunes de la langue coréenne. Par ailleurs, je vois de temps en temps mes militants en particulier, pour ‘faire le point’.
Il m’est difficile d’assister à chaque réunion : j’en ai deux le samedi et trois le dimanche qui se suivent toutes à 30 minutes d’intervalle... mais, même si je dois m’absenter, j’assiste toujours aux compte-rendu que font les militants de leur action, c’est le plus important de la réunion : là, on connaît la valeur de la vie spirituelle du légionnaire, ses qualités humaines apparaissent en clair, et on a tout de suite un aperçu très précis de la situation de la paroisse, selon que les compte-rendu sont sur les catéchumènes, les malades, les ondoyés, etc. etc.
C’est par les légionnaires que je peux également tenir à jour les adresses de tous mes baptisés : ils me signalent aussi ceux qui partent sans laisser d’adresse. Ils connaissent les maisons des chrétiens dans chaque quartier, parce qu’ils y sont allés, et c’est autrement facile d’entrer en contact avec les chrétiens par cette méthode, plutôt que d’envoyer quelqu’un, l’adresse en main, chercher un chrétien. Avec les légionnaires je suis toujours sûr de rencontrer le chrétien que je cherche et, quand vient le moment de distribuer les avis de denier du culte, toutes les enveloppes sont distribuées rapidement et sûrement.
Je me souviens avoir visité des malades par des ruelles impossibles à s’y retrouver sans un chrétien qui nous accompagne ; évidemment on peut toujours se renseigner, mais on perd un temps considérable, et on n’est pas toujours sûr d’atteindre son but. Même en desserte, on prend un gosse derrière soi sur sa moto et on est sûr d’arriver rapidement à la maison en question.
Quand je suis arrivé dans le district de Pohang, il y a déjà plus de trois ans, environ une semaine après Pâques, je me trouvais en face d’un seul et unique praesidium que venait justement de lancer le Père Pélisse, mon prédécesseur. Ce fut le praesidium-mère de toute la Légion de Pohang. Le Père Pélisse avait senti le besoin pour ses chrétiens d’une vie plus sérieusement vécue, et il leur présenta le système légionnaire et son exigeante discipline. Il me semble que j’aurais choisi comme lui la Légion, au cas où elle n’aurait pas existé.
Le système ‘administratif’ de la Légion évite à ses membres des dispersions inutiles dans leurs initiatives d’apostolat, fait appel à leur persévérance, exige un effort soutenu dans le difficile travail de leur vie de chrétiens et d’apôtres, développe leur esprit de conquête à partir des richesses surnaturelles que chaque baptisé porte en lui : on n’apporte aux autres que ce que l’on a ; encore faut-il le savoir, pour en être convaincu d’abord, pour le porter aux autres avec tact et délicatesse sans vouloir s’imposer ensuite.
La grosse difficulté : la grande majorité de nos militants (du moins dans le district de Pohang) ne comprennent pas assez que la vie intérieure est le principe de leur action de militants ; beaucoup en sont restés au stade de l’activisme. Certes, il y a de la générosité chez nos légionnaires, mais c’est souvent une générosité qui a sa source dans de riches qualités humaines ; sinon comment expliquer des défections auxquelles on était loin de s’attendre ?
Là se branche le difficile problème de la formation des militants. Évidemment, pour faire de la Légion on pourrait ne prendre que des militants éprouvés et vraiment généreux ! Mais n’est-ce pas en essayant de former des militants qu’on arrive petit à petit à avoir d’authentiques apôtres ? Le Seigneur ne nous a pas choisis, nous prêtres, parmi les saints ; non, il a choisi des âmes généreuses pour les faire monter davantage dans son esprit missionnaire et son Amour. Suivre sa méthode est certainement une bonne méthode. Il nous suffit de nous donner à fond ».
Voilà, Pierre travaille avec la Légion de Marie ! Des résultats tangibles viennent corroborer ces efforts conjugués : presque une centaine de baptêmes d’adultes par an, une communauté vivante et attentive à chacun de ses membres, une ambiance chaude et presque ouatée ! Il faut ajouter toutefois qu’à cette époque, avec des méthodes parfois différentes, les autres paroisses enregistrent aussi des résultats considérables.
Pierre se fait aussi constructeur. Outre plusieurs petites chapelles de chrétientés secondaires dans les environs, il mène à bien la construction d’une vaste et élégante église : 12 m de large sur 36 de long. Pour ce faire, sa famille lui rend de grands services : elle canalise les dons qu’il sollicite ; elle fait circuler les nouvelles et compte-rendu qu’il ne manque pas d’envoyer.
Un fait remarquable : Pierre travaille avec ardeur à l’éveil des vocations sacerdotales : un moment il a cinq grands séminaristes et trois petits.
Il raconte une visite particulièrement réussie de Mgr Lemaire, en présence des autorités civiles, dans une grande salle qu’il a ornée de grandes photos de son ordination par Mgr Lemaire précisément. Et il ajoute, avec malice, qu’il a traduit l’allocation de Mgr Lemaire de façon que les gens comprennent ! Autrement dit, comme personne dans l’assemblée ne connaissait un mot de français et au lieu de faire une traduction maladroite, il a repris par petites tranches l’essentiel de son sermon du dimanche précédent !
La création du diocèse de Andong, au cours de l’été 1969, amène des bouleversements. La ville de Pohang reste dans l’archidiocèse de Taegu. Pierre est affecté au nouveau diocèse. Il est chargé de la plus grosse mais aussi de la plus difficile paroisse du nouveau diocèse, celle de Seo-Mun-dong en ville de Sangju. 700 présences aux messes du dimanche ! Mais une chrétienne de la paroisse avait proclamé, quelques années auparavant, avoir régulièrement des apparitions : l’archidiocèse de Taegu avait fait une enquête canonique et n’en avait pas reconnu l’authenticité ; La ‘voyante’ est cependant toujours sur place et entourée d’un nombre considérable d’admirateurs, y compris des gens d’ailleurs qui ont déménagé à Sangju pour vivre au ‘lieu des apparitions’. Il faut que le curé fasse preuve de beaucoup de sagesse et de prudence. C’est ce que fait Pierre mais la tâche est difficile et stressante. D’autant plus que les fidèles ne sont pas très chauds pour le nouveau diocèse ; dans cette paroisse il y avait jusque-là, par exemple, sept catéchistes laïcs payés à plein temps pour le travail d’évangélisation mais l’argent venait d’Allemagne ! Avec le nouveau diocèse, non seulement l’aide est arrêtée et les catéchistes remerciés mais on demande aux fidèles de faire de l’apostolat eux-mêmes et de pourvoir eux-mêmes aux dépenses de la communauté paroissiale et diocésaine.
Pendant trois ans, Pierre a du mal à Sangju ! Comme il est membre du conseil épiscopal et que les nominations se font là, il demande et obtient de prendre un congé et d’être nommé ensuite dans un petit poste à défricher. Il part en congé. Le journal La Croix du 3 juin 1972 publie une longue interview de lui.
De retour fin 1972, le voilà donc à An-kyé, l’un des postes les plus petits du diocèse : une poignée de chrétiens seulement. Nous avions demandé à une congrégation religieuse d’y envoyer deux sœurs ; la supérieure est bien venue voir mais elle a vu que c’était un ‘bled’ et elle n’a envoyé personne. Quant à moi, un jour je passe à l’improviste pour dire bonjour à Pierre : je le trouve dans la cour, seul, armé d’une pioche, essayant de casser un rocher à fleur de terre pour élargir la cour. Lui qui n’avait jamais travaillé de ses mains ! Vraiment, j’ai pitié de lui. D’autant plus qu’il a peu de relations avec la population ; ce n’est pas son charisme. Il circule en moto et s’arrête volontiers pour saluer l’un de ses chrétiens mais ne s’arrête pas pour les autres. Son charisme c’est d’animer une communauté chrétienne, comme celle de Pohang, de l’intérieur. Il a le mérite de rester à An-kyé pendant trois ans.
Et le voilà à Euiseong, en janvier 1976, un chef-lieu de canton, une communauté chrétienne bien étoffée de quelque sept cents personnes. Là, il reprend ses méthodes à lui mais on dirait qu’il n’a déjà plus le mordant d’autrefois. Nous l’avons su plus tard : déjà, certaines parties du cerveau n’étaient plus irriguées normalement. Ah, pauvre machine humaine : nos comportements, nos réactions, notre vie de foi même (!) peuvent dépendre d’un petit vaisseau sanguin qui grippe la machine !
Après quatre ans et demi, en 1980, il rejoint son dernier poste, celui de Poonggi : il en est le premier curé. L’agglomération est importante. Il se plaît là. Aussi y reste-t-il une dizaine d’années. Comme les chrétiens ne sont que quelques unités, il n’est pas question de Légion de Marie : il connaît chaque chrétien individuellement et ils le connaissent tous bien. Mais que se passe-t-il ? -Insensiblement, peu-à-peu, il semble de plus en plus lent, nonchalant, distrait... un peu comme une fleur qui se fane et se recroqueville sur lui-même. Après cinq ou six ans, il finit même par s’entourer de quelques intimes qui sont très gentils envers lui et qui lui apportent régulièrement des vidéos portant sur les sujets historiques qu’il aime. Il passe des heures à regarder ces vidéos. Il sort de moins en moins et très lentement, très lentement, le corps s’ankylose.
Il avait bien été à l’hôpital plusieurs fois mais on n’avait rien décelé. Finalement un examen médical très pointu décèle un blocage, datant de plusieurs années, de petits vaisseaux sanguins dans le cerveau. Il n’est plus question de lui confier une charge pastorale.
Il ne désire pas revenir en France. Il tient à son indépendance. C’est le premier prêtre du diocèse qui se retire du ministère actif. La seule solution était de lui trouver un appartement en ville de Andong où il pourrait vivre à son rythme, avoir des visites et confesser éventuellement les fidèles d’une paroisse toute proche ou d’autres personnes qui s’adresseraient à lui. C’était en juillet 1990, quelques mois avant que Mgr Ignace Pak ne prenne la direction du diocèse de Andong.
Il reste cinq ans dans cet appartement. Mais là aussi, au cours des années, la situation se dégrade. Il reste allongé la plupart du temps. Mgr Pak en est désolé et nous aussi. Mais ce n’est de la faute de personne, surtout pas de sa faute à lui. Finalement, le supérieur régional de l’époque, Gilbert Poncet, réussit à convaincre Pierre de rentrer en France. Deux confrères dont Pierre est le plus proche, les Pères Stanislas Gzella et Jacques Dénès, le conduisent, dans un premier temps, chez les petites sœurs des Pauvres pour qu’il retrouve suffisamment de forces pour affronter un long voyage puis, dans un deuxième temps, à Paris pour qu’il se retire à Montbeton. C’était en juillet 1995.
Pierre reste presque six ans à Montbeton. Au début, il est en relativement bonne forme et réagit relativement bien. Mais au fil des années, c’est évident, le cerveau répond de moins en moins. Quand on va lui rendre visite, la télévision est allumée et il a les yeux fixés sur les images qui se succèdent mais probablement qu’il ne les regardent pas vraiment. D’autres aiment travailler ou se reposer avec un fond musical ; lui apprécie un fond visuel. Quand on lui parle, il détourne à peine les yeux et répond laconiquement par des « oui » ou des « non » mais semble ‘absent’.
Il m’est arrivé une fois, de passage à Montbeton, d’aller le voir un matin et de passer une petite heure très agréable avec lui : il posait des questions sur les paroisses où il avait travaillé, sur les confrères, sur les gens qu’il connaissait. Sa mémoire fonctionnait très bien. C’était le Pierre d’autrefois. J’en étais très heureux. Mais ce même jour, j’y suis retourné dans l’après-midi et il était à nouveau ‘absent’. Il finit par ne plus sortir de sa chambre.
Il souffre aussi de plus en plus, dès qu’on le touche. Le personnel de Montbeton est admirable : à force de patience et d’encouragements, ils réussissent, chaque jour, à le lever pour faire son lit, sa toilette...
Un moment arrive où la douleur est telle que, quand on le touche, il crie. Pauvre Pierre !
La douleur est toujours là mais, les derniers temps, il est apaisé. « Avant de mourir, je voudrais rester longtemps sur la croix », avait-il dit à Sébastien, le responsable laïc de la paroisse de Poonggi. Oui, Pierre reste longtemps sur la croix, très longtemps. Son calvaire est très long. Il meurt dans la nuit du 19 mai 2001.
Le 21 mai, a lieu la messe d’enterrement. Le Père Jean Méreau, décédé lui aussi à Montbeton, est enterré le même jour. Les deux familles sont d’accord pour que l’enterrement se fasse ensemble. Voici la conclusion de l’homélie du Père Georges Mansuy qui préside l’Eucharistie : « Nous avons dans cette maison assez souvent l’occasion de conduire l’un ou l’autre de nos confrères à sa dernière demeure – et aujourd’hui nous en accompagnons deux en même temps ! C’est chaque fois pour nous non pas tant l‘occasion de manifester de la douleur, de la tristesse, même si le départ d’un ami, d’un frère ne nous laisse pas indifférents. Mais c’est surtout pour nous l’occasion de renouveler notre propre résolution de suivre le Christ jusqu’au bout et de rendre plus ferme notre espérance. ‘Si nous sommes passés par la mort avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui’. Amen ».
Pierre repose dans le cimetière de Montbeton, là où tant de ‘Coréens’ l’ont précédé.
Il a bien servi le Seigneur Jésus. Il doit être heureux... comme à Pohang ! Mais non, bien plus, totalement heureux !