François LAOUËNAN1822 - 1892
- Status : Archevêque
- Identifier : 0518
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Identity
Birth
Death
Episcopal consecration
Missions
- Country :
- India
- Mission area :
- 1847 - 1891 (Pondichéry)
Biography
[0518] LAOUËNAN, François-Jean-Marie, voit le jour le 19 novembre 1822 à Lannion dans les Côtes-du-Nord. Après avoir étudié au petit séminaire de Plouguernével et à celui de Tréguier, il passe une année au grand séminaire de Saint-Brieuc, et entre laïc au Séminaire des Missions Étrangères le 29 septembre 1843. Prêtre le 6 juin 1846, il est envoyé le 1er août suivant à Pondichéry.
Homme d’influence
Il y débute comme professeur au collège colonial en janvier 1847. Peu après, il est nommé principal de cet établissement. Ses qualités se manifestent si bien dans ces fonctions qu'il acquiert une grande influence non seulement dans les familles mais encore auprès de l'administration. C'est à lui que l'on s'adresse pour les cas difficiles, et lorsqu'il s'agit de rédiger des rapports importants. Toutefois, comme il tient à mener la vie apostolique, il demande, après dix ans de supériorat, un poste dans l'intérieur des terres. Mgr Bonnand lui confie, en mai 1857, Kumbakonam (1). Son autorité devient rapidement assez grande pour que, cette même année, lors de la révolte des Cipayes, il puisse offrir à un fonctionnaire anglais une garde de 500 hommes. De 1859 à 1862, il accompagne Mgr Bonnand et ensuite Mgr Charbonnaux dans la visite apostolique des missions de l'Inde (Voir BONNAND, CHARBONNAUX).
Primé par l’Académie française
Il prend de nombreuses notes sur les missions, la religion brahmanique et le pays. Ces notes sont à l'origine de son ouvrage : ‘‘Du brahmanisme et de ses rapports avec le judaïsme et le christianisme’’ qui obtient en 1885, le prix Bordin de l'Académie française. De retour à Pondichéry, il dirige le grand séminaire de la mission et en 1866 reprend ses anciennes fonctions de principal du collège colonial.
Evêque
Deux ans plus tard, le 5 juin 1868, il est nommé évêque de Flaviopolis et vicaire apostolique de Pondichéry. Il y est sacré à Pondichéry le 11 octobre de cette même année. En 1870, il assiste au concile du Vatican et participe aux travaux de la commission du Rite oriental et des Missions dont il a été nommé le 19e membre au mois de janvier. En même temps, il collabore très activement à la refonte du Règlement général de la Société des Missions Étrangères, qu'il défend ensuite par une lettre fortement motivée.
Priorité aux conversions
Revenu dans sa mission, il s'applique plus que jamais à en développer les œuvres. A Pondichéry, il reconstruit le grand séminaire, fait agrandir le collège Saint-Joseph de Cuddalore (2) et contribue à fonder l'hospice Desbassyns de Richemont (Collège, Hospice, grav., Hist. miss. Inde, v, pp. xi, xxix). Sous son impulsion, les écoles et les conversions se multiplient. Mgr Lanouënan apporte une attention prioritaire à ces conversions qu’il veut féconde. Aussi, s'impose-t-il de lourds sacrifices que de réels succès récompensent. Il ne redoute pas d'aider matériellement les catéchumènes et juge que les dépenses faites en leur faveur contribuent à l’augmentation du nombre des chrétiens, le véritable objectif de la mission. L'accroissement des baptêmes commence en 1873 : le vicariat en enregistre 1008 au lieu de 400 à 500 les années précédentes. En 1874 le chiffre s'élève à 2013 et en 1875 à 1920. Les progrès ont principalement lieu dans les districts actuels de Vettavalam, Chetpet, Vellantanguel, Vicravandhy, Nangatour, Attipakam, Alladhy (3). En 1876, 1877 et 1878, années de grande famine, les chiffres des baptêmes sont incomparablement plus élevés parmi les Indiens affamés, attirés au catholicisme par la charité des missionnaires. Voici la statistique de ces années : 17 466 en 1876-1877 ; 29 420 en 1877-1878. Pour permettre à ses missionnaires d'aider les malheureux accablés par la misère, l'évêque fait appel, non sans y sacrifier son modeste patrimoine, à la charité des Catholique français qui lui répondent généreusement. Afin d'envoyer un missionnaire de plus dans les districts, il exerce la double fonction de supérieur du séminaire et de professeur de théologie.
On dit parfois, avec une certaine insistance, que les indiens baptisés à cette époque ont embrassé le catholicisme sans avoir reçu une instruction suffisante et sans conviction, si bien que la plupart d'entre eux, une fois l'abondance revenue, sont retournés à leurs superstitions. Ces observations ne sont exactes qu'en partie et elles ont besoin d'être analysées : ces catéchumènes sont évidemment moins bien instruits qu'à l'ordinaire en raison de leur nombre et des multiples occupations auxquels les missionnaires doivent faire face. La conviction religieuse peut donc être moins profonde chez un certain nombre, mais peu à peu, durant les années qui suivent, les missionnaires poursuivent leur travail d’instruction si bien que la pratique des sacrements et la foi entrent dans l'âme du plus grand nombre. Outre ceux qui sont morts après avoir reçu le baptême, le chiffre des survivants restant attachés à la foi catholique est beaucoup plus élevé que celui des apostats.
Après la famine, l'évêque s'occupe de marier les orphelins. Il crée à cet effet l' Œuvre des mariages, ce qui lui permet d'établir plusieurs centaines de familles. Quelques chiffres montrent l'extension du catholicisme pendant son épiscopat. En 1868, la mission de Pondichéry compte 125 000 fidèles. Vingt-quatre ans après, en 1892, le chiffre s’élève à 217 562.
Administrateur et négociateur
En 1874, il fait imprimer sous le titre de Statuts du vicariat apostolique de Pondichéry, un travail de direction pour l'administration des sacrements, qui dénote un grand esprit pratique et une connaissance approfondie des mœurs et de la mentalité des Indiens. Ce n'est cependant qu'une large ébauche qu'il développe plus tard, et qu'il publie définitivement sous le titre de ‘‘Directoire’’.
En 1883, il obtient un coadjuteur, Mgr Gandy, qu'il sacre le 9 septembre de cette même année. Il participe très activement aux études et aux négociations qui précèdent la conclusion du Concordat, signé le 23 juin 1886 entre Rome et le Portugal, pour l'établissement de la hiérarchie catholique dans l'Inde. A cette occasion, il est appelé à Rome par Léon XIII en 1884. il propose les solutions les meilleures avec une compétence, une sagacité et une sagesse remarquables, que Léon XIII reconnaît en le nommant en 1886 comte romain et assistant au trône pontifical.
Cette affaire épineuse se termine par l'établissement de la hiérarchie dans l'Inde, que décrète la bulle Humanæ salutis (Leonis XIII acta, vi, p. 164) du 1er septembre 1886. Le 25 novembre suivant, par le bref Apostolatus officium, le Pape transfère les évêques de leurs anciens sièges titulaires aux Eglises de l'Inde ; Laouënan est nommé archevêque de Pondichéry et le 17 mars 1887 il doit recevoir le pallium.
Le 25 janvier 1887, la hiérarchie est solennellement proclamée à Bangalore par le légat apostolique, Mgr Agliardi. Après cette proclamation a lieu le concile de Bangalore dont les Pères se font un devoir de ne négliger aucun des avis de Mgr Laouënan, sur les jeûnes, l'abstinence et divers autres points de discipline. Le 7 juin 1887, les Lettres apostoliques Post initam (Leonis XIII acta, vii, p. 122) constituent les provinces ecclésiastiques de l'Inde ; l'archevêché de Pondichéry a alors pour évêchés suffragants les diocèses de Mangalore, Trichinopoly, Coïmbatore et Mysore.
La constitution de l'archevêché ayant entraîné la suppression de la Préfecture apostolique de Pondichéry (décret de Rome du 10 mars 1887 et décret du Président de la République Française du 21 juin suivant) avec comme conséquence le départ des religieux de la Congrégation du Saint-Esprit jusque là titulaires, l'archevêque sait agir avec beaucoup de tact en cette délicate circonstance.
Ces travaux et ces succès ont encore accru son influence déjà fort grande dans la ville de Pondichéry et dans la colonie française. Aussi certains hommes politiques, déçus dans leurs souhaits, ne trouvent rien de mieux que d'accuser le prélat de les combattre et de les faire combattre par ses amis. Il oppose à leurs dires les preuves certaines et manifestes du contraire et il résume son attitude par ces lignes écrites le 10 avril 1881 à J. Godin, député de l'Inde : ‘‘ni mes confrères, ni moi, nous ne sommes d'aucun parti. Nous n'avons vu personne à l'occasion de cette élection ; nous n'avons donné ni avis, ni conseil à personne. Je n'ai (ni la Mission) jamais donné un sou pour les élections, ni versé aucune somme ni petite ni grande dans la caisse d'aucune maison de commerce ; et je suis prêt, s'il en était besoin, à subir une enquête sur ce point, aussi bien que sur les autres’’.
Retour en France
En mars 1891, victime à des intervalles très rapprochés plusieurs congestions cérébrales et sur le conseil des médecins et de ses missionnaires, il revient en France. Il passe les derniers mois de sa vie au sanatorium Saint-Raphaël, à Montbeton dans le Tarn-et-Garonne. Au moment de recevoir le saint Viatique, il prononce ces pieuses paroles : ‘ ‘C'est à vous surtout, mon Seigneur et mon Dieu, que je demande pardon. Je vous avais prié de me donner le temps de me préparer à la mort sans avoir à m'occuper d'autre chose, et de m'envoyer telles souffrances qu'il vous plairait pour l'expiation de mes péchés. Je sens que vous m'avez exaucé et je vous en remercie de tout mon cœur. Mon Seigneur et mon Dieu, que vous avez été bon et que vous avez usé de miséricorde envers moi !... J'ai la confiance que je chanterai éternellement vos miséricordes infinies’’. Trois jours plus tard, le 29 septembre 1892, il rend son âme à Dieu dans la soixante-dixième année de son âge, la quarante-septième de son ministère apostolique et la vingt-quatrième de son épiscopat. Homme de tête et de cœur, esprit droit, missionnaire plein de zèle pour le salut des âmes, organisateur de volonté ferme sans être dur, d'intelligence parfois lente, mais réfléchie et clairvoyante, il est l’image même du bon chef d'une grande mission.
1 – Ville des Indes anglaises, à l’est de Karikal, l’un des cinq comptoirs français.
2 – Villes des Indes anglaises sur la côte de Coromandel, au sud et proche de Pondichéry.
3 – Villes et villages des Indes anglaises, à l’est et au nord-est de Pondichéry.
4 – Toute l’éternité, je chanterai les miséricordes du Seigneur.
Obituary
NÉCROLOGE
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MGR LAOUËNAN
ARCHEVÊQUE DE PONDICHÉRY
Né le 19 novembre 1822.
Parti le 1er août 1846.
Mort le 29 septembre 1892.
Mgr François-Jean-Marie Laouënan, Comte romain, Assistant au trône pontifical, premier archevêque de Pondichéry, naquit à Lannion, le 19 novembre 1822, et reçut, le lendemain, le saint baptême dans l’église de Saint-Jean du Baly.
Chaque pays donne, dit-on, à ses habitants, un cachet particulier qui le rappelle : Mgr Laouënan ne paraît pas avoir contredit cet adage. La Basse-Bretagne, c’est le pays du granit, des chênes vigou¬reux, des dolmens séculaires ; c’est la lande triste et déserte qui porte à la rêverie ; c’est la plage, qu’attaque sans cesse, sans pouvoir jamais la vaincre, l’océan sans limites ; c’est la terre du marin au pied ferme et au courage indomptable. Il y avait comme quelque chose de tout cela dans cet homme : un corps vigoureux comme le chêne, une volonté inébranlable comme le rocher, un esprit ami de la méditation et de la pensée ; par dessus tout, un cœur qui n’aurait pas connu de bornes dans l’amour du bien, s’il n’en avait eu dans les moyens de l’accomplir.
Sa famille jouissait d’une certaine aisance et occupait un rang honorable dans sa ville natale. Mais elle se distinguait surtout par sa foi ardente, par ses mœurs patriarcales et par ses sentiments profon¬dément chrétiens. Dès le berceau, au foyer paternel et spécialement à l’école de sa mère, femme d’un caractère élevé, d’une piété éclairée, d’une intelligence au-dessus de sa condition, type accompli de la femme forte de l’Écriture, l’enfant trouva ces leçons et ces exemples de vertu qui laissèrent dans son cœur une empreinte indélébile et exercèrent une influence prépondérante sur sa vocation future. En même temps, l’on pouvait déjà discerner en lui, à mesure que son intelligence s’éveillait, un esprit vif, ouvert, pénétrant, et ce jugement d’une rectitude et d’une sûreté inflexible, qui fut plus tard comme la note caractéristique de sa personnalité (1).
Les premiers éléments des lettres humaines lui furent enseignés par les Frères de Lannion. Il n’oublia jamais ces humbles éducateurs du peuple ; et à travers les diverses péripéties de sa longue carrière, à la peine comme à l’honneur, il leur garda un inviolable attachement.
(1) M. Dubourg, vic. gén. de Saint-Brieuc
Les tendances de bon augure qu’il révélait déjà, un amour ardent pour l’étude, une facilité surprenante, une maturité précoce, déter¬minèrent sa famille à favoriser le développement de ces heureuses dispositions et à le confier à un établissement où l’instruction et la piété marchaient de pair et se prêtaient un mutuel appui. A l’âge de douze ans, le jeune Laouënan entra en huitième au petit séminaire de Plouguernével. Mais dès les premiers mois, sa supériorité sur ses condisciples était telle qu’on dut le faire monter à une classe plus élevée. Il eut la bonne fortune d’avoir pour professeur M. l’abbé Le Chevalier, ancien aumônier des Augustines de Goarec, dont la mémoire est encore vénérée par la Cornouaille tout entière. Ce prêtre éminent découvrit bien vite les riches qualités de son élève, lui voua une vive affection et s’appliqua à tempérer l’ardeur impétueuse de sa nature et à discipliner ce goût des aventures et des voyages qui le portait déjà vers les navigations lointaines.
Après trois ans de séjour à Plouguernével, il entra en quatrième à Tréguier, dans le dessein d’y continuer ses études et d’y achever ses humanités. Ses succès y furent non moins brillants qu’à Plouguer¬nével. Mais, à mesure qu’il approchait du terme de ses classes, sa vocation de missionnaire se dessinait davantage. On raconte que, pendant l’hiver si rigoureux de 1840, il se revêtait des tissus les plus légers, voulant s’habituer d’avance aux intempéries des climats extrêmes et faisant déjà l’apprentissage de la rude vie des Missions. Sa lecture favorite et de prédilection était les Annales de la Propa¬gation de la Foi. Il se prenait alors à rêver le martyre et sentait s’allumer dans son âme la flamme sacrée du dévouement et un immense besoin de sacrifice et d’immolation.
Ces aspirations étaient si ardentes, et l’appel de Dieu lui paraissait si évident, qu’il ne passa qu’une année au Grand Séminaire de Saint¬-Brieuc. A la fin de sa philosophie, il prit vaillamment son parti, triompha des premières oppositions de son évêque qui sentait toute l’étendue de la perte que faisait le diocèse de Saint-Brieuc, dit adieu à sa famille en pleurs, et entra au Séminaire des Missions-Étrangères.
La joie qu’il éprouvait en franchissant le seuil de cette vénérable maison de la rue du Bac, pépinière d’apôtres et de martyrs, n’était égalée que par celle que l’on avait à l’y recevoir ; car déjà le renom de ses hautes qualités l’y avait devancé. Ses directeurs ne tardèrent pas à reconnaître, par expérience, que la réalité dépassait encore leur attente et à bénir Dieu du rare trésor qu’il leur avait envoyé.
Après une longue préparation et un noviciat fructueux, après la cérémonie traditionnelle du départ, qui, décrite tant de fois, a tou¬jours le secret d’émouvoir les cœurs, le Père Laouënan s’embarqua à bord d’un navire à destination de Pondichéry. L’Inde lui fut, en effet, par un choix providentiel, dévolue comme sa portion d’héritage. C’est dans ce champ de bataille que devait se dérouler sa carrière féconde et s’exercer son zèle apostolique. Le 23 novembre 1846, il arrivait à Pondichéry, en compagnie du Père Ligeon, de sainte mémoire.
Le Vicaire apostolique, sur la demande de l’Administration, venait de prendre la charge du Collège colonial. Le Père Laouënan y entra comme professeur, au commencement de janvier 1847. Le Père Fages, principal, étant mort peu de temps après, Mgr Bonnand confia au Père Louënan la direction de cet établissement. Les rapports incessants que le nouveau principal était obligé d’avoir avec les élèves et leurs parents ne tardèrent pas à mettre en lumière les qualités de son esprit et de son cœur. Il devint bientôt, comme on dit vulgairement, l’homme de Pondichéry. Dans les familles, on n’entreprenait rien qu’on n’eût auparavant pris son conseil. Pas de douleur qui ne vint chercher auprès de lui la consolation ; pas une infortune qui ne réclamât son secours. Son autorité était incontestée et incontestable. L’Administration elle-même se plaisait à rendre hommage à la supériorité de ses talents. Charmée d’avoir près d’elle, et en quelque sorte à son service, un homme de cette valeur, elle avait fréquemment recours à ses lumières. C’était l’âge d’or de la colonie. La politique n’avait pas encore excité les convoitises et semé partout les divisions et les haines. Il n’y avait ni député, ni sénateur ; il n’y avait ni première, ni seconde, ni troisième liste ; il n’était question ni de conseil municipal, ni de conseil local, ni de conseil général ; on ne connaissait pas encore toutes ces assemblées dont on dirait en vérité trop souvent, qu’elles sont faites pour mettre en com¬mun la sottise des nations plutôt que leur sagesse. Les habitants de la colonie étaient heureux ; ils ne connaissaient d’autre préoccupation que celle de pourvoir aux besoins de leur famille ; on vivait en paix sous un régime dont la sagesse et la modération faisaient bénir et aimer le nom de la France. L’Administration n’avait pas à se préoc¬cuper de la politique ; elle ne voyait qu’une chose, le bien du pays ; elle honorait le mérite, fût-il même revêtu d’une soutane. Elle se plaisait en particulier à reconnaître la grandeur de caractère et l’élé¬vation d’esprit du Père Laouënan. Il était de tous les conseils, quoiqu’il ne fût rien dans le gouvernement. Quelquefois c’était à lui qu’elle confiait la rédaction de certains rapports importants qu’elle adressait au ministère. On savait qu’à Pondichéry, personne n’était capable comme lui d’éclaircir une question, de résoudre une difficulté et d’appuyer sa manière de voir de raisons sérieuses, convain¬cantes. Ces rapports avaient fait impression au ministère. Le nom de leur auteur y était connu et estimé ; peut-être a-t-on dit de lui ce qu’un grand personnage disait d’un évêque de ce temps-là : C’est dommage que cet homme ait une soutane, nous en aurions fait quel¬que chose.
Mais le Père Laouënan n’oubliait pas le but premier de sa vocation. S’il avait quitté sa patrie et sa famille, s’il était venu dans l’Inde, c’était tout d’abord pour évangéliser les pauvres. Or, depuis dix ans qu’il était à Pondichéry, il n’avait pas eu encore, à proprement parler, ce bonheur. Il sollicita un poste dans l’intérieur des terres. Mgr Bon¬nand crut devoir se rendre à ses vœux et le mit à la tête du district de Combaconam.
Combaconam est une ville importante de la Présidence de Madras. Au point de vue ecclésiastique, c’était alors le centre d’un immense district. Sur ce nouveau théâtre, le Père Laouënan fut ce qu’il avait été à Pondichéry, mais avec ce quelque chose d’exquis que donne à la vertu, l’humilité et l’amour des pauvres et des petits. Une intelli¬gence puissante et un travail assidu lui avaient rendu familières toutes les branches des connaissances humaines. Mais, à ses yeux, toute cette science ne valait pas le bonheur qu’il avait de faire le catéchisme aux enfants, et d’expliquer aux pauvres gens des champs les premiers éléments de la religion. Plus tard, ni l’âge, ni les soucis d’un immense diocèse ne purent lui faire oublier ce premier devoir du prêtre. Jusque dans les dernières années de sa vie, bien qu’à moitié aveugle et accablé de travail, lorsqu’il entendait sonner à la cathédrale le catéchisme préparatoire à la première communion, il se levait aussitôt et quittait tout pour venir y assister. Il voulait se rendre compte par lui-même du nombre des enfants, de leur assiduité et de la façon dont on les instruisait.
Les pauvres malades tenaient, avec les petits enfants, la première place dans ses affections. Le soin qu’il avait de les visiter souvent, le zèle qu’il mettait à les secourir et à les consoler, produisaient des fruits singuliers d’édification, en même temps qu’ils lui conciliaient l’estime et l’affection de tous. Il revenait un jour d’une de ces visites. Un riche païen de sa connaissance le rencontra marchant à pied au milieu des rizières, sous les ardeurs d’un soleil brûlant. « D’où venez¬-vous donc, Père, lui dit-il, à pied et avec cette chaleur ? De voir un « pauvre paria, sans doute. Ah ! cela est beau ! Il faut bien l’avouer, il n’y a rien de « semblable dans notre religion. »
Un petit trait encore montrera mieux que toutes les paroles ce que son cœur recélait de dévouement. Un jour (il était évêque alors) un de ses prêtres lui racontait que, cette nuit-là même, il avait été appelé auprès d’un malade. Et cela pourquoi ? pour le confesser et lui donner l’Extrême-Onction ? non ; le saint Viatique ? pas davan¬tage. On l’avait appelé uniquement pour bénir le malade. Il se plai¬gnait donc du sans-gêne avec lequel ses chrétiens troublaient son sommeil. L’Évêque l’écouta en silence. Quand il.eut fini : « Et y êtes-vous allé ? lui demanda-t-il gravement. — Oui ; il a bien fallu faire contre mauvaise fortune, bon coeur. » Le front de l’évêque redevint serein. « Vous deviez y aller », dit-il simplement. Le missionnaire comprit à l’expression de son visage que Sa Grandeur eût été vive¬ment peinée d’entendre une réponse négative.
Les collecteurs et autres fonctionnaires du gouvernement anglais, charmés de son mérite, lui eurent bien vite accordé leur confiance et leur estime. Il se servit de son influence pour favoriser un peu tout le monde, ses pauvres chrétiens d’abord, les païens ensuite, car les païens même avaient accès auprès de lui. Ils sentaient qu’ils étaient aimés et ils venaient avec confiance. Lors de la révolte des cipayes, en 1857, le bruit s’étant répandu que lesTurcs du voisinage allaient se sou¬lever et massacrer tous les Européens, le P. Laouënan alla trouver le seul fonctionnaire anglais qui eût eu avec lui le courage de braver le danger et de rester à son poste ; il lui offrit de lui fournir 500 hommes, qui jour et nuit veilleraient à sa sûreté. Telle est l’autorité de la vertu ! Un pauvre prêtre n’avait pour ainsi dire qu’à frapper la terre du pied pour en faire sortir des soldats.
Dès son arrivée dans ce pays, cet esprit observateur avait remar¬qué, comme d’autres avant lui, les similitudes qui existent entre le Judaïsme et le Christianisme d’une part et le Brahmanisme de l’autre. Maintes fois il avait entendu vanter l’origine de ce dernier. Elle se perdait, disait-on, dans la nuit des temps. S’il y avait eu plagiat, c’était assurément le christianisme qui avait emprunté. Qu’avait fait Jésus-Christ dans sa jeunesse ? Où était-il allé ? Il était venu sans doute em¬prunter à l’Inde sa doctrine et sa religion. Pour tout homme sans passion et sans préjugé qui veut y réfléchir sérieusement, les fondements de notre Foi sont inébranlables ; la vérité de la religion chrétienne est évidente comme le soleil. Le Père Laouënan savait que toutes ces asser¬tions sont fausses, absolument fausses ; mais comment le démontrer ? comment en fournir la preuve ? Cette preuve, il entreprit de la cher¬cher et de la découvrir. La chose n’était pas facile. Point de guide ; point de fil conducteur ; rien qu’un mélange monstrueux de faits véritables et de fables inventées à plaisir. Comment démêler la vérité ? Comment la faire briller aux yeux ? Dès son arrivée dans l’Inde, il s’était mis au travail ; il poursuivit son but avec cette ténacité qui est le trait dominant de sa race et après quarante ans d’efforts donna au public le beau livre intitulé : Du Brahmanisme et de ses rapports avec le Judaïsme et le Christianisme. » Dès son apparition, cet ouvrage fut accueilli avec une extrême faveur, et, quelques mois plus tard, couronné par l’Académie francaise.
Or ce fut pendant son séjour à Combaconam qu’il fit une impor¬tante découverte. Voici à quelle occasion : Il avait rendu à un brahme très influent un service signalé. Cet homme était venu lui exprimer sa reconnaissance et lui demandant ce qu’il pourrait faire en retour : « Ce « que vous pourriez faire en retour, reprit le P. Laouënan, je vais vous le dire. Fournissez-moi, « avec documents à l’appui, la date à laquelle ont été construites les principales pagodes du « Sud de l’Inde. Si vous me donnez ces renseignements, vous aurez acquitté votre dette envers « moi.» Cet homme parut surpris ; il ne comprenait pas de quelle utilité ces dates pouvaient être à un prêtre catholique ; mais il n’en demanda pas davantage. Sachant que son bienfaiteur y attachait le plus haut prix, il se mit à l’œuvre ; il parcourut le pays, visita toutes les pagodes les plus renommées. Usant de l’autorité de son nom, il se fit donner connaissance des archives secrètes gardées dans les tem¬ples ; il lut, il interrogea ; en un mot, il recueillit tous les renseigne¬ments que son bienfaiteur désirait et vint plein de joie les lui remettre. C’est ainsi que le Père Laouënan vit confirmé ce que ses études précédentes lui avaient déjà appris, à savoir : qu’il n’y a pas une seule de ces pagodes, dont on vante si haut l’antiquité reculée, qui n’ait moins de mille ans d’existence.
Vers 1859, le Père Laouënan quittait Combaconam. Il y avait passé 4 ans. Il remettait son district aux mains d’un successeur digne de lui, du Père Bergez dont tout le monde a connu ou entendu célébrer les talents et les belles qualités. Voici à quelle occasion eut lieu ce départ. Mgr Bonnand venait d’être nommé par le Saint-Siège visi¬teur apostolique de toutes les chrétientés de l’Inde et de Ceylan. Il dut choisir pour l’accompagner des hommes capables et de supporter les fatigues de ce pénible voyage, et de l’aider en partageant ses tra-vaux. Son choix s’arrêta sur le P. Dépommier, mort depuis vicaire apostolique de Coïmbatore, et sur le P. Laouënan. J’ai dit, pénible voyage, car l’Inde n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui. Elle a changé au moral, changé surtout au physique. Ceux-là se trompent qui pen¬sent que ce pays est en quelque sorte immuable et que la coutume y est la raison dernière de toute chose. Lui aussi a eu ses époques critiques et ses révolutions. Il y a eu des variations dans les mœurs ; il y en a eu dans la religion ; il y en a eu dans le climat et l’état physique du pays. Il y a 60 ans, lorsque le P. Mousset débarqua à Pondichéry, la mer s’arrêtait bien loin là-bas ; aujourd’hui elle baigne nos murailles ; il y a quarante ans, la forêt commençait presque aux portes de la ville, forêt immense qui couvrait pour ainsi dire le pays tout entier. Aujourd’hui la forêt a disparu et avec elle aussi, malheu¬reusement, la régularité des saisons.
Donc, lorsque Mgr Bonnand et ses deux assesseurs entreprirent leur lointain voyage, les chemins de fer étaient rares. Les routes spacieuses et bien entretenues, presqu’aussi rares. Parcourir l’Inde tout entière ! Il y avait de quoi effrayer les plus fiers courages. Mais ces hommes-là ne regardaient jamais en arrière ; ils étaient taillés à l’antique et, comme parle l’Écriture, de la race de ceux qui sauvent Israël. Ils partirent donc, non en chemin de fer, non dans des calè¬ches à deux chevaux, mais dans d’humbles voitures que traînaient des bœufs au pas tranquille et lent. Ils s’arrêtaient dans des Banga¬laws de voyageurs si la Providence en avait semé sur leur route ; sinon, ils demandaient aux arbres du chemin une protection pendant la nuit et de l’ombre pendant les ardeurs du jour. Chacun de ces messieurs couchait dans sa voiture ; on se levait de grand matin ; les domestiques préparaient un déjeuner quelconque et l’on continuait le voyage jusqu’à la prochaine station. Ils parcoururent ainsi l’Inde tout entière depuis le cap Comorin jusqu’à l’Hymalaya, depuis la côte Malabar et Bombay jusqu’à Chittagong dans le Bengale oriental. Ce voyage fut au P. Laouënan de la plus grande utilité. Non seule¬ment il y apprit à connaître toutes les chrétientés de l’Inde, mais il y recueillit des renseignements très précieux pour le grand ouvrage qu’il méditait. Il put voir chez elles-mêmes toutes ces populations aux mœurs si étranges et si diverses ; il visita tous les lieux célèbres dans l’histoire et la mythologie ; il examina à loisir les temples et les monuments. Point de peuple ni de caste dont il n’ait étudié l’ori¬gine, les hauts faits et les mœurs ; point de ville importante dont il n’ait suivi l’histoire depuis la fondation jusqu’à la décadence ou la ruine. Il avait d’ailleurs le coup d’oeil observateur et une mémoire locale d’une fidélité singulière. Lorsqu’il avait vu un lieu, un monu¬ment, un point de vue, il ne l’oubliait plus, et vingt ans après, ses souvenirs semblaient aussi frais et aussi précis que sur le moment même. Cet homme était en quelque sorte une géographie vivante. Il connaissait si bien l’Inde, qu’il aurait pu, disait-il, en faire la carte les yeux fermés.
Tant de soins et de travaux faillirent devenir inutiles. Les illustres voyageurs étaient arrivés à Hyderabad, capitale des États du Nizam. Le P. Laouënan avec son humble voiture avait devancé ses compa¬gnons. Il s’était engagé dans cette grande ville musulmane où un Européen, surtout un prêtre catholique, ne saurait pénétrer qu’avec une bonne escorte et une autorisation particulière. Bientôt il ne sut plus où diriger ses pas ; d’ailleurs personne pour lui montrer le chemin ; personne pour lui prêter secours. Il commençait à se trouver fort perplexe au milieu de la foule armée et menaçante. Tout à coup un joyeux : bonjour, mon Père ! vint lui rendre espoir et confiance. C’était un pauvre créole de Pondichéry, qui était allé chercher fortune dans ce lointain pays. Il avait reconnu le P. Laouënan ; frappé du danger où il le voyait : « Suivez-moi, lui dit-il sans préam¬bule, je marcherai devant votre voiture à quelque « distance, ne vous écartez ni à droite, ni à gauche, autrement vous êtes perdu. » Le P. Laouënan suivit ce bon avis, et quelques heures après il était hors de danger.
La visite des chrétientés de l’Inde avait duré trois ans. Le Père Laouënan rentra à Pondichéry vers la fin de 1852. A son retour, il fut chargé du grand séminaire de la Mission, Après un séjour de 4 ans dans cet établissement, il reprenait la direction du Collège colonial.
Mgr Bonnand avait succombé aux fatigues de son long voyage. Il était mort à Bénarès en 1861, et avait été remplacé, comme Visiteur, par Mgr Charbonnaux. Mgr Godelle lui avait succédé dans la charge de Vicaire apostolique et était allé mourir lui aussi, loin de son troupeau, à l’hôpital de Chambéry, en Savoie (1868). Quand il fallut lui donner un successeur, les suffrages des missionnaires se réunirent sur le Père Laouënan. Cet homme si courageux n’accepta pas sans de vives répugnances l’honneur qu’on lui offrait ; il se soumit en pleurant, et pour obéir au Souverain Pontife, se résigna à une charge qu’il de¬vait remplir avec tant de gloire.
Un an après sa promotion à l’épiscopat, le plus grave événement du siècle allait s’accomplir. Pie IX fait entendre sa grande voix, et, à son appel, accourent de tous les points de l’horizon les évêques de la catholicité. Mgr Laouënan part sans hésitation, fidèle au rendez-vous solennel du Concile du Vatican. Dans cette assemblée œcumé¬nique, il fut l’un des promoteurs les plus intrépides de l’infaillibilité pontificale qui avait été la foi de sa vie entière, et ses collègues dans L’Épiscopat lui montrèrent dans quelle haute estime ils le tenaient, en lui faisant l’honneur de le désigner par leurs suffrages comme membre de la commission du Rit oriental et des Missions.
Dans l’intervalle des sessions et des réunions, pour répondre à la confiance des autres vicaires apostoliques, Mgr Laouënan travaille à la rédaction du règlement de la Société des Missions-Étrangères, règlement que le Saint-Siège vient de confirmer et de rendre défi¬nitif.
C’était son premier voyage en Europe depuis son départ pour l’Inde. Sa vieille mère vivait encore. Avec quels transports et quelle effusion de joie elle pressa sur son cœur ce fils qu’elle avait géné¬reusement donné à Dieu et qu’elle revoyait le front ceint de la mître d’or des pontifes ! Lui, à son tour, professait une sorte de culte pour sa mère, il respectait jusque dans les moindres détails son autorité maternelle et avait pour elle toutes les délicatesses de la plus tendre piété filiale. Aussi ce fut des deux côtés un douloureux déchirement, quand, au bout de quelques semaines de repos, il fallut se dire un adieu qui, cette fois, fut le dernier. Ils ne devaient plus se revoir qu’au ciel !
Rentré à Pondichéry, il donne une impulsion vigoureuse aux œuvres de la mission. Il consacre son patrimoine à rebâtir le grand séminaire. De concert avec M. Desbassayns de Richernont, il fonde l’hospice qui porte le nom de ce dernier, établissement des plus utiles où 50 vieillards des deux sexes trouvent un abri, le pain de chaque jour et l’immense bienfait d’une mort chrétienne. Pour arra¬cher les enfants catholiques aux écoles protestantes et païennes, il ouvre le collège « Saint-Joseph de Cuddalore », école prospère que plus de 800 enfants fréquentent aujourd’hui.
Sous son épiscopat, les Congrégations de Saint-Joseph de Cluny, du Saint Cœur de Marie, du Bon-Secours, de Saint-Louis de Gon¬zague voient multiplier le nombre de leurs sujets, de leurs couvents et de leurs écoles. Un nouveau Carmel se forme à Karikal, digne émule de celui de Pondichéry en ferveur et en régularité. Il fait surgir partout dans son vaste diocèse des églises, des chapelles, des presbytères, des écoles et surtout des nouveaux chrétiens. Faire des chrétiens c’était là sa grande affaire. Pour cela, il n’épargnait ni labeurs, ni peines, ni dépenses. Dans l’Inde, en certains parages surtout, la conversion des païens est chose difficile, très difficile. Il y a tant de préjugés ! tant d’obstacles ! Ces païens sont si matériels, si grossiers ! Mais Dieu agréa sans doute les prières et les supplica¬tions ardentes que chaque jour son serviteur faisait monter vers Lui. Lui-même sembla mettre la main à l’œuvre. Vers 1875, commença une famine telle qu’on n’en avait jamais vue de mémoire d’homme. Elle dura trois ans, elle se fit sentir partout, mais surtout dans le Nord du Vicariat de Pondichéry. On vit alors des villages entiers se lever comme un seul homme et venir demander aux prêtres de Jésus-Christ, le salut de l’âme et du corps. Des milliers d’adultes et d’en¬fants furent régénérés dans les eaux du baptême. Et ce qu’il y a de consolant, c’est que depuis ce temps, le mouvement de conversion a continué, et cette année encore (1892) le compte-rendu de Pondichéry a enregistré près de 6.000 baptêmes. Dans ces quartiers, où il y a vingt ans, le nom de la religion n’était pas même connu, on compte aujourd’hui plus de 50.000 chrétiens ; il y a des districts organisés. On y voit chaque année s’élever des églises et des écoles.
De toutes les œuvres de son épiscopat Mgr Laouënan ne semblait voir que celle-là. « C’est mon œuvre », disait-il. Et il avait raison. Lorsque commença la famine, il fut le premier à jeter le cri d’alarme ; il ne se contenta pas d’obtenir du gouvernement anglais des secours considérables. Il s’imposa à lui-même, il imposa à ses prêtres et à Sa Mission les plus durs sacrifices ; il fit appel à la charité privée et sut intéresser au soulagement des affamés les chrétiens d’Europe et principalement de France.
Ni l’évêque, ni ses missionnaires n’ont compté les malheureux qu’ils ont secourus, mais ils savent le nombre de ceux qu’ils ont faits enfants de Dieu et de l’Église: dans le seul Vicariat de Pondichéry, il s’élève à 46.886 pour les deux années 1877 et 1878.
De cette situation nouvelle naquirent des besoins nouveaux. La famine avait fait de nombreux orphelins ; il fallut bientôt songer à les marier. Le mariage indien est chose fort compliquée, car nul ne peut se marier que dans sa caste. Telle était la grande difficulté. Il y en avait d’autres que comprendront ceux qui connaissent l’Inde. « Nous étions extrêmement « inquiets, écrit Mgr Laouënan, lorsque je reçus d’une personne charitable la somme de 5,000 « fr, destinée à pourvoir, selon que je le jugerais convenable, à la persévérance de nos pauvres « néophytes. Après avoir prié Dieu de m’éclairer, je conçus la pensée d’employer cet argent à « marier, dans les familles chrétiennes, les jeunes gens et particulièrement les jeunes filles qui « étaient les plus exposées. Mes confrères, consultés, applaudirent à ce déssein, et il fut « convenu qu’une somme variant de 15 à 20 fr. suivant le cas, serait allouée pour chaque « mariage. Mes confrères se mirent à l’œuvre avec ardeur ; les 5,000 fr. que j’avais reçus « furent bientôt épuisés ; ils permirent d’établir environ 250 familles. Depuis lors la divine « Providence ne nous a pas abandonnés, elle nous a procuré de nouvelles aumônes. »
Mgr Laouënan donnait avec une largesse qui n’était dépassée que par le désir de faire plus encore. Lorsqu’en 1889-90-91, la famine revint de nouveau visiter ces malheureuses contrées, Mgr Laouënan était encore là avec son grand cœur et sa main toujours ouverte. On lui a, en quelque sorte, reproché sa générosité ; il donnait trop, disait-on, beaucoup trop, eu égard surtout aux ressources si bornées et aux besoins si grands de sa Mission. Un jour, on se hasarda à lui faire à ce sujet quelques observations. On lui représentait que l’on usait et que l’on abusait de sa grandeur d’âme, que d’ailleurs les besoins n’étaient pas si urgents, qu’enfin il fallait faire quelques éco¬nomies pour l’avenir. — « Laissez, reprit-il, j’aurai plus à répondre au tribunal de Dieu, pour les secours que j’aurai refusés que pour ceux que j’aurai accordés. » — Si cet homme avait beaucoup appris dans les livres, il avait appris beaucoup plus encore aux pieds de son Crucifix. Son cœur, grand et généreux par nature, s’était dilaté comme à l’infini, au contact du cœur de son Dieu. Car l’amour divin n’est pas seulement une lumière pour l’esprit ; s’il donne sur l’homme, sa grandeur et ses destinées, sur Dieu et ses attributs, des échappées de vue que la raison humaine n’aurait jamais soupçonnées, il agrandit aussi le cœur ; si petit qu’il soit, la charité lui fait embrasser pour ainsi dire le monde tout entier, Ce sont ces rapports habituels avec Dieu qui avaient donné à Mgr Laouënan un cœur si bon et si géné¬reux ; tout le monde pouvait avoir accès auprès de lui. Il n’y avait pas de misère de laquelle il n’eût compassion, point de larmes qu’il ne voulût essuyer, point de plaies qu’il ne cherchât à guérir.
Vers 1881, au milieu d’une administration, Mgr Laouënan eut une attaque de fièvre pernicieuse. Le même accident s’étant renouvelé deux ou trois fois dans les mêmes circonstances, il comprit qu’il ne lui serait plus possible de faire lui-même la visite de son vaste dio¬cèse. Il demanda donc un coadjuteur. Les missionnaires élurent le Père Gandy. Ce fut avec bonheur que Monseigneur ratifia ce choix. Il se connaissait en hommes et il savait à quel point le nouvel élu méritait sa confiance, son estime et son affection.
Le nom de Mgr Laouënan restera attaché à deux événements mé¬morables dans l’histoire ecclésiastique de l’Inde : le concordat de 1884 et l’établissement de la hiérarchie.
Jusqu’à ces dernières années, il y avait eu dans l’Inde deux juri¬dictions : celle des vicaires apostoliques et celle de l’archevêque de Goa. Bien que très distinctes en elles-mêmes, elles n’avaient pas tou¬jours un domaine clairement déterminé. Ici, c’était un village admi¬nistré par le missionnaire, là, un village administré par le prêtre goanais ; ici, une église appartenant au vicaire apostolique, à côté, quelquefois même en face, une église de l’autre juridiction. De là beaucoup de difficultés et de conflits. Le Souverain Pontife Léon XIII résolut de mettre fin à cet état de choses. Il voulut faire en sorte que chacun fût chez soi avec un territoire bien déterminé. Mais que de difficultés !
Il fallait retrancher à une juridiction pour ajouter à l’autre ; tantôt il fallait demander un sacrifice à celui-ci, tantôt offrir une compen¬sation à celui-là ; il fallait des égards pour les vicaires apostoliques, qui par leurs labeurs et leur inviolable fidélité avaient si bien mérité de l’Église ; il fallait, d’un autre côté, ménager les susceptibilités du Portugal. Car, on ne pouvait l’oublier, c’était grâce aux Portugais que la religion avait commencé à se répandre dans l’Inde ; c’était grâce aux prêtres de Goa, qu’après l’enlèvement des Jésuites et la suppression de leur Compagnie, le flambeau de la Foi n’avait pas été complètement éteint dans ces régions. On ne pouvait oublier que pendant près d’un demi-siècle, les églises de l’Inde n’avaient pas eu d’autres pasteurs et d’autres guides.
Le Saint-Siège connaissait depuis longtemps les lumières et les talents de Mgr Laouënan. Il les avait dans la plus haute estime. Il résolut de les mettre à profit dans ces conjonctures difficiles. Per¬sonne ne connaissait l’Inde comme lui. Ne l’avait-il pas parcourue tout entière ? N’en avait-il pas visité toutes les chrétientés ? Tous les rapports que le Visiteur apostolique avait adressés à Rome, n’était-ce pas lui qui les avait écrits ? D’ailleurs, où trouverait-on une connais¬sance plus approfondie des mœurs, des usages et des besoins, un jugement plus droit, un sens pratique plus exquis. Rome fit donc appel à ses lumières et à sa sagesse. Retiré à Yercaud, Mgr Laouënan se mit à l’œuvre ; après un mois de travail, il adressait à la Sacrée Congrégation un mémoire qui fit une sensation profonde. Après en avoir pris connaissance, le Souverain Pontife comprit que la question était beaucoup plus compliquée qu’elle n’avait paru tout d’abord, qu’on n’avancerait à rien avec des lettres et des mémoires, et qu’il fal¬lait qu’il eût auprès de lui, de toute nécessité, un homme de ce mérite.
Immédiatement deux télégrammes partaient de Rome, l’un pour Mgr Bonjean et l’autre pour Mgr Laouënan. Le premier devait défendre les intérêts des vicaires apostoliques pour l’île de Ceylan, le second pour l’Inde. C’est là surtout que Mgr Laouënan fit briller ces qualités maîtresses qui réjouissaient le cœur de ses enfants, et que les ennemis de l’Église eux-mêmes ne pouvaient s’empêcher de recon¬naître et d’admirer : une prudence consommée, une étendue d’esprit qui ne laissait échapper aucun détail, une finesse, une pénétration qui découvrait les pièges les plus soigneusement cachés, une persévérance que rien ne lassait, en un mot une habileté diplomatique qui faisait l’étonnement de l’ambassadeur du Portugal lui-même. Ho
References
[0518] LAOUËNAN François (1822-1892)
Bibliographie. - Réponse à un mémoire sur le projet de Règlement élaboré à Rome, adressé aux vicaires apostoliques de la Société des Missions-Etrangères et à MM. les directeurs du Séminaire de Paris, par NN. SS. Verrolles, Desflèches, Sohier, Pinchon, Pichon, Guillemin et Dépommier. - Imprimerie Victor Goupy, 5, rue Garancière, Paris [1870], in-8, pp. 54.
Les ouvrages suivants, excepté le dernier, ont été imprimés à l'imprimerie de la Mission, Pondichéry.
Statuts du vicariat apostolique de Pondichéry, concernant l'administration des sacrements. - Epreuve. 1874, in-8, pp. v-273 + la table.
Ouvrage revisé sous ce titre :
Directoire ou guide dans l'exercice du saint ministère, à l'usage du clergé du vicariat apostolique de Pondichéry. - 1879, in-8, pp. iii-403 + xv.
Instruction de S. Gr. Mgr F. Laouënan, au clergé de son vicariat, au sujet des écoles. - 1883, in-8, pp. 22.
Du Brahmanisme et de ses rapports avec le Judaïsme et le Christianisme. Orné de deux cartes. - 1884, 2 vol. in-8, pp. xiii-xxxvii-492, 414.
Comp.-rend. : M. C., xvii, 1885, pp. 11, 220.
Lettres sur l'Inde [avec portrait], publiées par Adrien Launay, de la Société des Missions-Etrangères. - Librairie Victor Lecoffre, 90, rue Bonaparte, Paris, 1893, in-8, pp. xii-296.
Comp.-rend. : M. C., xxv, 1893, pp. 96.
Cartographie. - L'Inde ecclésiastique. - Bureaux des Missions Catholiques, 14, rue de la Charité, Lyon, 1887.
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1872, p. 3 ; 1874 (janv.), p. 2 ; 1874 (déc.), p. 34 ; 1875, p. 46 ; 1876, p. 39 ; 1877, p. 41 ; 1878, pp. 47, 85, 88 ; 1879, p. 62 ; 1880, pp. 79, 109, 118, 123 ; 1881, p. 130 ; 1882, p. 90 ; 1883, p. 120 ; 1884, pp. 130, 209 ; 1885, pp. 117, 121, 200 ; 1886, p. 122 ; 1887, pp. 174, 176 ; 1888, p. 172 ; 1889, pp. 206, 303, 307, 349 ; 1890, pp. 171, 238 ; 1892, p. 256 ; 1910, pp. 350, 372 ; 1911, p. 366. - A. P. F., xlv, 1873, Visite des districts de Pondichéry, p. 187 ; Ib., pp. 198, 203 ; xlviii, 1876, p. 143 ; xlix, 1877, pp. 268 et suiv., 361 ; l, 1878, p. 32 ; lii, 1880, Progrès de la mission de Pondichéry, p. 333 ; lxv, 1893, p. 79. - A. S.-E., 1870, [Lettre collective], p. 75 ; xxv, 1874, Manière de voyager, p. 191 ; Ib., pp. 244, 305, 391 ; xxvi, 1875, Les castes, p. 45 ; Ib., pp. 97, 186, 343, 402 ; xxix, 1878, La famine, pp. 13, 123 ; xxxvii, 1886, Les mariages chrétiens, p. 13.
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Collect., 7 déc. 1887 : nos 1997, 2054.
Notice nécrologique. - C.-R., 1892, p. 275.
Biographie. - Notice biographique sur Mgr Laouënan, archevêque de Pondichéry, décédé à Montbeton (T.-et-G.) le 29 septembre 1892, par A Gallois-Montbrun, maire de Pondichéry. - Imprimerie du gouvernement, Pondichéry, 1892, in-8, pp. 40.
Portrait. - Peint à l'huile par M. Berthon, missionnaire du Kouy-tcheou et du Kouang-tong, est au Séminaire des M.-E. - A. P. F., lxv, 1893, p. 45. - M. C., xxiv, 1892, p. 541. - Alm. des Miss., 1891. - Act. et hist. du Conc., vi, p. 128. - Lett. sur l'Inde, p. 1.