François GUICHARD1841 - 1913
- Status : Vicaire apostolique
- Identifier : 0864
- Bibliography : Consult the catalog
Identity
Birth
Death
Episcopal consecration
Other informations
Missions
- Country :
- China
- Mission area :
- 1865 - 1913
Biography
[864]. GUICHARD, François-Mathurin, naquit à Bois-de-Cené (Vendée) le 18 novembre 1841 ; il était petit-fils du chef d'état-major du général vendéen marquis de Bonchamp. Il fit ses études au petit séminaire des Sables-d'Olonne, passa au grand séminaire de Luçon, et entra sous-diacre au Séminaire des M.-E. le 12 août 1863. Il fut ordonné prêtre le 17 décembre 1864, et partit le 15 février de l'année suivante pour le Kouy-tcheou. Ses premiers travaux s'accomplirent dans les chrétientés de Tin-fan, Tsin-gai et Pin-fa, au milieu des horreurs de la famine et des brigandages de la révolte.
En 1869, Mgr Faurie le nomma curé de la paroisse Saint-Joseph, qui est la cathédrale de Kouy-yang, et procureur de la mission. En 1872, Mgr Lions le choisit pour provicaire, tout en le laissant curé de Saint-Joseph. Il travailla activement et réunit une partie des fonds nécessaires pour construire l'église. Cette église à peu près terminée, ayant été incendiée par les païens le 2 décembre 1875, il trouva avec l'aide de Gréa des ressources pour la reconstruire, et dès l'année suivante, 1876, elle était inaugurée (Eglise, grav., A. M.-E., 1899, p. 66. - Hist. miss. Kouy-tcheou, iii, pl. vii).
Le 1er octobre 1884, il fut nommé évêque de Toron, coadjuteur de Mgr Lions, et sacré à Kouy-yang le 26 avril 1885. La mission du Kouy-tcheou traversait alors une crise pénible, par suite de l'excitation que causait dans tous les esprits en Chine l'expédition française au Tonkin (Voir LIONS). Laissant les négociations avec les hauts mandarins à Gréa, Guichard fit plusieurs visites pastorales, et s'occupa des procès apostoliques des martyrs du Kouy-tcheou qui furent béatifiés en 1909. En 1888, il fut nommé administrateur de la mission, par suite du grand âge et des infirmités de Lions.
A la mort de ce dernier, le 24 avril 1893, il devint vicaire apostolique. Sa direction générale fut toujours prudente et sage. Envers les missionnaires et les chrétiens, il montra une grande bonté qui n'excluait pas la fermeté, mais une fermeté très douce, puisque ses familiers affirment qu'il ne se mit pas une seule fois en colère ; son influence n'en était que plus réelle.
Son épiscopat fut marqué par des conversions assez nombreuses parmi les populations indigènes, et par l'augmentation du nombre des prêtres. En 1893, le Kouy-tcheou comptait 33 missionnaires, 7 prêtres indigènes, 32 séminaristes, 16 723 catholiques.
En 1912, l'année qui précéda sa mort, les statistiques donneront les chiffres suivants : 52 missionnaires, 15 prêtres indigènes, 99 séminaristes, 30 072 catholiques.
En 1900, lors des troubles occasionnés par les Boxeurs, il reçut du consul de France à Tchong-king l'ordre de quitter le Kouy-tcheou avec ses missionnaires, pour échapper au massacre que l'on croyait inévitable. Il ne crut pas pouvoir y consentir, demeura à Kouy-yang, et fit vœu si sa mission échappait à la tempête d'élever une chapelle en l'honneur des martyrs du Kouy-tcheou. Sa prière fut exaucée, et l'évêque consacra une partie de ses biens de famille à élever la chapelle promise.
En 1907, il se déchargea d'une partie de l'administration sur son coadjuteur, Franç. Seguin. En 1910, année de ses noces d'argent épiscopales, il fut nommé assistant au trône pontifical. Il mourut à Kouy-yang le 21 octobre 1913.
Obituary
Mgr GUICHARD
VICAIRE APOSTOLIQUE DU KOUY-TCHÉOU
Né le 18 novembre 1841
Parti le 15 février 1865
Mort le 21 octobre 1913
Mgr Guichard, notre vénérable vicaire apostolique, rendait son âme, à Dieu le 21 octobre dernier : grande fut la douleur de tous les missionnaires du Kouy-tchéou. Sans doute, nous ne nous faisions aucune illusion, nous savions bien que le mal dont il souffrait abrégerait ses années de vieillesse ; et pourtant, quand la nouvelle de sa mort vint nous surprendre au fond de nos districts, ce fut pour nous tous une véritable consternation : nous l’aimions tant ! Nos cœurs se serrèrent à la pensée qu’il nous avait quittés pour toujours, qu’à nos prochains voyages à la résidence épiscopale, il ne serait plus là pour nous accueillir avec sa bonne figure si tendre et si paternelle, sa douceur proverbiale, sa patience inaltérable à écouter la confidence de nos ennuis et de nos difficultés.
Né en 1841, Mgr Guichard avait quitté la France, pour ne plus la revoir, en 1865. Il avait donc soixante-douze années d’âge, et quarante-huit de séjour ininterrompu en Chine. Sacré évêque en avril 1885, il avait dépassé sa vingt-huitième année d’épiscopat. Jadis, nos anciens du Kouy-tchéou mouraient jeunes : les Albrand, les Faurie, les Vielmon, et bien d’autres encore, sont morts avant la cinquantaine. Le premier, au Kouy-tchéou, Mgr Lyons la dépassa, donnant ainsi à ses missionnaires le salutaire exemple d’une longue vie passée en mission, exemple qui fut d’ailleurs suivi ; et plusieurs même, les Bouchard, les Esslinger, les Bazin, sont, comme Mgr Guichard, restés fidèles au poste jusqu’à plus de soixante-dix ans. Je devrais aussi compter M. Roux, notre doyen actuel, qui porte encore vaillamment ses soixante-treize ans.
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François-Mathurin Guichard naquit à Bois-de-Céné (Luçon, Vendée), le 18 novembre. 1841. Il était fier d’être vendéen, et aimait à nous redire les exploits des héros des grandes guerres, que, tout enfant, il avait entendu raconter au foyer paternel. Ses parents, profondément chrétiens, s’appliquèrent à modérer ce que la nature de l’enfant présentait d’exubérant : espiègle, remuant, un peu bavard, Mathurin était tout cela ; mais d’heureuses qualités venaient racheter ces défauts. Franc et loyal envers tout le monde, d’une piété sincère et éclairée, d’une humeur toujours égale et toujours joyeuse, doux et patient envers lui-même et envers les autres, il se fit aimer de ses maîtres et de ses condisciples, comme plus tard il se fera aimer de ses confrères et de ses missionnaires.
M. Guichard fut ordonné prêtre le 17 septembre 1864. A cette époque, le Kouy-tchéou donnait de grandes espérances à la sainte Eglise : en proie à toutes les horreurs de la guerre civile, les populations se tournaient vers les missionnaires ; dans certaines régions même, elles promettaient de se donner au Christ, si le « grand évêque Faurie » voulait seulement bien les aider de sa grande influence morale. C’est alors que Mgr Faurie écrivit au Séminaire des Missions-Étrangères : « Le moment est propice, envoyez-moi cent missionnaires, ou au moins dix. » Le conseil du Séminaire se laissa toucher, et envoya les dix sujets demandés. Tous, sauf M. Gilbert, qui mourut quelques semaines après son arrivée, ont fourni une longue et laborieuse carrière. M. Guichard partit le premier avec MM. Bodinier et Gilbert ; leurs compagnons les suivaient, à quelques mois de distance. Le voyage fut long et non sans péril : la province était alors à feu et à sang, les rebelles tenaient toutes les routes, partout et au grand jour on pillait et on tuait, partout des incendies dans les villes et les campagnes, partout des cadavres que se disputaient les loups et les corbeaux. Les jeunes partants atteignirent pourtant sains et saufs le but de leur voyage.
A son arrivée à Kouy-yang, notre missionnaire plut de suite à Mgr Faurie, qui, trois ans après, faisait de lui ce bel éloge : « Guichard est excellent sous tous les rapports : bon caractère, très obéissant, très aimé de tout le monde. C’est la perle des missionnaires du Kouy-tchéou. »
Sous la direction de Mgr Faurie, M. Guichard apprit très rapidement le chinois parlé, et même passablement le chinois écrit. Puis, durant quelques années, il fut chargé des chrétiens de Tin-fan, de Tsin-gay, et de Pin-fa. Ses lettres de cette époque disent combien il se dévoua à ces premiers travaux apostoliques. La vie à la campagne était alors bien difficile. La crainte des rebelles paralysait tout commerce, la culture des champs languissait, la famine sévissait dans toute la province. Les chrétiens avaient cherché un refuge sur les montagnes escarpées ou dans des grottes inaccessibles. Les survivants de ces temps héroïques ne tarissent pas dans leurs récits des dangers courus, des fatigues supportées. La province fut dépeuplée : on cite tel district, comptant avant la rébellion plus de mille habitants, et ne gardant plus, la bourrasque passée, que trois personnes de la population primitive ! Tout le reste était mort de faim, de maladie, ou sous le couteau des rebelles ! Tel fut le théâtre des premières armes de M. Guichard.
En 1869, Mgr Faurie quittait sa mission pour se rendre au concile du Vatican. Avant son départ, il nomma M. Guichard curé de la cathédrale et procureur de la mission. Quelques mois plus tard, la persécution éclatait à Tsen-i et dans les environs. Les résidences de nos confrères furent pillées et détruites de fond en comble. Les missionnaires furent chassés, et l’un d’eux, M. Gilles, cruellement battu, s’en vint mourir de ses blessures à Kouy-yang entre les bras de M. Guichard.
Les chrétiens, pillés et chassés de chez eux, venaient tendre la main au procureur, et lui demander quelques sapèques pour ne pas mourir de faim. « C’est à ce moment, écrit M. Roux, « que j’eus le bonheur de faire la connaissance de ce charitable et vaillant confrère. Je le « trouvai calme au milieu de ces cruelles épreuves, et plein de charité envers les persécutés. Il « leur donnait peu, il est vrai, car sa caisse était à peu près vide, mais il donnait de si bon « cœur, avec de si bonnes paroles, que les pauvres gens s’en retournaient contents. » Peu après, d’autres malheurs vinrent attrister le cher procureur et ses confrères. Ce furent d’abord les massacres de Tientsin et la guerre de 1870. Quelles angoisses pour eux, au reçu de toutes ces nouvelles d’incessantes défaites ! Dans ces moments difficiles, notre confrère resta calme : il avait le cœur meurtri des désastres de la France et de la mort de son frère tué à l’ennemi, mais, grâce à sa force d’âme, il garda sa franche gaieté.
Peu après la fin de la guerre, Mgr Faurie se mit en route pour rentrer dans sa mission. Le cœur des missionnaires était à la joie, mais hélas ! cette joie se changea bientôt en un deuil cruel : notre évêque mourut en route, il n’arriva au Kouy-tchéou que renfermé dans son cercueil.
En 1872, Mgr Lyons, successeur de Mgr Faurie, choisit M. Guichard pour son provicaire ; et ce choix fut applaudi par tous les confrères de la mission : Le nouveau provicaire restait curé de la paroisse de Kouy-yang ; grâce à son activité et à son savoir-faire, le nombre des chrétiens augmenta rapidement, si bien que la vieille chapelle, construite sur l’emplacement donné par l’un de nos martyrs, devint trop petite, et, au grand contentement du curé et de ses paroissiens, on décida la construction d’une vaste église, plus digne que l’ancienne du nom de cathédrale. M. Guichard n’en fut pas l’architecte, mais il se fit quêteur auprès de ses chrétiens, et ceux-ci se montrèrent généreux.
Les travaux allaient être terminés, et déjà l’on avait fixé l’époque où la nouvelle église serait livrée au culte, quand, un jour qu’il se trouvait sur le chantier à surveiller les ouvriers, le provicaire voit une petite fumée s’échapper de la haute tour qui dominait l’édifice. La fumée grossit... c’est un incendie allumé par la malveillance ! Vite il court au clocher, pour essayer d’éteindre ce commencement d’incendie. Mais le feu se déclare en plusieurs endroits ; en quelques instants les flammes entourent M. Guichard et ceux qui l’ont suivi. Le moment est critique, la mort est imminente, la mort au milieu des flammes. M. Guichard, ainsi que M. Gréa, accouru lui aussi, se fiant à la protection de leurs bons anges et à celle de saint Joseph, se précipitent, d’un étage à l’autre, à travers les échafaudages ; ils arrivent sains et saufs sur le sol. Des deux ouvriers qui avaient accompagné les missionnaires, l’un mourut de ses blessures ; l’autre, moins atteint, put guérir. Cependant l’incendie menaçait de s’étendre à toutes les dépendances de la résidence ; que la tour du clocher s’effondrât à droite ou à gauche, le désastre était inévitable ; un seul espoir restait, c’est qu’il s’abattît au milieu de l’église en flammes. On pria ardemment le bon saint Joseph et nos saints martyrs, et sur l’heure, le clocher vint s’abîmer au milieu de l’immense brasier. La résidence était sauvée. Mais c’était un désastre, et, aux yeux des Chinois, on avait assurément perdu la face ; il fallait aviser sans retard. Le soir même, vicaire apostolique, provicaire et procureur étaient d’accord pour rebâtir, l’église détruite, aussi grande, aussi haute, aussi belle qu’auparavant. Les travaux recommencèrent avec entrain. Et l’année suivante, M. Guichard inaugurait la nouvelle église.
Vers cette époque, le Kouy-tchéou parut jouir de la paix, et durant plusieurs années, rien de grave ne vint gêner les travaux de nos confrères. M. Guichard put administrer avec fruit sa belle paroisse de Saint-Joseph. Dans ce ministère paroissial, il déploya ce zèle, cette patience, cet amour du travail dont il avait déjà donné tant de preuves. Qu’il fût craint, c’est ce que l’on ne pourrait affirmer ; mais il était aimé, et c’est, sans doute, ce qu’il y a de mieux pour un pasteur. Le fait est qu’il arriva à faire, de sa chrétienté, la plus florissante paroisse de toute la mission du Kouy-tchéou.
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En 1883, Mgr Lyons, accablé d’infirmités, pensa que l’aide d’un coadjuteur lui était absolument nécessaire : M. Guichard, désigné au Souverain Pontife par son évêque, par les missionnaires du Kouy-tchéou et par le Séminaire de Paris, fut nommé évêque de Toron et coadjuteur de Mgr Lyons, cum jure futurœ successionis, le 1er octobre 1884. Le 10 novembre suivant, il était préconisé en Consistoire, en même temps que le futur Pape Pie X, nommé évêque de Mantoue. Le sacre du nouvel évêque eut lieu le 26 avril 1885 dans l’église Saint-Joseph à Kouy-yang. A cette époque, la mission subissait le contre-coup de la lutte engagée entre la France et la Chine, à propos du Tonkin. Tout le nord de la province était en pleine persécution. Dans le reste de la mission, le danger était grand aussi, et les routes peu sûres. Peu de confrères purent assister au sacre du nouvel évêque, mais tous s’y rencontrèrent de cœur et d’intention.
Les deux évêques auraient voulu relever de suite les ruines amoncelées par cette bourrasque ; mais avant d’avoir pu mettre la première main à l’œuvre, ils voyaient une nouvelle tourmente se déchaîner sur les mêmes chrétientés du nord. A peine rentrés dans leurs districts, les missionnaires en étaient de nouveau chassés ; un prêtre chinois et six chrétiens étaient massacrés, trois oratoires démolis de fond en comble, près de trois cent familles réduites à prendre la fuite. Ces deux bourrasques, à deux ans d’intervalle, arrêtèrent complètement, au moins dans le nord, tout mouvement de conversion. Des réparations s’imposaient ; elles ne vinrent qu’après dix années de pourparlers.
Ennemi des procès et de la chicane, Mgr Guichard confia à MM. Bodinier et Gréa le soin de poursuivre les revendications de la mission auprès des autorités, et, sitôt que sa présence à Kouy-yang cessa d’être nécessaire, il commença les tournées de confirmation, que l’âge et les infirmités avaient, depuis plusieurs années déjà, interdites à Mgr Lyons. Les voyages au Kouy-tchéou sont pénibles, nos routes ne sont que des sentiers de chèvres. Mgr Guichard supportait toutes les fatigues avec entrain et bonne humeur, et les incidents fâcheux de la journée ne servaient qu’à lui fournir un sujet de plaisante conversation, à l’étape du soir. Il aimait à être traité simplement par les chrétiens, pour leur éviter des frais inutiles, et aussi, parce que lui-même ne voulait d’aucune pompe extérieure. Sa bonté paternelle se manifestait également à l’égard des confrères des districts qu’il visitait, il se considérait en tout comme leur égal, partageant avec eux le travail de chaque jour, prenant part à leurs peines, et encourageant de son mieux leur zèle et leurs entreprises.
Au retour de sa première visite pastorale, Sa Grandeur commença le travail du procès de nos martyrs. Ce travail dura bien des années, lui occasionna bien des voyages, lui valut bien des fatigues ; mais toujours il le poursuivit avec zèle et avec amour. Il aimait à revenir sur les faits et gestes des confesseurs de la foi, à redire leurs vertus, à faire ressortir leur héroïsme. Qu’il était heureux quand il pouvait se procurer quelqu’une de leurs reliques, comme le jour où il put acheter, pour un peu d’argent, le sabre qui avait coupé la tête des martyrs de Mao-keou, et le jour où il retrouva ce qu’il appelait « une relique vivante » ! C’était la femme du bienheureux Jérôme Lou. Depuis la mort de son mari, elle était tombée entre les mains des païens, et personne ne savait ce qu’elle était devenue. Mgr Guichard la retrouva. Elle fit ses dépositions comme témoin, et, refusant de retourner chez ses enfants et petits enfants païens, elle vint vivre près des Pères. On recueillit la « vieille relique » dans la résidence de Tchen-lin, où elle vécut assez longtemps pour être témoin de la béatification de son mari.
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En 1887, Mgr Lyons crut devoir, en raison de son grand âge, donner sa démission. Ce n’est que l’année suivante que Rome agréa cette demande, en partie du moins : le vieil évêque restait vicaire apostolique du Kouy-tchéou, et Mgr Guichard était nommé administrateur apostolique : dès lors, tout reposait sur lui, travail et responsabilités. Le souvenir des deux Prélats demeurera longtemps vivant au Kouy-tchéou. Doux et humbles de cœur tous les deux, ils s’étaient aimés sitôt qu’ils s’étaient connus ; ils s’aimèrent jusqu’à la fin. Et nous, leurs missionnaires, nous avons, sous leur paternelle direction, gardé la bonne entente, la bonne charité fraternelle. Notre cher Kouy-tchéou passe, paraît-il, pour un corps remarquablement uni : nous ne craignons pas d’affirmer que nous sommes redevables à nos deux derniers évêques d’un bienfait aussi précieux. Plaise à la divine bonté qu’il nous soit gardé à jamais !
Ces mêmes qualités de bonté et de douceur, qui avaient marqué les rapports de M. Guichard simple missionnaire, avec ses confrères et avec ses chrétiens, s’affirmèrent encore lorsque, devenu évêque, il prit en main le gouvernement de la mission ; nous n’avons pas souvenir qu’aucun désagrément, de quelque côté qu’il vînt, ait jamais réussi à le faire sortir de son calme, à susciter chez lui quelqu’une de ces émotions si explicables parfois. Il se fâchait pourtant, notre excellent évêque, mais d’une façon vraiment extraordinaire. « Quand j’éprouve « de la contrariété, nous disait-il un jour (il y a déjà longtemps de cela), je me fâche ; oh ! « pour de bon ! mais c’est la nuit, en attendant le sommeil ; et je vous assure que là, personne « n’a rien à répliquer ! » A son lit de mort, le vénérable vieillard demandait pardon de ses colères nocturnes !
Contrister quelqu’un lui était un supplice intolérable ; il fallait bien pourtant se décider parfois à donner un avis, peut-être mortifiant, à faire quelque reproche, à formuler quelque blâme ; il le faisait en toute douceur, mais on le sentait, dans ces circonstances, profondément malheureux. Il reculait aussi loin que possible le fâcheux quart d’heure, il en éprouvait, à la lettre, un vrai malaise : migraine ou simple mal de tête, à en juger par le turban noir roulé autour de la calotte chinoise. Significatif des grandes occasions, ce turban restera à coup sûr fameux, dans les annales de famille des missionnaires du Kouy-tchéou...
Plein de l’esprit de sa vocation, Mgr Guichard nous apparut toujours détaché des biens de ce monde : pauvre de cœur, il l’était aussi en réalité. En dehors de ses livres de spiritualité et de théologie, il ne possédait vraiment rien qui fût à lui ; sur sa table était une vieille lampe chinoise, de l’antique système, en usage du temps de Confucius ; il n’en voulut jamais d’autre. Simple dans sa tenue extérieure il ne voulait pour sa mise que des vêtements de toile chinoise. Nous ne pensons pas que tout son mobilier, mis aux enchères, eût produit de quoi lui acheter un cercueil. Ses parents lui avaient pourtant laissé quelque bien ; il l’employa tout entier au profit des œuvres de la mission : un hôpital à Kouy-yang, et une église dédiée à nos martyrs, dans cette même ville, restent des témoins de sa générosité.
Les questions soumises à la discussion mettaient encore en évidence sa douceur et sa modestie : très conciliant pour la forme, il n’éprouvait aucune difficulté à céder sur les petites choses. La fermeté, la ténacité, la persévérance, il réservait tout cela pour les principes et pour les directions. Celles-ci étaient sages et prudentes, parce qu’elles étaient toujours basées sur ceux-là, et toujours constantes avec elles-mêmes. Doué de beaucoup d’esprit, et d’un jugement très droit, il possédait, avec ces dons naturels, un fond très étendu et très solide de connaissances théologiques et canoniques. Nous aimions à lui soumettre les cas embarrassants ; il les examinait volontiers, et ses réponses étaient toujours parfaitement raisonnées. Nous nous souvenons qu’assez récemment, plusieurs d’entre nous, de passage à la résidence, hésitaient devant un cas d’interpellation assez compliqué ; nous eûmes recours aux lumières de Mgr Guichard. La solution fut vite trouvée ; puis, pour nous convaincre à fond : « Cherchez, nous dit-il, dans tel auteur, tel chapitre, vous trouverez cette solution même. » Elle s’y trouvait en effet.
Que dirons-nous de la ferveur de sa vie intérieure, sinon qu’elle devait être intense, puisqu’elle fit germer et fleurir en lui tant de vertus douces et aimables, dont le parfum, au loin répandu, fit dire à une voix autorisée, que Mgr Guichard était le saint François de Sales de notre Société.
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La mort de Mgr Lyons, en 1893, ne changea rien à la marche des affaires, puisque Mgr Guichard gouvernait de droit et de fait, depuis plusieurs années. Devons-nous attribuer à cette mort, qui lui laissait tout le fardeau des responsabilités, cette longue crise qui le rendit, durant des mois, absolument malheureux ; ou faut-il y voir une tentation, permise par Dieu, pour l’éprouver ? Le fait est que lui si gai, si affable, si expansif, devint tout à coup morose et taciturne : « Mais enfin, qu’avez-vous, Monseigneur ? » lui demandait-on. La réponse ne variait pas : tout le monde ferait son salut, mais lui que deviendrait-il !... La crise dura six mois ; puis, peu à peu, il recouvra sa tranquillité ordinaire.
A partir de ce moment, les choses suivent leur cours normal : les missionnaires, chacun dans son district, travaillent en paix ; chaque année on se réunit pour la retraite à la résidence de l’évêque, près de Monseigneur, qui nous accueille toujours avec la même bienveillance paternelle. Le nombre des chrétiens augmente peu à peu ; il a plus que doublé sous son épiscopat : de quinze mille il est monté à trente mille. Le nombre des missionnaires augmente aussi ; il double dans le même temps. L’œuvre des séminaires se développe : quand Mgr Guichard devint coadjuteur, les deux séminaires comptaient en tout huit élèves ; à sa mort, cent six latinistes ou théologiens peuplaient les trois maisons affectées à leur formation. Sous son administration, beaucoup de nouvelles chrétientés se sont fondées, un peu partout, mais surtout chez les indigènes du sud. Signalons encore la construction de beaucoup d’oratoires, d’églises et de résidences. Durant toute cette période, il n’y a pas eu de persécution, et nous eussions joui dune tranquillité idéale, sans les dénis de justice, les chicanes, les tracasseries, et autres ennuis suscités souvent par l’hostilité sourde des mandarins chinois.
En 1900, lors de l’affaire des Boxeurs, nous éprouvâmes une forte alerte : les autorités provinciales avaient reçu de Pékin l’ordre de s’assurer de la personne de tous les missionnaires ; dès lors, le pire pouvait arriver ! Le consul de France nous télégraphia, de Tchongking, l’ordre presque formel de quitter le pays et de nous réfugier en lieu sûr. L’anxiété fut grande à Kouy-yang pendant plusieurs jours : abandonner nos œuvres et nos chrétiens dans de telles conjectures, c’était impossible ; désobéir au consul n’était pas sans inconvénient. Sa Grandeur, appuyée par M. Gréa, son énergique provicaire, se décida à rester avec tous ses missionnaires, et la bourrasque, grâce à Dieu, passa sans nous causer de mal. C’est à cette occasion que la Mission fit le vœu d’élever une chapelle en l’honneur de nos martyrs.
Une des grandes joies de Mgr Guichard, sur la fin de sa vie, fut la béatification de nos seize martyrs. A près avoir travaillé si longtemps à leurs procès, il reçut avec une joie indicible les deux décrets de Rome, et il tint à ce qu’on célébrât à Kouy-yang le Triduum d’usage, avec toute la solennité possible. En 1910, nous eûmes le bonheur de célébrer le vingt-cinquième anniversaire de son élévation à l’épiscopat, et Sa Grandeur eut la grande consolation de constater que tous, jeunes et vieux, nous étions vraiment cor unum et anima una pour lui exprimer notre vénération et notre amour. En 1911, nouvelle réunion de famille : Mgr Guichard venait d’être nommé Assistant au Trône pontifical ; le vénérable septuagénaire fut fêté en prose et en vers.
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Mgr Guichard était d’une forte et saine constitution. Néanmoins, il eut à souffrir, une grande partie de sa vie, de plusieurs maladies, dont l’une fut particulièrement douloureuse. Dur à lui-même, il souffrait sans se plaindre, et continuait son travail. Ce que nous approuvions moins, c’était cette espèce d’horreur qu’il avait pour toute espèce de remèdes, comme aussi le peu de soin qu’il avait de sa santé. On réussit pourtant, au cours de sa dernière maladie, à lui faire accepter de la quinine ; c’était la première médecine qu’il prenait de sa vie.
Mais la vieillesse était arrivée, les infirmités s’aggravaient, et le jour vint où Monseigneur dut s’interdire les tournées de confirmation. Il demanda alors un coadjuteur et l’obtint en 1907. Ce lui fut une grande consolation de penser qu’après lui, la mission serait dirigée dans le même esprit de douceur et de bonté ; et volontiers il eût chanté son Nunc dimittis. Dieu cependant voulut bien nous le conserver encore plusieurs années. Il eut ainsi le temps d’initier son successeur à tous les secrets et à toutes les méthodes, qui lui avaient si bien réussi dans l’administration de la mission. Bien que toute l’autorité fût entre ses mains, et que toutes les décisions fussent prises en son nom, il ne faisait rien d’important sans consulter son coadjuteur ; seules, les tournées de confirmation et les visites de districts, furent confiées exclusivement à Mgr Séguin, qui a pu de la sorte parcourir toute la province du Kouy-tchéou.
La longue existence de Mgr Guichard approchait de sa fin. La diarrhée chronique, dont il souffrait depuis tant d’années, avait fini par miner sa forte constitution. Il était déjà bien pâle et bien amaigri, sur la fin de 1912. Quelques mois plus tard, les pieds se mirent à enfler, et cette enflure, peu à peu, monta jusqu’aux genoux, et plus haut encore. C’est alors qu’on nous avisa de Kouy-yang que l’état de Sa Grandeur était grave, et que nous étions invités à prier pour Elle. Je cite ici quelques extraits du journal de la mission, où sont relatés les derniers jours de notre saint évêque :
« La maladie s’aggrave de jour en jour. Le lundi 8 octobre, Monseigneur a reçu le saint viatique à la chapelle du Saint-Sacrement. Mercredi, Mgr Séguin lui a administré l’extrême-onction. Le malade a demandé pardon aux confrères présents et absents des peines qu’il a pu leur causer, et a pardonné de tout cœur celles qu’on a pu lui faire. Il a recommandé à tous de prier pour lui. Les forces diminuent progressivement. Malgré ses souffrances, Monseigneur garde toute sa lucidité d’esprit, sa bonne humeur et sa joyeuse résignation... Le dimanche 19 octobre, Mgr Séguin lui a donné l’indulgence plénière ; après quoi, le vénéré malade nous adressa encore quelques paroles. Ce jour-là, tous les confrères de la capitale vinrent à la résidence, et purent s’entretenir avec lui. La journée fut bonne, Monseigneur était joyeux.
« Le soir du lundi, la fatigue nous fit présager une mauvaise nuit. Vers 7 heures, l’agitation commença, le malade ne pouvait rester en place. A peine couché, il se faisait lever ; et à peine sur sa chaise, il se faisait recoucher. Lui, si frileux durant sa maladie, ne pouvait, à ce moment, supporter aucune couverture. Lui-même ne comprenait rien à cette agitation. Vers 11 heures, nous crûmes le dernier moment arrivé : la fatigue était extrême, et le visage présentait des signes d’altération. A minuit cependant, Mgr Séguin put lui apporter la sainte communion. A 2 heures, le calme était revenu, et jusqu’à 10 heures du matin, le malade, quoique faible, allait aussi bien que possible. Rien n’indiquait une fin imminente. A midi, sur ses instances réitérées, on le transporta sur sa chaise. Presque aussitôt, une pâleur de cire se répandit sur ses traits. Tous les confrères de la capitale étaient présents, durant la récitation des prières des agonisants. A midi dix minutes, les mains étaient déjà froides et la respiration s’affaiblissait de plus en plus. Encore quelques instants, et tout était fini. Très douce mort, bien digne du doux évêque de Toron !
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References
[0864] GUICHARD François
Bibliographie. - (Essai de règlement pour les fabriques). - Kouy-yang fou, 1912, in-8, pp. 8.
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1875, pp. 21, 23 ; 1877, p. 59 ; 1881, p. 48 ; 1884, pp. 66, 67 ; 1886, p. 65 ; 1887, p. 104 ; 1888, p. 96 ; 1889, p. 100 ; 1890, p. 84 ; 1891, p. 113 ; 1892, pp. 120, 334 ; 1893, pp. 134, 328 ; 1894, p. 149 ; 1895, p. 157 ; 1896, p. 127 ; 1897, p. 103 ; 1898, p. 122 ; 1900, p. 113 ; 1901, p. 108 ; 1902, p. 124 ; 1903, p. 111 ; 1904, p. 127 ; 1905, p. 97 ; 1906, p. 110 ; 1907, p. 311 ; 1908, p. 116 ; 1909, p. 116 ; 1910, pp. 114, 404 ; 1911, p. 5.
A. P. F., lxxxvi, 1914, p. 69. - A. S.-E., xxviii, 1877, p. 84 ; xxxviii, 1887, Martyre du prêtre Thomas Lin, p. 252 ; xlii, 1891, pp. 24, 85 ; xliv, 1893, p. 297 ; liv, 1903, La famine, p. 22. - M. C., ix, 1877, p. 450 ; xvi, 1884, Sa nomination d'évêque, pp. 473, 566 ; xviii, 1886, Persécution à Tsen-y, p. 517 ; xix, 1887, La persécution, p. 229 ; xxxvii, 1905, pp. 364, 603 ; xxxix, 1907, pp. 207, 352 ; xlii, 1910, pp. 361 et suiv. - Sem. rel. Luçon, 1887, pp. 171, 1038 ; 1889, p. 1121 ; 1894, p. 142. - Sem. rel. Dijon, 1890, Mort de M. Arbinet, p. 797. - Le Tour du Monde, 1901, 1er sem., p. 38.
Hist. miss. Kouy-tcheou, Tab. alph. - Hist. miss. Thibet, Tab. alph. - Hist. des relat. de Chine, Tab. alph. - Une âme d'apôt. Le P. Poinsot, p. 138. - La miss. lyon., p. 106.
Collect., 16 janv. 1892 : n° 922.
Notice nécrologique. - C.-R., 1913, p. 334.
Portrait. - A. P. F., lxxxvi, 1914, p. 48. - Le Tour du Monde, 1901, 1er sem., p. 38. - La miss. lyon., p. 106.