Pierre ANCHEN1879 - 1967
- Status : Prêtre
- Identifier : 2703
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Birth
Death
Other informations
Biography
[2703] ANCHEN Pierre, Hilarion, naquit le 20 novembre 1879 à Lichans-Sunhar, commune de Abense, dans le diocèse de Bayonne (Pyrénées Atl.). Il fit ses études primaires à Abense et ses études secondaires à St François Xavier de Mauléon. Le 22 septembre 1898, il entra au Grand Séminaire des Missions Étrangères, rue du Bac. Sous-diacre le 28 septembre 1902, diacre le 7 mars 1903, il fut ordonné prêtre le 21 juin. Il reçut sa destination pour Hakodaté et il y partit le 22 juillet 1903.
Dès son arrivée à Hakodaté, il se mit à l'étude de la langue. En 1905, il est envoyé à Niigata, où il resta à peine une année. Revenu à Hakodaté en octobre 1907, il est nommé à Morioka. Il y resta tout juste un an. En décembre 1908, Mgr. Berlioz le charge du poste de Sapporo : il y résida sept ans. En mars 1915, le voilà de nouveau nommé à Hakodaté : il y travailla jusqu'en décembre 1920. De 1920 à 1926, on le trouve à Kameda, puis, de là, il est nommé curé de Hachinohé. En 1931, son évêque lui demande de partir pour la Corée afin de prendre la charge de la paroisse japonaise de Taikou. La guerre du Pacifique terminée, à la demande de Mgr. Mousset, il fut rapatrié par l'armée américaine : il s'en revint en avion par les États-Unis et débarqua en France le 31 décembre 1945.
Le Père Anchen resta un peu plus d'une année au pays natal. Le 18 février 1947 il revenait au Japon. Après un séjour de quelques mois à la paroisse de Kôfu, il fut nommé aumônier de la léproserie de la Résurrection" (Fukusei byoin) à Koyama, actuellement faisant partie de la ville de Gotemba. En 1964, il prit sa retraite sur place et est remplacé par le Père Pratmarty. Le 2 mai 1967, il s'endormait dans la paix du Seigneur. Il est inhumé dans le cimetière de Kôyama.
Obituary
[2703] ANCHEN Pierre (1879-1967)
Notice nécrologique
Le soir des noces d’or du P. ANCHEN, un de ses vieux amis – le P. Cornier, décédé depuis une dizaine d’années – s’est levé : « Aujourd’hui, on vous a fêté, et si quelqu’un le mérite, certes, c’est bien vous ; eh bien ! tant pis ! ce soir je voudrais raconter vos défauts. » Un tonnerre d’applaudissements répondit à ces paroles. Enfin allions-nous connaître quelque chose d’un peu moins banal ? Et le P. Cornier voulut se faire l’avocat du diable. Or, il ne réussit qu’à mettre les vertus du héros en plus parfait relief. Puisque le concert d’éloges est unanime, il faudra bien gratter d’un scalpel acéré, mais en fin d’enquête force sera d’avouer qu’il n’y a rien, absolument rien, pour le diable. Bien sûr, on trouve parfois des détails amusants, mais rien de plus. Le vieux P. Defrennes, qui avait connu le P. Anchen depuis toujours, et qui avait rencontré d’autres sommités fort méritantes, disait tout bonnement : « J’aimerais beaucoup mieux mourir dans la peau d’Anchen que dans la mienne. » A l’hôpital gouvernemental de Suruga où j’étais allé interroger les malades, après qu’on eût abondamment brûlé l’encens, la conversation s’était arrêtée un peu aux menus incidents comiques. Tout à coup, un homme devenu solennel : « D’accord, mais si on ne comprend pas le P. Anchen... » Il n’acheva pas, mais la pensée était lourde de sens et tout le monde d’approuver dans un silence impressionnant.
LE BASQUE
Le Père Anchen était né dans les Basses-Pyrénées le 20 novembre 1879 à Lichans-Sunhar, dans la commune de Alos-Sibas Abense, près de Tardets, en Soule, l’une des trois régions basques françaises. Dans son jeune âge, son père avait quitté le pays et était allé tenter fortune à Cuba, puis était revenu vers la cinquantaine, et s’était fait meunier. C’était sans doute un homme d’une certaine valeur humaine, puisqu’il fut maire de sa commune. Sa femme était sans doute beaucoup plus jeune.
Hilarion, notre futur P. Anchen, alla à l’école primaire à Abense de Haut et Laguinge, puis fit ses études secondaires à St-François-Xavier de Mauléon.
On a tout dit sur le Pays Basque, pays de foi, de braconnage, de contrebande, de vocations. Sa paroisse natale appartenait à la Soule. Le Souletan ne possède pas la puissance physique du Labourdin, mais plus de souplesse, de finesse et même de malice. Le Père Anchen, peu bavard de nature, comme tout Basque parait-il, avait une musculature et une ossature fort enviables, mais Il était également doué de cette légèreté d’esprit, de cette intelligence gracieuse du pays souletan.
Que dire de sa jeunesse, puisqu’il ne parlait jamais de lui-même ? Les braconniers et les contrebandiers sont les amis de tout le monde, là-bas, et il en parlait quelquefois : son bon curé ne faisait-il pas passer dans un cercueil toute une livraison d’allumettes, et au cours de la deuxième guerre mondiale les victimes de la Gestapo – même juifs – devaient parfois leur salut à un déguisement de sacristain et en accompagnant dévotement le saint Sacrement que M. le curé portait à un malade. Et voici une histoire qui s’est bien passée dans la famille Anchen, au moulin de Lichans-Sunhar. Les gendarmes poursuivaient des braconniers bien inoffensifs. On les cacha sous un tas de foin ou de paille ; la maman prépara un bon repas de truites, pêchées dans la rivière, et en régala les gendarmes, trop heureux sans doute de fermer les yeux. Point de braconniers, n’est-ce pas, dans une maison si hospitalière ?
Le virus du braconnage ou de la contrebande avait-il atteint le jeune Hilarion ? Eh oui ! Il avait pris la soutane, et revenu à la maison pour les vacances, le fusil de chasse de son père fut une tentation trop forte. Qui a entendu parler les Basques de palombes comprendra cet appel de la chasse. Il allait donc abattre une de ces bêtes quand il fut interpellé : Halte-là ! Deux gendarmes venaient de le prendre en flagrant délit ; mais la candeur du coupable, la soutane du jeune abbé, l’autorité du père, dont on n’a nullement l’intention de s’attirer le mécontentement : un maire, c’est quelqu’un, et peut-être encore plus un verre de bon vin, et la sanction s’arrête là. Mais ce fut aussi certainement la dernière incartade du jeune Anchen.
Il fut soldat : où ? Combien d’années ? double point d’interrogation. Les séminaristes faisaient alors l’apprentissage de la caserne, et l’esprit anticlérical était particulièrement aigre à cette époque-là. Il a raconté que son capitaine, compréhensif, avait pitié des séminaristes et leur accordait volontiers des permissions de 36 ou même 48 heures pour qu’ils puissent aller dans leurs familles et assister à la messe. La maman Anchen attendait son grand fils très tard dans la nuit, lui faisait cuire une bonne omelette aux pointes d’asperges, dont il se souviendra toute sa vie. C’était une femme, cette maman Anchen, faisant tout ce qu’elle pouvait pour son Hilarion et ses autres enfants. On aime bien s’amuser au pays basque, chanter, jouer, danser, et, le dimanche soir, on rentrait facilement trop tard. Maman Anchen avait pour habitude de servir un bon repas ce soir-là, auquel elle invitait les amis de ses garçons et de ses filles ; ainsi la jeunesse rentrait avant la nuit et l’on passait une bonne soirée en famille.
JAPONAIS AVEC LES JAPONAIS
Ordonné prêtre le 21 juin 1903, le jeune P. Anchen partit pour le Japon le 22 juillet suivant. La traversée dura 50 jours et lui fut néfaste. D’une curiosité insatiable, il voulait tout voir, tout savoir. Il aimait les bateaux, la « solennité des abordages » – ce sont ses propres mots –. Il voulait se rendre compte, par les détails, de la manœuvre. Il était donc ainsi constamment sur le pont, oubliant de descendre prendre ses repas. Il finit par se détraquer sérieusement l’organisme ; Il en eut pour deux mois d’hôpital à Yokohama. Son évêque, Mgr Berlioz, maugréait qu’on lui envoyât un sujet si peu solide. Il est bien possible que ces excès – il l’a reconnu lui-même – lui eussent attirer des ennuis de santé pour toute la vie.
Le voilà en mission à Hakodaté (1). Il étudie d’abord le japonais. Puis on le trouve avec le P. Labon, un catéchiste émérite, disent les témoins de l’époque. Il se forme et lui-même devient rapidement un maître incontesté, à la méthode antique, cela va de soi : catéchisme appris par cœur, fidèlement récité. Et cependant on avait déjà dans le Hokkaïdo un très bon et très beau catéchisme en images, Ancien et Nouveau Testaments. Qui l’avait introduit au Japon ? Le P. Anchen, sans doute, mais allez-donc le savoir d’une façon précise.
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(1) Hakodaté, (1903-1904). Niigata, (1905). Hakodaté. (1905-1907). Morioka, (oct., 1907-nov. 1908). Sapporo, (déc. 1908-mars 1915). Hakodaté, (mars 1915-sept. 1920). Kameda, (1920-1926). Hachinohé, (1926-1930).
On était sévère, très sévère à cette époque. Le P. Anchen fut peut-être encore plus sévère que les autres missionnaires. Mais, alors que ses confrères tiraient les oreilles des enfants, leur frappaient la tête avec un livre – c’était une coutume tout à fait normale en Europe, à cette époque, ne l’oublions pas, – le P. Anchen ne s’est jamais permis de tels gestes, et s’il a laissé croire dans la conversation qu’il faisait comme les autres Pères, il s’est tout simplement calomnié lui-même ; les témoins interrogés sont formels sur ce point. Bien au contraire, il était bon, très bon pour les enfants, leur distribuant des gâteries, nullement offensé de leur curiosité, car ils voulaient voir sa barbe, lui demandaient comment il dormait, la barbe sur ou sous les couvertures, etc., et lui, souriait, souriait, et peu à peu les gagnait. Il n’était point désemparé quand un petit avait besoin d’aide pour boutonner sa culotte. Ces gestes de nourrice touchaient les parents à un point extraordinaire.
Les jeunes disciples sont devenus des adultes et ils se souviennent encore avec émotion ou humour de leurs premières prières. « A souffert sous Ponce-Pilate » (en japonais évidemment) devenait : Pon-Pon-Kan-Kan Pilato. Les mains du Père entraient dans l’histoire. On peut tout savoir au Japon, mais il est bien difficile de tenir les mains comme les « causeurs » de profession. Le P. Anchen avait donc des gestes de français, ce que les enfants trouvaient très amusant. Pour eux, cela évoquait le travail de la ménagère qui pétrit, durcit les boules de riz dans ses mains et, au lieu d’écouter la bonne parole, ils comptaient les boules de riz.
La sainteté du P. Anchen était trop évidente et décourageait les enfants. Certains voulaient bien se faire prêtres, – car il recherchait attentivement les vocations – mais s’il fallait devenir un saint comme le Père, on était sérieusement tenté d’abandonner dès le départ. Ces vocations, du reste, aboutiront sans difficulté. Il avait un bon diable d’enfant de chœur, particulièrement doué. Un jour, il l’avait emmené pour un enterrement. Au retour, on rencontre les petits copains qui se moquent du jeune chrétien. A la fin, l’enfant de chœur n’y tenant plus se met à siffler et à sortir tout son répertoire. Les autres, décontenancés, s’enfuient. Pour le P. Anchen, cette réaction si naturelle de l’acolyte était incompréhensible. Tout contrit d’avoir si mal formé son petit bonhomme, il lui fait un sermon sur la charité, le support des insultes, le pardon chrétien.
Il était déjà toute charité. A cette époque, c’était le « Junkai » c’est-à-dire le déplacement continuel dans les postes. Et la vie était plus que frugale. Le P. Anchen, évidemment, ne recherchait guère à améliorer son alimentation, et le peu qu’il avait, il le partageait. Un jour, dans le train, il sort son riz, une carotte, les offre à son voisin. Celui-ci un peu surpris finit par accepter : le sourire du Père est tellement bienveillant. C’est le point de départ de longues réflexions sur la charité... Et puis le Père se met à recueillir les grains de riz égarés dans sa longue barbe. Cela aussi est sujet de méditation : la propreté, la minutie du Père, quelle âme y-a-t-il derrière cela ? Il avait aussi des gestes autrement significatifs, mais bien plus discrets. En principe, il ne portait une chemise neuve qu’une seule fois. Il la donnait immédiatement aux pauvres, se contentant pour lui de vieilleries. Et toute sa vie, fut ainsi.
Arrivé dans les familles, il disait la messe du jour, une longue messe, suivie d’une interminable action de grâces, puis il faisait le catéchisme aux enfants, enfin, prenait le repas avec tout le monde. D’une façon générale, les chrétiens n’étaient point riches à cette époque-là, et en hiver il faisait froid sous les couvertures trop rares, que du reste on laissait au Père, quitte à se passer de sommeil. Le matin, levé de bonne heure, il disait la messe, prenait une bonne soupe de soja fermenté et repartait pour d’autres visites. Les chrétiens de cette époque ont gardé de lui un souvenir ineffable: les expressions elles-mêmes valent d’être rapportées : « Il était de la famille, comme les enfants. Dans une maison ce qu’on aime, c’est la charpente de bois, ce sont ces vieux et beaux piliers qui supportent tout ; le Père Anchen était cette charpente, ces piliers ».
De toute cette époque, évidemment aucun souvenir venant de lui, le concernant lui-même. Il parlait de ses confrères, de son évêque, de lui jamais. Mgr Berlioz, un saint à n’en pas douter, allait passer les hivers dans les familles aïnou, pour apprendre la langue, nous contait-il. Puis, quand l’âge vint, il lui fallut quitter cet apostolat, mais il passait l’hiver sans feu, il fallait expier. Ce saint évêque était passablement irascible, on le sait par ailleurs ; du P. Anchen, il n’obtint jamais que soumission et vénération, malgré ses colères froides ou retentissantes. Chargé de la cuisine à l’évêché, le P. Anchen essuya un jour une belle algarade : « Anchen, vous me donnez toujours l’œuf le plus petit » – Eh bien ! prenez-en deux Monseigneur ! » Cette réponse fut certes la plus intempestive qu’il se fût jamais permise à son évêque.
Il ne fit pas la guerre 14-18. Appelé à Tokyo et à Yokohama, pour y subir une visite médicale, il répondit précipitamment à l’appel. Mais les voyages étaient alors peu rapides, difficiles. Il fut malade. On ne le mobilisa pas.
AVEC LES JAPONAIS DE CORÉE
En 1931, il fut envoyé en Corée, pour s’occuper des Japonais. Le P. Maugenre avait été pressenti, mais s’était récusé. Le P. Anchen, qu’on aurait pu aussi bien envoyer au pôle nord ou en Afrique équatoriale, accepta le plus simplement du monde. On ne discute pas avec les supérieurs, c’est Dieu qui parle. Pour lui, c’était un axiome de vie spirituelle. Les renseignements venus de là-bas sont plutôt modestes. Il résida à Taikou, d’abord, puis à la paroisse de Mikasa machi. De là, il rayonnait jusqu’à Anto, à cinq heures de train, et Fusan. Combien avait-il de chrétiens ? Les témoignages différent : une centaine disent les uns, une centaine de foyers disent les autres. Du reste, peu à peu le nombre augmenta. Et comme dans le Hokkaïdo, comme plus tard à Koyama, il était toujours à la poursuite de la brebis égarée, allant dire la messe pour un seul chrétien dans les coins les plus reculés. Après deux ou trois ans de présence il fit construire « une jolie petite église » pour ses fidèles. Avec quel argent ? J’ai cru comprendre que les ressources vinrent de sa famille. Il y avait aussi une maison pour le catéchiste, M. Yoshiura, un ancien militaire, qui le gardait comme une sentinelle garde son poste. Mais la guerre et les bombes devaient faire leur œuvre de destruction plus tard. Les m.e.p. feront par la suite de Mikasa machi une de leurs belles paroisses de la ville.
Avant la guerre, la police était particulièrement pointilleuse. On vous soupçonnait pour un rien. Un jour, le P. Anchen – toujours très curieux d’histoire – était allé voir le monument commémoratif de la bataille de Tsushima. Il se souvint tout à coup qu’il n’avait pas noté sa messe du matin ; il sortit son carnet ; mais un policier le surprit. Il fut donc interrogé, mais relâché sans autre incident. L’alerte fut plus chaude un autre jour. Il était allé à Fusan et priait, l’âme bien paisible, dans la chapelle de son confrère, le P. Bertrand. La police l’avait pisté, le moindre déplacement étant suspect... La prière était interminable et les policiers se faisaient de plus en plus pressants. Enfin, ils acceptèrent les explications du P. Bertrand. Mais, pour eux, cet étranger toujours sur les routes, en relations continuelles avec les Japonais ne pouvait être qu’un espion.
Ils se trompaient pourtant grossièrement, car le P. Anchen était résolument pro-japonais. Il ne doutait nullement des récits de victoires rapportées par la presse japonaise. Les « Coréens » le taquinaient bien, mais sa conviction n’en était pas ébranlée pour autant.
Il fut là-bas tel que nous l’avons connu par ici. Le P. Dupont, régional de Corée, qui a bien voulu recueillir les témoignages de ceux qui l’avaient connu, parle de lui en ces termes : « le modèle pour les chrétiens et les curés, très dévoué pour tout, le saint homme absolu ! » Et Mgr Demange disait plaisamment : « C’est embêtant d’avoir un saint dans la mission : on ne sait jamais quand il est malade ». Ses confrères, les « Coréens », lui étant le « Japonais ». dépassaient souvent les justes limites d’une eutrapélie fraternelle : « Voyez, disaient-ils, ce vieil hypocrite ! » Et lui de sourire « Oh ! vous avez bien raison, allez ! » et il continuait ses prières, bien convaincu en effet qu’il n’était qu’un misérable hypocrite.
La fin de la guerre vint et le P. Anchen, à la demande de Mgr Mousset, fut rapatrié par l’armée américaine, avec quatre autres missionnaires. Le voyage se fit par avion jusqu’à Manille, où il resta trois semaines, puis par bateau vers l’Amérique. On avait eu pitié de leurs pauvres soutanes, et le P. Anchen, ô scandale ! dut revêtir un costume qui n’était pas celui de l’Eglise. Bizarre accoutrement ! Voyez-le bien avec sa vaste barbe, son parapluie toujours fidèle, son sac de voyage, revêtu du lourd uniforme américain. Aux Etats-Unis, lui et ses compagnons, voyagèrent en première, – ô sainte pauvreté de l’humble P. Anchen ! – célébrés comme des martyrs revenus du bagne ! Son sens de l’humour devait lui faire apprécier la cocasserie de sa situation. Il arriva en France le 31 décembre 1945.
CATÉCHÈSE DANS UN HÔPITAL
Il revint au Japon le 18 février 1947. Après un séjour de quelques mois à Kofu, dans le Nagano-ken, il fut nommé à Koyama, la léproserie historique.
Son activité fut sans éclat, Il y put mener la vie de ses rêves : la contemplation unie à une action pastorale toute en profondeur. L’administration de l’hôpital venait d’être confiée aux religieuses du Christ-Roi. Ainsi, bien assuré sur ses arrières-gardes, il n’avait à penser qu’à Dieu et aux âmes. Il ne construisit donc ni presbytère, ni école, ni église, et cependant il fut quand même débordé par là, car un jeune confrère, le P. Lanher, son socius, voulut faire une paroisse à Gotemba. Le P. Anchen l’aida de son mieux, dans quelle mesure ? Je ne sais. De même, près de Koyama, sur le flanc de la montagne s’accroche une léproserie gouvernementale. Peu à peu, le P. Anchen y alla catéchiser, baptiser, dire la messe. On y voulut une chapelle. Quelle fut la part de as contribution ? mystère encore ; il était d’une habileté de sioux pour cacher ses générosités.
Son apostolat était très simple : catéchisme, prédication, pastorale. Chaque semaine, il faisait un catéchisme aux malades, puis un autre aux employés. Il y ajoutait des catéchismes spéciaux pour les catéchumènes, qu’il soignait très particulièrement avant la réception du baptême. Et il allait encore à l’hôpital gouvernemental. Les catéchumènes les plus ardents, les plus studieux avaient quelque chance d’arriver au baptême avec un an de préparation, mais il fallait, dans bien des cas, reprendre le manuel quatre et cinq fois, et toujours appris par cœur. Les malades, même handicapés du côté des yeux, n’étaient point exemptés de l’effort à fournir. Ils devaient se trouver des répétiteurs. Il avait instruit une petite fille de 10-12 ans, et j’avais eu à la continuer. Elle voulait recevoir le baptême. J’étais assez perplexe : aucun chrétien dans la famille, bien que le père et la mère fussent tout à fait d’accord et que la marraine pressentie fût de toute sécurité. Le dimanche, elle se levait dès 4 heures du matin pour assister à la messe : « Oh ! baptisez-la ! » me dit-il, et les confrères d’ajouter : « Pas d’hésitation, si le P. Anchen vous dit de la baptiser ». Il n’était donc point un bloc de granit.
Pendant ses instructions, quelques jeunes assez malins, d’un coup d’œil rapide sur le manuel, savaient trouver la bonne réponse, mais il ne se laissait pas rouler facilement. Les infirmières et les employées étaient plus dociles. Il savait prendre son temps pour gagner les âmes. Un an, deux ans, dix ans, peu importait. Mais quand on avait décidé d’étudier, il fallait s’y mettre sérieusement. Toujours avec beaucoup de politesse, il attendait ses gens aux heures fixées ou bien allait chez eux ; mais, si pour une raison valable on était empêché, il acceptait bien volontiers les excuses.
Quels étaient les point de base de son enseignement, qu’il livrait très familièrement que ce soit au cours de ses sermons, que ce soit pendant ses instructions catéchétiques ? Autrefois, les « grandes vérités » étaient répétées à satiété, et présentées de la façon la plus forte : Dieu ; Dieu créateur et maître absolu ; nous mourrons tous ; nous allons au Paradis ou en enfer. Il est très curieux de penser que le P. Anchen passait pour un amateur de cosmographie. Il subissait sans doute l’influence de l’apologétique des premières décades du siècle, que du reste un livre de son prédécesseur, le P. Drouard de Lesey, avait popularisé au Japon et qui faisait une bonne place à la preuve de l’existence de Dieu par l’ordre de l’univers. Mais le P. Anchen, avec sa curiosité naturelle de toujours approfondir telle ou telle question, a bien pu essayer de se renseigner un peu plus que l’ensemble des prêtres du XXe siècle sur ce qui touche les astres.
Dieu sait si l’on a dit qu’il était sévère en confession. Ici, il faut des nuances sérieuses. Les chrétiens interrogés ont répondu dans le Hokkaïdo, comme à Koyama, qu’il était précis, pointilleux même ; il fallait donner des détails. Pour lui, les « quatre ou cinq fois » habituels étaient franchement insuffisants. Mais les chrétiens lui ont su gré de les avoir bien instruits : telle ou telle action est mauvaise en sol, etc. Puis arrivait la pénitence, cette pénitence dont on a parlé un peu partout, composée de cinq ou six exercices de piété différents, souvent entremêlés. Un jeune confrère poussa le zèle jusqu’à vouloir corriger le Père de cette habitude : il alla se confesser à lui reçut un bon cocktail de pénitences, s’inclina docilement, attendit la fin... Puis, malicieusement : « Père, j’ai oublié, pourriez-vous me répéter, s’il vous plaît ». Le Père bafouilla. Et le jeune missionnaire se crut en droit d’administrer une bonne monition. Le P. Anchen écouta avec beaucoup d’humilité. Mais on ne se corrige point à 70 ans. Ce que le jeune missionnaire a ignoré, c’est que les fidèles n’étaient point étonnés de pareilles pénitences et qu’eux savaient les exécuter. Ce qu’il ignorait aussi – car j’ai fait ma petite enquête très minutieusement – c’est que les fidèles, et même les enfants, aimaient se confesser au P. Anchen, qui accueillait toujours ses pénitents avec le plus gracieux sourire, qui écoutait toujours avec la charité la plus parfaite, qui visiblement transmettait le pardon du Christ, qui réconfortait, consolait même, car il n’était point une machine à absolutions, mais l’homme qui sympathise, comprend, l’homme de Dieu, le Père. Avouons tout simplement que nous ne comprenons rien à l’influence des saints. Quand on avait été témoin de petits faits comme le suivant, on pouvait un peu comprendre. Un certain dimanche d’été, le Père était particulièrement fatigué. Les messes avaient été longues, les sermons trop convaincus, et sans doute l’estomac douloureux. Toujours est-il qu’à la fin de la deuxième messe, le Père fit une syncope, en arrivant à la sacristie. Les sœurs se précipitèrent, firent deux ou trois piqûres au pauvre Père qu’on avait allongé sur une chaise. Une chrétienne, qui n’avait pas eu « sa part de confession » avant la messe et qui n’avait point vu ce qui s’était passé, s’avança à la sacristie, vit le Père sur la chaise, s’agenouilla devant lui ; le Père alors, revenant à lui, ouvrit les yeux et vit la femme à genoux. Il était prêt pour l’entendre : « Au nom du Père... » et la confession commença. Quels commentaires cinq minutes après !
En dehors de la confession, quelle était « sa direction spirituelle » ? Il était basque et ce n’est pas un basque qui passe de longues heures à donner, ou à recevoir, une direction spirituelle. Il parait que cet art est inconnu – ou à peu près – au pays natal du P. Anchen. Et de fait, lui-même ne cherchera pas à donner une direction spirituelle individuelle. Au Japon, on grignote toujours quelques friandises ; il aurait voulu qu’on se détachât de cette habitude. On voit quantité de magazines, romans, toutes sortes de publications : une âme donnée au Christ y perd son temps, sa délicatesse. Le lépreux, non guéri – autrefois on ne guérissait pas – était détourné du mariage, l’éducation des enfants étant quasi impossible, même si la morale eût été respectée. Les malades, les infirmières ont gardé le souvenir de directives, difficiles à comprendre sur l’heure, mais qui, avec le temps, devaient se révéler la bonne solution... L’humilité du P. Anchen était connue de tous, mais il voulait l’inculquer à ses malades, à tous ceux qui lui étaient confiés : « Si vous n’êtes pas humbles, vous ne pouvez pas vous approcher de Dieu » était l’un de ses mots préférés.
Le P. Anchen n’était pas l’homme à fonder la logique de son action uniquement sur la sagesse humaine. Il lui est arrivé de donner des directives qui ne reposaient que sur des arguments de foi, qui attendaient de véritables interventions de la Providence. Et l’intervention divine se produisait comme il l’avait prédite. On a cité deux ou trois faits plus que curieux.
Ainsi semble se résumer l’action de l’aumônier ; il avait aussi la responsabilité des chrétiens du voisinage, et quel mal ne se donnait-il pas pour eux, allant les voir sans cesse, s’attardant le soir pour catéchiser. Avec sa soutane, son béret basque, as longue barbe et son sac, il était connu, vénéré de tout le monde, et l’influence mystérieuse toute surnaturelle qu’il exerçait était quelque chose de remarquable. Il allait par les campagnes récitant très lentement son bréviaire, saluant Saburo, Ikudo, d’un sourire, d’un mot très simple, engageant parfois une vraie conversation dont les arbres, la culture du riz, les montagnes, l’enseignement de l’Eglise sur le « Birth control » exposé d’une façon bien nette, faisaient les frais. Il connaissait parfaitement le milieu, et, quand il y avait un malade, il voulait tout savoir de la maladie : alors le patient, les familles recevaient avec plaisir quelqu’un qui sympathisait si bien. Des hommes qui ne savaient rien du christianisme disaient tout simplement : « Oh ! moi, si je crois un jour, c’est parce que je connais le P. Anchen ». Les médecins qui visitaient les malades à domicile avaient le travail tout préparé : « Se faire chrétien ! ah oui ! le P. Anchen », et on se faisait instruire et on recevait le baptême. Et n’allez pas croire que c’était un baptême administré à la va-vite. Le P. Anchen était très sévère pour les baptêmes « in articulo mortis » ; il n’y croyait pas. Il fallait une vraie préparation ; si le malade n’était pas capable de communier, il était visiblement contrarié que l’on conférât le baptême, même sous condition. Les témoignages sont là ; nombreux, très nombreux, furent les baptisés dont les noms ne figurent pas sur les registres : encore des actes d’humilité.
L’HOMME QU’ON RENCONTRAIT
Les malades de Koyama et de Suruga ont pris quantité de photos du P. Anchen. Malheureusement, celles de la jeunesse ou de l’âge mûr sont très rares. Mais, d’après celles qui restent à 35 ou 40 ans, il était un bel homme, physiquement fort avec une poitrine bien développée. Le front large, carré, concentré, têtu même, dénote un bel équilibre, une volonté bien arrêtée. Les cheveux noirs, taillés, en brosse, une brosse courte, bien nette, accentuent encore cette impression. Chez lui, le grand but de sa vie fut la recherche de la sainteté, et déjà cela se lit dans les yeux qui semblent « voir l’invisible ». A 65, 70, 75 ans, le P. Anchen était encore large d’épaules, s’inclinant cependant peu à peu la poitrine s’amaigrissait, tandis que les traits du visage s’amenuisaient encore plus. Encadré dans son abondante barbe, un sourire délicat, bienveillant, venu de l’âme, vous accueillait, vous mettait en confiance. Ce sourire, qui se dessinait uniquement dans le voisinage des yeux, devint avec l’âge de plus en plus immatériel, comme s’il eût rejeté toutes les lourdeurs de la vie. Quant à la barbe, la célèbre barbe du missionnaire des temps passés, elle a toujours fait partie intégrante de l’homme ; et, du reste, elle était très belle, large, impeccable, aux flots amples, toujours bien taillée. Noire dans le passé, peu à peu elle était devenue grisonnante, mais non blanche. Dans la vie du P. Anchen, s’il y eut une petite coquetterie, ce dut être sa barbe. Mais ne serait-ce pas plutôt un sens très fin, très délicat de l’humour ? On le revoit encore allongeant ses grands pas, la soutane ou la douillette tombant largement, car il leur fut fidèle jusqu’à la mort ; mais elles étaient toujours propres. Dans le Hokkaïdo, il avait gardé le chapeau de feutre. Mais à Koyama, il portait le béret basque, non pas de ces petits bérets qui se vendent sur la place du marché, mais un vrai béret venu du pays, qu’il inclinait sur le côté. Avec le parapluie au bras, quand il faisait mauvais temps, et le sac pendant jusqu’à la hanche gauche, qui ne le quittait jamais et où il mettait son bréviaire, « l’Ami du clergé », un livre facile à lire, il était équipé pour toutes les courses, toutes les aventures apostoliques.
Aumônier d’hôpital, voilà un poste de tout repos, penseront quelques-uns. Et certes, le P. Anchen n’a point gaspillé sa vitalité dans de multiples activités extérieures. Mais il a eu une vie bien remplie nullement dispersée. Levé le matin à 5 heures, couché le soir vers 9h30 -10h en hiver, 10h30-11h en été, il ne s’agite pas, ne se précipite pas, mais il est toujours occupé. Il lui faut de longues heures pour dire son bréviaire, son chapelet ou peut-être son rosaire ; il prend bien son temps pour faire ses visites à ses chrétiens, recevoir ses visiteurs, faire ses longues courses dans la campagne. Mais tout est minuté chez lui. A telle heure, c’est le repas, à telle heure la messe, à telle heure le catéchisme, la bénédiction. Fut-il en retard une seule fois dans sa vie, à la messe, à la bénédiction ? Les a-t-il manquées une seule fois ? Chez lui tout est en ordre : l’horaire, sa chambre, sa bibliothèque, son carnet de messes, ses vêtements. Il y a cependant une faille importante par là. Ses registres sont les plus mal tenus que vous ayiez jamais vus. Rédigés d’une écriture lente, précise, très étudiée, mais hachurée comme un cardiogramme, fort lisible cependant, on ne sait où ils commencent ni où ils finissent, s’il s’agit du registre des baptêmes ou de celui des confirmations. Effet de l’âge, à n’en pas douter.
L’AMI DE LA NATURE
Le Père aimait les plantes, les animaux. On le voyait souvent avec une bêche, la soutane relevée, occupé à planter des sapins, des figuiers, des « kiri » (ces arbres avec le bois desquels on fait les gétas, les meubles très riches et très légers). Où avait-il pris cette habitude ? Certains prétendent qu’il la tenait de sa mère, certains disent qu’il songeait à l’avenir : il faut bien donner de l’ombre à ceux qui viendront dans 20, 30 ans. On dit aussi que les vieux missionnaires plantaient des « kiri » pour faire de l’argent pour construire les églises… et le P. Anchen de fait parlait souvent de la valeur monétaire du « kiri » (hélas les « kiri » de Koyama ne sont pas très estimés !). Il avait un faible pour les figuiers, et quand ses arbres, après 2 ou 3 ans, vous donnaient leur premières figues : « goûtez-moi cela », disait-il, tout comme un vigneron vous fait apprécier son vin. Cet amateur d’arbres connaissait parfaitement les essences. Il pouvait parler avec les charpentiers, les amateurs de bois riches ; il savait tout cela. Il connaissait aussi évidemment tout ce qui fait la vie du paysan japonais, le rythme des pluies, l’irrigation des eaux, les sous-sols. Il pouvait prédire une belle moisson, vous détailler les cultures du maïs, du navet, que sais-je ? Evidemment c’était l’atavisme paysan qui s’exprimait ainsi, mais aussi la charité, la sympathie pour ses gens, et en même temps une certaine poésie naturelle toute franciscaine.
Il aimait la nature, la grande nature, les montagnes, le Fujisan, dont le pied s’étalait dans toute son ampleur devant ses yeux perpétuellement émerveillés. Mais il aimait aussi les petites fleurs, le chant des oiseaux et les plus humbles bêtes répondaient à sa bienveillance. Les malades se souviennent encore, amusés et ravis à la fois, d’une scène bien quelconque certes, mais où son âme de tendresse se manifestait si naturellement. Accompagné de ses amis les canards, il plantait ses figuiers ; quand la bêche mettait des vers à découvert, il leur indiquait celui-ci, puis celui-là et les bêtes très attentives suivaient les indications du jardinier, plus que prudent, délicat faudrait-il dire. Par contre, sa sympathie pour les chats était assez fraîche. Il trouvait sans doute qu’on les cajolait beaucoup trop. Il avait assez peur des chiens, mais lorsque la glace des premiers contacts était brisée, il les caressait volontiers.
Voilà donc les petites distractions du Père. Il en avait de plus vieilles. Il fut un grand marcheur devant l’Eternel. Les déplacements, dans le Hokkaïdo, en Corée, se faisaient la plupart du temps à pied. De Koyama, jusqu’à 70 ans, il faisait encore ses six heures de marche pour aller confesser, aux Quatre-Temps, les religieuses de Gora. Il ne refusait point, avec un confrère, une marche de toute la journée, dans les montagnes de Hakoné. On le voyait sans cesse parcourant les petits chemins creux pour aller secouer ses chrétiens. Jusqu’à 72-73 ans, il allait seul depuis Koyama jusqu’à la léproserie de l’Etat : 1h30 - 2h de marche. Il aimait ces courses dans
References
[2703] ANCHEN Pierre (1879-1967)
Références biographiques
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