Matthieu ROCHER1880 - 1919
- Status : Prêtre
- Identifier : 2782
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Biography
[2782] Rocher Matthieu naquit dans une famille aisée et chrétienne, le 29 novembre 1880, au hameau des Brosses, commune de Le Chambon-Feugerolles, département de la Loire, diocèse de Lyon. Il était le troisième fils de cette famille de cinq enfants: quatre garçons et une fille.
Il fit ses études secondaires au petit séminaire de Verrières où il se fit remarquer par son travail régulier, son intelligence ouverte et son caractère doux et gai. En réthorique, ses maitres lui confièrent la charge de censeur", c'est à dire être l'intermédiaire entre les supérieurs et les élèves. A la fin de ses humanités, il rentra au séminaire d'Alix dirigé par le futur cardinal Verdier. Ses notes de philosophie y furent bonnes, car il fut choisi comme "argumentateur". Il reçut la tonsure le 6 juin 1901.
Admis au Séminaire des Missions Etrangères, il y arriva le 9 septembre 1901. Minoré le 28 septembre 1902, sous-diacre le 27 septembre 1903, diacre le 27 février 1904, il fut ordonné prêtre le 26 juin 1904, reçut sa destination pour le Vicariat Apostolique du Tonkin Maritime (Phat-Diêm), qu'il partit rejoindre le 3 août 1904, en compagnie de M. Louis de Cooman, futur coadjuteur de Mgr. Marcou.
Un accident d'hélice du bâteau retarda d'abord leur arrivée à Saïgon; c'est dans cette ville que, le 8 septembre 1904, ils embarquèrent pour le Tonkin, à bord de la "Tamise"; le lendemain, ce vapeur des Messageries Maritimes donna sur un récif, le long de la côte de Cochinchine; un navire charbonnier anglais, le "Chantung" les ramena à Saïgon.
Arrivé à l'évêché de Phat-Diêm, M.Rocher commença l'étude de la langue viêtnamienne,.et trois mois plus tard, Mgr. Marcou l'envoya à Huong-Dao pour lui permettre de la pratiquer. Vers le milieu de 1905, il fut nommé vicaire à Duong-Diêm chez M.Chevènement, et y passa une année. En Juillet 1906, il partit pour Ke-Ben, grosse paroisse de la province de Thanh-Hoa, comme vicaire de M.Martin.
En janvier 1907, après la retraite annuelle, il reçut sa destination pour le Laos-Tonkinois (Châu-Laos) chez les "montagnards de l'Ouest" qu'il rejoignit en compagnie de M.de Cooman. M. Rocher étudia la langue tay à Muong-Xia; en septembre 1907, il fut chargé de Na-Ham, village presque entièrement chrétien, installé sur un petit plateau à 1.100 mètres d'altitude, et centre d'un district qui comptait environ 400 chrétiens. Il y resta quatre ans, travaillant à la formation spirituelle de ses nouveaux chrétiens; il y bâtit une église, y ouvrit une école et se fit instituteur. En 1909, M; Rey partit à Hong-Kong; son district fut coupé en deux; une moitié fut confiée à M.Rocher, qui s'occupa de Ban-Nghiu et Na-Mun, I'autre moitié à M.Pirot. En mars 1910, M.Rocher dut faire un séjour à Béthanie, à Hong-Kong, pour rétablir sa santé, et rentra à la fin de l'année.
Le 27 janvier 1912, M.Rocher avec tous les chefs Tay Rouges et Tay Nua du Hua-Phan (Châu-Laos) reçurent solennellement Mgr. Marcou, à Muong-Xôi, et à Muong Pun le lendemain. ces deux districts, totalisant 17 chrétientés disséminées dans un grand périmètre, furent confiés à M.Rocher. Pour l'aider, Mgr. Marcou lui envoya M.Fénard qui s'installa à Na-Ham.
Au retour de M. Rey, en octobre 1912, M. Rocher s'occupa principalement de Muong-Pun. A la fin de 1914, en raison des troubles causés par une bande de pirates chinois, il dut se réfugier à Muong-Xia, près de la frontière des Hua-Phan. Il travailla à ramener la paix entre les chrétiens troublés par l'anticléricalisme de certains fonctionnaires.et l'insécurité crée par les bandes chinoises. Durant cette période difficile, et se souvenant des évènements de 1884, beaucoup de néophytes apostasièrent, d'autres cessèrent toute pratique religieuse; et l'année suivante, en 1916, survinrent une épidémie de choléra et une grande famine.
En mai 1917, Mgr. Marcou le nomma Supérieur de tous les districts du "Laos Tonkinois" (Châu-Laos), charge qu'il accepta par obéissance. Il travailla avec ses confrères,dans un but d'uniformité,.à la révision des prières, du catéchisme et des caractères Tay.
Vers le milieu de 1918, la santé de M. Rocher commença à être sérieusement ébranlée. La mobilisation ayant réduit le nombre de confrères. M. Canilhac, restait seul présent dans cette région; fatigué, il partit refaire sa santé à Hong-Kong, au début de 1919. Au retour de ce dernier, M.Rocher devait aller se soigner à son tour, à Béthanie. Mais avant son départ, il voulut mettre à profit ces quelques mois pour réparer les résidences de Muong-Xia et de Muong-Xoi.et, malgré les conseils de modération, visiter tous les districts de la région; il ne put en commencer 1' administration spirituelle que vers la fin mars 1919. Début novembre 1919, il rentra épuisé à Muong-Pun, après avoir fait la visite des chrétientés de son district. Conscient de la gravité de son état, le 12 novembre 1919, il écrivit une lettre à M.Soler, commissaire du gouvernement à Samnua; ce dernier télégraphia à Mgr.Marcou, et envoya un infirmier viêtnamien auprès de M.Rocher, avec ordre de l'évacuer sur Thanh-Hoa.
M.Canilhac de retour à Hôi-Xuan le 19 novembre 1919, apprenant l'état de santé de M. Rocher, se mit aussitôt en route pour Muong-Pun. Le 23 novembre 1919, vers quinze heures, il rencontra, en pleine forêt, la caravane qui, dans un palanquin, évacuait M.Rocher vers Thanh-Hoa. Pour passer la nuit, on s'arrêta au petit village de Ban-Lo, sur les bords de la rivière Nam-Luong. Le soir même, vers 23 heures, M.Rocher rendit paisiblement son âme à Dieu.
Comme on était loin de tout centre chrétien, c'est là que se fit l'inhumation. Il repose au bord du sentier près de ce village.
Obituary
M. ROCHER
MISSIONNAIRE DU TONKIN MARITIME
M. ROCHER (Mathieu), né le 29 novembre 1880 au Chambon-Feugerolles (Lyon, Rhône). Entré au Séminaire des Missions-Étrangères le 9 septembre 1901. Prêtre le 26 juin 1904. Parti le 3 août 1904 pour le Tonkin Maritime. Mort à Ban Lo le 23 novembre 1919.
M. Mathieu Rocher naquit le 29 novembre 1880, au hameau des Brosses, commune du Chambon-Feugerolles, département de la Loire, d’une famille aisée et profondément chrétienne.
Une foi ferme avait toujours été l’apanage de la famille. Autrefois on y avait hébergé saint Benoît Labre, au cours de ses pieux pèlerinages, et sa mémoire s’y est pieusement conservée. Plus tard, quand le monde retentit des merveilles opérées par le curé d’Ars, la famille Rocher vint recevoir les bénédictions et les pieux conseils du saint prêtre. Cela nous indique l’atmosphère de foi où vécut tout jeune le futur missionnaire, il en conservera toute sa vie la bienfaisante empreinte.
Notre cher confrère était le troisième fils d’une famille de cinq enfants : quatre garçons et une fille. Son père, homme de foi éclairé, voulut que chacun de ses fils reçut au baptême le nom d’un apôtre : l’aîné s’appela Pierre, le second Jacques, à notre futur missionnaire on donna le nom de Mathieu, tandis que celui de Jean était réservé pour le Benjamin.
Dès son enfance, Mathieu se fit remarquer par une piété simple, une intelligence ouverte, un caractère doux et gai. Ces belles qualités lui attirèrent la prédilection de tous et ses bons parents pensèrent bientôt en faire un élu du Seigneur, un ministre des autels.
Mathieu fut donc envoyé au petit Séminaire de Verrières. Dès son entrée, il se plaça en bon rang parmi ses condisciples et il devait se maintenir à cette place durant tout le cours de ses études. Pendant ce temps, ses qualités de cœur, son caractère toujours égal, sa piété profonde, lui valaient l’affection et la confiance de tous : maîtres et élèves. Notre futur missionnaire ne manquait pas de vie cependant et il apportait aux récréations la même ardeur qu’à l’étude. Le jeu de ballon faisait son bonheur et il racontait volontiers qu’alors, il avait obtenu le premier prix de course.
Avec l’âge, ces heureuses qualités naturelles secondées par une vertu solide et un jugement droit, firent du petit séminariste un des meilleurs élèves de sa classe, et en rhétorique, ses maîtres lui confièrent la charge de « Censeur ». Cette fonction est toujours délicate à remplir. Intermédiaire entre les Supérieurs et les élèves, c’est au « censeur » qu’on recourt en maintes circonstances difficiles ; il doit préparer les voies et aplanir les difficultés. Nous savons que M. Rocher s’en acquitta avec tact et délicatesse, à la grande satisfaction de tous.
A la fin de ses humanités, M. Rocher entra au Séminaire d’Alix. L’étude de la philosophie lui plut et ses notes durent être convenables puisqu’il fut choisi comme « Argumentateur ». C’est à Alix qu’il entendit la voix du divin Maître l’appelant aux Missions lointaines. A cette époque, le diocèse de Lyon se classait premier pour le nombre des aspirants au Séminaire des Missions-Étrangères, et le Séminaire d’Alix, sous la sage direction du bon M. Verdier, fournissait de nombreuses vocations. Mais ce qui attira surtout l’attention et fit naître chez M. Rocher le désir de se consacrer aux Missions, ce fut la béatification de nos Bienheureux. Martyrs en 1900. L’un d’eux le Bienheureux Bonnard n’était-il pas fils du même diocèse ? Aussi, dès la fin de sa deuxième année de philosophie, M. Rocher demanda et obtint son admission au Séminaire des Missions-Étrangères. Il y arriva dans la première quinzaine de septembre 1901.
Durant les trois années qu’il y passa, notre futur missionnaire fut un aspirant pieux, appliqué à l’étude et fidèle au règlement. Il y contracta la sainte habitude de faire régulièrement tous ses exercices de piété et c’est là, peut-être qu’il faut chercher l’explication de la bienfaisante influence qu’il exercera plus tard. Ordonné prêtre le 26 juin 1904, il reçut aussitôt sa destination pour la Mission du Tonkin Maritime. Outre M Rocher, cette Mission recevait un autre jeune missionnaire de choix, M. Louis de Cooman, destiné par la Providence à devenir bientôt le coadjuteur de son évêque.
Les deux jeunes confrères partirent ensemble le 3 août 1904. Dieu leur réservait quelques épreuves pour les détacher des biens de ce monde et les attirer à Lui plus complètement. Un accident d’hélice avait d’abord retardé leur arrivée sur la terre d’Annam. Puis, s’étant de nouveau embarqués à Saïgon, le 8 septembre, sur la « Tamise », vapeur des Messageries Maritimes, faisant le service de la ligne annexe du Tonkin, ils faillirent sombrer le lendemain dans un naufrage sur la côte de la Cochinchine. Dans la soirée, un bruit épouvantable s’élève tout à coup, pendant qu’un choc violent secoue le navire en entier. On venait de donner sur un récif qui avait éventré la carène. Les officiers s’étant de suite rendus compte des avaries, déclarèrent le bateau perdu. Toute la nuit les signaux de détresse furent lancés, mais en vain, et l’eau montait toujours de plus en plus. Les pompes n’arrivaient qu’à atténuer le mal et à prolonger l’agonie du vaisseau, dont l’arrière s’inclinait déjà d’une façon inquiétante quand, dans la matinée, fut aperçu à l’horizon le « Chantung » navire charbonnier anglais, de passage. Il vint vite au secours des naufragés qu’il prit à son bord et ramena à Saïgon. Il était temps, car la « Tamise » n’allait pas tarder à disparaître. Si nos deux passagers eurent la vie sauve, ils ne purent emporter avec eux qu’une seule valise ; aussi en arrivant au Tonkin, réalisaient-ils pleinement le conseil de l’Evangile : Nolite possidere aurum, neque duas tunicas... neque calceamenta.
Arrivé à Phatdiem, résidence du Vicaire Apostolique, M. Rocher se mit résolument à l’étude de l’annamite, et trois mois plus tard, Mgr Marcou l’envoyait à Huongdao pour lui faciliter la pratique de cette langue et lui permettre de s’y perfectionner. C’est là qu’il commença à prêcher et fit ses premières confessions. Quelque temps après, il était nommé vicaire de M. Chevènement à Douangdiem, près duquel il resta un an. Ses progrès dans la langue annamite furent rapides et un vieux missionnaire, pourtant avare d’éloges, pouvait assurer que les sermons de M. Rocher étaient « bien ordonnés et bien donnés ».
En juillet 1906, il devenait vicaire de M. Martin et partait pour Keben, grosse paroisse de la province de Thanhhoa. Là aussi ses qualités d’es¬prit et de cœur, son caractère affable et doux, lui gagnèrent bientôt l’affection de tous ; les chrétiens annamites touchés de sa bonté l’appelaient le père très aimable.
C’est alors que Mgr Marcou lui demanda s’il n’éprouvait aucune répugnance à se consacrer à l’évangélisation du Laos tonkinois, cette partie montagneuse et malsaine du Vicariat Apostolique du Tonkin Maritime, habitée par les tribus « thay-lao ». A ce moment notre confrère, affligé d’une grave furonculose, ne put se rendre immédiatement au désir de son évêque et c’est seulement en janvier 1907, après la retraite annuelle, qu’il reçut sa destination définitive. Il partit aussitôt avec son cher ami, M. de Cooman, « pour une nouvelle expédition » disaient-ils, chez les montagnards de l’Ouest.
M. Rocher étudia la langue thay à Muongsia et dès le mois de septembre, il put être chargé de la direction du poste de Naham, où il devait rester quatre ans. Naham est urne petite paroisse d’environ 400 âmes, installée sur un petit plateau à 1.100 mètres d’altitude. Cette tribu Thay étant presque entièrement chrétienne, notre confrère ne put enregistrer de nombreuses conversions de païens, mais il s’occupa activement de l’instruction de ces chrétiens encore nouveaux dans la foi. Les thay de tous ces parages sont, comme tous ses primitifs, de grands enfants très susceptibles, parfois même capricieux, et cela rend souvent difficile le ministère apostolique. M. Rocher, que nous avons vu tout jeune, doué de tact et de savoir-faire, réussit complètement à s’attacher ses ouailles nouvelles. « La jeunesse, disait-il, c’est l’espoir d’une chrétienté » aussi n’eut-il rien tant à cœur que de donner tous ses soins aux enfants. Chaque soir, il réunissait les jeunes gens, garçons et filles, pour leur enseigner le catéchisme.
Le gouvernement du Protectorat ayant fondé une école indigène à Samnua, résidence de l’administration provinciale et désirant que chaque village y envoyât quelques élèves, M. Rocher, pour mieux veiller sur ses enfants, ouvrit chez lui une petite école et obtint que ses chrétiens seraient dispensés d’aller à l’école provinciale. Il se fit lui-même instituteur et chaque jour, durant quatre heures, il enseignait les caractères thay et laotiens aux jeunes gens de Naham. Plusieurs élèves y apprirent même le « quoc ngu » ou romanisation de la langue vul¬gaire suivant le système qui rend tant de services dans tout l’empire d’Annam. A cette époque, Naham méritait d’être donné en exemple à toutes les autres paroisses du Laos tonkinois.
En 1909, MM. Rey et Roucoules, titulaires de deux districts voisins, durent s’absenter pour cause de maladie et notre confrère cumula vaillamment la besogne sans compter avec ses forces. Les voyages extrêmement pénibles dans ces montagnes réputées pour leur insalubrité ne devaient pas tarder à avoir raison du tempérament, pourtant robuste, du courageux missionnaire. Les santés les plus solides ne résistent pas aux assauts sans cesse renouvelés de la fièvre des bois, surtout quand viennent s’y ajouter les fatigues d’un ministère très surchargé. Aussi, en décembre de cette même année, notre confrère tomba-t-il assez gravement malade. Quelques soins, la compagnie d’un confrère accouru à la hâte auprès du cher malade, semblèrent le remettre sur pied. Ce n’était qu’une trêve. En mars 1910, de nouveaux accès de fièvre, violents et répétés, remirent sérieusement sa vie en danger. M. Rocher dut alors, faire un séjour au sanatorium de Béthanie et il nous revint à la fin de l’année, complètement guéri. Il avait repris ses belles couleurs, celles qu’on apporte de France, disions-nous.
Plus tard, en février 1912, M. Rocher devint chef des deux districts de Muongpim et de Muongsoi. Ces deux vastes districts comptent ensemble, dix-sept chrétientés disséminées dans un grand périmètre. Heureusement, le retour de Hongkong de M. Rey, vint bientôt le décharger d’une partie de sa besogne et M. Rocher s’occupa spécialement de Muongpim. Jusqu’en 1914, il passa la majeure partie de son temps dans les diverses chrétientés, se donnant tout entier à l’instruction religieuse de ses néophytes.
Qui n’a entendu dire : « L’anticléricalisme n’est pas un article d’exportation ! » Hélas ! même au fond de nos montagnes, nous avons eu le regret de constater que ce ne fut pas toujours vrai. De 1913 à 1916, un fonctionnaire français, bien connu pour sa haine de la religion, crut de bonne politique de faire la guerre aux missionnaires et aux catholiques, de concert avec quelques autorités indigènes de la région. La conséquence de cette attitude d’hostilité continuelle, fut le désarroi jeté dans un des meilleurs districts de la contrée. Nombre de familles s’expatrièrent pour n’être plus en butte aux tracasseries des autorités, et quelques-unes même, encore faibles dans la foi, ne vinrent plus à l’église. Sur ces entrefaites, le meurtre du commissaire chef de la province laotienne de Samnua et le pillage de sa résidence par les pirates chinois ne fit qu’augmenter les appréhensions de nos néophytes qui ont toujours présents à la mémoire les grands massacres de 1884.
C’est à ce moment difficile que M. Rocher fut transféré à Muongsia. Nous n’essayerons pas de raconter les luttes que notre confrère eut à soutenir en arrivant dans ce nouveau poste, il nous suffira de dire, que là encore, il fut l’homme de la situation. Il ramena la paix chez les chrétiens et il y réussit si bien, que l’administrateur résident de la province de Thanhhoa, d’où relève ce district, ne put s’empêcher de rendre hommage au zélé missionnaire.
Au mois de mai 1917, Mgr Marcou ayant vu à l’œuvre les belles qualités du cher M. Rocher, le nomma supérieur de tous les districts du Laos tonkinois. Sa modestie en fut effrayée et il supplia son évêque de revenir sur cette décision. Invité à accepter pour le bien des âmes, il se soumit très simplement, car il avait une trop haute idée de la vertu d’obéissance pour refuser une charge si lourde lui parût-elle. Comme Supérieur, il invitait bientôt ses confrères de la montagne à revoir les prières, le catéchisme et les caractères thay, dans un but d’uniformité. Une réunion s’était déjà tenue à ce sujet et lui-même s’occupait activement d’une étude comparée des caractères d’écriture quelque peu différents employés dans les diverses tribus, afin de pouvoir faire adopter un alphabet général au grand profit de l’évangélisation. Si la mort n’était venue interrompre le travail du dévoué supérieur, nous aurions probablement eu sous peu, un alphabet thay définitivement gravé.
Dès l’année suivante, la santé de notre confrère parut un peu ébranlée, minée par la terrible fièvre des bois. Vers le milieu de 1918, il sentit une douleur bizarre, une arthrite probablement, qui paralysait la mâchoire inférieure à certains jours. Tout au début, le mal disparaissait dans la matinée, mais vers le mois d’octobre, l’infirmité paraît devenir plus grave, car parfois, elle durait toute la journée : « J’ai la mâchoire gelée », disait-il plaisamment.
Mgr Marcou, dans sa paternelle sollicitude, fut le premier à prendre cette indisposition au sérieux, et il pensa qu’un séjour à Hongkong s’imposait. Malheureusement, la mobilisation avait réduit à l’excès le nombre des ouvriers apostoliques, et le seul confrère présent dans la région était aussi très fatigué ; alors il leur parut difficile de s’absenter tous les deux. M. Rocher, en qualité de supérieur, crut devoir rester au poste pendant que M. Canilhac irait refaire sa santé à Béthanie. « Au retour de M. Canilhac, disait-il, il serait heureux de profiter de l’autorisation accordée. »
Enfin il voulut mettre à profit ces quelques mois, pour visiter tous les districts de la région. Tous les conseils de modération furent inutiles, le vénéré supérieur avait dit : « C’est mon devoir, je veux faire cette tournée avant mon départ pour Hongkong ». Hélas ! ce voyage déjà
très fatigant en hiver, dut être retardé par suite de l’épidémie de grippe qui ravageait la contrée. Puis ce furent les réparations à faire aux maisons des deux résidences de Muongsia et de Muongsoi, que le bon M. Rocher voulut entreprendre en vue de l’arrivée des confrères mobilisés dont on attendait le retour. Bref, ce n’est qu’à la fin du mois de mars que notre supérieur put se mettre en route. Déjà les journées étaient bien chaudes et les terribles orages du Laos ne tarderaient pas à apparaître. Le voyage dure trois mois dans des conditions très défavorables.
A son retour à Muongsia, il fit aussitôt son rapport, montrant les espoirs et les besoins de chaque missionnaire, exposant les difficultés de chaque poste en particulier.
Ce travail achevé, au lieu de prendre un repos si mérité et d’autant plus nécessaire qu’on était au moment le plus pénible des chaleurs, notre confrère se remit aussitôt à faire l’administration spirituelle des chrétientés de son propre district. Une santé fortement compromise, ne pouvait tenir à un pareil surmenage dans un tel milieu.
Le 4 novembre, M. Rocher finissait la semaine d’administration au village de Bondoi, lorsqu’il fut appelé auprès d’un malade à Banten. Il dut faire quatre heures de marche. Le soir même, notre cher confrère sentit un malaise général avec démangeaison sur tout le corps. Ne pouvant dormir, il se leva la nuit suivante vers deux heures, et appelant le catéchiste qui l’accompagnait, il lui annonça : « C’est curieux, on dirait que j’ai des punaises qui me sucent de tous côtés. Je vais célébrer la sainte messe de suite et puis j’essaierai de dormir. » La messe terminée, M. Rocher put reposer jusqu’à neuf heures du matin.
Ce jour-là on l’attendait à Muongpim pour y faire l’administration annuelle. Sans compter avec ses forces, il partit et fit même la route à pied. Il arriva à Muongpim très fatigué et, dans la soirée, un fort accès de fièvre se déclarait. En vain prit-il un vomitif le lendemain, il ne put couper la fièvre qui persistait très forte et même s’aggravait, malgré tous les soins des jours suivants. Le 10, ayant appris le retour au Tonkin de son voisin, M. Canilhac, il lui écrivit une courte lettre par l’intermédiaire de M. le délégué de Hoixuan. Il prévenait M. Canilhac de son état, sachant bien que son vieil ami ferait diligence pour accourir près de lui. Le retour de ce confrère fut malheureusement, retardé de quelques jours et il n’arriva à Hoixuan que le 19 du mois.
Pendant ce temps, notre malade, conscient de son état, avait écrit une lettre dès le 12, à M. Soler, commissaire du gouvernement à Samnua, le priant de vouloir bien prévenir par télégramme, Mgr Marcou, de la gravité de sa maladie. Il espérait presser le retour de M. Canilhac. La distance entre Muongpim et Samnua est assez considérable, et cette lettre toucha M. l’administrateur seulement quatre jours après. M. Soler, homme de cœur, apprenant l’état très grave de M. Rocher, dépêcha aussitôt auprès de lui l’infirmier annamite du poste, avec l’ordre de veiller sur le cher malade et de l’évacuer au plus tôt sur Thanhhoa.
La maladie continuait de faire de rapides progrès. A l’un de ses catéchistes qui doutait encore de la gravité du mal, notre confrère avouait dès le 13 : « Pour guérir, il me faudrait les soins d’un docteur. — Père, demanda ce catéchiste, désirez-vous faire appeler un missionnaire ? — C’est inutile, répondit le malade, M. Canilhac va arriver. » — Cependant le même jour, M. Rocher faisait appeler d’urgence le P. Thuy, son vicaire annamite ; il voulut se confesser aussitôt et le fit à genoux, malgré sa faiblesse. Ensuite il demandait l’extrême-onction. Le 14, au matin, il communia pieusement à la messe de ce prêtre indigène.
Depuis longtemps, le bon M. Rocher avait fait le sacrifice de sa vie et, à ce moment, il pouvait se rendre le témoignage « d’avoir combattu le bon combat, d’avoir consommé sa course et gardé la foi », il n’avait donc plus qu’à aller « recevoir la couronne de justice que le Seigneur lui réservait ». A partir du moment où il reçut les derniers sacrements, notre cher confrère entra dans un recueillement presque complet. Il se préparait à la mort avec ce calme qu’il avait apporté dans toutes les actions de sa vie.
Avec la fièvre, le mal reparut à la mâchoire, et bientôt il fut dans l’impossibilité d’articuler les mots, mais il conservait sa pleine connaissance.
L’infirmier, envoyé par M. le commissaire de Samnua, arriva le 18 au soir. Il prit aussitôt les dispositions nécessaires pour évacuer notre malade. A ce moment M. Rocher était d’une très grande faiblesse et pourtant le départ fut décidé.
Une amélioration parut toutefois se produire les jours suivants. C’est le 23, vers quinze heures, que M. Canilhac, en route pour Muongpim, rencontrait en pleine forêt, la caravane qui transportait le cher malade sur un brancard de fortune. A ce moment, le voyage l’avait beaucoup fatigué, il reconnut toutefois son cher ami et voulut même lui parler ; mais, hélas ! on n’entendait que des sons inarticulés. La caravane reprit son chemin, accompagnée de M. Canilhac, et, l’on s’arrêta pour passer la nuit au petit village de Banlo, sur les bords de la rivière appelée Namluong.
Un terrible accès de fièvre se déclarait dans la soirée. Devant l’impuissance des secours humains, M. Canilhac pensa recommander une vie si précieuse à nos Bienheureux Martyrs, dont la fête tombait le lendemain. Il en fit part au malade qui parut bien vouloir répondre : « Pourquoi donc ne pas me laisser partir pour fêter nos Bienheureux au ciel. » Le soir même, à 23 heures, notre cher confrère rendait paisiblement son âme à Dieu.
Ainsi M. Rocher est mort au milieu de la grande forêt, dans un tout petit village de quelques pauvres familles entièrement païennes. Comme on était loin de tout centre chrétien, c’est là que ce fit l’inhumation. Dans ces conditions, les obsèques de notre regretté défunt furent d’une simplicité toute apostolique et il repose maintenant, au bord du sentier près de ce village. La croix qui domine sa modeste tombe, dira aux passants jusqu’où l’amour des âmes conduisit le bon missionnaire de Jésus. Mais Dieu qui aime tant l’humilité, lui rendra au ciel les honneurs dont il fut privé sur cette terre. Belle fin pour ce prêtre vraiment apostolique qui fit simplement tout par devoir et chercha à faire son devoir en tout.
Et maintenant, cher ami, n’oubliez pas ceux qui, en vous pleurant, continueront votre œuvre ; qu’ils vous suivent tous dans l’austère fidélité au devoir et que viennent nombreux les bons ouvriers comme vous, pour remuer cette terre si ingrate et si meurtrière de la montagne. Intercédez surtout auprès du Maître de la moisson pour que de tant de précieuse semence jetée à profusion, les beaux épis puissent bientôt contribuer à remplir ses greniers célestes.
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References
[2782] ROCHER Matthieu (1880-1919)
Références bibliographiques
AME 1904 p. 317. 1910 p. 11. 1919-20 p. 383. CR 1904 p. 292. 1909 p. 169. 1911 p. 157. 158. 1912 p. 197. 1913 p. 209. 1914 p. 79. 1916 p. 120. 1917 p. 88. 1918 p. 72. 1919 p. 74. 245. 1920 p. 50. 1925 p. 96. 97. BME 1925 p. 114. 1926 p. 671. 1930 p. 215. 1935 p. 318. 1936 p. 10. 11. 13. 14. 1949 p. 554. 1960 p. 307.