Lucien LEHMANN1889 - 1981
- Status : Prêtre
- Identifier : 3145
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Birth
Death
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Biography
[3145] Lucien-Honoré LEHMANN, cadet d'une famille de quatre enfants, naquit le 16 mai 1889, à Reims, paroisse St.Thomas, diocèse de Reims, département de la Marne. C'était le jour de la fête de St. Honoré, patron des boulangers; son père exerçant cette profession, donna ce nom à son enfant qui plus couramment fut appelé Lucien. Originaire d' Alsace, son père étant passé clandestinement en France, vers 1876, fit son service militaire à Reims, s'y maria, et s'y établit. Il mourut en 1896, à l'âge de quarante ans, laissant une veuve et quatre enfants en bas âge.
Lucien Honoré commença ses études primaires à Reims ; mais en juillet 1896, son père, peu avant sa mort, demanda à François-Xavier, l'un de ses frères curé dans le diocèse de Strasbourg d'adapoter son fils Lucien Honoré. Le 14 juillet 1896, ce dernier avec son oncle quitta Reims pour l'Alsace. Il dut d'abord apprendre la langue allemande, et en 1898, il entra au collège de Zillisheim, tout proche de la paroisse dont son oncle était curé. Ce dépaysemnt lui fut très pénible.
Après les vacances passées en famille à Reims, en 1903, Lucien-Honoré sur les instances pressantes de son oncle,.fut obligé de repartir en Alsace, où il resta encore deux ans. A la rentrée de 1905, il entra en troisième au petit séminaire de Reims, et en 1908, il passa une année au grand séminaire de ce diocèse.
Le 6 juillet 1909, il entra laïque au séminaire des Missions Etrangères. Déclaré inapte pour le service militaire, il fut sous-diacre le 23 décembre 1911, diacre le 2 mars 1912. Ordonné prêtre le 29 septembre 1912, il reçut sa destination pour le Vicariat Apostolique du Tonkin Maritime (Phat-Diem) qu'il partit rejoindre le 27 novembre 1912.
Embarqué le 1er décembre 1912, il arriva à Phat-Diem le 6 janvier 1913. Il reçut le nom viêtnamien de Lê, puis, pendant trois mois, à l'évêché, il s'initia à la langue viêtnamienne, avec l'aide d'un catéchiste;i l fut envoyé ensuite dans la paroisse de Van Hai.où il passa neuf mois. Ses progrès furent remarquables et rapides; Mgr. Marcou le nomma vicaire de M.Chevènement, dans la grosse paroisse de Nhu-Son, où il resta six mois.
En 1914, M. Lehmann devint professeur au petit séminaire de Phuc-Nhac. Son souci d'utiliser les meilleures méthodes pédagogiques le poussa à écrire, à ses supérieurs, de nombreux rapports sur ces questions. Pour ses élèves, ils rédigea en viêtnamien, un Cours de Littérature" qu'il voulait parfait et pour lequel il consulta M.Pham-Quynh, directeur de la revue "Nam-Phong".
A la rentrée de 1927, il fut nommé directeur spirituel au probatorium de la mission, installé à Ba-Lang, et qui comptait 126 élèves cette année-là. Souffrant d'une otite chronique depuis huit ans, il dut rentrer en France où il arriva le 7 mars 1931, et fut opéré avec succès à Mulhouse le 11 avril suivant, par le Dr.Gassner. Le 25 septembre 1931, M.Lehmann ,remis, s'embarqua pour Phat-Diêm, où il arriva le 27 octobre 1931. On lui confia le cours de philosophie au grand séminaire.
Le nouveau vicariat apostolique de Thanh-Hoa ayant été créé par décret du Saint Siège signé le 21 juin 1932, et confié à Mgr.de Cooman, M.Lehmann, en juin 1933, remplaça par interim M.Lury, partant en congé, à la tête du probatorium de Ba-Lang, qui devint "petit séminaire" en septembre 1934. Cette même année, un don important de Mgr. de Guébriant, permit à la mission de Thanh-Hoa de construire une école normale de catéchistes. M.Lehmann se vit confier la fondation, l'organisation et la direction de cet établissement dénommé "Ecole St. Jean-Baptiste", sise à Thanh-Hoa-ville, où il s'installa le 19 juillet 1934. Avec beaucoup de conscience et de dévouement, il se donna à cette oeuvre importante à laquelle il adjoignit un atelier de reliure.
L'année scolaire 1944-45 fut agitée, en raison des évènements politiques de ce temps. Le 20 août 1945, eût lieu la rentrée des élèves à l'école St.Jean Baptiste. Des policiers "viêtminh" accompagnés d'une foule de gens vinrent perquisitionner dans la maison, à la recherche d'armes introuvables. Le petit appareil de cinéma de M. Lehmann fut déclaré "instrument de communication". Puis il y eût la manifestation du 2 septembre 1945, où les participants demandèrent la démission de Mgr.de Cooman, de son procureur, et de M. Lehmann. Ce dernier fut profondément attristé de tout cela, il demanda à être déchargé de ses fonctions. En fait, ce fut la fin de l'école des catéchistes.
Mgr. de Cooman désirait mettre les supérieurs de la Société au courant de la situation.Il confia cette mission à M. Lehmann qui quitta Thanh-Hoa le 13 février 1946 , arriva à Hanoï après bien des incidents, rejoignit Saïgon le 29 mars 1946, et le 16 mai 1946 s'embarqua pour la France où il débarqua le 10 juin suivant. Ayant rempli la mission que son évêque lui avait donnée, il partit se reposer en Alsace et assista au 70ème anniversaire d'ordination sacerdotale de son oncle.
Le 11 octobre 1946, Mgr. Lemaire lui confia le service des vocations en Alsace-Lorraine, puis, au mois d'octobre 1947, lui dit son intention de l'envoyer à Hong-Kong, à la maison de Nazareth. M.Lehmann s'embarqua à Bordeaux, le 22 février 1948, sur le cargo "Lieutenant de la Tour" en compagnie de M. Rigal. Les deux voyageurs touchèrent Hong-Kong le 6 mai 1948. A son arrivée, il fut stupéfait d'apprendre qu'il était chargé de faire "revivre" le Bulletin des Missions Etrangères" dont la parution avait cessé depuis cinq ans. Avec toute son opiniâtreté, et son ardeur au travail, il publia les numéros 1 à 38 de la deuxième série. Obligé d'entrer à l'hôpital en 1951, il donna sa démission; remplacé par M.Dufay, en août 1951, il rentra en France où il arriva le 12 septembre 1951.
En octobre 1951, on lui proposa de remplacer à Vernon, pour quelques temps, l'aumônier des Soeurs de Jésus au Temple. Cet interim dura dix ans pendant lesquels il assura confessions, conférences, homélies ; tout cela exigea de sa part, un travail intellectuel continuel, car M. Lehmann ne faisait pas les choses à moitié. Une baisse sensible de l'ouïe le gênant dans son ministère, il quitta Vernon le 12 mai 1961.Puis, il accepta de rendre service dans une maison de retraite où il resta peu de temps.
Un de ses anciens condisciples au séminaire de Reims, vicaire général à Verdun lui proposa le poste d'aumônier d'une nouvelle fondation que faisait à Montmédy, le Carmel Apostolique de Paris. M.Lehmann accepta et arriva à Montmédy le 24 janvier 1962. Cette fondation ne réussit pas; le 15 septembre 1963, les religieuses réintégrèrent leur couvent de Paris. M.Lehmann demanda alors à se retirer à Montbeton, mais les supérieurs jugèrent préférable qu'il prenne sa retraite à Beaugrand, où il se rendit le 11 septembre 1963.
Quelques années plus tard, cette maison fut supprimée; Les confrères eurent le choix entre Lauris ou Montbeton. M. Lehmann opta pour Montbeton où il entra le 20 novembre 1970. Sans se faire remarquer, il occupa son temps entre ses exercices spirituels, la visite des malades, la lecture qui lui permettait de se tenir au courant des idées de ce temps, et des grands évènements de l'Eglise et du monde.
M.Lehmann se montra fidèle en amitié, tout dévoué à ses élèves, et soucieux d'aider ses confrères. Sous des dehors un peu froids, se cachait un coeur d'or. Il aimait jouer des tours. En bon alsacien, ennemi des demi-mesures et de la médiocrité, il se montrait opiniâtre dans ses idées et parfois sévère dans ses appréciations des gens et des décisions de l'autorité.
Les deux dernières années de sa vie lui furent pénibles, sa vue ayant baissé, sa surdité s'étant aggravée. Il s'éteignit de vieillesse plutôt que de maladie le 2 août 1981, vers 18h30.à Montbeton.
Obituary
Le Père Lucien-Honoré LEHMANN
Missionnaire au Viêt-Nam
1889 - 1981
LEHMANN Lucien, Honoré
Né le 16 mai 1889 à Reims
Entré aux Missions Etrangères le 6 juillet 1909
Prêtre le 29 septembre 1912
Destination pour Phat-Diêm (ViêtNam)
Parti le 27 novembre 1912
En Mission : A Phat-Diêm-Thanh-Hoa 1912-1946
En France : recruteur 1946-1947
A Nazareth (Hongkong) 1948-1951
Ministère en France 1951-1963
Retraite 1963-1981
Décédé à Montbeton le 2 août 1981
Voir carte nº 6.
Enfance et jeunesse
Le P. Lehmann, cadet d’une famille de quatre enfants, naquit à Reims le 16 mai 1889, en la fête de saint Honoré, patron des boulangers. Son père était lui-même boulanger ; sa famille se fit donc un pieux devoir de donner au nouveau-né le prénom d’Honoré. Cependant il était couramment appelé Lucien, du nom de saint Lucien, apôtre de Beauvais au IIIe siècle.
La famille était d’origine alsacienne et très chrétienne. Armand Lehmann, son père, était le huitième de neuf enfants. Il eût été heureux de faire des études pour devenir prêtre, mais un frère de quatre années plus âgé était déjà au séminaire ; les parents hésitèrent donc à suivre les désirs de leur enfant et le dirigèrent vers le métier de boulanger.
Au moment du service militaire, Armand Lehmann préféra déserter et passer en France. Il y accomplit son service militaire, ensuite se maria à Reims et s’y établit. Au mois de juin 1894, les parents du boulanger déserteur fêtèrent leurs noces d’or en Alsace. Comme il n’avait pas revu l’Alsace ni sa famille depuis 18 ans, il voulut aller les revoir et assister à la fête. Le voyage ne pouvait se faire que clandestinement. A l’aller et pendant le séjour en famille, tout se passa bien. Mais au retour il n’en fut pas de même. Poursuivi par les gendarmes allemands, il courut de toutes ses forces à travers la forêt et put atteindre la frontière. Il était épuisé... Sur ces entrefaites, une pluie froide survint ; le papa Lehmann fut trempé jusqu’aux os et contracta une grave maladie de poitrine. Deux ans plus tard il mourait à l’âge de quarante ans, laissant une veuve sans ressources avec quatre petits enfants.
Le pieux papa Lehmann avait toujours eu comme un regret de n’avoir pu devenir prêtre. Aussi désirait-il que son fils Lucien puisse un jour le remplacer à l’autel. C’est pour cela qu’au mois de juillet 1896, soit moins de deux mois avant sa mort, il demanda à son frère François-Xavier, alors curé, de l’adopter. Le 14 juillet 1896, le jeune Lucien Lehmann avec son oncle quittait Reims pour I’Alsace.
Avant toute chose, le jeune Lucien Lehmann dut apprendre l’allemand. Puis à l’âge de neuf ans, il entra au collège de Zillisheim, tout proche de la paroisse dont son oncle était alors curé. Ce dépaysement lui fut très pénible et il n’arrivera jamais à se faire aux disciplines allemandes alors en vigueur en Alsace.
En 1903, notre collégien vint passer ses vacances à Reims. La vie de famille lui fut si douce et agréable qu’il ne voulut plus repartir. Mais l’oncle ne l’entendit pas de cette oreille et il dut repartir pour l’Alsace. Il y resta encore deux ans, mais en 1905, la nostalgie de la famille fut si forte qu’il en éprouva une crise de vocation. Il fit savoir à son oncle qu’il ne voulait plus rester au collège. Ce bon prêtre en fut bien attristé. Il ne ménagea ni les conseils ni les encouragements à son enfant adoptif. Mais rien n’y fit. L’oncle n’insista pas et il l’accompagna à la gare de Strasbourg. Là, au moment où le train pour Reims s’ébranlait, le neveu, tout en faisant des signes d’adieu, avait les yeux fixés sur son cher oncle dont le regard apparaissait particulièrement ému. Et ce fut alors « l’éclair ». Le « partant » avait retrouvé lumineuse « la grâce de la vocation ».
A la rentrée de 1905, Lucien Lehmann entra donc au petit séminaire de Reims. Il fut admis en troisième. Dans cette nouvelle ambiance, son âme s’épanouit spontanément, sa vocation reprit une vitalité ardente. Cependant la reprise des études en France fut assez pénible, car le jeune séminariste n’était plus familiarisé avec la langue française. Néanmoins à force d’énergie, il termina honorablement ses études classiques et en 1908 il entra au grand séminaire diocésain. Il y passa un an, puis en 1909 ce fut l’entrée au séminaire de Bièvres.
Déclaré inapte pour le service militaire, il entra au séminaire de Paris ; ses études terminées, il fut ordonné prêtre à 23 ans, le 29 septembre 1912. Le lendemain, il reçut sa destination pour le « Tonkin Maritime » c’est-à-dire la Mission de Phat-Diêm. Parti de France le 1er décembre, il arriva à Phat-Diêm le 6 janvier, en la fête de l’Epiphanie. C’est avec joie qu’il fut accueilli par Mgr Marcou, chef et fondateur de cette mission.
Sans plus tarder, le P. Lehmann fut « baptisé », c’est-à-dire reçut le nom sino-vietnamien de Lê qui signifie « acte religieux de sacrifice ». Naturellement la première occupation du P. Lehmann fut de se livrer à l’étude de la langue, d’abord à l’évêché pendant trois mois puis dans la paroisse de Van Hai. Ses progrès furent aussi remarquables que rapides et au bout de neuf mois il fut nommé vicaire du P. Chevènement dans la grosse paroisse de Nhu-Son. Il n’y resta que six mois, car l’évêque le destinait à d’autres fonctions, à un autre apostolat, celui de la formation des futurs prêtres et des catéchistes.
A partir de 1914, le P. Lehmann passa toute sa vie missionnaire dans l’enseignement. Il fut d’abord nommé professeur au petit séminaire de Phuc-Nhac. Pendant douze années, il se dévoua corps et âme à la bonne formation de ses élèves. Il était toujours soucieux de rechercher les meilleures méthodes pédagogiques. Que de rapports n’a-t-il pas adressés aux supérieurs sur cette question, sans beaucoup de résultats, mais sans se décourager ! A l’intention de ses élèves, il rédigea en vietnamien un « Cours de littérature » et pour qu’il fût plus parfait, il n’hésita pas à consulter M. Pham-Quynh, un lettré éminent, directeur de la Revue Nam-Phong.
L’école préparatoire à l’entrée en sixième au petit séminaire avait été fondée à Phat-Diêm en 1908. Mais les élèves y souffraient beaucoup de béribéri. C’est pourquoi Mgr Marcou décida en 1918 d’établir cette école à Balàng, endroit très sain au bord de la mer. Pendant plusieurs années, cette école occupa de simples paillotes. Enfin, la rentrée de 1926 put se faire dans deux grands bâtiments, avec une vaste chapelle à l’étage de l’un d’eux. Cette nouvelle maison fut bénie au printemps de 1927 par Mgr Aiuti, Délégué apostolique, entouré de six évêques des Missions Etrangères du « Tonkin » et de nombreux prêtres. Par cette belle fête, la Mission de Phat-Diêm voulut marquer le troisième centenaire de l’arrivée au Tonkin de l’illustre Jésuite, le P. Alexandre de Rhodes qui débarqua à Balàng le 19 mars 1627. La rentrée de 1927 amena 126 élèves ; l’école fut réorganisée et un directeur spirituel lui fut donné en la personne du P. Lehmann. Quelques années plus tard, en 1932, cette école préparatoire devint le petit séminaire de la nouvelle mission de Thanh-Hoa, créée par division de la Mission de Phat-Diêm. Pendant cinq ans, le P. Lehmann se dévoua de tout cœur à cet important ministère auprès des jeunes.
Depuis plusieurs années le P. Lehmann souffrait de maux de tête dans la région de l’oreille droite. Un spécialiste consulté à Hanoï déclara qu’une opération s’imposait mais qu’on ne pouvait la faire au Viêt-Nam. Un retour en France fut donc décidé et le 7 mars 1931 le P. Lehmann arrivait à Marseille. Il se rendit aussitôt chez son oncle en Alsace.
Dès le 23 mars, il alla consulter à Mulhouse un spécialiste réputé, le docteur Gassner, qui ne cacha pas la gravité de son diagnostic. Lors d’une deuxième consultation, l’opération fut décidée. Au dire du docteur, elle ne donnait qu’une chance sur deux de survie. Cette délicate intervention eut lieu le 11 avril après que le Père eut fait une petite retraite à la Trappe d’Oelenberg. Pendant deux jours on eut de sérieuses inquiétudes, mais le malade surmonta la crise et au bout de trois semaines put sortir de la clinique. Cependant des vertiges continuèrent encore pendant quelque temps. Tout finit par s’arranger au mieux. Après avoir visité parents et amis, le P. Lehmann s’embarqua le 25 septembre 1931 pour regagner sa mission.
Dès son arrivée à Phat-Diêm, il redevenait professeur, mais cette fois professeur de philosophie au grand séminaire. Il n’y resta que deux ans. Il y eut en effet un grand branle-bas dans la mission de Phat-Diêm à cette époque, avec la création de la nouvelle mission de Thanh-Hoa confiée à Mgr de Cooman, jusqu’alors coadjuteur de Mgr Marcou depuis 1918. Tous les missionnaires devaient passer dans la nouvelle mission et le Vicariat apostolique de Phat-Diêm était confié au clergé vietnamien. A la fin de l’année scolaire 1932-1933, le P. Lehmann rejoignit donc la mission de Thanh-Hoa et en attendant un autre poste important, il assura pendant un an les fonctions de supérieur du petit séminaire de Balàng pendant l’absence du titulaire, le P. Lury, alors en congé en France.
Le poste important destiné au P. Lehmann était celui de supérieur-fondateur de la nouvelle école des catéchistes à Thanh-Hoa. Il fallut d’abord construire les bâtiments. Ce fut l’affaire du P. Barnabé qui réalisa la chose de main de maître. Et le 19 juillet 1934, le P. Lehmann pouvait s’installer dans l’école St-Jean-Baptiste. Douze ans durant, c’est-à-dire jusqu’à la révolution viêtminh, il dirigea cette école avec beaucoup de conscience et tout le dévouement dont il était capable. D’année en année, les études, la piété et tout le reste ne cessèrent de progresser. Mais en l’année scolaire 1944-1945, des symptômes d’agitation se manifestèrent, surtout après le 9 mars 1945, date à laquelle les Japonais mirent leur emprise sur tout le pays, et proclamèrent l’indépendance. On arriva cahin-caha au bout de l’année scolaire en avançant la date des vacances.
Malgré l’atmosphère de révolution activée par la capitulation japonaise, le 15 août 1945, et l’immédiate prise de pouvoir par le Vietminh, la rentrée des élèves à St-Jean-Baptiste eut lieu le 20 août. Mais les choses ne tardent pas à se gâter. Dès le 20 août se présentent des policiers viêtminh accompagnés d’une foule de gens ; ils perquisitionnent dans la maison à la recherche d’armes qu’ils ne trouvent pas, bien entendu. Ils mettent cependant la main sur le petit cinéma Pathé-Baby du P. Lehmann qu’ils prennent (disent-ils) pour un instrument de communication ».
Toute la ville et toute la province sont en effervescence. Sans que l’on n’en sache rien à l’évêché, il se prépare quelque chose. De fait, le 2 septembre arrivent de toutes les paroisses du diocèse des délégations importantes ; une messe a lieu au stade de la ville à l’issue de laquelle sont prononcés de nombreux discours enflammés. Puis tout un cortège s’organise et prend la direction de l’évêché, les petits séminaristes et les élèves catéchistes en tête.
L’un des manifestants prit la parole au nom de tous ceux qui l’avaient suivi et demanda que Mgr de Cooman sorte sur le perron. L’évêque se présenta, entouré de nombreux prêtres vietnamiens et demanda ce qu’ils voulaient. « Nous demandons que vous donniez votre démission et que le Père Procureur et le Père Supérieur de St-Jean-Baptiste soient remplacés par des prêtres vietnamiens. » — « J’ai été nommé par le Pape lui-même, dit fermement Mgr de Cooman, lui seul peut exiger ma démission. Quant aux deux postes à changer de titulaire, j’examinerai la question. » C’était clair et net. De vifs et unanimes applaudissements accueillirent ces paroles très fermes... et ce fut la fin de la manifestation.
Le P. Lehmann fut profondément attristé par cette manifestation et demanda à Mgr de Cooman de le décharger de ses fonctions. La chose fut effective deux jours plus tard. Et en fait ce fut la fin de l’école des catéchistes.
Trois semaines plus tard, Mgr de Cooman désirant mettre les Supérieurs de la Société au courant de la situation dans le Vicariat de Thanh-Hoa décida de confier cette mission au P. Lehmann. Mais ce n’est que le 13 février 1946 que le P. Lehmann put quitter Thanh-Hoa pour se rendre à Hanoï : voyage difficile et semé de mille péripéties plus ou moins agréables ! Après des démarches sans nombre, le P. Lehmann put gagner Saïgon par avion le 29 mars. Là il dut encore s’armer de patience, car ce n’est que le 16 mai qu’il put s’embarquer pour la France à bord du « Maréchal-Joffre ». Le voyage sans escale fut assez pénible. Cependant tout se passa sans incident et, le 10 juin, le bateau arrivait à Toulon.
Sans plus tarder, le P. Lehmann gagna Paris pour remplir sa mission d’information auprès des supérieurs de la Société. Cela fait, il partit pour l’Alsace, où il eut la joie d’assister au 70e anniversaire d’ordination de son oncle, belle fête qui fut présidée par Mgr Weber, archevêque de Strasbourg.
Les trois mois de congé du P. Lehmann furent vite écoulés et, dès le 11 octobre 1946, Mgr Lemaire, Supérieur général, lui donna une destination : le service des vocations en Alsace et en Lorraine, Il accomplit cette tâche pendant un an dans des conditions particulièrement pénibles, car il avait peu de moyens à sa disposition.
Au mois d’octobre 1947, Mgr Lemaire lui fit part de son intention de l’envoyer à Hongkong et de l’attacher à la Maison de Nazareth. Le P. Lehmann se prépara donc à rejoindre son nouveau poste et il s’embarqua à Bordeaux, le 22 février1948, sur le cargo « Lieutenant de la Tour » en compagnie du P. Rigal destiné, lui aussi, à Nazareth. Le voyage fut très long et ce n’est que le 6 mai que nos deux voyageurs arrivèrent à Hongkong. A son arrivée, il fut stupéfait d’apprendre qu’il était chargé de faire « revivre » le Bulletin des Missions Etrangères dont la parution avait cessé depuis cinq ans à cause de la guerre. Sans entrer dans de longs détails, disons que le P. Lehmann se consacra à cette tâche avec toute son ardeur y employant tout son temps, y compris dimanches et fêtes. Grâce à cette opiniâtreté, il réussit à faire paraître les numéros 1 à 38 de la deuxième série. Fatigué par un tel surcroît de travail, le P. Lehmann fut obligé d’entrer à l’hôpital et il profita de cette circonstance pour donner sa démission. Au mois d’août 1951, il fut remplacé par le P. Dufay. Il demanda à Mgr Lemaire l’autorisation de rentrer définitivement en France. Cette permission obtenue, il quitta Hongkong le 22 août 1951 à bord de « La Marseillaise » pour arriver en France le 12 septembre.
Il se sentait fatigué, mais il n’eut pas le loisir de se reposer longtemps. Dès les premiers jours d’octobre, le P. Cussac lui proposa d’aller à Vernon remplacer l’aumônier des Sœurs de Jésus au Temple. Ce ne devait être qu’un bref intérim... mais cet intérim allait durer dix ans ! Il accomplit là un travail intense mais qui était tout à fait « dans ses cordes » : confessions des religieuses, conférences aux postulantes et novices à raison de 3 ou 4 heures par semaine, homélie pour les dimanches et jours de fête. Tout cela exigeait du P. Lehmann un travail intellectuel continuel, car il n’était pas homme à faire les choses à moitié. Aussi au bout de dix ans commença-t-il à ressentir une réelle fatigue cérébrale. De plus une baisse sensible de l’ouïe le gênait dans son ministère. Il fit part de toutes ces difficultés à Mgr Gaudron, évêque d’Evreux, et ce dernier lui rendit sa liberté. Le 12 mai 1961, il quittait Vernon définitivement.
A peine libéré de cet intérim prolongé, le P. Cussac lui en proposa un autre en lui disant : « Le confrère qui tenait ce poste est décédé. Je sais qu’il ne vous convient pas. Vous rendriez service en vous y rendant tout à fait provisoirement. » C’était un hospice de vieillards dont s’occupaient quelques religieuses. De fait le P. Lehmann n’y fut que très peu de temps. Mais les pérégrinations du P. Lehmann n’étaient pas terminées. A cette époque, les carmélites du Carmel apostolique de Paris fondèrent un couvent à Montmédy, au diocèse de Verdun. Le Vicaire général de Verdun, ancien condisciple du P. Lehmann au séminaire de Reims, lui proposa le poste d’aumônier dans ce couvent. Le Père accepta. Il arriva à Montmédy le 24 janvier 1962. Cette nouvelle situation lui convenait assez bien. Mais elle ne dura pas longtemps, car la fondation ne réussit pas et, le 15 septembre 1963, les religieuses réintégraient leur couvent de Paris.
Cette fois, le P. Lehmann demanda à cesser tout ministère et à se retirer à Montbeton. Les supérieurs jugèrent préférable qu’il prenne sa retraite à Beaugrand. Il arriva dans cette maison le 11 septembre 1963.
Quelques années plus tard cette maison devait être supprimée. On laissa aux confrères qui s’y trouvaient le choix entre Lauris ou Montbeton. Le P. Lehmann opta pour Montbeton et arriva dans cette maison le 20 novembre 1970. C’est là que le P. Lehmann allait terminer sa vie dans le silence et la prière.
Pour terminer l’évocation de la vie du P. Lehmann, ajoutons quelques extraits d’une lettre du Père supérieur de cette maison : « Pendant les dix ans que le P. Lehmann a passés ici, il ne s’est guère fait remarquer. Il avait cependant une grande charité pour les confrères malades qu’il visitait fréquemment et régulièrement. Ses exercices spirituels lui prenaient une bonne partie de son temps et il y resta entièrement fidèle aussi longtemps qu’il le put. Depuis déjà plusieurs mois, il ne se sentait plus la force de célébrer la messe, mais jusque peu de temps avant sa mort, il voulut au prix de grands efforts y assister et communier. Le reste de son temps était occupé par des lectures sérieuses : il cherchait à se tenir au courant des idées actuelles ainsi que des grands événements de l’Eglise, de la France et du monde. A la suite de ces lectures, il réfléchissait profondément et il en arrivait à des conclusions parfois originales qu’il exposait à ceux qui venaient le voir, car il parlait peu en public, sans doute à cause d’une surdité qui ne fit que s’aggraver avec les années. Les deux dernières années de sa vie lui furent particulièrement pénibles. Sa vue baissant, il ne pouvait guère lire, lui qui aimait tant lire et étudier... Pendant les derniers mois, il fut même privé de la radio en raison de sa surdité. Aussi désirait-il la mort et il en voulait au docteur « qui par ses drogues prolongeait sa vie ».
Le P. Lehmann avait 92 ans. Il est mort de vieillesse plutôt que de maladie. S’alimentant de moins en moins, il perdit presque toutes les forces qui lui restaient. les quelques derniers jours, il resta alité. Il s’est éteint le 2 août 198 1, vers 18 h 30.
Sous des dehors un peu froids, le P. Lehmann avait un cœur d’or et une grande fidélité dans ses amitiés. Il avait une affection toute particulière pour sa sœur Anne-Marie ; elle, de son côté, le lui rendait bien. Toute sa vie aussi il resta fidèle à des amitiés contractées au séminaire. Il nous suffira de nommer Mgr Piquet, évêque de Nhatrang, le P. Varengue de la Mission de Phat-Diêm, décédé en sa sixième année de mission, le P. Constant Poncet de Thanh-Hoa et le P. Radelet de la Mission de Vinh, mort trappiste. C’est aussi poussé par son grand cœur qu’il se dévoua jour et nuit auprès de ses élèves ou de ses confrères dangereusement malades, aidant les uns à bien mourir, les autres à recouvrer la santé. Notons enfin un trait de son caractère qui semble plus ou moins en contradiction avec son air sévère : il aimait jouer des tours, mais pas méchants ; il y en a qui sont restés célèbres dans l’histoire de la Mission de Phat-Diêm; mais ce n’est pas le lieu de les relater.
Comme tout un chacun, le P. Lehmann n’avait pas que des qualités. En bon alsacien, il se montrait opiniâtre dans ses idées et parfois sévère dans ses appréciations des gens et des décisions de l’autorité, car il détestait toute médiocrité ou demi-mesures.
Cependant nous espérons bien que le Seigneur a reçu dans sa joie éternelle ce serviteur fidèle dont la longue vie ici-bas fut généreusement remplie.
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References
[3145] LEHMANN Lucien (1889-1981)
Références bibliographiques
AME 1913 p. 52. 53. 1922 p. 96. CR 1912 p. 314. 1934 p. 142. 1938 p. 138. 1939 p. 128. 1947 p. 116. BME 1923 p. 454. 1928 p. 53. 1931 p. 530. 843. 851. 911. 1933 p. 543. 787. 1935 p. 278. 812. 1934 p. 578. 716. 1937 p. 59. 599. 1940 p. 692. 1948 p. 99. 100. 1951 p. 217 (art.). 512. 579. 709. 1949 p. 551 (art.). 1950 p. 19 (art.). 1955 p. 7. EPI 1962 p. 947. EC1 N° 217. 229. 446. 448. 458. 461. 505. & 227. 503. 506. 721. NS. 6P190. 192. 49P46. 105P80 (art.). 131/C2. ECM 1946 p. 219. La Croix du 17 juillet 1951.
Octobre 1995
Mémorial LEHMANN Lucien, Honoré page 3