Marcel RONDEAU1899 - 1970
- Status : Prêtre
- Identifier : 3292
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Identity
Birth
Death
Biography
[3292] RONDEAU Marcel, André, Constant, est né le 7 mai 1899 à la paroisse Saint-André de Reims (Marne). Il ne pourra guère faire d'études classiques normales à cause de la grande guerre. Après son service militaire, il entre au Grand Séminaire de Toulouse, région où sa famille s'était réfugiée, puis au Grand Séminaire de Châlons-sur-Marne en attendant que le Séminaire de Reims rouvre ses portes. Il entre sous-diacre au Séminaire des Missions Étrangères le 12 septembre 1924. Ordonné prêtre le 6 juin 1925, il part le 21 septembre suivant pour la mission de Swatow.
En 1927, il est nommé curé du district de Tenghai. Suit une période de guerre civile, puis, à partir de 1938, d'occupation japonaise jusqu'en 1945. Entre-temps, le Père Rondeau a passé un congé en France, de février 1936 à août 1937, en grande partie comme surveillant au Petit Séminaire Théophane Vénard à Beaupréau. De 1945 à 1951, beaucoup de ses paroissiens partent vers Hongkong, la Thaïlande ou encore la Malaisie et Singapour. En octobre 1951, vient l'ordre de quitter la Chine et le Père Rondeau est affecté à la Thaïlande où il va rester jusqu'en 1953. En mai 1953, il est muté à la mission de Hualien : il y manifestera ses dons extraordinaires de pionnier, ses hautes qualités missionnaires, en particulier son zèle apostolique. On lui confie la ville de Taitung. Il va aussi recevoir la demande de catéchuménat du premier groupe d'Amitsus, qui sera suivi de beaucoup d'autres.
En novembre 1953, il est affecté à Yuli après avoir remis son district de Taitung aux mains des Confrères Suisses de l'Institut de Bathléem. À Yuli ce seront encore les Amitsus qui bénéficient de son zèle, malgré l'animosité des protestants presbytériens. En novembre 1954, le Père s'installe au village de Kasuga, en plein milieu amitsu. L'église de Yuli est bénie le 26 décembre de cette année 1954. Le Père Rondeau a aussi contacté la peuplade Bunun dont le Père Flahutez sera l'apôtre. Le Père Rondeau doit se reposer à Hongkong en avril-mai 1955. L'église de Kasuga est bénie le 2 juin 1955. Ses catéchismes et autres activités et la visite de ses chrétiens dans les six ou sept postes du secteur vont bientôt le fatiguer au point de devoir être hospitalisé à Lotung et d'y être opéré. Il peut regagner son district le 9 novembre 1955, mais bien diminué physiquement. De nouveau hospitalisé à Lotung après les fêtes de Pâques 1956, il verra pourtant l'église de Matsu-ura bénie le 3 octobre 1956. Une nouvelle église est bâtie à Matalin. Le district de Kasuga est divisé après les fêtes de Pâques 1957, avec la création du district de Matsu-ura, confié au Père Olry. En mars 1958, le Père Rondeau doit de nouveau se soigner à Hongkong d'abord, puis en France du 26 juillet 1958 au 24 février 1959.
De retour dans son district le 10 avril, il entreprend la construction d'un jardin d'enfants. Hospitalisé à Lotung en mars 1961 pour soigner des rhumatismes, il regagne son poste après 33 jours. Un nouveau poste est ouvert à Joeileang pour les Formosans qui demandent à entrer en catéchuménat, mais quelques uns seulement recevront le baptême. Une église est bâtie à Satebo en 1964. Un repos à Hongkong en janvier-février 1965 sera suivi de plusieurs séjours à l'hôpital de Lotung. Le Père Rondeau fait ses adieux à Kasuga en février 1970 et puis se retrouve à Hongkong où il décède le 19 juin suivant au Queen Mary Hospital.
Obituary
Le Père Marcel RONDEAU
(1899 - 1970)
Missionnaire en Chine
Dans les années qui suivirent la première guerre mondiale 1914-1918, le groupe des partants M.E.P. le plus important par le nombre fut, sans doute, celui de septembre 1925. Nous étions 23, dont 8 étaient affectés aux Missions de Chine. L’un de ceux-ci était le Père Marcel RONDEAU destiné à ce qu’on appelait encore le Vicariat Apostolique de Swatow. Le signataire de ces lignes fut son compagnon de traversée jusqu’à Hongkong. C’est là que je devais le retrouver, après 26 ans de séparation, le 16 novembre 1951, alors qu’il venait d’être expulsé de la Mission par les nouveaux maîtres de la Chine. Deux ans plus tard, un destin identique nous réunissait dans un même champ d’apostolat totalement imprévu, une sorte de “terra incognita” située sur les bords du Pacifique, récemment confiée par la Propagande à l’évêque chassé de Chine, Monseigneur VÉRINEUX, sous, le nom de Préfecture Apostolique de Hualien. Le P. RONDEAU allait y passer les 17 dernières années de sa vie, années d’une activité débordante, d’une fécondité exceptionnelle, en dépit d’un corps souvent visité par la maladie.
Origines champenoises — Années préparatoires
Le P. RONDEAU resta toujours très attaché à son terroir natal et, jusqu’à la fin, entretint, surtout dans le monde ecclésiastique, de nombreuses et fidèles amitiés de jeunesse, comme en fait foi son ample correspondance. Nul plus que lui n’eût à cœur de conserver des liens vivaces avec son diocèse d’origine. Il en était fier, à juste titre d’ailleurs. C’est en effet à Reims, cité au passé et au présent prestigieux, qu’il eût le privilège de naître le 7 mai 1899, en la paroisse St Sean Baptiste de la Salle, illustre Rémois. Cette date du 7 mai est à souligner, et notre confrère, ardent dévôt de la Vierge, regardait comme une faveur d’être né en ce mois “de la Bonne Mère”, comme il aimait à dire et à écrire.
De son milieu familial nous savons seulement que le père était postier sur les chemins de fer, modeste et rude emploi, certes, mais dont les gages lui permirent d’assurer très convenablement l’éducation de ses enfants. Famille modèle qui fournira un prêtre et une religieuse. Un autre fils deviendrait ouvrier ferronnier très apprécié.
Vint la guerre de 14 qui fit de Reims un monceau de ruines, la plus tristement célèbre des “villes martyres” Comme toutes les autres, la famille RONDEAU dût prendre la route de l’exil, un exil qui se prolongerait durant quatre longues années. Le jeune Marcel, à peine sorti de l’enfance, fut aux prises avec la souffrance, menant la dure existence des réfugiés de guerre, dans la région de Toulouse. La maladie ne lui fut pas épargnée, et celle-ci l’empêcha d’achever normalement ses études secondaires. Je l’ai, maintes fois entendu dire sur un ton de regret, et parfois mi-plaisant, qu’il n’avait pu terminer sa classe de rhétorique et qu’il lui manquait quelque chose en fait de formation classique. C’est ce qui explique, sans doute, la sereine indifférence qu’il manifesta plus tard vis-à-vis des auteurs et, en général, de toute littérature.
Son état de santé retarda son entrée dans l’armée et lui valut plus tard d’être versé dans le service auxiliaire. Il passa, je crois, quelque deux années rue St-Dominique, dans les bureaux du Ministère de la Guerre, au service du chiffre. Période dont il gardait, d’ailleurs, un excellent souvenir et dont il parlait volontiers, Il resta même en relation avec son chef de bureau, devenu plus tard général. Il avait aussi une autre raison d’être content de son séjour à Paris. Il songeait, en effet déjà, à la vie missionnaire et fréquentait assidûment le tout proche séminaire de la rue du Bac. Aussitôt démobilisé, il entrait au grand séminaire de Toulouse, pour la bonne raison que celui de Reims n’avait pas encore rouvert ses portes. Entre-temps celui de Châlons sur Marne était rétabli et dans une aile des bâtiments, accueillit les philosophes et théologiens du diocèse de Reims. L’abbé RONDEAU les y rejoignit, puis les suivit au séminaire de Reims enfin rétabli à son tour. C’est là que l’abbé RONDEAU reçut le sous-diaconat. En septembre 1924, il atteignit le but si longtemps désiré et faisait son entrée aux Missions-Étrangères, en compagnie d’un autre Rémois, M. BETTENDORF, lui aussi futur missionnaire de Chine ou Kienchang, prématurément disparu en 1934,
A son arrivée parmi nous rue du Bac, je puis en témoigner, Marcel RONDEAU bénéficia immédiatement d’une estime unanime, j’allais dire d’une popularité de bon aloi. Ce qu’il devait rester, il l’était déjà : souriant, ouvert, simple, accueillant à tous, sans gêne, sans complexe, volontiers causeur, avec parfois des réflexions teintées de naïveté, reflet d’une âme restée jeune et disposée à tout croire aisément, auquel on eût volontiers appliqué le mot de l’Evangile sur Nathanaël : “Voici un homme sans artifice”.
Tel il était en 1924, tel je le retrouvai 26 ans plus tard, toujours plein de flamme apostolique, toujours enthousiaste, citant volontiers St Paul, son auteur préféré, Par contre, la transformation physique était complète. Nous l’avions connu à Paris sous la forme d’un grand dégingandé, maigre, osseux, aux épaules un peu voûtées, en un mot l’opposé de ce qu’il deviendrait plus tard : corps énorme, affligé d’une encombrante obésité qui serait pour lui un sérieux handicap dans ses courses à vélo sur les pistes de montagne à Formose.
C’est le 6 juin 1925 qu’il eût la joie suprême de recevoir la prêtrise, idéal entrevu depuis son jeune âge. Et, fait qui mit le comble à son bonheur, il obtint du Supérieur Général, Mgr de GUEBRIANT, ainsi que M. BETTENDORF, la faveur de recevoir l’ordination sacerdotale des mains du cardinal LUÇON, dans la grandiose cathédrale de Reims : le plus illustre alors des évêques de France, la plus glorieuse basilique, témoin de tant de fastes. On comprend aisément que notre confrère évoquait cette journée, non sans quelque fierté, et qu’il en conserva un souvenir toujours vivace dans son cœur de Rémois aimant et fidèle.
En Mission. Première période : 1925-1951. SWATOW
Le 21 septembre 1925, en compagnie des 9 partante destinés aux Missions de Chine, du Japon et de Corée, le P. RONDEAU s’embarquait sur le bateau “Angers”, un piètre paquebot, prise de guerre d’origine autrichienne, où nous fûmes tous entassée dans une cale bruyante et surchauffée. L’heure des grands paquebots de luxe n’avait pas encore sonné. Comme il convient, avant de prendre la mer, nous montâmes à N.D. de la Garde pour y célébrer, puis nous fîmes un pèlerinage des plus joyeux à la Ste Baume.
A Hongkong, nous fûmes cordialement reçus à la Procure, sise alors près du port, par le maître de céans, le R.P. ROBERT, aux allures imposantes, j’allais dire quelque peu solennelles et intimidantes. Quelques-uns du groupe débarquèrent à Hongkong, dont le P. RONDEAU arrivé presque à destination, tandis que les autres prenaient la direction de Shanghai et Yokohama.
Envoyé à la Mission de Swatow, partie sud-est de la province de Canton, nouvellement érigée, alors sous la direction de son premier évêque, Mgr RAYSSAC, notre confrère devait y passer les 25 premières années de sa vie apostolique. De cette longue période, l’auteur de cette notice, connaît assez peu de choses, sinon que le Père RONDEAU fût nommé curé du district de Tenghai, en 1927. C’était une importante chrétienté, semblable à tant d’autres communautés de Chine, très souvent troublées par la guerre civile qui ne cessa guère en ces parages occupés par diverses bandes armées plus ou moins déjà communistes. De cette époque date la longue et affreuse captivité du P. VAGUETTE, missionnaire de Swatow. A partir de 1938, ce fut l’occupation des troupes japonaises qui devait se prolonger jusqu’en 1945. Entre-temps, le P. RONDEAU avait dû prendre un congé pour refaire sa santé délabrée. Congé dont il passa une bonne partie au séminaire de Beaupréau, y faisant fonction de surveillant, sous le supériorat du P. DAVIAS-BAUDRIT. A son retour, il regagna son district où, grâce à son heureux tempérament, à son sens très développé de l’adaptation, il réussit à vivre dans les meilleurs termes avec les officiers japonais, dont quelques-uns même logeaient dans sa résidence, une vaste maison à étage. Il lui arriva même plus d’une fois, il l’avouait volontiers, d’être invité à trinquer pour fêter quelque victoire, dans les débuts de la guerre du Pacifique.
De 1945 à 1951, époque troublée plus que jamais, le curé de Tenghai eût à enregistrer un grand nombre de départs de ses paroissiens vers Hongkong, la Thaïlande, Singapour, la Malaisie. Plus tard, il sera heureux d’en retrouver plusieurs à Hongkong, et tout particulièrement son fidèle catéchiste, ROKKO, devenu en peu de temps un commerçant très achalandé et bienfaiteur insigne de son ancien curé.
Je l’ai souvent entendu dire qu’à Tenghai, il se livrait avec un grand succès à un genre d’activité assez inattendu, la photographie, art pratiqué par lui, non pas pour satisfaire un simple “hobby” mais comme moyen de contact avec les non-chrétiens. Ses espoirs furent amplement réalisés. Toute la population de Tenghai défila devant son appareil, et il eût ainsi l’occasion quotidienne de parler religion, d’amorcer des conversions, et même amener au baptême plusieurs de ses clients. Après tout, quand on a connu le P. RONDEAU et son zèle à annoncer la parole du salut, “à temps et à contretemps”, il n’y a pas lieu de trop s’étonner.
Mais hélas ! vint le jour, pour notre confrère, comme pour tous les missionnaires, où il dût quitter, le cœur brisé, cette Chine devenue communiste et violemment anti-chrétienne. En octobre 1951, sans d’ailleurs avoir subi, quant à lui, aucune vexation, il reçut l’ordre de s’en aller. Le premier épisode de sa vie missionnaire était terminé.
Intermède thailandais : 1951-1953.
A sa sortie de Chine, il passa quelques semaines dans l’accueillante maison de Béthanie où commençaient d’arriver les missionnaires expulsés de leur champ d’apostolat. Par une coïncidence qu’il jugea plus tard comme providentielle, il y rencontrait, le 22 octobre, son compatriote et ami, Mgr VERINEUX, évêque de Yinkou, en Mandchourie, accompagné des Pères PECKELS, PASCAREL, CORNIC et DECHAMBOUX. Le P. PECKELS, autre Rémois quant au diocèse, était aussi un vieil ami du P. RONDEAU. Cette double rencontre, il ne s’en doutait pas encore, déciderait, moins de deux ans après, d’une nouvelle orientation de la vie apostolique de notre confrère. A ce propos, il convient d’ouvrir ici une petite parenthèse.
Comme c’était à prévoir, Mgr VERINEUX, aussitôt arrivé à Honqkong, ne pense qu’à une chose : profiter de son passage pour visiter les réfugiés de Taiwan, Pères, séminaristes, religieuses, aspirantes, en tout plus de cent personnes des diocèses de Moukden et Yinkou qui, pour se conformer aux ordres de leur Supérieur ecclésiastique, alors le P. VERINEUX, avaient quitté la Mandchourie pour échapper à la faim et à la menace communiste, et qui, en 1949, avaient trouvé refuge, comme tant d’autres chinois du continent, dans l’île préservée de Taiwan, dernier bastion du régime nationaliste. Le 31 octobre 1951, le signataire de ces lignes avait la grande joie de revoir, à sa descente d’avion à Taipei, son ancien curé de 1926, devenu évêque depuis le 16 octobre 1949. Monseigneur séjourna deux semaines parmi nous, visitant les diverses communautés, reçu et fêté tel un envoyé du ciel, ne craignant pas d’aller jusqu’à Hualien, affreusement ravagée par le tout récent séisme du 22 octobre, et où il rencontra deux communautés de sœurs chinoises de Moukden, dont le dispensaire venait d’être rasé. C’est durant ce séjour émouvant au possible que Mgr VERINEUX conçut le désir et entrevit la possibilité de trouver cette île de Taiwan un nouveau champ d’apostolat, déjà muni de cadres formés, au travail depuis trois ans. A Hongkong, il eût à ce sujet, de longues conversations avec le Délégué Apostolique, Mgr RIBERI qui l’encouragea fortement et lui assura qu’il serait enchanté, s’il voulait bien prendre en charge le secteur de Hualien, jusqu’alors dépendant de l’archidiocèse de Taipei. Mgr VERINEUX ne manqua pas de parler de son projet à son ami, le P. RONDEAU, qui séjournait encore à Hongkong, en attendant son prochain départ pour la Mission de Bangkok où il venait d’être affecté. Comme je l’ai noté plus haut, c’est alors que j’eus le plaisir de revoir mon ancien condisciple de la rue du Bac, et bien entendu, nous parlâmes longuement de l’île enchantée. Nous nous quittâmes, mais ce n’était qu’un au revoir.
Conformément aux directives du P. DESTOMBES, Vicaire Général, alors en résidence à Hongkong en vue de la répartition des missionnaires expulsés, le P. RONDEAU partait pour la Thaïlande le 24 novembre 1951. Dans cette Mission, il savait pouvoir retrouver bon nombre de chrétiens de Swatow. Il devait y rester jusqu’en mai 1953, faisant fonction d’aumônier des Frères des Ecoles chrétiennes. Pendant quelque temps il fut aussi socius d’un Père Thaïlandais. Mais, il faut bien le reconnaître, ce nouveau milieu, le genre de vie et d’apostolat, bien différent de ceux de Chine, déroutèrent quelque peu le P. RONDEAU. Entre-temps, il avait appris l’érection de la Préfecture Apostolique de Hualien et la nomination comme administrateur de Mgr VERINEUX, qui vint en prendre possession en mars 1953. Celui-ci était à la recherche de collaborateurs et fit, on le devint, tout son possible pour obtenir un missionnaire tel que le P. RONDEAU, connaissant, du moins relativement, le dialecte taiwanais qui ne manque pas d’affinités avec celui de la région de Swatow. Et c’est ainsi qu’après force démarches et même ça et là quelques réticences, notre confrère parvint à ses fins et obtint sa mutation pour la dernière née de nos Missions. Pour sa grande joie, c’était la Chine retrouvée.
Nouvelle phase de vie missionnaire : Hualien (1953-1970.
Ici nous abordons la grande période apostolique du P. Marcel RONDEAU, celle où, durant les 17 dernières années de sa vie, il manifesta ses dons extraordinaires de pionnier, ses hautes qualités humaines, ses profondes vertus surnaturelles, et par dessus tout, un zèle d’un dynamisme sans faille et maintes fois poussé jusqu’à l’héroïsme. Zèle qui le fit réaliser à la lettre la consigne du grand Apôtre : “Omnia propter Evangelium”. Que le lecteur de cette notice veuille bien croire que le mot “héroïsme” n’a pas été écrit à la légère, si notre confrère a tant œuvré, s’il a obtenu d’aussi étonnants résultats, c’est en dépit et aux dépens d’un corps affligé de nombreuses maladies et misères trop diverses pour être énumérées, Et maintenant, voyons-le à l’œuvre, puisque c’est à l’œuvre qu’on connaît l’ouvrier.
Trop heureux d’aller accueillir son troisième collaborateur — les deux autres étant les PP. BOSCHET et PECKALS — Mgr VERINEUX s’était rendu au port de Keelung pour souhaiter la bienvenue au P. RONDEAU. Deux jours plus tard, le 10 juin 1953, nos voyageurs arrivaient à Hualien. Notre confrère, il va sans dire, était d’ores et déjà au courant de la destination : la ville de Taitung, centre de la Préfecture civile du même nom, située à l’extrémité sud de la Mission, secteur que Monseigneur avait visité et où il avait rencontré un petit noyau de chrétiens, venus de la lointaine Mission de Kaoshiung, confiée aux Dominicains espagnols, les premiers évangélisateurs de l’île de Taiwan.
Le fondateur du district de Taitung. (juin – octobre 1953)
Après une rapide prise de contact avec nos communautés de Hualien, le P. RONDEAU, impatient de rejoindre le poste à lui assigné, montait en micheline le 16 juin au matin, et, en quelques heures, franchissait les 170 km qui séparent Hualien de Taitung. Mgr VERINEUX l’y avait précédé pour mettre la dernière main aux préparatifs d’installation du titulaire de ce nouveau centre d’évangélisation. La première impression ne fit qu’accentuer l’optimisme naturel de notre confrère. Taitung était une agréable cité de quelques 25.000 âmes, sise au bord de l’océan, dotée de rues très propres et bien alignées. Autre joyeuse surprise : la communauté catholique qui comptait une centaine de baptisés, présentée par Monseigneur, fit à son premier pasteur un accueil enthousiaste. Celui-ci ne fut pas moins agréablement étonné de pouvoir converser, tant bien que mal, dans son langage de Swatow, avec ces chrétiens d’origine cantonaise ou foukiennoise. Immédiatement, il se rendit compte que l’adaptation à son nouveau milieu se ferait le plus aisément du monde. A ce groupe formosan s’ajoutait bientôt un groupe de quelques familles de militaires catholiques récemment venues du continent. Dès le premier dimanche, l’oratoire se trouvait presque rempli. Sans perdre un instant, aidé de son catéchiste recruté dans les environs de Hualien, le Père ressemblait 22 enfants dont les parents avaient complètement négligé l’instruction et commençait par leur apprendre le signe de la Croix et quelques prières.
Mais j’ai hâte de signaler l’évènement marquant de ces commencements du séjour du P. RONDEAU dans cette région délaissée, et pour tout dire, jamais évangélisée. Evènement qu’on doit qualifier de providentiel et qui ne manque pas de provoquer l’étonnement et l’action de grâces. Un beau jour, le missionnaire reçut la visite d’une délégation d’aborigènes Amitsu d’un village des environs. Comme l’avaient déjà fait beaucoup de leurs congénères de la région de Hualien, ces villageois venaient à leur tour faire leur demande d’admission dans l’Eglise catholique. Conformément aux us et coutumes de leur tribu, cette démarche signifiait, à supposer qu’elle aboutit, la conversion de nombreuses familles, et peut-être même du village tout entier. Le Père, on le comprend, exultait. Sans tarder, il enfourchait son vélo et s’en allait faire sa première tournée d’inspection. Il revenait enchanté de sa visite et pleinement convaincu de la bonne disposition de ces cœurs simples et droits dont il est dit qu’ils seront les premiers à entrer dans le royaume des cieux. La liste des catéchumènes s’élevait à 200 en chiffre rond : c’étaient là les prémices d’une communauté aborigène, Amitsu et autres tribus, qui se compterait bientôt par milliers,
Ce n’était, en effet, qu’un début. L’annonce de l’établissement de la Mission catholique, parue dans la presse locale, et propagée de village en village, déclencha en peu de temps, un impressionnant mouvement de sympathie vers l’Eglise. Un certain nombre de chrétiens ignorés jusque là vinrent signaler leur présence. Si bien que le district, supposé n’avoir qu’une centaine de baptisés, en comptait bientôt 166. Quelques dizaines de Chinois du continent et de Formosans vinrent s’inscrire comme auditeurs du cours de doctrine. Chez les Amitsu surtout, le mouvement prit bientôt l’allure d’une levée en masse. Au cours des mois d’août et septembre, deux autres importants villages venaient renforcer les effectifs dont l’instruction était déjà commencée. Le chiffre total des catéchumènes était évalué à un millier. La moisson était plus qu’abondante certes, mais le P. RONDEAU, dans une lettre à Monseigneur avouait la contempler “avec un mélange de joie et d’appréhension”. En effet, se posait la question cruciale : comment faire la récolte ? Il avait un urgent besoin de plusieurs instructeurs parlant la langue des aborigènes ; ils étaient malheureusement introuvables. Il se vit contraint d’avoir recours à des moyens de fortune. Il sut s’adjoindre quelques jeunes volontaires qu’il recevait chez lui, dans la journée, et qui s’adonnaient intensément à l’étude de la doctrine. Grâce aux magnifiques images bibliques et catéchistiques dont le Père était pourvu, ces catéchistes improvisés furent bientôt à même d’expliquer à leurs frères de race les premiers éléments de la Bonne Nouvelle. Chaque soir, et bien avant dans la nuit, tantôt dans sa résidence, tantôt dans quelque village, notre pionnier, accompagné de l’un ou l’autre de ses collaborateurs, faisant fonction d’interprète, enseignait, exhortait. Voici ce que je lis dans une de ses lettres d’alors : “Hier soir encore, dans la cour de la résidence, 70 personnes au cours de doctrine, divisées en trois groupes : une vingtaine avec le catéchiste Sia, 35 enfants avec le catéchiste Ko et le reste avec moi. Chaque soir, ici ou là, il en est ainsi, et la séance dure jusqu’à 10 et 11 heures”.
Il est facile de se rendre compte qu’en de telles conditions, le P. RONDEAU ne put faire qu’un travail d’approche auprès de cette masse de catéchumènes. Il jouait son rôle de pionnier, d’initiateur, et il y réussissait à merveille. Dès son arrivée à Taitung, il se savait d’ailleurs destiné à un autre district. Fin octobre, il passerait les commandes aux Pères suisses de l’Institut de Bethléem. Cette Société, sur la proposition de Mgr VERINEUX, avait bien voulu accepter de prendre en charge l’évangélisation de toute la sous-préfecture civile de Taitung. Notre confrère, en moins de 5 mois, avait accompli un splendide travail de précurseur et laissait à ses successeurs une luxuriante moisson en perspective.
Une nouvelle étape : Yu Li (novembre 1953 – mai 1955)
Après avoir remis son district aux deux confrères suisses, et avant d’aller ailleurs reprendre son dur labeur de défricheur, le P. RONDEAU s’accorda, enfin, quelques jours de détente dans une confortable chambre de l’évêché flambant neuf où il eût l’agréable surprise de trouver nos deux jeunes confrères, les PP. POUPON et ZALDUA, arrivés à Hualien le 16 octobre.
Le 6 novembre au matin, Mgr VERINEUX l’emmenait à Yu Li, deuxième ville en importance de la Préfecture civile de Hualien : C’est là qu’un nouveau centre d’évangélisation allait s’ouvrir, et son premier missionnaire serait le P. RONDEAU. Yu Li est une charmante agglomération d’environ 20.000 âmes. Son nom en chinois signifie “village de jade”, appellation certes bien choisie. Le lieu est situé dans un cadre de montagnes verdoyantes auquel s’ajoute la fertilité d’un sol qui fournit d’abondantes récoltes de riz et de canne à sucre, avec l’ample variété de fruits dont l’île est fournie. Et pour que rien ne manque à cette région fortunée, on trouve dans la montagne environnante, des sources thermales, jadis très fréquentées par les japonais. Toute cette contrée est peuplée, en plus des Formosans, de nombreux villages presque entièrement Amitsu. C’est là, dans le secteur voisin de Koangfu qu’est rassemblé le plus fort groupement de cette tribu. Vaste champ d’action confié au zèle du P. RONDEAU, destiné à être divisé et subdivisé dans un avenir prochain, au fur et à mesure de l’arrivée de nouveaux missionnaires. En attendant, pendant les mois suivront, le Père sera seul, comme à Taitung, entouré d’une équipe de catéchistes formés par lui d’une manière intensive et forcément déficiente, les uns baptisés de fraîche date, venus du premier village amitsu évangélisé, Tienpu, près de Hualien, d’autres, simples catéchumènes, mais tous animés du même entrain, du même feu sacré, du même idéal : la conversion du peuple amitsu dont l’heure était arrivée.
Il faut le dire est effet, c’est d’abord et surtout cette peuplade qui sera la grande bénéficiaire de l’apostolat du P. RONDEAU, en cette contrée de Yu Li ; comme elle le sera plus tard, dans les postes où il sera envoyé. A ce titre, il mérite vraiment, plus que tout autre, d’être appelé l’apôtre des Amitsu. Ici, comme à Taitung, et comme cela s’était déjà produit aux environs de Hualien, les aborigènes de cette tribu ont accueilli avec un admirable empressement et une étonnante simplicité, le message du salut. L’un après l’autre, les villages envoyaient au missionnaire des représentants munis de listes impressionnantes de familles disposées à entendre la doctrine et à se faire les adeptes de cette “religion du Seigneur du Ciel” dont le renom gagnait du terrain de jour en jour. A nouveau se posait le problème : comment enseigner cette multitude ? Voyons le Père RONDEAU au travail.
Le 27 novembre, l’auteur de ces lignes en était le témoin émerveillé. Je trouvai le Père installé dans sa résidence, une maison assez spacieuse en style japonais, comme la plupart des habitations en ville. Il était justement en train de donner sa leçon quotidienne de catéchisme au groupe d’apprentis-catéchistes qu’il avait rapidement recruté un peu partout : trois jeunes gens et deux jeunes filles auxquelles deux autres allaient s’adjoindre dans quelques jours. A l’intention de celles-ci, il venait d’acquérir une deuxième maison. Dans la soirée, ces collaborateurs, garçons et filles, se dispersaient dans la campagne environnante, toujours munis de ces fameuses images – tableaux dont le Père possédait diverses collections. Déjà, il parlait des catéchuménats de Kasuga, Tokubu, Sekko, noms encore ignorés de moi, mais qui ne tarderaient pas à être avantageusement connus comme de magnifiques chrétientés. On n’y faisait d’ailleurs pas qu’enseigner doctrine et prières. Une bonne partie des séances se passait à répéter chants de la messe et cantiques, très vite appris par ces Amitsu supérieurement doués pour le chant. Je ne fus pas peu étonné de la diversité des langues employées tour à tour : amitsu, chinois, japonais, tous ces idiomes étant connus de la plupart de nos aborigènes. Comme aimait à dire le P. RONDEAU, on finit toujours par se comprendre.
Comme il fallait s’y attendre, ça et là, après leur inscription au catéchuménat, nos Amitsu ne manquèrent pas d’être en butte aux tracasseries, et même parfois aux menaces des païens, et surtout des protestants. Ces derniers étaient dans la place depuis des années, et l’on devine leur animosité à la vue de cette entrée en masse dans l’Eglise catholique. Nous n’étions pas encore à l’ère de l’Œcuménisme. A telles enseignes que le “Conseil central de l’Alliance presbytérienne amitsu” lança une convocation requérant la présence de deux délégués par communauté à une conférence devant se tenir à Yu Li “dans le but, disait la circulaire, d’étudier en commun les moyens de stopper l’invasion de la secte hérétique dite des Catholiques. “Mais, Dieu merci, autant en emporta le vent. Le placide P. RONDEAU eût le bon esprit de ne pas attacher trop d’importance à ses récriminations auxquelles ne tarderait pas à mettre une sourdine, en attendant le jour où elles feraient place à l’esprit de conciliation et même à l’entente cordiale dont nous sommes à l’heure présente les heureux témoins.
Au mois de novembre 1954, le P. RONDEAU décida d’aller s’installer en plein milieu amitsu, au village de Kusuga, d’où il lui serait, plus aisé de rayonner dans les Agglomérations d’alentour. Le centre de Yu Li n’en serait pas délaissé pour autant, bien au contraire. Il venait, en effet, de recevoir enfin un collaborateur de choix en la personne d’un jeune prêtre chinois, le P. CHENG Pierre, arrivant du Séminaire de Hongkong, originaire de Yinkou, fief épiscopal de Mgr VERINEUX. Ce jeune confrère fut spécialement chargé de l’évangélisation des Formosans et Chinois du continent résidant à Yu Li. Avec plus d’ardeur que jamais, le P. RONDEAU reprit ses courses à travers monts et vaux, tantôt à pied, tantôt à bicyclette, visitant sans relâche ses catéchuménats où s’élaborait la préparation au baptême des adeptes les plus avancés, les plus assidus au cours de catéchisme.
Notre pionnier avait nettement abusé de ses forces et se vit contraint de faire relâche. Au début de décembre, il revenait à Hualien, épuisé, malade. Après 19 jours de repos à l’évêché, impatient de retrouver ses ouailles, il regagnait son poste en bonne forme. C’était son premier arrêt depuis son arrivée à Taiwan. Il devait être, hélas ! suivi de nombres autres.
Le 26 décembre avait lieu la bénédiction de l’église de Yu Li, dont la construction avait été jugée nécessaire dans ce centre important. C’était une simple chapelle le de modeste apparence ; mais qui avait l’avantage d’être située dans la rue principale. Elle servirait au rassemblement, non seulement aux chrétiens et catéchumènes de la ville, mais aux aborigènes des environs les plus proches. Le nombre de ceux-ci augmentait de semaine en semaine. Nous pûmes nous en rendre compte le jour de cette bénédiction. L’église était pleine à craquer, et dans l’assistance on voyait, pour la première fois, mêlés aux amitsu, plusieurs rangs de montagnards Bunun, venus de l’autre versant de la montagne, et principalement du village de Baneta, destiné à devenir sous peu un centre fameux d’évangélisation de cette tribu récemment contactée par le P. RONDEAU. Il y comptait déjà quelque 500 catéchumènes. Pour amorcer leur instruction, il avait su détecter deux jeunes montagnards dont une jeune fille intelligente et dévouée, infirmière à l’hôpital de Yu Li, qui consentit à quitter, pour un temps, son emploi pour se faire catéchiste auprès de ceux de sa race.
Par bonheur, l’homme providentiel arriva, qui serait l’apôtre des Bunun, comme le P. RONDEAU était celui des amitsu. Cet homme était le P. FLAHUTEZ, un ancien missionnaire de Chine, lui aussi. Le 3 mars 1955, il prenait possession de son district, avec résidence provisoire à Yu Li, en attendant le jour prochain où il irait s’installer en milieu bunun, au village de Baneta, tout près de la ville. Désormais, la région comprendrait deux districts : Yu Li, avec les villages bunun environnants, et Kasuga, centre du secteur amitsu confié au P. RONDEAU.
Mais, pour celui-ci, il était temps de faire une halte prolongée, avant de reprendre ses courses. Au début de janvier, il écrivait : “Je me sens à bout de mon rouleau”. Le cœur commençait à flancher. Il se plaignait de violentes palpitations. Un seul remède : arrêt complet pendant au moins quelques semaines. Un lieu idéal s’offrait à lui : la Maison de Béthanie, à Hongkong, où tant de missionnaires ont pu refaire leurs forces défaillantes.
Le 1er avril, il s’embarquait au port de Keelung. Son séjour à Béthanie fut pour notre confrère une période de détente merveilleuse, d’autant plus agréable qu’il y rencontrait son ami de Swatow, le Père SYLVESTRE, alors Supérieur de la Maison. Le 18 mai, il était de retour parmi nous. A en juger sur la mine, florissante, il était en état d’affronter de nouveaux labeurs.
Les 15 dernières années : Kasuga (1955 – 1970)
Le Père RONDEAU avait d’autant plus hâte de regagner son district que la construction de l’église de Kasuga s’achevait, et qu’il devait mettre la dernière main aux préparatifs de la bénédiction et des réjouissances en perspective. La cérémonie eût lieu en grande pompe le 2 juin, présidée par Mgr VERINEUX, entouré d’une dizaine de missionnaires, dont un Père Salésien et deux Samistes venus de Taipei. Chants en latin, en amitsu, exécutés avec brio par une foule de néophytes accourus des villages d’alentour : Tokubu, Satebo, Matsuura… noms aux résonances japonaises toujours en vigueur. L’après-midi, des dizaines de tables dressées sous les ombrages, pour le festin copieusement arrosé de vin de riz, de limonade, et pour les hôtes de marque, de quelques bouteilles de bière, boisson de luxe en ces parages. Puis, les danses en costumes rutilants, se déroulèrent, se prolongeant jusqu’à la nuit très avancée. Monseigneur et sa suite n’étaient de retour à Hualien qu’à 11 heures du soir. Des fêtes de ce genre, nous en verrions par dizaines dans les mois et les années qui suivraient. Celle de Kasuga, une des premières, nous enchanta. Ce fut pour le P. RONDEAU un des beaux jours de sa vie missionnaire.
Dieu avait sa demeure. Construction en bois, destinée à durer une quinzaine d’années, maintes fois secouée, abîmée par les typhons, et que notre confrère aura la joie de voir remplacée par une solide et avenante église en dur, tout juste avant de faire ses adieux à Kasuga. Quant à lui, il saura se contenter d’un logement des plus rustiques, doté d’un ameublement des plus rudimentaires que n’eût pas désavoué le Curé d’Ars. Elle avait un avantage, cette inconfortable maison du missionnaire : elle était spacieuse, et, de ce fait, ne tarda pas à devenir la maison commune des chrétiens. On y entrait comme dans un moulin. Enfants et adultes, surtout le soir et bien avant dans la nuit, s’y succédaient, allaient et venaient, ne se lassant pas de regarder l’une après l’autre les grandes images bibliques dont les murs étaient entièrement tapissés. Le maître de céans n’avait, semble-t-il, aucune difficulté à passer journées et soirées dans cette bruyante compagnie que d’autres eussent aisément dénommé promiscuité. Il était, au contraire visiblement heureux de vivre, tel un indulgent grande-père, au milieu de ce monde amitsu, devenu pour lui une véritable famille.
Cette évocation, qu’on pourrait croire idyllique, de la vie du P. RONDEAU, dans son domaine de Kasuga, ne doit pas nous leurrer. En charge de six ou sept postes desservis par de rudes chemins de montagne, il ne cessait de les visiter. Chaque dimanche, il assurait généralement trois messes à des distances assez peu éloignées sans doute, mais fort pénibles pour son corps de plus en plus alourdi et ses jambes rhumatisantes. Les grandes chaleurs de l’été formosan, au cours des mois de juillet et août 1955, l’épuisèrent tellement qu’au début de septembre la maladie le ter¬rassa une fois de plus, au point de mettre sa vie en danger… Crise d’urémie, asthme, tension artérielle, hémorroïdes, tel était l’état lamentable du patient, quand son voisin, le P. FLAHUTEZ fut appelé d’urgence à son chevet. Il était incapable de se mouvoir. Comme l’écrivait le P. FLAHUTEZ, il fallut procéder à un “véritable sauvetage”. Quatre porteurs durent transporter le malade couché sur une civière, à travers pistes et torrents gonflés par un tout récent typhon, sur une distance de 25 km jusqu’à Yu Li. “Voyage mouvementé et dangereux” disait, non sans raison, le curé de Yu Li.
Après quelques soins à Hualien, notre malade se voyait dans l’obligation d’interrompre tout travail, et de prendre le chemin de l’hôpital des Camilliens de Lotung, accompagné du P. PECKELS. Il devait y rester 52 jours, subissant, entre autres traitements, une très douloureuse opération des hémorroïdes. Quant à l’opération de la prostate, pourtant nécessaire, elle fut jugée impossible en raison du mauvais état général du malade, et surtout de sa faiblesse cardiaque. Ce n’est que le 9 novembre que le Père fut à même de regagner son district. Il resterait, hélas ! un homme diminué physiquement, toujours sous la menace d’une crise nouvelle. Envers et contre tout, il reprit ses activités comme par le passé, allant d’un poste à l’autre sur son vélo, souvent poussé ou traîné dans les rudes montées, par l’un de ses compagnons de route. C’est de cette période particulièrement pénible que date une impressionnante série de catéchumènes admis au baptême. Il faut le reconnaître, certains estimèrent que notre confrère y allait un peu vite dans l’admission au baptême. Il faut battre le fer tant qu’il est chaud, telle était la devise du P. RONDEAU.
Ce fut aussi en cette fin d’année que notre confrère eût la joie de recevoir la visite de son cher ami de Swatow, venu passer une quinzaine de détente parmi nous. Celui-ci continuait d’entretenir des relations avec leur ancien diocèse, et spécialement avec leurs confrères chinois. Le P. RONDEAU fut heureux d’apprendre que les 33 prêtres de Swatow tenaient toujours ferme, en dépit de l’aggravation de la situation. Il manifesta toujours pour eux une grande estime et un fraternel attachement. L’un d’eux devait venir plus tard le visiter à Kasuga.
Et nous voici arrivés en 1956. Tout alla bien jusqu’aux fêtes de Pâques, date névralgique pour un handicapé tel que le P. RONDEAU. Les fêtes passées, n’en pouvant plus il reprenait la route de l’hôpital de Lotung. Cette fois, 12 jours suffirent à le débarrasser de ces crises d’étouffement causées, d’après le diagnostic du médecin, par des “spasmes coronaires”. Une série de piqûres le remit sur pied. Il reprit ses courses jusqu’au 6 septembre, jour où, jouant de malheur, il fit une chute de vélo dont il se releva avec une épaule démise.
Bénédiction de l’église de Matsuura. Le 3 octobre, en la fête de Ste Thérèse de Lisieux, Patronne des Missions, avait lieu la bénédiction de l’église de Matsuura — en chinois comme on dit aussi — Sung-Pu, un des principaux postes du district. Magnifique journée d’automne. Monseigneur présidait, entouré de tous les missionnaires. Le P. FLAHUTEZ, qui n’avait pas ménagé sa peine en l’absence du P. RONDEAU, fut invité à célébrer la messe. Le P. POUPON, déjà maître de la langue, prêcha en amitsu. Foule énorme telle encore jamais vue de chrétiens amitsu, Bunuun, Taroko, ces derniers commençant à leur tour leur marche vers l’Eglise catholique. Sans doute, plus d’un millier de néophytes, et, spectacle émouvant pour un cœur de missionnaire, rassemblement au pied de l’autel de ces centaines d’aborigènes, récemment encore ennemis jurés, coupeurs de têtes, et chantant maintenant en chœur pour exprimer une même foi, une identique espérance, un commun amour. N’était-ce pas là le vrai, le grand “miracle de Formose” ?
L’année 1956 s’achevait merveilleusement à Noël, le P. RONDEAU recevait 153 nouveaux fidèles dans le giron de la sainte Eglise. Il avait entendu 800 confessions. Le chiffre total des baptisés s’élevait à 1.800. Une nouvelle église était en construction au village de Matalin. Notre pionnier avait lieu d’être content. C’est à l’occasion de cette fête de Noël qu’il rassembla une centaine de jeunes filles et une cinquantaine de jeunes gens, en vue d’exécuter les danses amitsu les plus spectaculaires devant la camera du P. SIMONNET, pour la réalisation de son fameux film “Miracle à Formose”. On y voit même paraître notre confrère au milieu de charmantes danseuses, mais il faut bien reconnaître que sa pesante allure ne dénote de sa part aucun don spécial pour l’art de Terpsichore.
Division du district de Kasuga. Aux fêtes pascales de 1957, le pasteur débordé de Kasuga reçut une aide singulièrement précieuse en la personne de Mgr VERINEUX. Celui-ci se rendit compte “de visu” qu’il était grand temps d’alléger son écrasant labeur, et que pour l’avantage des chrétiens, une division du district s’imposait. C’est pourquoi fut créé le nouveau centre de Matsuura qui fut confié au jeune P. OLRY au mois d’août de la même année. Le P. RONDEAU put enfin souffler un peu, bien qu’il fût encore responsable de plusieurs postes totalisant un bon millier de néophytes. Tout alla bien jusqu’au mois de mars 1958. Brutalement il subit une nouvelle alerte de très inquiétant augure. A la suite d’un refroidissement, il éprouva des crachements de sang, symptôme d’une récidive de ses anciennes affections pulmonaires. Sur les conseils de la Faculté, notre confrère dut se résoudre à prendre un congé de longue durée. Bien à contre cœur, certes, après avoir confié son district aux bons soins de son voisin, le P. OLRY, il nous quittait le 6 mai, salué par tous les confrères réunis ce jour-là pour la réunion mensuelle, et accompagné jusqu’à son embarquement à KeeLung par son compatriote, le P. PECKELS. Nous ne devions le revoir que le 10 avril de l’année suivante.
Avant de s’embarquer pour une longue traversée, il dut faire halte d’un mois à Hongkong, et fut hospitalisé à l’hôpital Saint Paul pour soigner une crise cardiaque. Le 26 juin, il partait sur le “Laos” après avoir adressé au signataire de ces lignes un mot qui exprimait, nous le savions, son plus cher désir : “Au revoir le plus tôt posssible”.
Congé de maladie. Son séjour en France, qui dura huit mois, ne fut pas, d’ailleurs, une période de farniente absolu, bien loin de là. Ce fut pour lui une heureuse occasion de reprendre contact avec ses nombreux amis et bienfaiteurs dont la liste fut toujours longue. Des lettres de lui, arrivent régulièrement, nous annonçaient que tout en soignant ses infirmités, dont la dernière en date, le mauvais fonctionnement de la vésicule biliaire, il trouvait le moyen de faire çà et là des conférences sur sa Mission et de présenter le film du Père SIMONNET — encore un Rémois ! Plus tard, une lettre datée de Lourdes nous apprenait qu’il avait volontiers accepté d’aller prêter main forte aux organisateurs de l’Exposition missionnaire ouverte du 24 septembre au 12 octobre. A vrai dire, il ne pensait qu’à une chose : retrouver ses chers amitsu. Le 10 avril 1959, il était de retour parmi nous. Dès le 17, il reprenait la route de Kasuga, cette fois muni d’une mobylette amenée de France, qui remplacerait avantageusement sa vieille bécane des temps héroïques.
Il reprend le collier. Aussitôt arrivé, il entreprend la construction d’un jardin d’enfants, un très modeste bâtiment en bambou qui fut immédiatement rempli. Par malheur, le 30 août de l’année suivante, un violent typhon s’abattait sur la contrée, et le jardin s’écroulait. Le P. RONDEAU était quitte pour en bâtir un plus solide.
Le 24 février 1960, il avait la joie de recevoir la visite du Supérieur Général, Mgr LEMAIRE. Celui-ci passa une journée et une soirée au milieu des paroissiens si sympathiques de Kasuga, s’amusant beaucoup de l’ambiance “sui generis” de cette joyeuse vie de famille d’où tout protocole était banni. Le signataire de cette notice avait l’honneur d’accompagner notre hôte vénéré et il peut témoigner que ce furent pour notre Supérieur Général des moments de délicieuse détente. Tout en félicitant chaudement l’apôtre des Amitsu des admirables résultats obtenus, Mgr LEMAIRE ne manqua pas d’insister sur le difficile travail qui restait à faire : l’instruction prolongée et la formation chrétienne de cette masse de néophytes.
L’année 1960 se passa sans incident malencontreux pour la santé de notre confrère. Avec sa vaillance habituelle, il poursuivit sa tâche de pasteur, axée surtout sur le progrès spirituel de ses ouailles, l’enseignement des enfants, l’organisation des groupes de jeunes. Pour le seconder, il avait une équipe de catéchistes dont il avouait n’avoir pas toujours à se féliciter. Ceux-ci, laissés trop longtemps à eux-mêmes, durant les absences prolongées du missionnaire, se laissaient volontiers aller à leur nature indolente et se transformaient peu à peu en salarié au zèle en veilleuse. Le contrôle du travail des catéchistes, la bonne marche des catéchumènes, tels étaient les sujets de grands soucis pour le Père. Que n’avait-il une santé de fer ?
Mais il était écrit que la maladie ne lâcherait pas le P. RONDEAU. Au début de 1961, il était terrassé par une violente crise de rhumatismes. Ne pouvant arriver à bout de la guérir à Hualien, le 6 mai il reprenait la route bien connue de lui, de l’hôpital Sainte Marie de Lotung. Cette fois, c’était une récidive d’une vieille crise datant d’une vingtaine d’années, qui l’avait immobilisé durant trois mois. Il fut hospitalisé jusqu’au 27 avril, incapable de se mouvoir, de dire la messe pendant deux semaines ; parfois même ne pouvant remuer ni jambes ni bras, contraint pour s’alimenter d’avoir recours aux services d’une infirmière. C’est alors, le 8 avril exactement, que vint le consoler la visite de notre nouveau Supérieur Général, le T.R.P. QUEGUINER. Ce dernier, venant de Taipei, avait tenu à faire sa première étape, avant de gagner HuaIien. Cette visite, on le devine aisément, le toucha beaucoup, et fit sur lui l’effet d’un baume réconfortant. Il ressentit un mieux immédiat et se sentit capable de se lever et d’aller saluer au départ, dans la cour, son aimable et bienveillant visiteur.
Après 33 jours d’hospitalisation et de souffrances supportées, nous en fûmes témoins, avec la souriante patience qui ne le quittait jamais, le P. RONDEAU reprit la route de Hualien, dans un état heureusement amélioré, mais loin d’être satisfaisant. D’autres, à sa place, auraient sans doute hésité à remettre le collier, mais notre confrère ne songeait nullement au repos. Il se remit en route pour Kasuga, comptant beaucoup pour la visite de ses postes, sur son nouveau cyclo-moteur Peugeot.
Une approche des Formosans. A ses postes déjà nombreux, il allait en ajouter un autre, au village de Joei Long, près du bourg de Joel Soei. Et, fait aussi surprenant qu’agréable, ce poste ne concernait pas les Amitsu, mais les Formosans. Plusieurs représentants de ce village s’étaient rendus auprès du missionnaire pour solliciter l’ouverture, chez eux, d’un catéchuménat en faveur de plusieurs dizaines de familles désireuses d’entrer dans l’Eglise catholique. Pour une aubaine, c’en était une. Depuis longtemps, le Père avait rêvé de contacter ces Formosans de race chinoise qu’on rencontre partout et qui forment la très grosse majorité des habitants de l’île. Attachée depuis des générations à leurs traditions, amalgame de croyances chinoises taoïstes et bouddhistes, ils étaient restés, ici comme ailleurs, en dehors du mouvement qui entraînait des milliers d’aborigènes vers notre religion. On comprend la joie du missionnaire à l’annonce du désir exprimé par ces chefs de famille de Joei Leang. En avril 1962, le catéchuménat ouvrait ses portes, qui, pendant la journée, servait de jardin d’enfants. Pourquoi faut-il que ces débuts prometteurs n’aient pas donné les résultats escomptés ? Peut-être convient-il d’en attribuer une des causes principales au manque de catéchistes compétents. Quoi qu’il en soit, le mouvement tourna court. Le catéchuménat n’a fourni que quelques baptêmes. Cet échec fut, pour le P. RONDEAU, une bien pénible déception.
Reprise en charge du district de Matsuura. L’année 1964 apporta au Père un surcroît de travail. En effet, son voisin, le P. OLRY, partit en congé en février et ne devait revenir qu’à l’automne. Le P. RONDEAU dut donc reprendre en charge le district de Matsuura, jadis évangélisé par lui. C’est pendant cette période qu’il mit à exécution son projet de construction d’une église au village de Satebo. D’un généreux bienfaiteur de France, il avait reçu une somme importante pour bâtir cette église en dur, qui serait dédiée sur le désir du bienfaiteur, à l’illustre Docteur de Milan, St Ambroise. Le 6 décembre, avait lieu la bénédiction, comme toujours en pareille circonstance, avec un grand concours de peuple.
Nouveau séjour à Béthanie (janvier et février 1965).
Au début de janvier 1965, le P. RONDEAU dut, une fois de plus, s’avouer à bout de forces. Après avoir confié son district au P. OLRY, il nous quittait le 19 janvier pour quelques semaines de repos dans cette bonne Maison de Béthanie, où il fut cette fois accueilli par Mgr LEMAIRE, supérieur, tout plein de prévenances pour notre cher malade, Celui-ci commença par séjourner une semaine à l’hôpital St Paul. Il en sortit avec la consigne de tout faire pour combattre tes effets de cette malencontreuse obésité, dont il était affligé depuis des années, et qui ne cessait… de gagner du terrain. On doit reconnaître que le P. RONDEAU n’en prit guère les moyens. La cuisine de Béthanie ne l’incitait d’ailleurs nullement à pratiquer une cure d’amaigrissement. Comme la plupart des gens de sa sorte, il fut et resta toujours un gros mangeur. Sur les conseils de Mgr LEMAIRE, il prolongea son séjour jusqu’au 1er mars. Le 4, il était de retour à Hualien.
Fête sportive à Kasuga. Les deux années 65 et 66 furent pour le P. RONDEAU une période de rémission. Sans doute, devait-il surveiller son cœur ainsi que les caprices de sa prostate, sans compter quelques misères de moindre importance, mais tout cela ne l’empêcha pas de remplir assidûment ses obligations pastorales. Un jour de joyeux rassemblement à signaler. Le 16 janvier 66, presque tous les confrères se retrouvaient à sa table pour fêter la St Marcel. L’année suivante, le 7 janvier, les missionnaires étaient à nouveau réunis au fameux village amitsu, pour assister à la grande fête sportive organisée cette année là à Kasuga, avec la participation des Jeunes chrétiens, garçons et filles, de tous les districts du secteur-sud : Fuli, Tungli, Yuli, Futien, Matsuura… Ce fut une belle réussite, telle que nous en avions déjà vues les années précédentes, en divers centres.
Dernières activités. (1968-1970) L’année 1968 s’écoula sans incident grave pour l’état sanitaire du P. RONDEAU. La vie des chrétientés continua normalement. Hélas ! en juillet 69, nouvelle alerte. Il dut faire un séjour d’un mois à Lotung d’où il revint pour passer le 15 août au milieu de ses chrétiens. Les chaleurs estivales lui furent très pénibles. Mais le moral restait étonnement bon. Il se promettait de tenir au moins jusqu’à Noël, et l’achèvement de la nouvelle église de Kasuga. Alors, mais alors seulement, il déposerait le collier. C’est dans ces courageuses et admirables dispositions qu’il réussit à passer son dernier Noël à Kasuga. Il ne lui restait plus qu’à attendre la réalisation de son ultime espoir : vois l’inauguration de cette belle église qui s’achevait. Cette joie, hélas ! ne lui serait pas accordée. Le 28 décembre, il arrivait dans un état pitoyable à la Maison régionale. Cette fois, il se rendait compte qu’il était véritablement, comme il disait “au bout de son rouleau”. Un mois de séjour ne produisit aucune amélioration. Il se sentait sous la menace d’une nouvelle crise cardiaque. Le 23 janvier, il était conduit, une dernière fois, dans la voiture du P. BRUNET, à l’hôpital des Pères Camilliens. Ce Père devait l’en ramener le 6 février.
Ce fut donc en son absente, alors qu’il était sur son lit d’hôpital, en proie à la souffrance, sa vieille compagne de toute sa vie missionnaire, que s’accomplit l’inauguration particulièrement solennelle de la nouvelle église de Kasuga, sous le vocable de Notre-Dame de l’Annonciation, choisi par le P. RONDEAU, grand dévot de la Sainte Vierge. Cérémonie grandiose avec messe chantée par le chef de la Mission et les chants de l’Ordinaire magnifiquement exécutés dans leur propre langue par une foule énorme que l’église n’arrivait pas à contenir. Jour de joie, mêlée, on le devine d’un sentiment de mélancolie répandu sur la plupart des visages. Il manquait à la fête le bon sourire de celui qui, pendant plus de 15 ans, avait été l’apôtre au grand cœur des Amitsu de toute la contrée. Après la cérémonie, Monseigneur présenta aux paroissiens leur nouveau pasteur, le Père POURRIA, déjà bien connu pour avoir été le curé du district voisin de Futien. Choix qui devait enchanter le P. RONDEAU. Son cher district de Kasuga serait en bonnes mains.
Les adieux à Kasuga : février 1970. Après deux longues semaines de traitement, notre malade était de retour parmi nous. Pour la dernière fois, il prit le chemin de son cher village, centre de ce district où il avait tant travaillé, tant souffert, tant prié. Il retrouva sa vieille maison amitsu où il passa quelques jours et quelques nuits, le temps de mettre en caisse ses vêtements (dont un vieux foulard, souvenir de Swatow), ses livres (à vrai dire il en avait peu), ses magnifiques collections de photos sur la vie amitsu, ses liasses de correspondances, son énorme cahier d’adresses (qui l’accompagnait partout). Ce qu’il n’emportait pas, à coup sûr, c’était une partie de son cœur et te souvenir d’un homme, d’un missionnaire qui avait tout sacrifié pour le salut de ses frères amitsu.
Les chrétiens de Kasuga ne se sont pas trompés. Ils ont cru à l’amour du P. RONDEAU pour eux, et c’est pour en conserver le précieux souvenir qu’ils ont fait ériger, tout près de l’église, un buste en marbre de leur pasteur, œuvre d’un artiste du pays.
L’ultime étape : Hongkong (26 mai – 19 juin 1970)
Le 23 mars, le P. RONDEAU quittait la Maison régionale et s’embarquait aussitôt pour Hongkong. Ni lui, ni personne ne se doutait qu’il se rendait là bas, au rendez-vous avec la mort. Il n’avait qu’un désir : revenir achever sa vie missionnaire dans sa Mission, au milieu de ses confrères. Pendant les mois d’avril et mai, il nous adressa plusieurs lettres dans lesquelles, sur le ton optimiste qui lui était coutumier, il annonçait son prochain retour, ajoutant qu’il espérait que Monseigneur saurait bien lui trouver “un tout petit coin” où il pourrait encore rendre quelques services avant le grand départ.
Et voilà que, brutalement, une lettre de Mgr LEMAIRE nous apprenait que notre confrère était terrassé par une crise cardiaque, à la station-départ du “Bus–7” que connaissent bien les hôtes de Béthanie. C’était le 15 juin, avant midi. Il fut immédiatement transporté dans le plus proche hôpital où il reçut le sacrement suprême, et de là, sur les indications de Mgr LEMAIRE arrivé sur les lieux, au “Queen Mary Hospital”, tout près de Béthanie. Après une très légère amélioration, consolé par la présen¬ce de Mgr LEMAIRE et de plusieurs confrères, le 19 juin au matin, il rendait le dernier soupir.
A Béthanie, ses obsèques furent célébrées avec l’assistance de plusieurs prêtres et d’une bonne centaine de chrétiens alertés par son fils spirituel, le P. LY de Swatow et son très cher et dévoué catéchiste “ROKKO”. Son corps repose, avec une phalange impressionnante d’anciens missionnaires dont les tombes s’alignent à flanc de montagne, face à la baie merveilleuse d’où le regard plonge vers le proche et immense continent chinois.
Esquisse de la personnalité du Père Marcel RONDEAU.
A la lecture de la précédente notice, le lecteur a pu se faire une idée au moins sommaire de la personnalité, de la physionomie morale du P. RONDEAU. Qu’il me suffise de marquer quelques traits, de tracer de lui un profil aussi fidèle que possible.
Ce qui fut d’emblée la caractéristique la plus frappante, la plus évidente de sa personnalité, ce fut son esprit missionnaire. Il le possédait au plus haut degré. La devise qui anima toute sa vie, qu’il mit sans faille en action et qu’il réalisa, peut-on dire, à la lettre, fut le mot fameux de St Paul, l’Apôtre par excellence qu’il aimait tant, dès le séminaire, à citer : “Omnia propter Evangelium”. Il fut lui-même un apôtre au sens plein du mot. En dehors de l’apostolat, de l’évangélisation, du travail missionnaire, rien ne l’intéressait vraiment. Parlait-on devant lui d’art, de littérature, de politique, de découvertes scientifiques, de prouesses spatiales… il se montrait généralement distrait, indifférent. Le salut des infidèles : telle était sa raison de vivre, et, on l’a vu tout le long de cette notice, avec quelle ardeur, quelle volonté, quel héroïsme bien des fois, il s’est totalement dépensé, corps et âme, allant bien au-delà de ses forces, pour en sauver un grand nombre.
Un autre trait marquant de sa riche nature, et qui rayonnait sur son visage, toujours empreint d’un accueillant sourire, c’était la bonté. Volontiers on lui aurait appliqué le mot de Bossuet parlant de l’un de ses héros : “Dieu avait mis en lui particulièrement la bonté comme sa divine empreinte.” Cette bonté foncière, il la manifestait partout, il l’exerçait à l’égard de tous, sans exception. Vis-à-vis de ses confrères, au sujet desquels, fait signe de remarque, on ne l’entendit jamais dire une parole désobligeante. Vis-à-vis de ses néophytes qu’il acceptait, qu’il aimait tels qu’ils étaient. Vis-à-vis des pauvres, des malades, des vieux, qu’il comblait de ses libéralités. Pour être assez bon, il faut l’être trop, dit-on parfois. Cela lui est, je crois, arrivé maintes fois.
Autre caractéristique de sa personnalité : le don inné qu’il possédait au plus haut point, d’entrer en relation avec tout homme qu’il rencontrait, sur le chemin, en bus, en chemin de fer. Sans complexe, sans gêne, avec le sourire, il saluait, il offrait ses services, il s’informait, il abordait un sujet de conversation. Il n’avait, certes, rien de celui qui, monté en wagon, s’installe dans son coin et se plonge dans la lecture. Tout voyage était pour lui une occasion de prise de contact. Son heureux caractère, sa simplicité cordiale lui permirent d’être l’ami de tous les non-chrétiens dans l’entourage desquels il vivait, maîtres d’école aussi bien que policiers, maires de village aussi bien que tous les “officiels”. Il se faisait une obligation de les inviter souvent à sa table. Il aimait à dire : il faut être bien avec tout le monde.
De sa physionomie spirituelle que dire ? Le Père RONDEAU était d’abord et avant tout, un homme de foi simple, profonde, et, on peut dire, sans hésitation, sans problème. Il croyait comme il respirait. Il ne cachait pas son étonnement, son incompréhension devant le désarroi de tant de chrétiens contemporains, de tant de prêtres à la foi inquiète, vacillante. De son enfance, il avait conservé une piété sans faille, animée d’une extraordinaire dévotion mariale.
Se conformant à la norme fixée par le Psalmiste, le P. Marcel RONDEAU a vécu 70 ans.
Ce fut une vie admirablement remplie, au seul service de Dieu et des hommes. Testis et amicus.
F. BOSCHET.
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References
[3292] RONDEAU Marcel (1899-1970)
Références biographiques
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