Diogène LIGEON1819 - 1889
- Statut : Prêtre
- Identifiant : 0517
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Identité
Naissance
Décès
Missions
- Pays :
- Inde
- Région missionnaire :
- 1847 - 1889 (Pondichéry)
Biographie
[0517] LIGEON, Diogène, originaire des Chapelles en Savoie, naît le 12 avril 1819 et fait ses études au petit séminaire de Moutiers. Entré laïc au Séminaire des MEP le 3 septembre 1843, il est ordonné prêtre le 6 juin 1846 et envoyé le 1er août suivant à Pondichéry.
Missionnaire ermite
Après avoir passé quelques temps à Tirouvadi, il est en 1849 ou 1850 nommé professeur au petit séminaire et directeur spécial des élèves ecclésiastiques. Pendant ses vacances en 1861, il s'offre à l'évêque pour aller prêcher dans la région de Kunnatur (1), où un chrétien de Pondichéry, nommé Perieunagayam, vient de convertir quelques indiens. Il en instruit et baptise cinquante-neuf, puis il se fixe à Vaïlamour(1), se construit une hutte en feuilles et passe ses journées dans la prière et la mortification. Il y obtient également des conversions. En 1862 ou 1863, il est nommé chef des districts d'Attipakam, Mogayour, Vellantanguel et Nangatour (1) de manière à pouvoir s'occuper de tous ses néophytes.
Curé puis provicaire
En 1867, il devient curé de Karikal (2), une des paroisses les plus importantes de la mission et en 1871, curé de la cathédrale de Pondichéry. En 1874, il est nommé provicaire et doit en même temps diriger deux congrégations de femmes : Notre-Dame de Bon Secours dont il reconstruit la maison mère et Saint-Louis de Gonzague. Il s'occupe également du grand hospice et de deux refuges. Quand il est déchargé de l'administration de la paroisse, il donne tout son temps à ces œuvres. Jusqu'à la fin de sa vie, il est l'exorciste à qui l'on s'adresse pour chasser les démons. Chaque fois il remporte sur eux la victoire par ses mortifications et par ses prières. Il termine sa belle carrière à Pondichéry le 23 mars 1889.
Sa mort attriste toute la ville où on le regarde et vénère comme un saint. Des fidèles se partagent ses habits ; d'autres déposent sur son cercueil des chapelets, des médailles et des images. Déjà en 1869, Mgr Laouënan porte ce jugement à son propos : ‘’C'est un de nos plus saints, zélés et laborieux missionnaires". Vingt ans après, en annonçant sa mort, il dit encore avec une conviction accrue : "Il a été un modèle parfait de toutes les vertus sacerdotales et apostoliques. Je ne m'arrêterai point à les décrire en détail. Qu'il me suffise de rappeler sa douceur, sa patience, son humilité, sa profonde piété, son application constante et infatigable à l'accomplissement de tous ses devoirs et, par-dessus tout, cette délicate vertu de pureté qui s'effarouchait quelquefois d'une ombre, d'un geste, d'une parole dite au hasard et sans intention".
1 – Villes ou villages proches d’Attipakam qui se situe à l’est de Pondichéry
2 – L’un des cinq comptoirs français en Inde, sur la côte de Coromandel.
Nécrologie
M. LIGEON
VICAIRE GÉNÉRAL DE PONDICHÉRY, MISSIONNAIRE APOSTOLIQUE
Né…. le 12 avril 1819.
Parti…. le 1er août 1846.
Mort….le 23 mars 1889.
Né aux Chapelles (Savoie), le 12 avril 1819, le P. Diogène Ligeon, du diocèse de Tarentaise, arriva laïque au Séminaire des Missions-Étrangères, le 3 septembre 1843. « C’était, écrit le P. Baulez, un jeune homme ardent et plein de zèle ; mais déjà, sous cette flamme brillante, on pouvait entrevoir la braise inextinguible des vertus solides, capables de résister aux désillusions de l’âge mûr, et aux souffrances de la vieillesse.
« Parti en 1846, il fut placé au Séminaire-Collège de Pondichéry, comme professeur et Directeur spécial des élèves ecclésiastiques. Cette vie calme donna à cet esprit, naturellement sérieux, une auréole de sainteté, que les souffrances physiques et morales d’une longue vie ne firent que rendre plus brillante.
« Envoyé ensuite à Attipakam, immense district qui comprenait à cette époque Nangatour, Mogour, Vijapouram, ect., il fut effrayé de la tâche qui lui était confiée. Avec son esprit pratique, il n’essaya pas de se faire illusion sur les difficultés qu’il allait rencontrer. Ses notes de retraite nous le montrent, au contraire, envisageant ces diffcultés, surtout pendant ses visites au Saint-Sacrement, et là, sous le regard de Dieu, prenant les résolutions qui devaient triompher de ces obstacles. Aussi dès le début de son ministère, le bon P. Ligeon eut des succès vraiment merveilleux.
« Les Parias de Nangatour, ébranlés par le zèle irrésistible du missionnaire, demandèrent en grand nombre le baptême, et ce fut alors que commenca dans l’Ouest de la mission de Pondichéry, ce mouvement de conversions qui ne s’est jamais arrêté. Que d’âmes sauvées depuis trente ans, grâce à cette première impulsion ! De nombreux moissonneurs ont recueilli, et recueillent encore les gerbes de ce beau champ ; mais le semeur n’est pas oublié, et ces chrétiens sont toujours les chrétiens du P. Ligeon. »
Ceux-ci lui en rendirent eux-mêmes témoignage quand, quelque quatorze ans plus tard, étant devenu provicaire, il fut député par son Vicaire Apostolique, pour examiner les dispositions des catéchumè-nes, toujours de plus en plus nombreux en ces parages. « Père, lui disaient ces pauvres gens, vous nous avez prêché autrefois, nous n’avions pas d’esprit alors ; mais vous voyez que vos bons avis n’ont pas été perdus. Nous les avions, nuit et jour, présents à la mémoire, et nous voici, à vos pieds, pour faire tout ce que vous direz.»
Le P. Bottero a eu le bonheur de passer quelques jours avec le P. Ligeon, lorsque celui-ci évangélisait Nangatour et les environs, et il a fait le récit de ce qu’il a vu et entendu. Nous allons reproduire ces lignes, qui montrent si bien le secret des prodiges accomplis par le missionnaire.
« J’étais tout jeune missionnaire à Pondichéry, quand j’entendis, pour la première fois, parler du P. Ligeon, mon compatriote. Ce vaillant apôtre du Seigneur Jésus se trouvait alors au milieu des gentils, à quarante milles environ de là, cherchant à dilater le royaume de Dieu par la prédication de l’Évangile. Je pris soudain la résolution de profiter des premiers loisirs qui s’offriraient à moi, pour aller voir de mes yeux, comment cet homme de coeur s’y prenait pour gagner les âmes à Dieu. L’occasion se présenta au mois de février 1861.
« Je me rendis à Vaïlamour, et j’eus la joie de trouver le Père entouré d’une douzaine de catéchumènes, première gerbe de la moisson que son zèle et son amour des âmes faisaient germer sous le ciel de Dieu. Ah ! son établissement n’était point somptueux, loin de là ! Un petit chaume pour chapelle, un autel construit en terre, et deux bouteilles sur le gradin, pour servir de chandeliers.
« Son instruction terminée, le Père m’invita à passer au presbytère. Il décorait de ce nom pompeux une étroite cahute, couverte de feuilles de palmiers, sans portes ni fenêtres. Je me courbai en deux pour y pénétrer. Une vieille table vermoulue, qui tremblait sur ses bases, et sur laquelle était placé un crucifix de bois, une malle dans un coin, et une méchante chaise de rotin, en faisaient tout l’ornement. Certes, personne en France ne consentirait jamais à loger ses chiens ou ses bêtes à cornes dans une aussi piètre hutte. Mais, n’ayant qu’une si pauvre chapelle pour loger son Dieu, comment eût-il osé se construire une habitation plus luxueuse ?
« En bon Savoyard qui s’y connaît en fait d’hospitalité, le P. Ligeon dépêcha son cuisinier au village, pour dévaliser le marché de toutes les friandises qui s’y donnaient rendez-vous. Après une heure d’attente. l’homme nous servit à dîner. Du riz fumant avec une tasse pleine de kari, trois oeufs qu’il était grand temps de manger, des herbes cuites à l’eau, en constituaient le menu. Nous noyâmes ces quatre substances dans de l’eau de poivre, et nous mangeâmes du meilleur appétit du monde. Pour dessert, nous eûmes des dattes et quelques bananes. Entre deux bouchées, le cher Père me racontait ses exploits au milieu des infidèles .
« Il était venu un beau jour d’été à Vaïlamour, le bâton à la main, les pieds nus, suivi d’un serviteur qui portait toute sa fortune sur la tête : sa chapelle, quelques vases de terre et un peu de linge. Il se présenta au chef du village. « Je suis, dit-il, un pauvre étranger. J’ai quitté le « monde pervers, et je désire servir Dieu dans la solitude. Voudriez-vous avoir l’obligeance « de m’indiquer un endroit isolé, où je puisse librement m’adonner à la prière ? » – Le chef lui répondit : « Nous sommes de pauvres gens, mais nous sommes honnêtes. Les prières d’un « homme aussi vertueux que vous semblez l’être, ne pourront que nous attirer les bénédictions « du ciel. Venez ; je vous montrerai un endroit écarté, où vous pourrez construire un ermitage, « et vous livrer sans crainte à la contemplation. »
« Ce disant, il l’emmène à deux portées de voix du village, lui indique un terrain vague, parsemé de palmiers et de dattiers sauvages. « C’est ici, lui dit-il ; installez-vous comme vous « l’entendrez : pas un poil de votre barbe ne tombera sans que je m’en inquiète, car je vous prends sous ma protection. » Puis, portant au front les deux mains jointes, il s’en alla en murmurant : « Vraiment, cet homme blanc a l’air d’être la pénitence incarnée. Les dieux sont « bons pour nous, puisqu’ils permettent qu’un pareil souâmi vienne sanctifier notre pays. »
« Ce soir-là et la nuit suivante, le cher Père coucha à la belle étoile, son domestique à ses pieds. Mais le troisième jour, il avait un abri. Quelques arbres coupés à la forêt voisine furent plantés en terre. On les relia entre eux par un mur de boue. Au-dessus, on plaça une légère toiture de bambous et de feuilles de palmiers. Il n’en fallait pas davantage pour le saint homme. Il bénit sa case, y répandant de l’eau sainte, et s’y installa comme un gentihomme dans son castel.
« Tour à tour le P. Ligeon construisit une chapelle, sur le modèle de la crèche de Bethléem, et une case pour servir de cuisine. Puis il se dit : « Mon installation ne laisse plus rien à « désirer. Maintenant, à moi la prière, à moi l’oraison et les pratiques de la pénitence ! »
« Tout le monde sait que les us et coutumes des Indiens sont aussi bizarres qu’anciens, et qu’il est pourtant nécessaire de s’y astreindre, si l’on veut être estimé des indigènes. Par exemple, il est de bon ton de faire enduire le sol de sa hutte avec de la bouse de vache, délayée dans un peu d’eau. Puis il ne faut sortir qu’en tenant un grand bâton d’une main, et de l’autre un petit vase de cuivre pour les ablutions. Un homme qui se respecte ne doit jamais user de boisson fermentée ni d’aucune nourriture animale. Ces coutumes-là, et tant d’autres encore, n’étant en rien contraires à notre sainte religion, le P. Ligeon s’y astreignit fort rigoureusement, afin de se faire tout à tous, pour gagner les âmes à Notre-Seigneur Jésus-Christ. Durant tout son séjour à Vailamour, même le dimanche et les jours de fête, il s’abstint de viande, et ne but jamais que de l’eau du torrent. Il en avait du reste une longue habitude, et il eût pu être un sujet d’édification, même aux Chartreux les plus rigides, en ce qui regarde le boire et le manger.
« Le cher Père passait ainsi ses journées dans l’exercice de la mortification chrétienne, et dans de douces et intimes communications avec son Dieu. Les villageois allaient et venaient pour savoir ce que pouvait bien faire le djôghi européen. Ils le surprenaient célébrant le Saint Sacrifice, récitant ses heures, égrenant son rosaire ou plongé dans les célestes méditations. Durant près d’un mois, personne n’osa lui adresser la parole quand il prenait sa courte récréation ; encore moins l’interrompre lorsqu’il était en prières. Enfin, quelqu’un se hasarda un jour à lui demander qui il était, et pour quel motif il était venu.
« Le saint homme leur dit : « La vie est courte ; elle ne nous a été donnée que pour mériter « la béatitude éternelle dans un monde meilleur. Or, pour obtenir le ciel, il faut aimer et servir « Dieu, seul créateur du monde et de tout ce qui existe ; il faut encore faire pénitence pour les « péchés que l’on a commis, et vaincre ses passions mauvaises. » Partant de là, le vénérable missionnaire leur faisait toucher du doigt la fausseté du culte qu’ils rendaient à leurs divinités, et il leur expliquait, en un style à la fois simple et onctueux, les vérités de la foi chrétienne.
« Les pauvres villageois ne trouvaient rien à répliquer. Comme les disciples d’Emmaüs, ils éprouvaient dans leur cœur je ne sais quelle noble émotion, et quel vague désir de suivre les avis de ce saint homme. Mais, qu’il y a loin de la coupe aux lèvres ! et comme il est difficile à l’homme de courber le front, de brûler ce qu’il a adoré et d’adorer ce qu’il a toujours méprisé ! Les villageois se retirèrent la tête basse, en disant : « Ce que le Père nous dit est « vrai ; mais comment faire ? Nous ne pouvons pourtant pas quitter notre caste, notre famille « et les traditions de nos ancêtres. » En attendant, ils allèrent au village, et répétèrent aux autres ce qu’ils avaient entendu.
« Les jours suivants, nouvelles visites, nouvelles instructions. Les savants de l’endroit vinrent proposer des difficultés, faire des objections, solliciter des explications. Un second mois ne s’était pas écoulé, que plusieurs se sentaient ébranlés, et songeaient sérieusement à se faire baptiser. Le missionnaire recommandait ces âmes à Dieu, et pour se le rendre favorable, il redoublait ses oraisons, et offrait au Seigneur Jésus de nouvelles mortifications.
« Enfin, Dieu fut touché : une bonne âme se fit baptiser, puis une autre, puis plusieurs autres. Déjà le P. Ligeon pouvait raisonnablement espérer que tout le village abandonnerait le culte des faux dieux, et se soumettrait à Jésus-Christ ; déjà il rendait à Dieu ses humbles actions de grâves, en prévision de ce grand bienfait. Mais il ne tarda pas à voir que le démon n’entendait pas rendre les armes sans combat.
« Un jour qu’il présidait à l’exercice du saint Rosaire, voici que plusieurs catéchumènes ou néophytes sont subitement saisis par l’esprit malin, et se mettent à tourner comme des toupies, en proférant des sentences extravagantes, à la grande frayeur des assistants. Par leur bouche, le démon commence à ricaner sur les mystères du Christianisme, et à pronostiquer tous genres de malheurs à ceux qui auraient l’audace d’abandonner le culte des idoles.
« Le P. Ligeon fut grandement affecté à ce spectacle. Il sentait bien que, si l’esprit malin n‘était pas immédiatement réfuté et vaincu, les pauvres néophytes étaient fort exposés au découragement, et peut-être se laisseraient aller à l’apostasie. Que faire ? par quel moyen forcerait-il le diable à capituler ? Sa résolution fut vite prise. Il fallait s’humilier profondément pour vaincre le superbe : le missionnaire se jette à genoux, le front contre terre, et il commence à réciter le psaume Miserere mei, Deus.
« Il n’avait pas fini son oraison que, tout à coup, il entend un grand bruit. Il se retourne, et il voit les possédés, renversés dans la poussière et privés de connaissance. Il les asperge avec l’eau bénite, et bientôt, il a le double plaisir de les voir se relever complètement délivrés, et de les entendre invoquer le nom de Jésus. »
Ainsi se firent les premières conversions à Vaïlamour ; ainsi commença cet admirable mouvement qui, se développant peu à peu, amena la création de plusieurs districts, où, comme nous l’avons vu, il n’y avait que celui d’Attipakam. Nangatour, Mogour, Vettavalam, Vicravandhy, Alladhy, devinrent successivement les centres de chrétientés, dont la moindre compte jusqu’à trois mille néophytes.
Mais ces Indiens qui venaient ainsi augmenter le nombre des adorateurs du vrai Dieu, appartenaient aux castes infimes, surtout à la classe des parias. Le P. Ligeon rêva aussi de gagner et de convertir les tamougers. Ici, le succès ne répondit pas de même à ses efforts.
« Car, comme le dit le P. Baulez, le diable, qui, aux premiers siècles de l’Église, lâchait les esclaves et se réservait les sénateurs, veillait sur ses nobles, et résolut de lutter plus que précédemment contre ce jeune prêtre, qui lançait des pierres dans son jardin zoologique. Les tamougers résistèrent ; l’apôtre s’obstina, le diable riait. Après une lutte de plusieurs mois, on en était toujours au pauperes evangelizantur : les parias montaient vers Dieu, leurs maîtres descendaient vers l’abîme.
« Le Père comprit à quels démons il avait affaire ; il se dit que là où les apôtres avaient perdu leur latin, il ne pouvait, lui, manquer de perdre son tamoul. Il ferma son dictionnaire, prit son cœur à deux mains, et, déterminé à tuer son pauvre corps pour sauver ces chères âmes, il se mit à faire pénitence plus que jamais, ne mangeant que des herbages et ne parlant à personne. Voici une note de Retraite qui est comme le cliché sur lequel a été imprimée cette belle vie sacerdotale : « Je suis un échappé de l’enfer : pourquoi ne ferais-je pas pénitence ? « Je suis dans un lieu d’exil : pourquoi ne prendrais-je pas toutes choses en esprit de « pénitence ? Je suis un grand pécheur : pourquoi ne me livrerais-je pas à la pénitence ? La « pénitence est le nerf et comme la vie de l’âme : pourquoi ne l’aimerais-je pas ? »
« Les macérations ne réussirent pas à convertir les païens de caste. Ils s’étonnèrent de voir un Européen vivre ainsi ; ils vinrent en foule voir le grand pénitent, mais bientôt le vide se fit autour du pauvre reclus, et il partit pour Vadougarpatty, le cœur brisé, et l’estomac délabré pour toujours. Le triomphe du démon ne fut cependant que local.
« A partir de cette époque, le P. Ligeon devint l’ennemi personnel de Satan, l’exorciste par excellence, le grand balayeur des âmes souillées. De tous côtés on lui amenait des malheureux, obsédés ou possédés par le démon. Chaque fois, l’estomac recevait un nouveau coup, mais le diable quittait sa victime. Que de mortifications ce ministère coûta au bon. Père ! Il passait de longues journées et de longues nuits in orationé et jejunio, et toujours la pénitence, unie à la prière, venait à bout du vieux serpent, entêté à perdre les âmes. Le Père prêchait, administrait, conseillait, reprenait, mais le travail extérieur n’était jamais qu’une prière. Au milieu des difficultés, des peines, des contradictions du ministère sacerdotal, il priait avec le même calme que le séminariste sur son prie-Dieu ; son oraison a duré toute sa vie, et sa douce mort en a été le bouquet spirituel. De Vadougarpatty, le Père fut envoyé à Karikal comme curé.
« Là, comme partout, il trouva le diable, mais mieux vêtu, plus poli et plus civilisé. Il profita de cette courtoisie semi-européenne pour embellir l’église, fort belle, mais manquant de tout. La sébile du pauvre à la main, le curé se mit à quêter. Il commença par le chef de service, celui-ci s’inscrivit pour dix roupies. « Oh ! oh ! je vous suis bien reconnaissant , dit le « Père, mais ce n’est pas assez ; il faut mettre cinquante roupies, car personne n’osera donner « plus que vous. » Le chef de service s’exécuta, et grâce à ce bon exemple, la souscription alla grand train, et l’église de. Karikal eut bientôt des autels en marbre, une grille magnifique, des vitraux, etc. Quand le P. Ligeon eut vidé la bourse de ses paroissiens, il s’installa sans peine dans leur cœur : on disait : « Le Père est un terrible quêteur, mais il demande si bien, « qu’il n’est guère possible de refuser ce qu’il de mande. » D’ailleurs le Père admettait fort bien que l’on refusât, jamais ni reproches ni plaintes, seulement il entonnait son petit oh !oh ! et il attendait. Fatigué de le voir attendre, on payait. Une fois la charité admise et pratiquée, les objectoins contre la foi tombent d’elles-mêmes. On venait d’abord à l’église pour voir les belles choses que l’on avait achetées, puis on s’agenouillait devant sa grille, et l’on finissait par communier à son autel.
« Quand le bon Père Ligeon fut appelé à Pondichéry, pour être curé de la cathédrale, il y eut un long cri de douleur parmi les chrétiens qui le perdaient . Mais le bon Dieu avait fait du saint prêtre une copie divinement exacte, et ce fut cette copie qui remplaça le noble modèle. A la mort du P. Dupuis, le P. Ligeon fut nommé provicaire. Il remplaça ce missionnaire admirable, comme le P. Giraud l’avait remplacé lui-même. Quand un fruit mûr se détache de l’arbre, un autre fruit non moins beau, non moins doux, fait presque oublier la beauté de celui que le maître du jardin a recueilli pour sa royale table. Ainsi les missionnaires de Pondichéry, à la mort du P.Dupuis, furent heureux de voir un ami remplacer un ami, un saint prendre la place d’un saint.
« Le P. Ligeon était, avant tout et par-dessus tout, un bon et saint prêtre. Il possédait à un haut degré les qualités qui font l’homme remarquable : jugement droit, aménité de caractère, patience absolue au milieu des épreuves de la vie, franchise parfaite, unie à une admirable prudence. Mais on ne disait pas : Le P.Ligeon a telle ou telle qualité ; il pratique telle ou telle vertu ; quand on parlait de lui, un mot suffisait ; on disait : « C’est un saint », et cette manière de définir ce beau type sacerdotal était générale, absolue, sans une seule exception parmi les chrétiens comme parmi les païens, chez les laïques comme chez les missonnaires. Le P. Ligeon n’eut jamais d’ennemis ; et certes, il eût été bien malheureux, celui qui se fût déclaré l’ennemi d’un tel ami. Car il était bien réellement et sincèrement l’ami de tous et l’ami de chacun. Quel trésor d’affection dans ce coeur si dur pour lui-même ! On eût dit que les mille petites tendresses personnelles, auxquelles il avait renoncé, étaient tenues en réserve pour ceux qui avaient besoin de consolation.
« Et quelle discrétion dans cet homme, dépositaire de tant de secrets intimes, confident de tant de douleurs ! On pouvait tout dire à ce père, toujours prêt à tout écouter ; rien ne paraissait l’étonner ; il écoutait les plaintes, les aveux humiliants, les reproches amers, avec une bénignité toujours égale, une patience toujours inaltérable, une gravité toujours cordiale. Jamais on ne pouvait savoir ce que d’autres avaient pu lui dire ; et l’on était assuré qu’il garderait ainsi ce qu’on lui disait soi-même. Cette discrétion absolue donnait aux rapports que l’on avait avec lui, un charme, qui était à lui seul une consolation véritable. Quand le coeur est blessé, il lui suffit souvent de pouvoir montrer sa blessure, pour obtenir la guérison. Quand deux frères se plaignent entre eux de leur père, ils pèchent souvent, et la plaie s’envenime au lieu de guérir. Mais, que la même plainte soit confiée à une mère tendre et prudente : un mot de sa part, une caresse silencieuse, et tout est oublié. Le cœur opprimé reprend ses battements ordinaires, la bouche retrouve son sourire, et les larmes mêmes ont une exprimable douceur. Le P. Ligeon, si dur, si inexorable pour lui-même, était la mère de tous ceux qui l’approchaient. Que d’âmes brisées ont retrouvé courage et force, sur cette poitrine gonflée d’amour divin ! Que de découragements se sont changés en brûlantes ardeurs, aux pieds de ce vieillard si doux ! Que de plaies examinées, pansées, guéries par cette main, aussi chaste que forte et sûre ! Toute la journée, sa porte était assiégée par les pauvres, les malades, les affligés. Il recevait tout le monde, il écoutait toutes les plaintes, il avait une bénédiction pour toutes les douleurs, et tous, toujours, le quittaient consolés, heureux, souriants.
« Le P. Ligeon fut chargé de la direction du couvent de N-D. de Bon-Secours, de celui de Saint-Louis de Gonzague, du grand Hospice et des deux Refuges. Dans ce ministère difficile, il eut besoin de toute son admirable énergie et de sa merveilleuse patience, pour triompher des mille petites tracasseries qui lui furent suscitées .
« Déchargé de la paroisse, il entreprit de bâtir un nouveau couvent, pour les religieuses de N.-D. de Bon-Secours. Il se remit à quêter, comme à Karikal, et ce vieillard, usé par l’âge et la plus étonnante mortification, parvint à recueillir plus de vingt mille roupies pour son oeuvre de prédilection. Avec quelle joie il suivait les travaux et dirigeait les ouvriers ! Quand la chapelle fut achevée, avec quels transports il y installa le Dieu qui renouvelait sa jeunesse ! Il allait lui-même, chaque jour, faire la classe à ses religieuses, et sa pieuse direction leur donnait cet esprit de simple humilité, qu’il estimait au-dessus de tous les trésors de la terre .
« Et cependant, cet homme si bon, si doux, si patient, si saint, était, comme tous les saints, éprouvé sans cesse au creuset des souffrances intimes. Sa correspondance privée par de sécheresses, d’aridités spirituelles, qui ont duré de longues années. Comme le curé d’Ars, il en vint à désespérér de son salut. Il se regardait comme un serviteur inutile, et songeait à se retirer à la Trappe, pour échapper à la lourde responsabilité du ministère apostolique. Et ce prêtre faisait, chaque jour, deux heures d’oraison ; sa vie entière était en Dieu, il ne pensait à lui-même que pour se haïr, aux autres que pour les sauver ! Et c’est lui qui écrivait, dans ce petit cahier qu’il est impossible de lire sans émotion : « Pauvreté, abjection, mépris, souf- « frances, venez fondre sur moi ! »
« Le 17 mars de cette année (1889), le P. Ligeon fut pris d’un violent accès de fièvre, et, dès le lendemain, une arthrite se déclara au bras droit et aux articulations de la jambe droite. Neuf ans auparavant, il avait souffert de cette même maladie, qui le retint longtemps sur son lit ; c’est alors qu’il eut une espèce de vision. Le P. Desaint, qui le soignait, raconte ainsi cet épisode remarquable :
« Un matin, lorsque j’allai le voir, il me dit « J’ai vu clairement cette nuit toute l’économie « de ma maladie. Cette famille sera sauvée – Quelle famille ? demandai-je. – Oh ! c’est une « famille à laquelle je m’intéresse beaucoup, et qui est dans une triste position. J’ai demandé à « souffrir pour son salut, mais je ne croyais pas être exaucé de cette façon. Il m’a été « clairement montré que ma maladie serait le salut de cette famille. Mais il y avait dans la « vision un « nombre 10 tres brillant, en argent, je n’ai pu avoir l’explication de ce chiffre. » Je lui dis alors : « Mais c’est bien simple, c’est encore dix ans de vie que le bon Dieu vous « accorde. » Mais le P. Ligeon n’a jamais voulu admettre mon interprétation. Il me dit : « Non, je crois que ce 10 signifie dix semaines de maladie ; vous verrez. » Et en effet, c’est juste la dixième semaine qu’il est descendu à sa chambre, et ce jour-là, il me le fit remarquer et me dit : « Vous voyez que le no 10 signifiait bien dix semaines. » L’interprétation de dix ans de vie vient donc uniquement de moi, et n’a jamais été admise par le P. Ligeon. »
« Comme, au moment de la rechute, neuf ans seulement s’étaient écoulés depuis cet épisode, on espéra d’abord une nouvelle guérison. Mais il fallut bientôt renoncer à cet espoir, et, dès le 19 mars, fête de saint Joseph, le bon Père reçut les derniers sacrements, au milieu des confrères, profondément édifiés de sa grande foi, de son humilité et de sa parfaite résignation à la volonté de Dieu. Après avoir reçu l’Extrême-Onction, le vénérable malade dit en souriant au P. Pécheur : « Allons, c’est une affaire réglée, me voilà content, et maintenant, « à la sainte volonté de Dieu ! »
« Les Religieuses qu’il dirigeait ayant obtenu la permission de venir le voir, se mirent à genoux autour de son lit, étouffant leurs sanglots. « Pourquoi pleurez-vous ? leur dit le Père ; « ne craignez rien, le bon Dieu est là. » Peu après, le P. Pécheur lui fit donner, du bras gauche, une dernière bénédiction à cette chère famille. Le Père s’affaiblit de plus en plus jusqu’au 23 mars ; dans l’assoupissement où il était tombé, il remuait sans cesse les lèvres, comme quelqu’un qui prie à voix basse. Enfin le samedi 23 mars, le cher et vénéré Père, sans agonie, sans effort, rendit au Seigneur la belle âme qu’il avait gardée si pure, et l’on put dire de lui en toute vérité : Non peccavit labiis suis, neque stultum quid contra Deum locutus est.
« La mort de ce saint prêtre fut un deuil public ; une foule immense vint prier autour de ses restes vénérés ; on appliquait sur le cercueil images, chapelets, médailles ; et les habits abandonnés du pauvre missionnaire, furent partagés entre des centaines de personnes, dési-reuses de conserver un souvenir de l’ami des pauvres, du consolateur des affligés, du père de tous. Ses funérailles furent plutôt un triomphe qu’une cérémonie de deuil. On peut dire que tout Pondichéry y assistait, et le souvenir de cette grande journée de la reconnaissance restera longtemps, comme un témoignage touchant de ce que peut la rosée de l’amour divin, pour féconder même une terre ingrate. »
Le lendemain des funérailles, Mgr de Pondichéry faisait part à ses missionnaires de la perte douloureuse qu’ils venaient de subir ; le bel éloge qu’il fait du vénéré défunt, est aussi un enseignement :
« Nous perdons tous, écrit Sa Grandeur, dans le P. Ligeon, un confrère aimé et respecté, un ami sûr, un confident dans le sein duquel nous pouvions avec une pleine sécurité verser nos peines et nos préoccupations, et surtout un modèle parfait de toutes les vertus sacerdotales et apostoliques. Je ne m’arrêterai point à les décrire en détail. Qu’il me suffise de rappeler sa douceur, sa patience, son humilité, sa profonde piété, son application constante et infatigable à l’accomplissement de tous ses devoirs, et par-dessus tout, cette délicate vertu de pureté qui s’effarouchait quelquefois d’une ombre, d’un geste, d’une parole dite au hasard et sans intention.
« Mais ce que je désire surtout faire ressortir en cette vie, si riche de vertus et de mérites, c’est l’unité constante de sa conduite, c’est sa parfaite fidélité à sa vocation. Dès l’époque de son entrée au Séminaire des Missions, en septembre 1843, M. Ligeon était déjà maladif ; mais ses souffrances presque continuelles ne l’empêchèrent jamais de suivre tous les exercices de la maison ; pendant le long voyage que nous fîmes ensemble pour venir dans l’Inde, il ne fut pas un jour sans souffrir du mal de mer, et jamais il ne s’en plaignait. Depuis son arrivée en mission, quelque poste qu’il ait occupé, quelque emploi qu’on lui ait confié, dans le ministère auprès des chrétiens de l’intérieur, aussi bien qu’à Karikal et à Pondichéry, dans l’enseignement et la direction des communautés religieuses, nous l’avons toujours vu égal à lui-même, simple, appliqué, ne s’écoutant jamais, quelle que fût la fatigue ou la souffrance. Et c’est ainsi qu’avec des talents extérieurs qui ont pu sembler modestes, il a obtenu en tous les emplois les plus grands succès, il a mérité l’estime, la vénération et l’affection de tous ceux qui l’ont connu, il a sauvé un très grand nombre d’âmes et laissé après lui, avec les plus sincères regrets, la réputation d’un saint prêtre et d’un saint missionnaire.
« En priant pour le repos de son âme, rappelons-nous, Messieurs et chers Confrères, les exemples qu’il nous a donnés, et comme lui, nous mourrons pleins de mérites devant Dieu et d’honneur auprès des hommes.
« Pour moi, s’il m’est permis de parler de moi-même en une telle circonstance, je pleure l’ami de ma jeunesse, de mon âge mûr et de ma vieillesse. Nous entrâmes ensemble, en 1843, au Séminaire de Paris ; nous reçûmes ensemble tous les ordres ; nous vînmes ensemble dans la même mission ; je puis dire que nous ne nous sommes jamais quittés jusqu’à ce jour. Veuillez-prier Dieu, Messieurs et très chers Confrères, pour qu’il m’accorde une mort semblable à celle de ce bon et fidèle ami, afin que j’aille avec lui chanter ses miséricordes pendant toute l’éternité. »
Références
[0517] LIGEON Diogène (1819-1889)
Notes bio-bibliographiques. - C.-R., 1902, pp. 251, 253. - M. C., vi, 1874, Evangélisation des parias, p. 625 ; xiii, 1881, p. 268.
Hist. miss. Inde, Tab. alph. - Vingt ans dans l'Inde, p. 167.
Notice nécrologique. - C.-R., 1889, p. 294.