Paul RENAUD1909 - 1981
- Status : Prêtre
- Identifier : 3516
- Archives : Dossier personnel de Paul Renaud
Identity
Birth
Death
Missions
- Country :
- Vietnam
- Mission area :
- 1934 - 1967 (Kontum)
Missionaries from the same family
Biography
[3516] RENAUD Jean, Paul, Louis, Joseph, est né le 21 juin 1909 dans la paroisse de Malbuisson, dans le diocèse de Besançon. Il était le sixième enfant d'une famille profondément chrétienne. Paul avait une soeur qui fut religieuse dans la Congrégation des Soeurs de la Charité de Sainte Jeanne Antide Thouret. Un de ses neveux, le Père Paul Renaud est missionnaire au Japon. C'est dans cette famille authentique, église domestique", que Paul s'éveilla à une foi solide nourrie par une piété profonde sans ostentation.
Après ses études primaires à Malbuisson, il entra au Petit Séminaire de Maîche (1921-1927) puis au Séminaire de Philosophie de Faverney. Son désir d'être prêtre s'est affermi, mais en même temps, c'est vers l'apostolat en pays de mission que le portent ses pensées. Le 22 septembre 1929 il entre à Bièvres. Après son service militaire et ses trois années de théologie, il est ordonné prêtre le 1er juillet 1934. Quelle est sa destination ? C'est la mission de Kontum, sur les Hauts Plateaux du Viêt Nam. Paul Renaud est heureux. C'est une mission pauvre et rude. Il peut la considérer comme un "cadeau" que les supérieurs font au premier vicaire apostolique de cette mission... Mgr. Martial Janin, sacré en 1933 et qui est franc-comtois lui aussi.
Paul Renaud arrive à Kontum dans le courant octobre 1934. Le personnel de la mission est séduit : dix prêtres M.E.P et dix prêtres vietnamiens. Aussi est-il fêté en grand liesse. Il se met à l'étude de la langue vietnamienne, car la mission, surtout à Kontum et dans les environs, compte une assez importante communauté catholique vietnamienne. Mais ce sont les Moïs, les "sauvages" qui constituent la masse de la population des Hauts Plateaux. Combien sont-ils du nord au sud, 800.000... 1 millier... on ne sait exactement. Ils sont répartis en plusieurs groupes : les Rhés, les Sedangs, les Bahman, les Jaraïs (les plus nombreux), les Rhadés, les Mhmongs, les Kohos. Chaque groupe a son dialecte propre (c'est un cauchemar pour les jeunes missionnaires qui doivent penser à devenir polyglottes.
Ayant acquis un bagage suffisant de vietnamien, le Père Renaud est affecté chez les Sedangs. Deux anciens missionnaires avaient oeuvré dans les larmes et les sueurs, mais les durs Sedangs demeuraient imperméables à l'Évangile. Dieu avait son heure et voici que les villages entiers demandaient à "prier". Par la voix de leurs chefs, ils avaient exprimé la volonté de renoncer à leurs "superstitions". Et c'est au Père Renaud que Mgr. Janin confia le grand district de Dak-Tô; pratiquement tout le nord de la mission jusqu'à la frontière du Laos. Région montagneuse qui ne le dépaysa pas trop, bien que les sommets fussent plus élevés que ceux de sa Franche-Comté natale.
Tout est à faire, à commencer par l'habitation : une case en bambou couverte de "paillote". Pendant quelques mois, il habite à Kou-Ho'jao, à 15 km de Dak-Tô, pour apprendre les premiers rudiments du dialecte Sedang et surveiller la construction de sa "case-résidence-chapelle". Quand tout fut achevé, il s'installa. Désormais chez lui, au milieu des Sedang. Il y restera 32 ans pour "planter" l'Église.
Avec patience et ténacité, le Père Renaud s'applique à la formation de ses quelques catéchistes, à l'instruction des jeunes et des vieux. Il en fera des chrétiens solides qui sauront résister à la persécution des communistes vietnamiens quand ceux-ci occuperont le pays en 1975. Chaque année, deux ou trois villages viendront demander leur entrée au catéchuménat. On ne peut imaginer les kilomètres parcourus à pied, les heures de palabre, les nuits trop courtes, l'alimentation quelconque, d'autant plus que le Père Renaud souffre d'une vésicule biliaire capricieuse. N'oublions pas les accès de paludisme qui abattent les plus robustes. On le voyait parfois le visage fatigué et portant la main à son foie. Le Père Renaud ne gémissait pas, il allait comme ses confrères à Kontum. Il se soignait tant bien que mal, plutôt sommairement. Il était bien difficile de faire autrement dans ce coin reculé qu'était la région de Kontum.
Le champ du Seigneur s'agrandissait. Commencé avec trois villages en 1935, le district chrétien de Dak Tô dut être divisé et donner naissance à deux nouveaux centres chrétiens : Kou-Honong, et, plus tard, au nord, Dak-Kola. Vingt ans d'apostolat au pays Sedang avaient porté leurs fruits.
Le Père Renaud était un réaliste. A Dak-Tô, il construisit une résidence et une église en matériaux solides. Heureuse initiative et pour les chrétiens qui pouvaient participer aux offices dans une "maison de Dieu", qui était belle sans être riche... et pour le missionnaire qui, au retour de ses tournées, pouvait se reposer dans un lieu plus adapté avec un minimum de calme et de tranquillité.
Dans les services de la mission : En 1940, le nouveau vicaire apostolique, Mgr. Sion, confia au Père Renaud la charge de procureur. A la lourde responsabilité de l'école des catéchistes, cette remarquable institution fondée par Mgr. Janin, véritable ossature de la mission. Qu'eut elle été et que serait-elle devenue sans les catéchistes ! Le Père Renaud qui les avait vus à l'oeuvre se donna à fond à cette nouvelle fonction : instruire, éduquer, former ces auxiliaires précieux du missionnaire. En 1949, il est nommé provicaire (vicaire général) et en 1951 devient administrateur apostolique, quand Mgr. Sion se retire pour raison de santé.
La situation sur le terrain est délicate. La guerre entre la France et le mouvement nationaliste, entièrement contrôlé par le parti communiste vietnamien, dure depuis quatre ans. A Kontum, il y a des paroisses et des prêtres vietnamiens. Dans ces heures douloureuses, le Père Renaud garde son calme, évitant toute décision qui pourrait blesser, prenant conseil et ramenant à la raison chrétienne certains excités.
Malgré ces handicaps qui durent, la mission continuait, n'ayant pas trop à souffrir de la guérilla. En 1951, il n'hésite pas à lancer la mission chez les Rhadés (ethnie de 130.000 membres, à 250 km au sud de Kontum). Aujourd'hui, il y a 10.000 baptisés et 5.000 catéchumènes rhadés dans le diocèse de Ban Mê Thuot.
En 1952, Mgr. Seitz, nouveau vicaire apostolique, arrive à Kontum. Il vient de Hanoi et ignore tout de la mission dans les Hauts Plateaux du Viêt Nam. Il a la grande sagesse de garder près de lui le Père Renaud qui peut, malgré tout, retrouver ses chers Sedangs à Dak Tô.
La situation politico-militaire a évolué bien mal. La fin de la bataille de Diên Bien Phu et les accords de Genève (juillet 1954) et l'accession du Viêt Nam Sud à l'indépendance, modifient bien des choses... et sur le terrain et dans les esprits. Le Père Renaud donne sa démission de provicaire. Il est remplacé par un vicaire général vietnamien.
En 1958, il est élu "supérieur local", c'est-à-dire responsable des missionnaires M.E.P qui travaillent dans la mission, dans le diocèse, puisque la hiérarchie a été établie au Viêt Nam. Son expérience des "hommes", son tact, font de lui un homme de "bon conseil". Mais sa santé (paludisme et foie) est en piteux état. En 1964, il doit laisser sa charge de supérieur local et les Sedangs. Lors d'un séjour à Saigon, fin 1966, il est victime d'un sérieux malaise. En avril 1967, il est rapatrié en France, usé. Il ne pense pas que ce départ ait un caractère définitif, mais la Faculté est formelle : le Père Renaud ne doit pas vivre éloigné d'un médecin.
En France : secrétaire de l'archevêque de Marseille.
En 1968, le missionnaire des fiers Sedangs devient secrétaire de Mgr. Jacquot, archevêque de Marseille, franc-comtois comme lui et condisciple de séminaire. Et lorsque Mgr. Etchegaray est nommé pour remplacer Mgr. Jacquot décédé subitement en septembre 1970, il garde le Père Renaud comme secrétaire :"il était l'âme de la maison pour ceux qui y habitent, mais aussi pour tous ceux qu'il accueillait d'une égale humeur à la porte ou au téléphone", écrivait le Cal Etchegaray dans le message qui fut lu lors des obsèques du Père Renaud. "Tout le clergé marseillais a fait plus qu'apprécier, il a aimé ce vieil homme, en soutane vietnamienne, qui accueillait avec un regard de gentillesse ceux qui venaient, lui qui, au Viêt Nam, avait un regard de chef", écrivait de son côté un membre éminent du clergé de Marseille. Ces témoignages ne surprennent pas quiconque a connu le Père Renaud.
Il reste treize ans au service de l'Église de Marseille.
En août 1981, il revient en Franche-Comté pour se reposer quelques jours. La chaleur de Marseille l'accable. La vésicule biliaire, l'arthrose... un ulcère variqueux le font beaucoup souffrir. Le lundi 24 août il respire avec difficulté. Il est hospitalisé à Pontarlier et, dans la nuit du jeudi 27 août, il s'éteint calmement.
Les obsèques sont célébrées le 29 dans l'église de son baptême à Malbuisson. Mgr. Seitz, ancien évêque de Kontum, préside l'Eucharistie entouré de 47 prêtres dont le Père Paul Renaud, missionnaire au Japon, neveu du défunt et 11 confrères M.E.P. Une foule nombreuse participait à la cérémonie. Au cours d'une messe célébré à Notre-Dame de la Garde pour le Père Renaud, le Cal d'Etchegaray déclarait : "Pour avoir tout quitté, dans le but de vivre au milieu d'une pauvre tribu des confins du Viêt Nam et du Laos... Le Père Renaud a éprouvé dès ici-bas, au centuple, la joie de vivre parmi les siens. Mais lui le comptable minutieux de la maison, ne tenait pas de comptes spirituels, il lui a suffit d'entendre le résultat de l'addition générale : la vie éternelle."
L'homme, le missionnaire :
S'il eût entendu de son vivant ces éloges, le Père Renaud serait resté froid. Il avait le caractère calme, réfléchi et tenace des montagnards. Quand la décision était prise, il ne revenait pas en arrière. Pour convaincre un interlocuteur, il n'hésitait pas à écrire de longues lettres, à parler, à dialoguer longuement. Il plaçait au-dessus de tout l'oeuvre de l'Église... Et s'il écoutait les petits intérêts humano-humains, il s'efforçait de faire comprendre qu'ils devaient être dépassés pour la Mission, l'Évangélisation.
La foi profonde imprégnait tout son travail, ses soucis, ses souffrances physiques qu'il portait avec patience. Sa sollicitude pour faire progresser ses baptisés était constante. Il prêchait "à temps et à contre temps". Ses efforts n'auront pas été vains. La guerre et la persécution communiste n'ont pas ébranlé ces chrétiens. Une de ses chrétiennes qu'il avait baptisée il y a bien longtemps écrivait le 3 octobre 1981 :" Le district de Dak-Tô ne pourra oublier le Père Renaud . Il a ouvert la porte du paradis à de nombreux Sedangs. Il a été si longtemps parmi nous."
Dans des circonstances différentes, mais avec la même foi au Maître de la Moisson, le Père Renaud a marché sur les traces des grands pionniers de la "Mission des Sauvages" : Danisboure, Vielleton, Kemlin, Querlach, Bonnal, Janin, Hutinet.
Obituary
Le Père Paul RENAUD
Mission de KONTUM
1909 - 1981
RENAUD Jean-Paul
Né le 21 juin 1909 à Malbuisson — Doubs — diocèse de Besançon
Entré aux Missions Etrangères le 22 octobre 1929
Prêtre le 1er juillet 1934 — Destination pour Kontum (Viêt-Nam)
Parti le 16 septembre 1934
En Mission : de 1934 à 1967
En France : Evêché de Marseille de 1968 à 1981
Décédé à l’hôpital de Pontarlier le 27 août 1981
Inhumé à Malbuisson le 29 août 1981
Voir carte nos 1 et 1 bis
Enfance et jeunesse
Au village de Malbuisson, dans la jolie maison si joliment dénommée aujourd’hui « les Clarines », face à la montagne couverte de pins, adossée à un lac magnifique, naissait le 21 juin 1909 le 6e enfant de la famille de Joseph Renaud. C’est dans cette même maison que son corps sera exposé tout au long des 28 et 29 août 1981. C’est dans l’église du village, où il devint enfant de Dieu le 29 juin 1909 par le baptême, qu’ont eu lieu ses funérailles le 29 août après-midi. Son corps repose dans le petit cimetière attenant à l’église, dans le même caveau que ses parents, son frère Félix et sa sœur religieuse, Sœur Marie-Chantal décédée en 1974. Ainsi s’est terminée, là où elle avait commencé, une vie toute donnée à Dieu et à l’Eglise, une sorte de retour aux sources. Mais entre ces deux événements, plus de 72 années ont passé, 72 années de travail et de service.
Paul Renaud naquit dans une famille très chrétienne. Il parlait peu de sa mère. Par contre, il était plein de respect, d’admiration et de reconnaissance pour son père : homme droit, travailleur, intelligent et qui avait démarré la prospérité de la famille. Il était mi-paysan, mi-exploitant de bois. Les immenses forêts avoisinantes fournissaient une matière inépuisable pour la scierie qu’il créa et qui existe encore, mais tout à fait modernisée. Si la configuration du terrain et le climat ne sont pas favorables à la culture des céréales, par contre les pâturages sont gras et verdoyants.
Les six enfants de la famille Renaud furent élevés dans la piété et l’amour de Dieu, dans la droiture de la conscience. Dans les conseils, dans les exemples donnés par les parents, dans l’enseignement du catéchisme reçu du curé de la paroisse, le petit Paul puisera une foi solide et une piété presque méticuleuse, lui ainsi que son frère et ses sœurs. Il n’est donc pas étonnant que dans un tel climat familial soient nées des vocations. Une de ses sœurs se consacra à Dieu dans la congrégation des Sœurs de la Charité de Besançon ; un de ses neveux qui porte le même nom et le même prénom est aujourd’hui missionnaire au Japon.
Paul avait beaucoup regardé travailler son père et il en avait retenu une espèce de « religion » du bois qu’il gardera toute sa vie. Un bel arbre le faisait « palpiter ». Tout naturellement il voyait tout de suite ce qu’il pourrait en tirer comme planches ou poutres pour des constructions.
Après ses études primaires à Malbuisson, il entra au petit séminaire de Maîche (1921-1927). Son désir de devenir prêtre, comme son oncle professeur au grand séminaire de Besançon, le conduisait tout naturellement au séminaire de philosophie de Faverney, où il passa deux ans (1927-1929). Devenir prêtre, oui, mais il voulait être prêtre missionnaire. C’est pourquoi il fit sa demande d’entrée aux Missions Etrangères, le 16 octobre 1929, depuis le grand séminaire de Besançon où il était entré pour faire sa retraite du début d’année et cela sur le conseil de son directeur de Faverney. Il fut admis sans hésitation et il entra à Bièvres le 22 du même mois pour y commencer ses études de théologie. Un de ses condisciples note que, dès son entrée à Bièvres, il se fit remarquer par son sérieux. Jamais on ne le vit participer à certaines gamineries qui sont encore de cet âge. A la Rue du Bac, après son service militaire, il se montra également et plus encore un séminariste consciencieux et travailleur. Il est très vraisemblable qu’il n’eut pas bien souvent à subir les remarques du Supérieur, le P. Sy, qui sans en avoir l’air, voyait tout. On lui confia la charge de « Procureur » pour les aspirants : c’était une preuve de confiance qu’avaient pour lui les directeurs du séminaire. Il ne fut peut-être pas ce que l’on appelle un élève brillant, mais, étant tout à son affaire, il fit de bonnes études théologiques. Au fil des années, sans aucun accroc, il reçut les divers ordres préparatoires au sacerdoce. C’est le 1er juillet 1934 qu’il fut ordonné prêtre. En ce jour-là, deux choses firent palpiter le cœur de Paul Renaud : d’abord cette élévation au sacerdoce depuis longtemps prévue, désirée et préparée, mais qu’on ne reçoit pas tout de même sans une grande émotion ; d’autre part c’est au soir de cette ordination que les nouveaux prêtres recevaient du Supérieur général leur « destination », c’est-à-dire l’envoi pour une « mission », une destination qui engagera totalement l’avenir de chacun. C’est avec une certaine anxiété que le nouvel ordonné attend que son nom soit prononcé. Quelquefois, le Supérieur général, avec un certain humour, laisse écouler les minutes et attend presque jusqu’à la fin de la demi-heure pour indiquer les Missions qui auront le privilège de voir arriver le renfort d’un nouveau missionnaire cette année-là. Le P. Renaud sursauta de plaisir en apprenant qu’il irait évangéliser les « sauvages bahnars » rendus célèbres et sympathiques par le livre du Père Dourisboure qui porte ce titre. Notons en passant que ce livre a été revu et complété par le P. Simonnet et qu’il est toujours disponible. Cette nouvelle Mission, qui venait d’être érigée en 1932, avait la cote parmi les aspirants et de plus, pour le P. Renaud, entrait encore en compte un autre élément : le premier Vicaire apostolique de cette nouvelle Mission était un Franc-comtois, Mgr Martial Janin, sacré en 1933. Dans son cœur, Paul Renaud pensa avoir reçu la plus belle mission. D’ailleurs chacun, ce jour-là, ne considère-t-il pas la mission à laquelle il est envoyé comme la plus belle ?
Le P. Renaud quitta la France le 16 septembre avec 26 confrères, jeunes missionnaires comme lui. Après un voyage sans histoire, il arriva à Kontum dans le courant du mois d’octobre. A son arrivée, ce fut grande liesse. Le nouveau Vicaire apostolique avait un personnel assez réduit : une dizaine de prêtres des Missions Etrangères et à peu près autant de prêtres viêtnamiens originaires de la « Mission mère » de Quinhon. C’est donc à bras ouverts et par une réception de première classe que fut accueilli le jeune Paul Renaud par son évêque d’abord, puis par tous les autres prêtres et par la population. Les premiers jours se passaient toujours en visites : d’abord l’Ecole des catéchistes, centre et cœur de la Mission. Mgr Janin, fondateur de cette école, y avait établi sa résidence ; là aussi demeurait le procureur ; là également se tenaient les réunions mensuelles de tout le clergé et tout cela dans un cadre de simplicité et de pauvreté qui surprenait peut-être un peu le nouvel arrivant, mais qui le mettait aussi immédiatement dans le bain. Il faudrait qu’il devienne le digne successeur de tous ces aînés à la barbe broussailleuse et dotés tous d’une auréole de pionniers, de bâtisseurs de l’Eglise matérielle et spirituelle. Mais sans conteste, parmi les vivants, le plus grand parmi eux était le Vicaire apostolique, Mgr Janin.
Pour le jeune P. Renaud, très vite il lui fallut se mettre au travail. On parle beaucoup, surtout de nos jours, de formation professionnelle. Pour un nouveau missionnaire, ce qu’il a à faire en premier lieu c’est d’apprendre la langue afin de pouvoir, le plus tôt possible, être utile à quelque chose ; il lui faut aussi se familiariser avec les coutumes, la manière de vivre des gens au milieu desquels il devra vivre et auxquels il devra annoncer la Bonne Nouvelle.
En 1934, la Mission de Kontum était peuplée de deux ethnies totalement différentes l’une de l’autre. Dans les villes (Kontum, Pleiku, par exemple) et dans quelques villages autour de ces agglomérations, il y avait surtout des Vietnamiens. Ils ne dépassaient pas 7.000 âmes : c’était eux les minoritaires, mais c’était eux qui occupaient les centres et tenaient tout le commerce ; l’ensemble était catholique. Il était donc impératif, pour le nouvel arrivant, d’apprendre la langue vietnamienne, au moins dans ses rudiments essentiels, afin de pouvoir se débrouiller au marché et aussi pouvoir entendre correctement les confessions.
La deuxième ethnie, majoritaire, qui atteignait environ 700.000 âmes était composée d’aborigènes, les premiers habitants du pays, ceux que nous appelons maintenant « les Montagnards » et que les Vietnamiens appelaient auparavant « Moïs », c’est-à-dire sauvages. Ces Montagnards, refoulés vers les plateaux, tantôt par les Chams, tantôt par les Vietnamiens, vivant repliés sur eux-mêmes, avec des coutumes très élaborées, ne possédant ni écriture, ni alphabet, mais une culture seulement orale, sont divisés en une multitude de tribus. Leur langue a la même origine. Mais à cause de l’influence cham ou laotienne, à cause surtout du peu de communications entre eux, chaque tribu s’est progressivement fabriqué un dialecte particulier ; et ces dialectes ont tellement divergé qu’on ne peut pratiquement pas se comprendre d’une tribu à l’autre. Et cela c’est le cauchemar du missionnaire qui doit apprendre ces dialectes, le cauchemar aussi de l’évêque qui doit en tenir compte pour déplacer ses prêtres... On voit tout de suite les difficultés !...
En 1934-1935, il n’y avait pas encore d’écoles de langues dans nos missions, au moins au Viêt-Nam. Chacun était obligé de se débrouiller de façon empirique et c’est « sur le tas » que se formaient les missionnaires de ce temps-là. Le P. Renaud fut donc envoyé à 6 km de Kontum dans une paroisse mi-vietnamienne, mi-rongao pour apprendre d’abord le vietnamien, la paroisse de Phong-Qui dont le curé était le P. Bonnal. Cet excellent missionnaire avait beaucoup travaillé et beaucoup souffert chez les Sedangs, montagnards au caractère dur ; là il avait semé dans les larmes et sa santé s’y était totalement délabrée ; il devait mourir quelques mois plus tard. L’étude de la langue « sur le tas », si elle demande un plus grand effort de l’élève, a aussi l’avantage de faire mieux percevoir la prononciation et aiguise le désir de se faire comprendre au plus tôt. Le vietnamien n’étant pas la langue essentielle pour les missionnaires destinés à travailler à peu près uniquement en milieu montagnard, le « jeune », après 8 ou 9 mois, en connaît assez pour aller planter sa tente dans son vrai champ d’apostolat. Pour le P. Renaud, ce champ sera le pays sedang.
Pendant de longues années, les PP. Bonnal et Crétin avaient semé dans les larmes. Pendant plus de 20 ans, installés à la porte du pays sedang, contactant les habitants, visitant les villages, priant avec ardeur et confiance, ils ont attendu l’heure de la grâce ! Vers les années 1930, brusquement l’Esprit se mit à souffler « en rafale » et cela dans deux directions : en plein nord, dans le secteur de Dak-Tô, et un peu plus à l’ouest, vers Dak-Mot. De nombreux villages demandaient à se faire chrétiens ; ils abandonnaient leurs idoles et demandaient le baptême. Le moment de la récolte dans la joie était arrivé. Le P. Crétin ne suffisait plus à la besogne ; il manquait de catéchistes ; il fallait créer un nouveau district. Lui-même va vers l’ouest et installe son centre à 14 km de l’endroit (Kon-Hojao) où il a attendu 14 ans. Ce fut au grand village de Dak-Mot. Peu à peu, son district s’étend jusqu’aux frontières du Laos. Quant au secteur nord, il attendait son titulaire : ce sera le fief du P. Renaud.
Un beau jour, le Vicaire apostolique, Mgr Janin, qui était partisan pour les jeunes d’une formation « virile », prit dans sa vieille « Ford » légendaire, le jeune P. Renaud avec tous ses bagages et l’emmena voir le pays sedang. La voiture s’arrêta au-delà du poste de milice de Dak-Tô, à une soixantaine de kilomètres de Kontum, dans un village dénommé Dak-Chô, village nouvellement converti dont les petits enfants étaient baptisés et les adultes catéchumènes... C’est là que devait être fixé le centre du nouveau district.
Quelque temps auparavant, l’évêque avait demandé aux villageois de construire pour le « Père » qui allait leur être donné une case en paillote et bambou, mais à l’arrivée des voyageurs, rien n’était encore fait ! Ce contretemps n’était pas suffisant pour changer les décisions de Mgr Janin. « Qu’à cela ne tienne, dit-il au P. Renaud ; vous êtes chargé du district de Dak-Chô et vous devez vous y installer ; il n’est pas question de revenir à Kontum. » Le jeune missionnaire ne connaissait pas un traître mot du dialecte sedang. Les « anciens » avaient eu à faire face à de telles situations et ils estimaient les « nouveaux » capables des mêmes performances. C’était bien, en effet, une performance que l’on demandait au P. Renaud. En bon Franc-Comtois patient, têtu, organisateur, il s’efforça de s’adapter au problème du moment. Et le problème pour lui était d’apprendre la langue sedang et d’organiser de toutes pièces un nouveau district à Dak-Chô. N’ayant pas de case où loger et en attendant qu’on lui en dresse une, il va d’abord passer quelques semaines chez le P. Stuzmann, à une quinzaine de kilomètres en arrière. Le dialecte n’était pas le même que celui de Dak-Chô ; le lieu ne convenait donc pas pour apprendre le parler de ses futures ouailles. Il s’installa alors provisoirement à Kon-Hojao, village d’où était parti le P. Crétin. Tout en apprenant le « sedang », il surveillait la construction d’une case en paillote, exactement pareille à celles des habitants de Dak-Chô ; un peu plus grande cependant, car elle comportait une petite chapelle. Quand tout fut terminé, il vint s’y installer, joyeusement accueilli par tout le village de 200 habitants environ. Désormais le P. Renaud sera l’homme, l’âme de Dak-Chô. Pendant 32 ans, avec seulement quelques périodes de congé pour refaire sa santé, il construira un presbytère et une église remarquables, il formera ses catéchistes qu’il aimait tout particulièrement, il instruira jeunes et vieux dont il fera peu à peu d’excellents chrétiens à la foi solide, capables de résister à la persécution. Lentement mais sûrement, il agrandira son district. Chaque année il verra venir à l’Eglise tantôt un ou deux, tantôt trois nouveaux villages. C’était la récolte dans la joie. Mais cette joie n’allait pas sans de lourdes fatigues : ces villages, il fallait les visiter souvent pour contrôler et parfaire l’instruction donnée par les catéchistes ; il fallait donner des retraites de 3 ou 4 jours dans chaque localité ; il y avait aussi les malades, les mourants à visiter et à aider. Tout cela représentait des dizaines de kilomètres, la plupart du temps à pied sous le grand soleil ou la généreuse pluie des pays tropicaux. Grâce à ce travail continu, à ces fatigues joyeusement supportées, il a fait du district de Dak-Chô un « joyau » dans la Mission de Kontum. Mais les roses ont toujours des épines ! La santé du P. Renaud n’était pas à toute épreuve. Dès son arrivée sur les Hauts Plateaux du Sud Viêt-Nam, il se plaignait de son foie et de sa vésicule biliaire qui ne fonctionnaient pas aussi bien qu’il aurait désiré et qui lui occasionnaient parfois des crises bien douloureuses. A cela il faut encore ajouter le paludisme qui sévit à l’état endémique dans ces régions. Personne n’y échappe et parfois les crises sont spectaculaires. Tout cela usait peu à peu son organisme et a été pour beaucoup dans sa mort assez précoce.
En 30 ans, le grain de sénevé est devenu un arbre. Parti de 2 ou 3 villages en 1935, le district de Dak-Chô grandit tellement qu’il fût nécessaire de le diviser. Il donna donc naissance au district de Kon-Honong où débuta le P. Viguier trop vite disparu et remplacé par le P. Arnould ; ensuite, toujours plus au nord, sera détachée une nouvelle paroisse, celle de Dak-Kola dont sera chargé le P. Dujon. Ce fut pour le P. Renaud une grande consolation de voir l’Eglise se développer, l’Evangile se répandre.
Si Dak-Chô a été marqué par lui d’une empreinte ineffaçable, lui-même a été marqué par ces fiers Sedangs à qui il avait donné toute son âme. Même s’il dut quitter Dak-Chô pendant quelques années tout en restant au service de la mission dans un autre poste, ou quand il dut quitter définitivement en 1967 pour raison de santé, son cœur était toujours resté à Dak-Chô. Lors de la messe célébrée à la fois pour Mgr Jacquot et notre confrère Paul en la basilique N.-D. de la Garde le 25 septembre 1981, le cardinal Etchegaray fera mention dans son homélie de cet attachement indéfectible du missionnaire à son inoubliable district. « Les seuls hommes, disait le Cardinal, pour lesquels il s’épanchait en ferveur intarissable, c’étaient les chrétiens — ses chrétiens des Hauts Plateaux du Viêt-Nam, les Sedangs primitifs qu’il avait conduits à l’Evangile le plus simple et le plus rigoureux. Après I 5 ans de séparation et d’exil, ses « Montagnards » comme il les appelait demeuraient sa vie, sa souffrance, son usure, les points de référence de tout ce qu’il voyait et entendait dans notre société raffinée et désaxée qu’il avait peine à comprendre. » Il était bien ainsi effectivement !
Si le P. Renaud a été le créateur et l’organisateur du district de Dak-Chô, il a eu aussi d’autres responsabilités dans la Mission. Pendant un an — 1940-1941 — il fut procureur et supérieur de l’Ecole des catéchistes ; mais surtout plus tard, Mgr Sion, qui venait de succéder à Mgr Janin décédé le 16 juillet 1940, le fit entrer dans les divers conseils de la Mission. Il fut également nommé provicaire en 1949. Toujours calme et pondéré, connaissant parfaitement le milieu « montagnard », ses recommandations seront justes et estimées. Ce fut surtout pendant la maladie de Mgr Sion et son décès en France que le provicaire d’hier se trouva à la direction effective de la Mission en 1950 en attendant qu’un successeur fût donné à Mgr Sion. Ce n’était pas une époque de tout repos. La guerre d’Indochine durait depuis 5 ans ; les esprits étaient exacerbés ; les défaites successives des armées françaises rendaient la population nerveuse. Quelques éléments même n’hésitaient pas à mettre dans le même sac administrateurs, soldats et missionnaires et à demander le départ de tous. Il y eut des gestes désagréables, blessants, volontairement blessants. Au milieu de ce petit ouragan, le P. Renaud restait calme, sage et prudent, cherchant à calmer les plus excités. Aux moments les plus difficiles, il organisa de main de maître, au début de 1952, la visite officielle du Délégué apostolique, Mgr Dooley. Ce fut une réception vraiment royale, avec un défilé triomphal à travers toute la ville, le Délégué porté sur une immense « sedia gestatoria » qui dominait la foule très nombreuse. Mgr Dooley put visiter les principaux districts vietnamiens et montagnards ; il reçut en particulier les missionnaires français, le clergé vietnamien et les dignitaires laïcs ; chacun put exposer ses prob1èmes librement, loyalement. Grâce au bon sens de tous : du délégué apostolique, de son secrétaire interprète, le P. Marquis, et du P. Renaud, tous les pièges furent désamorcés « en finesse ». Il est sûr que Mgr Dooley se souvint longtemps de cette visite.
Le P. Renaud fut heureux de déposer le lourd fardeau de la direction de la Mission sur d’autres épaules. La longue attente d’un successeur à Mgr Sion allait se terminer par la nomination de Mgr Seitz comme Vicaire apostolique de Kontum. Cette attente avait duré deux ans. Le sacre eut lieu à Hanoï le 3 octobre 1952. Quelques jours après, le nouvel élu prenait possession de son siège. Avec quelle joie et quel soulagement le P. Renaud n’allait-il pas retrouver son cher Dak-Chô et ses chers Sedangs ; après cette séparation, il ne les en aima que davantage.
Sa vie de missionnaire, prédicateur ambulant recommençait ; mais ce n’était plus la même chose. Maintenant il y avait la guerre et la guerre était partout. Commencée par les Japonais le 9 mars 1945 — ce qui valut aux missionnaires de Kontum d’être internés à Nhatrang pendant au moins une année — elle fut continuée par les Français avec des hauts et des bas. En cette année 1953 qui commençait, les reculs étaient plus nombreux que les victoires. En 1954, ce sera la défaite de Diên Biên Phu et les accords de Genève. Mais ce désastre militaire en cachait un autre : l’opération Atlante, à la même époque et dans le Centre Viêt-Nam, avait pour but le dégagement des provinces du Centre Viêt-Nam. Or, elle s’acheva par une défaite et la perte des provinces des Hauts Plateaux. La période était vraiment critique. En février 1954, la Mission de Kontum fut investie par les Vietminh communistes. Alors que les missionnaires français dont la présence n’était pas indispensable au poste qu’ils occupaient s’étaient repliés, le P. Renaud resta sur place avec ses ouailles dans le malheur comme dans le bonheur. Et cela dura jusqu’au mois d’août et même de septembre 1954. Grâce aux accords de Genève, la paix était revenue. La vie de la mission reprit son rythme habituel, tout en pansant les plaies de la guerre. Le Viêt-Nam était désormais indépendant et peu à peu beaucoup de choses allaient changer. Les Vietnamiens réfugiés du Nord affluaient sur les plateaux ; des agrovilles se constituaient de-ci de-là et parfois aux dépens des Montagnards qui devaient leur céder une partie de leurs terres même cultivées et plantées. Avec la nouvelle situation politique, il fallait préparer la passation progressive des responsabilités au clergé vietnamien qui le méritait et le demandait. Ce fut l’occasion pour le P. Renaud de donner sa démission de provicaire ; il fut remplacé par un Vicaire général vietnamien, car la hiérarchie était établie au Viêt-Nam. Cependant les confrères continuèrent à profiter de son expérience et de sa sagesse, puisqu’en 1958 il fut nommé Supérieur local, charge qu’il exerça jusqu’en 1964. Pendant 6 ans il donna à tous d’excellents conseils qui malheureusement ne furent pas toujours suivis.
En 1966, le P. Renaud, qui souffrait beaucoup de la vésicule biliaire et était atteint de paludisme chronique depuis son arrivée en mission, vit sa santé se détériorer encore davantage. Lors d’un séjour qu’il faisait à Saïgon, il eut durant la nuit un malaise très grave pendant qu’il était aux « toilettes ». Il tomba et perdit connaissance. Heureusement son voisin de chambre, Mgr Urrutia, entendit le choc, les gémissements du Père et donna l’alerte. Le Père fut transporté d’urgence à l’hôpital Grall où l’on jugea que son état était très grave. Placé en réanimation pendant quelques jours, on craignit sérieusement pour sa vie. Il surmonta cette crise grave, mais sa vie missionnaire sur les Hauts Plateaux était terminée. Les médecins ordonnèrent son départ pour la France ; là il pourrait être constamment à proximité d’un médecin qui interviendrait si nécessaire.
En France
Dans les premiers mois de 1967, le P. Renaud dit un adieu définitif à la Mission de Kontum et à ses chers Sedangs dont le souvenir ne quittera jamais sa pensée ni son cœur. Ce qui faisait dire au Cardinal Etchegaray dans le petit mot que, empêché lui-même par un voyage en Espage, il fit lire par son Auxiliaire, Mgr Fihey, aux obsèques du Père à Malbuisson : « Sa vraie famille, oserai-je dire, celle qui donnait à toutes ses autres relations leur dimension catholique, c’était celle des chrétiens des Hauts Plateaux de Kontum qu’il n’a jamais quittés et qui restèrent jusqu’au bout son horizon quotidien, ses points de référence et ses raisons de vivre. »
De retour en France, les soins qu’il reçut, surtout peut-être l’ambiance familiale, l’affection des siens jointe à l’air vivifiant des montagnes franc-comtoises le remirent sur pied au point qu’il se sentit de nouveau en forme pour exercer la fonction que la Providence lui fournirait. L’occasion se présenta en 1968 lorsque son compatriote et condisciple, devenu depuis 1966 Archevêque de Marseille, eut besoin d’un secrétaire particulier. C’est ainsi qu’il entra au service de Mgr Georges Jacquot. Au dire du Cardinal Etchegaray, « ce fut plutôt comme compagnon que comme secrétaire. Qu’ils étaient pourtant différents l’un de l’autre ! L’un robuste, l’autre fragile dans sa santé, l’un aussi primesautier que l’autre était réservé et pourtant leur amitié, renouée au bout de deux itinéraires bien différents se nourrissait de la même sève franc-comtoise juteuse de sagesse et de foi ». Ce fut celui qui apparemment était le plus solide qui partit le premier. Mgr Jacquot mourut subitement le 28 septembre 1970. Le P. Renaud gardera de lui un souvenir fidèle. Lorsque Mgr Etchegaray fut nommé à Marseille, il trouva le P. Renaud parmi le personnel de l’Archevêché ; aussitôt il reconnut en lui un serviteur fidèle et dévoué. Il lui demanda donc de rester son secrétaire particulier. Un climat de confiance et d’estime mutuelles s’établit entre les deux hommes. Les paroles mêmes du Cardinal lues au début de la messe des obsèques en font foi : « Il fut pour moi le compagnon le plus attentif, le plus discret, le plus disponible, prêt à rendre les services les plus humbles, ceux que l’on aperçoit lorsque le serviteur n’est plus là. Il était l’âme de ma maison, pour ceux qui y habitent, mais aussi pour tous ceux qu’il accueillait d’une égale humeur à la porte ou au téléphone. » Un membre éminent du clergé de Marseille écrivait de son côté : « Il a été pour le cardinal le secrétaire intelligent, discret, simple. Tout le clergé marseillais a fait plus qu’apprécier, il a aimé ce vieil homme, en soutane vietnamienne, qui accueillait avec un regard de gentillesse ceux qui venaient, lui qui au Viêt-Nam avait un regard de chef. »
Pendant 13 ans, avec Mgr Jacquot et son successeur, le P. Renaud a rempli ce rôle effacé mais efficace avec un dévouement total. La dernière année sa santé « clochait » un peu : arthrose de la hanche et ulcère variqueux à une cheville le gênaient pour marcher. Souffrant de la grosse chaleur qui sévissait à Marseille, il décida d’aller jouir d’un air plus frais au pays natal. Le 11 août 1981, sa nièce et son neveu l’emmenaient vers Mouthe, chez sa sœur, pour se reposer dans le cadre de la campagne franc-comtoise. Personne ce jour-là n’aurait pu deviner qu’il quittait Marseille pour n’y plus revenir. Les premiers jours furent bénéfiques ; il se trouvait beaucoup mieux ; il souffrait moins de sa jambe. Ses mains cependant s’étaient mises à trembler énormément. Le dimanche 23 août, il passa la journée à la maison de campagne de son neveu, près d’un lac rustique et face à la montagne plantée de pins... Il était heureux. Puis brusquement, le lundi matin 24, ses poumons se trouvèrent congestionnés au point de ne plus pouvoir respirer. On le transporta immédiatement à l’hôpital de Pontarlier. Sa sœur, ses neveux, ses nièces, l’aumônier de l’hôpital qui était un de ses amis, le P. Levet son collaborateur au secrétariat de l’Archevêché de Marseille l’entourèrent de toute leur affection. Tous les jours il eut le réconfort de pouvoir assister à la messe célébrée dans sa chambre. Il était parfaitement conscient, mais il sentait bien qu’il ne guérirait plus. A la religieuse qui le saluait en partant : « Au revoir, Père, demain ça ira mieux », il répondit avec un faible sourire : « Demain, ma Sœur, ce sera le paradis. » Son heure était donc venue. Sans souffrance apparente, il s’est éteint dans la nuit du jeudi 27 août avant minuit.
Ses obsèques furent célébrées le samedi 29 août dans l’église de Malbuisson où il avait été baptisé. Une foule imposante de parents et d’amis remplissait l’église. 47 prêtres concélébraient. Mgr Seitz, ancien évêque de Kontum, présida la cérémonie et prononça l’homélie. Le Cardinal Etchegaray, empêché comme nous l’avons dit, était représenté par son auxiliaire Mgr Fihey. L’archevêque de Besançon avait délégué le Vicaire épiscopal du Haut-Doubs, le P. André Jan. Onze confrères des Missions Etrangères, ses amis ou ses compatriotes et parmi eux le jeune P. Paul Renaud, missionnaire au Japon en congé à ce moment-là, se trouvaient parmi les concélébrants. « A l’exemple de saint Paul, concluait le Cardinal Etchegaray dans son petit mot d’introduction à la messe lu par Mgr Fihey, il a tout donné pour que l’Evangile soit connu et aimé, auprès des pauvres et des petits surtout. Que le Seigneur accueille maintenant dans sa joie son bon et fidèle serviteur. » C’était bien la prière qui était dans le cœur et sur les lèvres de tous les assistants. Lors de la messe à N.-D. de la Garde, le Cardinal aura encore ce mot : « Pour avoir quitté un pays plantureux et une famille nombreuse et unie dans le but de vivre au milieu d’une pauvre tribu des confins du Viêt-Nam et du Laos, pour avoir tout quitté, le P. Paul Renaud a éprouvé dès ici-bas au centuple la joie de vivre parmi les siens avec ce petit supplément qu’y ajoute le Christ, les persécutions. Mais lui, le comptable consciencieux de la maison, ne tenait pas de comptes spirituels ; il lui a suffi d’entendre le résultat de l’addition générale : la vie éternelle. »
L’homme — Le Prêtre — Le Missionnaire
Tous ceux qui ont connu le P. Renaud lui rendent le même témoignage que le Cardinal Etchegaray. Par ses qualités d’homme, par sa fidélité de prêtre, il fut un bon missionnaire, digne successeur de ces pionniers qui ont créé la Mission des Hauts Plateaux de Kontum et qui ont nom : Dourisboure, Vialleton, Kemlin, Guerlach, Jannin, Hutinet… et on ne peut les citer tous. Homme consciencieux, tout à son devoir jusqu’au scrupule parfois ; fidèle dans ses amitiés ; sage et réfléchi, préférant réfléchir longuement avant de parler. Prêtre pieux et zélé, il s’est donné avec tout son cœur à Dieu et aux autres ; il a vécu son sacerdoce dans la fidélité à l’idéal qu’il s’était fixé au jour de son ordination, dans la sérénité d’une conscience en paix, dans la confiance en Dieu, avec une âme toute simple qui n’a jamais été troublée par le doute. La prière le soutenait dans son travail et ses responsabilités quotidiennes. Missionnaire, il fut tout dévoué à ses chers « Montagnards » qu’il aimait sincèrement et qui sont restés présents dans son souvenir jusqu’au dernier jour. Il enseignait, il prêchait, contrôlait le travail de ses catéchistes, car il voulait faire et a fait effectivement de ses Sedangs des chrétiens responsables qui certainement gardent solides leur foi et les enseignements qu’il leur a donnés. Ils seront sa couronne et sa récompense au ciel. Une de ses chrétiennes qu’il avait baptisée il y a bien longtemps écrivait le 3 octobre 1981 ces mots émus : « Le district de Dak-Chô ne pourra jamais oublier le P. Renaud ; il a ouvert la porte du paradis à de si nombreux Sedangs, il a été si longtemps parmi nous... »
Dans le Royaume du Père, il aura retrouvé de nombreux Montagnards à qui il avait enseigné le chemin, ouvert la porte par le baptême et le sacrement de la réconciliation,
Si le P. Renaud a aimé les Sedangs sur cette terre, nous avons l’assurance qu’il intercède pour eux afin qu’ils restent fermes dans leur foi au milieu de la tourmente communiste qui les menace.
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References
[3516] RENAUD Paul (1909-1981)
Références biographiques
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